• Tour du Capcir - Etape 1 Matemale - Refuge de la Font de la Perdrix

    Ce diaporama est agrémenté de 3 musiques d'Ennio Morricone extraites d'une compilation intitulée "Relaxing Moment". Elles ont pour titre : "La Califfa", "Giu'La Testa -A Fistful Of Dynamite", "Dal Mare - Version 2 (From Il Segreto".

    Tour du Capcir - Etape 1 Matemale - Refuge de la Font de la Perdrix

    Tour du Capcir - Etape 1 Matemale - Refuge de la Font de la Perdrix

    Tour du Capcir - Etape 1 Matemale - Refuge de la Font de la Perdrix

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    1ere étape – 11 septembre 2013 : de Matemale (1.500 m) au Refuge de la Font de la Perdrix (2.312 m) soit 14,4 km pour un dénivelé de 877 m et des montées cumulées de 1.261 m. Point culminant : le Roc des Gourgs 2.352 m – Point le plus bas : Pont de la Molina : 1.475 m.

     

    9h30, la première impression est qu’il ne fait pas chaud et d’emblée, je sors ma veste en Goretex de mon sac à dos. Mes compagnons font de même et enfilent leurs vestes et anoraks respectifs. Nous démarrons, accoutrés tels d’imposants « bibendums » auxquels on aurait rajouté de volumineux sacs à dos. Le mien, une fois encore, j’ai tenté de l’alléger au maximum mais c’est tout de même 15 à 16 kilos environ que je vais devoir me « charrier » sur ces 4 jours. Idem pour mes compères. Pour ce Tour du Capcir, j’ai voulu être à la fois énergique et pragmatique et j’ai opté pour un modeste 40 litres remplaçant ainsi mon vieux 70 litres que j’avais trimballé lors de tous mes tours précédents : CoronatVallespir et Fenouillèdes. En procédant ainsi, j’ai gagné 5 à 6 kilos mais comme dans l’intervalle, j’ai aussi gagné quelques années supplémentaires mais aussi quelques kilos de mieux, c’est du « kif-kif » sur le plan physique. Nous démarrons direction les panonceaux que nous avons aperçus un peu plus bas dans le village. Les premiers indiquent quelques parcours VTT et la Tour de Creu par le P.R.22 dont je sais que c’est la bonne direction. Le deuxième est plus explicite et en plus de la Tour de Creu, le Tour du Capcir y est clairement mentionné. Par la rue de la Mouline, nous sortons de Matemale sous un ciel coupé en deux dans la sens de la vallée. A gauche, c'est-à-dire vers l’ouest et la Cerdagne, le ciel est extrêmement bas et recouvert d’un épais et grisâtre matelas nuageux. A droite, côté Madres et Haut-Conflent, le ciel est d’un bleu intense et pur et que je qualifierais d’encourageant car c’est de ce côté-là que nous allons. Cette large vallée avec aujourd’hui ce firmament tristement coupé en deux, c’est l’Aude qui l’a principalement creusée. Le fleuve n’est pourtant ici qu’un minuscule ruisseau de 2 à 3 mètres de large que l’on aperçoit sur notre droite dès  la sortie du village.  A la sortie du village, un dernier panonceau indicatif nous rassure définitivement : « Tour du Capcir – Col de Sansa -2h10 ». D’emblée, Cathy prend la tête du petit peloton et semble vouloir accélérer le pas pendant que nous, les trois hommes, flânons à l’arrière déjà plongés dans des discussions spontanées. Au cours de ces 4 jours, il en sera ainsi le plus souvent, car pour Cathy, c’est sa seule façon de marcher. Une façon très sportive, plutôt « speed » que Fred et Jérôme ne compenseront que dans les montées les plus rudes. Moi, qui suis un flâneur dans l’âme, je ne vais jamais essayer de lutter et de toute manière, je sais par avance que même si je le voulais, je ne le pourrais pas. Et puis de toute manière, mon appareil photo numérique est là, pendu à mon cou, m’arrêtant à tout bout de champ, comme un œil et un cerveau supplémentaire qui doit me permettre de ne rien oublier de ce nouveau « Tour pédestre du Bonheur ». Le premier de ces tours avait été un Tour des Fenouillèdes réalisé avec Jérôme en 2011. Au préalable, j’avais accompli d’autres tours pédestres, comme celui du Coronat en 2007 ou du Vallespir en 2009, mais toujours en solitaire, et donc avec enchantement certes, mais avec ce regret de ne pas partager toutes ces « petites choses » qui intensifient et démultiplient le bonheur. Toutefois, si une chose ne change jamais, c’est bien celle de ma passion pour la Nature et la photo. Depuis le départ, mon