• Le récit suivant est une histoire vraie. Elle relate les journées des 1, 2 et 3 mai 2004. C'est l'histoire d'un égarement survenu lors d'une randonnée de 2 jours autour du Massif des Tres Estelles dans les Pyrénées-Orientales. Grâce à l'ensemble des secouristes et plus particulièrement aux gendarmes Daniel et Nicolas qui nous ont retrouvé, tout c'est bien terminé pour nous. Au delà du besoin d'avoir à écrire ce témoignage afin qu'il soit éventuellement utile à d'autres randonneurs, ce récit a pour but de remercier tous ces secouristes pour leur professionnalisme, leur implication et leur dévouement. A jamais, ils auront toute notre gratitude. 

    Un cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - Mantet

    UN CAUCHEMAR POUR TROIS ETOILES.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - Mantet- Chapitre 1 : Nyer-Mantet

     

    Tu ne suis que ton étoile et voilà que tu aboutis au gouffre (Konstantin Balmont, poète russe 1867-1942) 

    -Pardon, monsieur, le départ pour les étoiles ?

    Samedi 1er mai 2004, il est 9 heures. Depuis quelques minutes, Dany et moi déambulons dans le pittoresque village de Nyer. Nous sommes à la recherche d'un panneau indicateur ou d'une vaine signalisation annonçant le point de départ d'une randonnée que nous envisageons de faire sur deux jours. Cette ballade que nous projetons depuis plusieurs semaines doit nous conduire à Mantet aujourd'hui, puis retour demain, si le temps est propice par le Pic des Très Estelles. Le massif des Très Estelles ou des Trois Etoiles est surnommé ainsi à cause des trois dômes caractéristiques qui le couronnent et dont les crêtes et les ravines forment les multiples branches d'une étoile.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - Mantet

    Les Très Estelles, vue de Sahorre

    A l'entrée de Nyer, nous venons de laisser la voiture au parking, puis avons traversé un petit pont sous lequel le furieux torrent Mantet dégringole vers la Têt dans un vacarme rugissant. En ce calme et lumineux matin de printemps, ce tumulte, provenant du ravin, est dans ce morne village, le seul signe d'une nature éveillée.

    On se sépare, Dany part vers le centre du village, pendant que je monte une ruelle escarpée qui longe la rivière. Un coup de peinture jaune sur un muret semble manifester la présence d'un sentier de randonnée. Je continue de grimper, mais sans rencontrer d'indications supplémentaires. Tout en haut de la ruelle, je finis par apercevoir une faible lumière jaunâtre qui filtre à travers un carreau. Je m'approche, un rideau s'écarte et le visage d'un vieux monsieur apparaît. Par un petit signe de la main, je lui fais part de mes sociables intentions. Il ouvre aussitôt la fenêtre et je lui dis :

    - Pour se rendre à Mantet, s'il vous plaît ?

    - C'est bien par là, mais en cette saison, je vous déconseille les gorges car avec la fonte des neiges, le ravin déborde par endroits et le sentier doit être impraticable. C'est même très dangereux ! Je vous conseille de prendre le chemin au dessus du village. C'est plus long mais plus sûr à cette époque!

    - C'est de quel côté ?

    - Vous redescendez la ruelle, vous prenez à droite, vous devriez trouver !

    Je redescends la ruelle tout en me disant que Dany a dû trouver le bon chemin, car elle a pris la direction indiquée par le prévenant vieux monsieur.

    Je la retrouve et m'aperçois très vite qu'il n'en est rien. Elle n'a aperçu aucune indication pour se rendre au village de Mantet.

    Ce laborieux démarrage me contrarie, car voilà presque deux mois que j'ai programmé cette ballade sur deux jours qui doit nous mener à Mantet par le sentier d'interprétation de la nature fortement recommandé sur le site Internet du Conseil Général des Pyrénées Orientales : http://www.cg66.fr/environnement/reserve_nyer/rando/index.html (cette page a depuis disparu !)