numérique est déjà amplement entré en action et il continue à chaque occasion : une fleur, un paysage, un papillon, un oiseau sur un fil, l’Aude, petit torrent que nous longeons désormais. Avant de venir, j’ai étudié le parcours de l’Aude car je sais que nous aurons l’occasion de côtoyer le fleuve. Ici, il vient de quitter le barrage de Matemale et descend vers celui de Puyvalador. Les deux barrages récupèrent et concentrent ses eaux dont la source ou plutôt les sources surgissent au pied du Mont Llaret (2.376 m) et du roc d’Aude (2.325 m), deux sommets débonnaires situés au dessus des Angles. Toutes ces sources s’écoulent en remplissant le lac d’Aude, situé à 2.154 mètres d’altitude, dont les eaux se déversent ensuite sous la forme d’un minuscule ru cherchant son chemin dans des prés humides et des tourbières. Au contact de quelques menus affluents, ce ru devient ruisseau puis torrent finissant sa course dans le lac de barrage de Matemale, le but final de cette récupération étant bien sûr de produire de l’électricité. De plus ou moins près, tous ces sites seront à l’ordre du jour de notre Tour du Capcir et feront partie, je n’en doute pas, des jolis souvenirs que nous en  garderons. Le pont de la Mouline qui enjambe le torrent est atteint. Un poteau en indique l’altitude à 1.475 mètres et comme je sais que le col de Sansa est situé à 1.775m, inutile d’être agrégé de mathématiques pour calculer le dénivelé restant pour atteindre ce premier jalon. En ce qui concerne notre objectif, le refuge de la Font de la Perdrix, situé, lui, à 2.312 mètres d’altitude, il y a belle lurette que le dénivelé pour y parvenir est ancré dans ma tête : 837 mètres ! En réalité, c’est légèrement plus que ça puisque le Roc des Gourgs que nous devons franchir en cours de route est situé, lui, à 2.352 mètres. Il faut donc rajouter 50 mètres de déclivité supplémentaire. Toutes ces informations repères et distances, je les connais presque par cœur, car voilà bientôt trois mois que j’analyse et réanalyse le parcours presque quotidiennement. Après accord de Jérôme, j’ai pris la décision de ne pas emprunter l’itinéraire classique du Tour du Capcir qui, depuis le col de Sansa, monte au refuge Oller, ni cette variante qui par la Coume de Ponteils rejoint notre objectif : le refuge de la Font de la Perdrix. Non, connaissant bien ce secteur du Madres, j’ai décidé d’emprunter la voie dite de Passeduc, petit col herbeux permettant de gagner quelques kilomètres. En réalité, ce n’est pas à cause de ce gain de distance que j’ai construit cet itinéraire mais tout simplement parce que je sais que les panoramas sur le Capcir et le Haut-Conflent y sont tout simplement extraordinaires. Mon idée est d’amener mes compagnons de voyage au sommet du Pic de la Pelade (2.370 m) d’où les vues à 360° sur le Roussillon et la Catalogne en général sont, par grand beau temps, tout bonnement époustouflants. Mais en traversant le pont de la Mouline, nous n’en sommes pas encore là et je me dis que j’aurais bien le temps d’y penser dans quelques heures. Après les prairies verdoyantes et fleuries de cette minuscule partie du val de l’Aude, un premier petit bois de conifères est traversé. En sortant de ce bois, on aperçoit la fameuse Torre de Creu ou tout de moins ce qu’il en reste, c'est-à-dire quelques pans de murs amplement ruinés et inclinés, une espèce de tour de Pise en miniature qui aurait subi un énorme tremblement de terre. En zoomant sur elle avec mon numérique, j’ai même le sentiment qu’elle est encore bien plus ruinée qu’en 2006 quand j’étais venu la découvrir pour la première fois. Aujourd’hui, un tracteur est à ses pieds et j’imagine que des ouvrages de consolidation sont en cours. On laisse la vielle tour des comtes de Cerdagne à ses travaux pour entrer de plein pied dans une sombre forêt de grands résineux. Sur les cartes, cette belle et immense forêt qui sépare le Capcir du Conflent c’est la forêt domaniale de Cami Ramader où l’on trouve principalement des pins à crochets, des pins sylvestres, des sapins mais des quantités d’autres essences selon l’étage montagnard où l’on se trouve. Ce nom de « Cami Ramader » étant comme chacun sait le nom donné aux anciens chemins pyrénéens de transhumance. Nos drailles à nous en quelque sorte.  Dans la longue montée vers le col de Sansa et après que Fred m’ait gentiment accompagné, pendant quelques temps, me voilà rapidement largué et pas seulement parce que je m’évertue à tenter de photographier le très beau lac de Puyvalador que l’on aperçoit en contrebas au travers des immenses pins. Non, mon cœur est un moteur diesel et le mettre en route avec de « bons » dénivelés dès le départ est toujours compliqué. Sans compter plusieurs kilos que j’ai amplement repris après une régime Dukan qui s’était avéré efficace mais seulement le temps des privations. Depuis ma « panse » a retrouvé une belle forme arrondie, arrondie mais pas idéale pour gravir des sommets. De ce fait,  suivre le rythme de ces trois jeunes gens est une réelle épreuve pour moi mais tout au long de ces quatre jours, ils auront la gentillesse, la délicatesse et je dirais même l’élégance de m’attendre très souvent. Enfin, j’ai très souvent espéré que ce n’était pas de la commisération tant j’ai eu parfois conscience de les retarder et de freiner leur cadence et leur ardeur. Juste avant le col de Sansa, les arbres ont la bonne idée de s’écarter pour laisser la place à de jolies vues sur le lac de Puyvalador et les petits villages environnants. Des vues réduites et assez ternes à cause de cette chape nuageuse qui chapeaute toute la vallée et une grande partie du Capcir. 11 heures, le col de Sansa est atteint. Par bonheur, ici, sur cette vaste esplanade, le soleil et le ciel bleu sont encore largement de la partie mais je suis plutôt inquiet car je m’aperçois tout de même que cette masse nuageuse que l’on pourrait croire immobile, se déplace tout doucement dans notre direction. Une fois encore, je peste contre Météo France car au cours de tous les jours précédents notre départ, les prévisions ont été uniquement favorables et puis hier « patatras », tout a soudain changé ! Mais bon, s’ils sont responsables des prévisions, peut-on les considérer comme garants du climat et du temps qu’il va faire ? Jérôme prétextant une fringale, nous stoppons pour prendre un petit en-cas.  Il est vrai que depuis Matemale nous n’avons observé aucune vraie pause et en plus, en me rappelant le temps de 2h10 que j’avais vu sur le panonceau, je suis étonné de constater que nous n’avons mis en réalité qu’1h30 pour atteindre le col. Alors, s’agit-il d’une vraie performance ou bien ne faut-il pas trop se fier aux temps indiqués sur les panonceaux ? Je ne sais pas répondre à cette question même si j’ai bien évidemment conscience que je suis monté bien plus vite qu’à mon habitude et que si j’avais été seul. Nous repartons et prenons la piste, variante du Tour du Capcir vers le Refuge des Estagnols. Ici, l’inclinaison de la piste est moindre et plutôt reposante. On profite pleinement des vues plongeantes sur la petite vallée de Cabrils ou l’on distingue le hameau de Sansa et le clocher de son église sous une vaste chape nuageuse. Mais mon regard est surtout attiré par le pic de la Pelade que j’ai gravi plusieurs fois et surtout par les quelques gros cumulus qui commencent à s’accumuler derrière lui. Ces nuages me tracassent car j’ai essentiellement axé cet itinéraire sur les panoramas que l’on peut y découvrir de là-haut. Peu après la bifurcation descendant vers le refuge des Estagnols, on délaisse définitivement l’itinéraire du Tour du Capcir dont le sentier suit sensiblement la Coume de Ponteils, petit torrent prenant sa source au pied du pic du Madres. On poursuit la piste qui zigzague au sein de la Jasse d’Ancréou, jasse dont je sais qu’elle va se terminer dans une vaste clairière où s’écoule le petit rec (ruisseau) dit de Pinouseil. Le Pinouseil est en réalité la vraie source de la rivière Cabrils dont on a aperçu le vallon peu après le col de Sansa.  