    J'ai été charmé par la description de cet itinéraire vers Mantet, par l'histoire de ces villages du Haut-Conflent et je suis impatient de découvrir la Réserve Naturelle Volontaire. Cet espace protégé a été crée grâce à la détermination des propriétaires terriens. Je reste admiratif par l'histoire de ces hommes qui pour survivre étaient contraints soit de travailler la terre et de faire un peu d'élevage soit d'exploiter des mines de fer dans ces lieux hostiles au climat très rude. Ces hommes puis leurs descendants, dans un sursaut de bon sens ont préféré protéger leur terre plutôt que de la léguer à des investisseurs immobiliers peu scrupuleux.

    Grâce à eux, dans ce sanctuaire naturel, les scientifiques peuvent à loisir étudier les nombreuses richesses régionales qu'elles soient faunistiques, florales ou culturelles. Grâce à eux, nous venons ici pour notre plaisir et pour observer toutes ces richesses et nous n'avons pas d'autre tracas que de trouver le chemin qui doit nous les faire découvrir.

    Effectivement, nous n'avons pas d'autre choix que de trouver le bon sentier qui doit nous mener à Mantet car nous avons réservé pour ce soir, une chambre à l'auberge Le Bouf'Tic.

    Il s'agit d'un gîte d'étape très connu sur le célèbre Gr.10. Nous le connaissons bien pour y avoir séjourné en août 2001 lors de nos huit jours sur la Gr.10. De temps à autre, nous retournons y déjeuner à l'occasion d'une randonnée ou simplement pour sa tranquillité et son panorama magnifique sur la Vallée de l'Alemany, le Porteille et les pics environnants.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - MantetOUn cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - Mantet

    Au Pas de Grau, presque prêts pour le départ puis panorama de la crête de la Sola de la Mare de Déu

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    Arrivée à Mantet

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    Devant l'Auberge La Bouf'tic

    Voilà déjà une vingtaine de minutes, que nous lambinons dans le village endormi. Pour couronner le tout, la Maison de la Réserve indiquée sur le Web est fermée. Pourtant, je comptais sur elle, pour obtenir les renseignements utiles à la découverte de sentier d'interprétation. Cette Maison constituait aussi mon dernier espoir de trouver rapidement notre point de départ et par la même occasion, notre chemin.

    En l'absence d'indications plus précises, je suis contraint de me référer aux conseils du vieux monsieur et je me mets à consulter mon rudimentaire morceau de carte que j'ai imprimé à partir de mon ordinateur.

    Je repère facilement sur la carte, le sinueux sentier qui se hisse au dessus du village de Nyer et qui se dirige vers le Pas de Grau, point de jonction du sentier vers Mantet et du Tour des Très Estelles.

    Très rapidement, je décide de nous y rendre car ainsi, nous rattraperons le temps perdu et serons immédiatement sur le bon chemin.

    Nous reprenons la voiture, traversons le village par les étroites venelles et rejoignons aisément le chemin forestier qui serpente dans les collines qui dominent Nyer. Trouver le point de départ n'est pas aussi aisé que je l'imaginai, car dans la montée, plusieurs sentiers partent en tous sens. Je m'arrête, à plusieurs reprises pour contrôler ma route sur la carte, puis je repars sans certitude.

    9h45, ouf ! Nous voilà enfin au Pas de Grau, devant un explicite panneau indicateur : à droite direction Mantet, à gauche le Pic des Très Estelles.

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    Panoramas sur les pics enneigés

    - Le compte à rebours pour les étoiles a commencé !

    Nous harnachons nos gros sacs à dos de douze kilos chacun, laissons la voiture sur un " pla " et partons sur la droite à travers la forêt. Le bon dénivelé et le poids des sacs ont vite fait de ralentir notre ardeur. Mais, nous ne sommes pas pressés et savons que nous aurons environ six à sept heures de marche pour rejoindre le village de Mantet.