Là, dans la montée, et dans la sinuosité de la piste, on tombe nez à nez avec plusieurs chasseurs assis à proximité de leurs 4x4. On apprend avec étonnement qu’ils viennent d’autres départements et parfois même de très loin, uniquement pour chasser les gros gibiers : cerfs, chevreuils, mouflons, bouquetins et isards essentiellement. Ils viennent d’arrêter leur battue et en sont déjà à l’heure du déjeuner. Bien évidemment, une conversation s’instaure sur la faune locale et ils nous informent avoir vu pas mal d’animaux mais qu’ils n’ont rien tiré car les bêtes aperçues étaient surtout des femelles et qu’ils sont respectueux d’une bonne gestion. Nous sommes ravis de rencontrer des chasseurs intelligents. Nous leur souhaitons un bon appétit et poursuivons notre marche. Quelques minutes plus tard, la belle et vaste clairière est là, et comme il est midi pile, à notre tour, nous estimons que l’heure du déjeuner est enfin arrivée. Nous nous installons sur l’herbe et malgré un temps devenant de plus en plus maussade,  la bonne humeur est de mise. Cathy s’enveloppant la tête d’un surprenant fichu en laine, bien évidemment les garçons ne la loupent pas et se moquent d’elle. Dans un ciel devenu mi-figue mi-raisin, deux grands rapaces tournoient au dessus de nos têtes en poussant des cris stridents. Pendant que les trois jeunes rigolent, moi, je suis plongé dans diverses pensées qui me préoccupent. La première, c’est la présence de ces chasseurs que nous venons de rencontrer et j’avoue que je n’avais pas pensé que la chasse était déjà ouverte à cette période. Ce qui me chiffonne, c’est que j’espère que le refuge non gardé de la Font de la Perdrix, qui est minuscule, ne sera pas déjà occupé par une troupe de ces « tartarins » ? En effet, si j’ai pensé à la présence d’éventuels randonneurs, cette idée ne m’a jamais vraiment inquiété car dans ce refuge, je n’y ai jamais vu personne installé, et en plus la saison des randonnées estivales est plutôt derrière nous. Mon deuxième tourment, c’est tous ces nuages qui arrivent sur nous, s’amoncellent et chapeautent la montagne. Parfois, la brume est si basse qu’une espèce de vapeur légère nous entoure et il en est ainsi au moment même où nous décidons de redémarrer. Ça m’inquiète d’autant plus que je connais très bien ce très rude dénivelé qui nous attend pour parvenir au col de Passeduc. Si l’itinéraire pour y parvenir est assez simple ; il suffit de suivre le rec de Pinouseil en grimpant dans la forêt puis dans les pelouses ; la déclivité, elle,  est assez terrible puisque c’est deux kilomètres d’ascension pour 420 mètres de dénivelé soit une pente presque continuelle à 21%. Si je vous dis que le pourcentage de pente moyen de l’Alpe d’Huez accompli lors du Tour de France est de moins de 8% et au maximum de 14%, ça vous donne une bonne idée du dur raidillon qui nous attend. Dire que je redoute cette montée est un doux euphémisme car si je l’ai déjà accompli à plusieurs reprises, jamais je ne l’ai gravie avec dans le dos un tel sac de 15 kilos et avec les kilos très superflus que je trimballe ! Je tente néanmoins de relativiser cette ascension en me disant qu’aucun délai ne m’est imparti pour rejoindre le col puis le refuge de la Font de la Perdrix. Non, ce qui me chagrine surtout ça serait d’arriver tout là-haut la tête dans les nuages et de ne rien voir de tous les panoramas que j’ai promis à mes compagnons. Mais bon, on verra bien ! Après quelques hésitations quant à l’itinéraire à suivre car ici les « caminoles » tracées par les animaux sont très nombreuses, on finit par trouver le bon sentier sur le côté droit du rec. Presque immédiatement, la pente devient très abrupte et bien évidemment les écarts se creusent aussitôt. Jérôme a pris la tête, suivi de près par Fred. Cathy, elle, est définitivement décramponnée mais semble monter à son rythme qui est régulier et bien plus correct que le mien. Bien sûr, je ferme la marche et ne tente en aucune manière de suivre mes compagnons. Non, comme je le fais assez souvent quand je souffre en randonnée, j’essaie de penser à autre chose qu’à la douleur et à la balade elle-même. J’avoue que je déconnecte assez vite et assez facilement et ça m’aide énormément. Parfois, les écouteurs enfoncés dans les oreilles, j’écoute de la musique sur mon baladeur MP3.  Mais là, je ne sais pas pourquoi, pas besoin de musique et mes pensées se transforment en un étrange questionnement du style : « Mais qu’est que je fous là à galérer avec ces trois jeunes gens bien plus en forme physique que moi ? » ou bien « j’ai mal dormi et le manque de sommeil se répercute sur ma forme physique mais est-ce une bonne excuse ? ». Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce questionnement, ce n’est ni du dépit, ni une repentance et encore moins un regret. Non, dans mon esprit, il n’y a aucune équivoque : « je suis très heureux d’être là, même si je galère comme jamais ! ». Alors ce sont des questions toutes simples dont je tente de trouver les réponses au plus profond de ma mémoire : « Pourquoi suis-je là à grimper cette montagne si abrupte ? » « Pourquoi,  suis-je heureux de le faire malgré la souffrance ? » « Pourquoi, j’aime les forêts de sapins ? » « Les petits torrents aux eaux limpides ? » « Les fleurs des champs et des montagnes ? » « Les papillons et les oiseaux ? » « Pourquoi, quand je me retourne suis-je en émerveillement devant cet immense panorama ? » « En extase en regardant le vol d’un rapace ou en écoutant le chant d’un pinson ou d’une mésange ? » « Devant le regard d’un chevreuil ou celui d’un écureuil ? » » Pourquoi, suis-je fasciné par le simple bourgeon duveteux et transparent d’un saule au printemps ? » En une simple phrase : « pourquoi suis-je transporté de bonheur d’être au sein de cette Nature sauvage ? » Voilà, le genre de questions que je me pose. Des questions qui me font oublier mon calvaire et le fait même de m’élever. L’élévation physique disparaît au profit d’une élévation intérieure. Des questions que j’ai déjà eu l’occasion de me poser à quelques reprises et dont j’ai très souvent éludé les réponses soit parce que je ne les trouvais pas sur l’instant soit parce que la souffrance s’arrêtait et avec elle mon questionnement.  Aujourd’hui, cette longue pente très raide va me laisser le temps du dénouement. Oui, la solution est à chercher dans mon enfance. J’ai soudain comme une révélation, sans doute parce que je souffre plus qu’à l’accoutumée et que l’épreuve durant en longueur, elle me laisse le temps pour une analyse suffisante. Concernant cet amour de la montagne et de la nature,  un nom surgit comme un diable sortant de sa boîte et ne me quitte plus. Il revient désormais sans cesse. Un personnage que j’ai aimé grâce à ma mère quand j’étais enfant. Ce personnage, c’est Blek le Roc, un héros de bandes dessinées dont je lisais tous les numéros que ma mère m’achetait chaque semaine. Aujourd’hui, on appelle ça des « comics books », petits fascicules de quelques pages racontant une nouvelle histoire à chaque numéro.  A l’époque, j’étais bien trop jeune pour parler l’anglais alors je disais « maman, donne-moi des sous pour Kiwi ! ». Car c’est bien dans ce petit périodique que j’ai découvert Blek le Roc pour la toute première fois. Sur les rayons du marchand de journaux de mon quartier de la Vieille-Chapelle à Marseille , les héros étaient plutôt nombreux à l’époque, car outre Blek le Roc, de très loin mon préféré, il y avait aussi Akim, Yuma, Kit Carson, Rodéo, Zagor, Nevada, etc… et j’en oublie bien d’autres…. Blek le Roc, c’était celui auquel je m’identifiais quand je partais jouer aux cow-boys et aux indiens avec une bande de copains de mon quartier dans les pinèdes et les sablières toutes proches du Massif de Marseilleveyre. Ces bandes dessinées, ma mère avait pris soin d’en lire quelques unes avant moi et elle savait qu’elles n’avaient aucun aspect négatif pour l’enfant que j’étais. Certes, on y trouvait des récits de batailles et de soldats mais jamais aucun mort et puis surtout la morale et la justice y étaient toujours présentes. Morale, justice, intrépidité, courage, adversité, tempérament et Nature, voilà quels étaient les ressorts permanents de ces bandes dessinées. Bien au-delà des justes et libertaires combats que Blek le Roc menait contre les « rouges » Anglais, les histoires se passaient aux Etats-Unis, au sein de magnifiques forêts de sapins et le plus souvent dans une prodigieuse Nature que mes fantasmes enfantins n’avaient aucun mal à imaginer et parfois même à enjoliver. Plus tard, voilà sans doute ce qui m’a donné ce goût pour la Nature sauvage, la montagne et ce plaisir sans cesse renouvelé d’atteindre un certain bien-être au travers des randonnées pédestres. J’en suis désormais convaincu. En grimpant vers ce terrible col de Passeduc, je suis entrain de rêver à tout ça, oubliant