    Mais quel spectacle, nous marchons d'abord en lisière de la forêt et dominons Nyer. Tout au loin, nous contemplons la Vallée de la Têt et le massif des Madres encore partiellement enneigé. Ensuite, nous grimpons dans la forêt et finissons par atteindre les crêtes qui surplombent le ravin de " La Sola de la Mare de Déu ". En face, les " rocs " les plus hauts qui dominent les Gorges de Nyer sont peu enneigés. Dans un contraste étonnant de divers tons de vert, les émeraudes forêts de sapins et les feuillus bourgeonnants dégoulinent vers cet étroit ravin.

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    Sommets enneigés au dessus du ravin

    Par une sente rocailleuse peu évidente, nous descendons vers un canal d'irrigation et un mas effondré. En bordure du canal, deux chevaux semblent sortir d'un autre monde et divaguent en quête d'un peu de nourriture dans cette caillasse parsemée d'une maigre garrigue. Nous sommes étonnés de les trouver en train d'errer dans ce paysage oublié de tous. Comment sont-ils arrivés là ? Que font-ils dans cette solitude? Difficile de le savoir ?

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    Chevaux en liberté au Col de Mantet

    Il est midi, nous stoppons à proximité de ruines, de ce qui devait être une ancienne bergerie. Nous dévorons nos sandwichs d'un bel appétit sous un ciel cristallin et un soleil bien agréable pour la saison.

    En début d'après-midi, nous cheminons pendant quelques kilomètres en ligne droite au pied du versant ouest du Pic des Très Estelles. Les flans de ce versant sont composés de larges rampes faites de gros pierriers ou de parois rocheuses vertigineuses, puis le sentier bifurque à droite en direction du collet de la Pargonneille. A partir de cet instant le sentier devient plus sinueux, le panorama plus boisé et le défilé formé par le torrent Mantet commence à s'élargir.

    Malgré une bonne déclivité, notre randonnée se poursuit sans aucune difficulté.

    Vers 16 heures, nous arrivons sur un large promontoire herbeux où le panorama est superbe. Le regard plonge à la fois dans l'étranglement du ravin, mais porte aussi sur l'amont de la vallée. Nous n'apercevons pas encore Mantet mais discernons mieux les contreforts du Pic des Très Estelles que nous devrons gravir demain. Sur notre droite, les quelques cimes qui dominent le défilé sont encore bien enneigées et ce constat m'inquiète un peu.

    Nous profitons de ce superbe belvédère pour prendre une réconfortante collation. Nous sortons de nos sacs, tout le nécessaire à un " super quatre heures ", thermos d'eau chaude, quarts, sachets de café, sucre, gâteaux, fruits secs et nous installons sur l'herbe pour un véritable pique-nique.

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    La rivière Mantet dans les gorges de Nyer

    Soudain, j'entends un bruit qui ressemble à un grognement. Dany l'a entendu aussi et nous faisons silence. Pendant un court instant, j'ai même cru que c'était elle qui plaisantait. Le grommellement semble se rapprocher et je comprends aussitôt qu'il s'agit d'un sanglier. Au moment où je me retourne, j'aperçois un marcassin d'une trentaine de centimètres qui fonce droit sur moi. De son groin, il vient heurter mon dos, fait demi-tour et part sur ma gauche. Handicapé par le gobelet de café que je tiens dans la main droite, je tente d'attraper l'animal de la main gauche. Son poil soyeux glisse entre mes doigts, il s'échappe en poussant un petit cri aigu et je n'ai que le temps d'apercevoir son dos avec ces claires rayures disparaîtrent dans les buissons. Je me lève, tente de le poursuivre par les sons qu'il continue d'émettre, j'essaie, mais en vain, de le repérer dans les broussailles. Il a disparu !

    Que faisait-il ainsi tout seul ! A t'il été abandonné par sa mère? S'est-il perdu pour s'être éloigné du chaudron maternel ? Il est, parait-il, coutumier que sur une nombreuse portée, plusieurs marcassins ne puissent survivre !