tout le reste, et j’en suis presque à m’imaginer que je suis un Blek le Roc vieillissant mais encore fringant, capable d’escalader les pentes les plus raides. Après tout, je viens de fêter mes 64 ans et c’est l’âge où mon père est décédé. « Sordide pensée » me dis-je au bout de cette dernière réflexion. En tous cas, il n’y a qu’un pas que je suis entrain de franchir, quand soudain deux hommes descendant la pelouse en courant me sortent de ma torpeur et presque à regrets de mes songes enfantins. Dans ma poitrine, mon cœur se met à nouveau à battre la chamade. En réalité, il devait battre depuis pas mal de temps déjà et j’éprouve aussitôt le besoin de m’arrêter pour me désaltérer. Mes acolytes sont bien au dessus de moi maintenant et je les aperçois bien loin sur la pelouse pentue. Je ne me remets en route qu’une fois les battements de mon cœur bien stabilisés. Au fur et à mesure que je grimpe, j’ai le sentiment que la pente s‘accentue mais à un moment et en regardant sur le côté droit, je constate que les petits pins ont carrément disparus et ont laissé la place à un sol aride et pierreux. Aussitôt, je reconnais les flancs du pic de la Pelade et je sais que Passeduc n’est plus très loin maintenant. D’ailleurs, en levant la tête, j’aperçois Jérôme qui accourt vers moi et quand il arrive à ma hauteur, il me dit : « Eh, tu es bien pâle ! ». « Tu es même très blanc ! » et il rajoute « tu te sens bien ? » et dans la foulée, il me dépossède de mon sac à dos et remonte aussitôt vers le col que Fred et Cathy ont déjà atteint depuis de longues minutes.  Oui, c’est vrai, je suis très essoufflé mais je me sens plutôt bien physiquement et en plus, il ne me reste plus qu’une centaine de mètres à accomplir. Mes jambes vont bien et je mets cet essoufflement plus sur le compte de l’altitude que d’une vraie fatigue même si ce n’est pas « le top » aujourd’hui. Comme toujours avant l’accomplissement d’un projet tel que celui-ci, j’ai assez mal dormi cette nuit.  A vrai dire très peu et il faudrait que je récupère. Mais le pire est surtout au moral. Là, en regardant le ciel, je prends vraiment un gros coup sur la tête. Je suis complètement dégoûté car une brume humide mais heureusement sans pluie recouvre toute la crête. Le sommet du pic de la Pelade pourtant tout proche est invisible et quand je propose son ascension, j’essuie un refus catégorique de tous car personne ne trouve d’intérêt à s’y rendre dans cette brume qui enveloppe tout. Comment leur en vouloir ? Sur l’autre versant du col, les vues sur le Conflent sont amplement bouchées et on ne distingue pas le millième des beaux panoramas que j’ai vu lors de mes précédentes venues. A nos pieds mais sous une épaisse couche nuageuse, seules les vues plongeantes sur les Mouillères, vers le Pla de la Baillette et le col du Portus sont visibles. Au dessus, le Mont Coronat et le Puig d’Escoutou apparaissent et disparaissent au gré des nuages qui filent vers l’est. Je suis écoeuré et triste à crever car bien avant le départ, j’ai souvent imaginé décrire à mes compagnons toutes ces beautés qui, par grand beau temps, se dévoilent jusqu’à la Méditerranée. Je prends aussitôt la tête de la marche car sur ce Pla des Gourgs je connais bien les petites caminoles qu’il faut prendre pour atteindre le bord du cirque afin d’avoir au moins de jolies vues plongeantes à regarder. Par temps clair, on voit très loin mais on prend également plaisir à regarder en contrebas les prairies et le lac d’Evol encore appelée Gorg Nègre.  Mais Jérôme qui ne marche qu’avec son G.P.S me rappelle à l’ordre et décide de suivre le tracé qu’il a enregistré. Ce tracé, c’est le chemin le plus droit, le plus direct et donc le plus court, mais c’est aussi celui qui passe le plus à l’intérieur du plateau. Mais comme avec cette météo maudite, mon moral en a déjà pris un coup, je ne dis rien, je rentre dans le rang et suis les autres bien sagement comme je l’ai fait depuis Matemale. Je ne dis d’autant rien que je sais que les vues espérées sur le lac s’entrouvriront un peu plus tard et bien mieux encore depuis le refuge de la Font de la Perdrix. Dès le Roc des Gourgs atteint, le Gorg Nègre, objet de tant de mauvaises légendes, fait son apparition. Dans