    Déconcertés après cette étrange rencontre, nous reprenons notre marche vers Mantet. A l'approche du village, le vallon s'élargit encore et maintenant, la sente serpente dans des paysages plus rocailleux et plus arides.

    17 heures 15, nous sommes en vue du village. Nous croisons quelques chèvres, quelques moutons encadrés par deux ou trois chiens qui tentent de ramener au troupeau les plus récalcitrants. Assis sur un promontoire, le berger indolent surveille son cheptel. Après plus de sept de marche, il est le seul être humain que nous aurons croisé de toute la journée.

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    Les chèvres de Mantet sont heureuses en liberté

    17 heures 30, nous entrons dans Mantet et nous dirigeons vers l'auberge 'La Bouftic'.

    Mantet, est un minuscule village de montagne, à proximité de la frontière espagnole. Depuis 1964 seulement, ce village indompté est rattaché à la civilisation par une petite route goudronnée. Mais avant la construction de cette liaison, la légende et l'histoire le présentait ainsi : dernier village de France aux confins des terres d'Espagne, enclavé entre des monts de plus de deux mille mètres, où ne pouvaient parvenir que chèvres et mulets pratiquant un affreux sentier bordé de précipices, où les maisons, bâties sur un fumier millénaire, abritaient une race de contrebandiers sales et sauvages menant leur fragile existence parmi les aigles, les isards et les sangliers.

    Cette citation est tirée du site consacré à Mantet par Jean Rigoli : http://www.mediterranees.net/vagabondages/divers/mantet.html

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    La vallée de l'Alemany avec le Porteille de Mantet au loin

    Un cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - Mantet

    Mantet au matin du 2eme jour avec son église du XIIeme siècle

    Un cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - MantetOUn cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - Mantet

    Nous passons du bon temps à l'Auberge La Bouf'tic

    -Mantet, la porte des étoiles !

    La charmante aubergiste nous guide vers notre chambre. Les souvenirs resurgissent car c'est la même chambre qu'en 2001. A l'époque, Mantet avait fait office de terminus dans notre périple sur le Gr.10 depuis Mérens, alors que nous tentions de rallier Vernet-les-Bains. Mais les pieds meurtris de Dany en avaient décidé autrement et notre " Conquête de l'Agréable " s'était arrêtée là.

    Il est encore tôt, nous décidons de prendre une bonne douche puis remontons dans la salle à manger où par la spacieuse baie vitrée on ne se lasse pas d'admirer le paysage qui s'offre à nous. Chaque saison apporte son lot d'émerveillements. Devant nous, la vaste et verte vallée de l'Alémany avec autour ses multiples pics : Pic de l'Orry, Pic de Rives Blanques, Pic de la Dona, Pic de Serre Gallinière, Porteille de Mantet.. Les plus hauts sommets qui culminent à plus de 2.600 mètres sont encore abondamment couverts de neige. Je ne dis rien mais au fond de moi, j'espère que le Pic des Très Estelles qui est à seulement 2.099 mètres sera moins enneigé car nous ne sommes pas équipés pour marcher dans la poudreuse ou la glace.

    Avant le repas, nous passons le temps à de longues et délassantes parties de Scrabble.

    Mais la quiétude de la journée s'arrête là quant un groupe de visiteurs envahit la salle à manger. Ils entament, eux aussi, dans une ambiance très chahutée, des parties de rami qui, au fil du temps, deviennent de plus en plus acharnées. Heureusement, ils quittent l'auberge juste avant le repas et comme nous sommes les seuls hôtes, nous finissons la soirée dans la paisible tranquillité à laquelle nous aspirions en venant ici.

    Après un excellent repas, la bonne fatigue de la journée nous persuade d'aller au lit. Fourbus mais heureux, nous regagnons notre mansarde et c'est avec la tête remplie d'images de beaux paysages que nous fermons les yeux.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - Mantet.

    Le Pic du Canigou, vue dans la montée vers les Très Estelles

    Un cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - MantetOUn cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - Mantet

    Au Col de Mantet (1760 m)

    Un cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - Mantet

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  • Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'OrryChapitre 2 : Mantet-Ravin de l'Orry

    On ne peut pas marcher en regardant les étoiles quand on a une pierre dans son soulier. (Proverbe chinois).

    -Sur la piste aux étoiles

    Dimanche 2 mai 2004, 7 heures. J'ouvre le vasistas qui fait office de fenêtre et aperçoit un ciel vierge de tout nuage. Pour cette longue journée de marche qui nous attend, c'est très encourageant, mais un air glacé qui s'engouffre dans la chambre, m'oblige à refermer aussitôt la petite lucarne. Nous flânons encore un peu au lit et vers 8 heures, nous montons prendre le petit déjeuner. Comme de vieux habitués, nous avons notre table attitrée, juste à côté d'un magnifique fuchsia dont on ne s'étonne plus de voir ses fleurs rouges et mauves en toutes saisons.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

    Panorama à 180° à l'approche de Mantet.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

     Au petit déjeuner au matin du 2eme jour (S)

    Alors que la vallée est encore dans la pénombre, le jour se lève et fait scintiller les cimes enneigées. Juste au dessous du Porteille, de larges taches flamboyantes d'un rouge sang du à la pigmentation des feuilles d'arbrisseaux font un contraste étonnant avec le vert de la vallée et le blanc des sommets. De la véranda de l'auberge, le spectacle est splendide, mais on finit par se lever car on se dit qu'avec un peu de chance, il devrait être encore plus beau du sommet des Très Estelles.

    9 heures, nous quittons le gîte et prenons le Gr.10 qui monte au Col de Mantet.Les mauvais souvenirs reviennent car c'est sur ce tronçon au fort dénivelé que Dany avait été contrainte à l'abandon, il y a presque trois ans. Heureusement, les mauvais souvenirs se mélangent aux bons. C'est en effet, sur cette route que nous avions eu la chance de rencontrer notre bienfaiteur en la personne d'un vieux chercheur de champignons qui nous avait ramené jusqu'à notre domicile. Aujourd'hui, tout ça parait loin, et par cette magnifique journée ensoleillée qui s'annonce, nous sommes bien décidés à en profiter au maximum.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

    Départ de Mantet sur le Gr.10 vers le col

    Au col de Mantet, trouver le chemin pour le Pic des Très Estelles est facile. En effet, à cette intersection de multiples sentiers de randonnée, les indications sont nombreuses et explicites.

    Selon ma carte que je consulte, pour atteindre le Pic, nous devons accomplir cinq à six kilomètres pour un faible dénivelé de 300 mètres environ.

    Le départ s'avère difficile car le sentier est totalement occupé par quelques chevaux en liberté et un important troupeau de vaches qui entrave le passage. Couchées avec près d'elles de nombreux veaux de quelques semaines, elles paraissent agacées de notre présence et jettent vers nous des regards pleins de suspicion. C'est au prix de quelques zigzags que nous parvenons à rejoindre la piste qui se dirige vers le sommet.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

    Jument avec son poulain au Col de Mantet

    La sente se faufile, d'abord à travers quelques sapins et de miséreux genêts puis dans un décor pierreux fait de maigres herbages. Quelquefois, notre marche est rythmée par le chant mélodieux de quelques pinsons ou bien, par celui plus lancinant d'un coucou. En ce début de printemps, on sent bien que la nature toute entière est en train de renaître. De nombreuses variétés de fleurs (lys, iris, crocus, renoncules, etc.…) très colorées germent à peine. Des passereaux très excités volètent d'arbres en arbres. Les bouleaux blancs encore en bourgeons ne présentent que de frêles chatons. Les lézards qui s'accouplent déjà sur les pierres chaudes du chemin, décampent sous nos lourds godillots. Au pied d'énormes éboulis, nous avons la chance d'apercevoir deux marmottes dont les sifflements stridents attirent notre attention. Elles viennent certainement de finir leur longue hibernation qui peut durer jusqu'à six mois selon la température. A cette époque, elles sortent en quête d'une tendre végétation qui va permettre de reconstituer leurs réserves de graisse. Elles n'ont plus de temps à gaspiller car pendant leur long sommeil, elles peuvent perdre jusqu'à la moitié de leur poids..