la foulée, Jérôme aperçoit au loin le refuge de la Font de la Perdrix avec sa toiture rouge. L’arrivée de cette première étape n’est plus très loin maintenant mais je sais que le chemin n’est pas très facile pour l’atteindre. Ici, il faut en permanence zigzaguer au milieu des tourbières et des fondrières pas toujours très praticables. De surcroît, après cette zone humide, les magmas rocheux granitiques prennent le relais. Il faut très souvent les contourner ou bien les gravir, se méfier des petits genévriers très ras, nombreux, touffus, piquants et ligneux quand ils sont secs. Quand le refuge apparaît, là, tout proche, j’ai une sensation de soulagement, du devoir accompli. En tous cas, c’est mon sentiment personnel. 14h45, le refuge est là et j’avoue que je suis ravi de constater que nous sommes les premiers à l’occuper.  Dans l’espoir que nous continuerons à être les seuls occupants, la première initiative de chacun de nous est de choisir son emplacement pour la nuit. Jérôme s’approprie le bat-flanc du haut, alors que Cathy opte pour celui du bas dans le coin contre le mur du fond. Bien évidemment, Fred sera à côté d’elle et moi, je dormirais à côté de Fred et je serais ainsi au plus près de la fenêtre mais surtout de la porte, ce qui me convient très bien dans le cas où je serais pris d’une envie pressante pendant mon sommeil. C’est bien rare que ça n’arrive pas au moins une fois dans la nuit ! Après quelques photos des positions de chacun d’entre nous, je constate que la porte en métal n’est pas d’une herméticité exemplaire mais j’ai bon espoir que le poêle qui se trouve dans le coin opposé sera suffisamment puissant pour réchauffer toute la pièce, qui par bonheur est de taille plutôt réduite. D’ailleurs, dans un ensemble quasi parfait, nous décidons que la deuxième résolution qui s’impose est d’aller chercher un maximum de bois. Alors que je m’apprête à partir avec eux, les garçons me demandent de rester au refuge pour surveiller les affaires. Les garçons disparaissent derrière le refuge alors que Cathy part à l’opposé. Je la vois qui descend à même le flanc du vieux cirque glaciaire en quête de petits branchages bien secs de genévriers. J’avoue que je stresse un peu de la voir là, en équilibre précaire et périlleux, sur les pentes du gourg et je ne peux m’empêcher de lui faire observer qu’il n’est peut-être pas utile de prendre autant de risques pour un peu de bois. Mais, se retournant vers moi, elle m’affirme qu’elle a le pied sûr et avec une platitude déconcertante, elle continue sa besogne, comme si de rien n’était. Elle revient au refuge chargée de bois puis repart, me laissant avec mes craintes car même si j’ai acquis la certitude que ses pieds sont d’une incroyable assurance, le propre d’un accident est d’être imprévisible. En randonnée, je tombe régulièrement et sais que ce n’est jamais voulu ! En d’autres occasions, elle me prouvera sa grande assurance, son absence de vertige et de toute appréhension des « écueils » de la montagne. A cet instant, et alors que je suis assis sur le palier de la porte, un oiseau vient se poser à quelques mètres de moi, bien en évidence sur un bloc de granit. En l’observant, je m’aperçois que son poitrail a les mêmes colorations que le granit, gris tacheté de petits points noirs et je me demande si c’est une coïncidence ou bien du mimétisme. Sans crainte, il se laisse gentiment photographier de longues minutes, puis effrayé par les garçons qui reviennent les bras amplement chargés de bois, il s’enfuit. Je vérifie et constate qu’il est magnifiquement enregistré dans mon numérique et plus tard je l’identifierais comme un Accenteur Mouchet (Prunella modularis). Quelques minutes plus tard, d’autres oiseaux passent au dessus de ma tête et viennent se poser au sommet d’un petit pin situé à l’arrière du refuge. Eux sont plus reconnaissables avec leurs gros becs croisés dont ils ont reçu le nom. Ces deux Gros becs croisés des sapins (Loxia curvirostra) auront eux aussi les honneurs de mon numérique. Après la moisson de bois que nous avons entreposé devant le refuge dans un endroit adapté à cet effet, Fred s’est mis en tête de partir à la découverte de la fameuse « Font de la Perdrix », source coulant des entrailles de la terre par un petit tuyau de PVC et que j’avais moi-même découvert par hasard lors d’une précédente visite. Il trouve la source mais il met de longues minutes à remplir une simple gourde tant le filet qui s’en écoule est fluet en cette fin d’été. Entre occupations, courtes balades autour du refuge et photos, l’après-midi passe bien vite. Vers 17 heures, le ciel, qui jusqu’à présent, avait été plutôt clément, devient carrément pourri. La brume qui nous avait enveloppée au col de Passeduc, mais qui avait eu la délicatesse de nous épargner depuis notre arrivée au refuge, refait sa réapparition. Encore plus dense et surtout plus humide et plus frais car poussé par un petit vent du nord plutôt farouche,  ce brouillard monte du Capcir, enveloppe le Madres et redescend dans les vallées du Conflent. Ce petit vent glacial, ici, en Capcir, on l’appelle le « Carcanet » et tel un petit carcan, il vous enveloppe sans vergogne d’une froidure et d’une brume grisâtre. Avec ce Carcanet et cette affreuse météo, nous sommes contraints de rester à l’intérieur du refuge. D’ailleurs, cette fraîcheur extérieure se fait aussitôt sentir à l’intérieur mais heureusement, après de longs essais infructueux pour allumer le poêle, ce dernier a la bienveillance de démarrer. Il faut reconnaître que ce poêle tire à merveilles et même au-delà de nos espérances, dégageant une agréable chaleur ambiante.  C’est dans cette douce tiédeur que la soirée se termine entre parties de solitaire faites de petits cailloux et alimentation en bois permanente du poêle. Nous sommes en septembre, la nuit tombe bien vite et vers 19h, l’heure du souper sonne déjà. Même si l’étape n’a pas été très longue, la bonne montée vers le col de Sansa puis celle plus terrible vers le col de Passeduc ont laissé quelques traces de lassitude sur nos organismes et personne ne rechigne à intégrer rapidement son duvet. Demain sera un autre jour. Personnellement, et avant de m’endormir, je croise les doigts pour que les trois prochaines journées soient bien meilleures sur le plan météo.  Il faut impérativement que le beau temps soit de la partie car connaissant bien le Madresles étangs des Camporells et le lac des Bouillouses, je sais que c’est la condition sine qua none pour que ce Tour du Capcir soit une vraie réussite. Il y a un an, Fred et Jérôme sont déjà venus dans le Capcir faire du VTT et ils avaient eu une météo pourrie alors ne serait-ce que pour eux, je ne souhaiterais pas que cette mauvaise expérience se renouvèle. Dans le silence du refuge, mes pensées s’emmêlent entre mes désirs d’un temps meilleur et mes souvenirs d’enfance qui sont remontés à la surface comme une grosse bulle d’air. J’ai fini par mettre le nom de Blek le Roc à cette question qui me turlupinait : « pourquoi j’aime autant la randonnée pédestre ? » Force est de reconnaître que dans ma tête, Blek retrouve la place qu’il avait quand j’étais enfant. D’un autre côté, avoir obtenu une réponse à mon questionnement me rassure.  Quand je pense à lui et me remémore mes vieilles lectures enfantines, je me souviens d’un homme qui ne doutait jamais de lui. Il ne connaissait que le succès ! Alors j’essaie de m’endormir avec des certitudes similaires et me voilà de nouveau plongé dans la peau de mon héros favori. Quand des rêves de gamin reviennent 50 voire 55 ans plus tard, c’est un pur plaisir. Merci maman, tu avais vu juste en m’achetant sans cesse Blek le Rock. Ces bandes dessinées parlaient de batailles mais elles étaient surtout bourrées de justice, de sagesse, de morale, de civisme et de Nature, et apparemment c’est surtout cela que j’en ai retenu !  Je m’endors avec Blek le Roc gambadant à mes côtés, en plein soleil sous un immense ciel bleu ! Les rêves enfantins ne meurent jamais. Ils ont la vie dure et me remémorer tout ça aujourd’hui ajoute probablement à mon bonheur d’être là,  à faire ce Tour du Capcir avec Jérôme et ses sympathiques et très gentils amis, même si je garde tous ces souvenirs pour moi. Mais comme un bonheur n’arrive jamais seul, je veux rester positif. Je sais qu’il y en aura d’autres et découvrir avec eux cette superbe région me rend très heureux.

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