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    Sur la piste aux étoiles, en dessous le Col de Mantet

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    Des pitons rocheux, terrains de jeux pour isards et marmottes

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    Vue sur le Massif du Canigou et la vallée de Campeilles

    Pour Dany et moi, c'est plutôt le contraire. Dans cette montée, les quelques kilos superflus pris cet hiver sont pénibles à trimbaler. Mais les paysages sont tellement beaux que les éventuelles douleurs musculaires sont vite oubliées. A droite, le monumental Massif du Canigou dont le sommet est pour la saison, encore bien chargé de neige. Derrière nous, toute la chaîne montagneuse avec ses multiples pics qui forment la crête frontière avec l'Espagne : Les Esquerdes de Roja, le Pic de Costabonne, le Roc Colom, etc.…En dessous, la verte vallée de Campeilles où l'on distingue la route sinueuse qui part en direction du village de Py.

    Notre présence en ces lieux désertiques ne semble gêner que quelques vaches et veaux qui, à notre vue, détalent les contreforts de la montagne comme si elles avaient vu le diable. C'est avec inquiétude, que nous les regardons dévaler la pente car l'inclinaison est sévère et on se demande si elles vont pouvoir s'arrêter. Heureusement, elles arrivent à stopper dans un mouvement qui parait même synchronisé.

    Il n'est pas encore onze heures quand nous arrivons au Col de la Mente situé à 1949 mètres. Nous stoppons en surplomb d'un ravin pour un en-cas fait de quelques fruits secs et de barres de céréales. De l'autre côté, trois isards nous observent et continuent de brouter sans aucune anxiété, rassurés par l'espace qui nous sépare d'eux. Au dessus de nous, nous apercevons les premières plaques de neige qui à priori, ne semblent pas trop " méchantes " car plutôt clairsemées.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

    Depuis le sentier, magnifique vue sur le Massif du Canigou

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'OrryOUn cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

    Dans la montée, éboulis à marmottes et panorama remarquable

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'OrryOUn cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry 

    Dany dans la montée vers les Très Estelles puis au Col de la Mente (1949m), vue sur les Très Estelles

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

     Dans la montée, premières plaques de neige très clairsemées.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'OrryOUn cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

    Au sommet du Pic des Très Estelles à 2099 m.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'OrryOUn cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

    Aperçu du massif des Très Estelles

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'OrryOUn cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

    Le massif du Canigou et de nombreux autres sommets, vus des Très Estelles

     

    -A la conquête des étoiles enneigées.

    Le sommet n'est plus très loin, mais soudain une vaste plaque de neige barre le sentier. Nous commençons à nous y engager mais l'épaisseur est telle que nous y renonçons rapidement. Deux solutions s'offrent à nous : faire demi-tour et retourner à Mantet ou bien éviter cette plaque de neige en coupant tout droit dans les pâturages encore ras à cette époque.

    Cette deuxième solution semble tellement plus facile, que nous grimpons à travers les prés, arrivons à une clôture que nous enjambons sans difficulté. Quelques chevaux sont là en train de paître. Un d'entre eux vient vers nous pour réclamer pitance. Nous lui tendons quelques bouts de pain, mais il semble si affamé qu'il nous poursuit sans relâche. Pour lui fausser compagnie, nous sommes dans l'obligation de détaler.

    Nous sommes sur le vaste et ondulé sommet des Très Estelles, malheureusement beaucoup plus enneigé que je l'avais espéré. Nous avons perdu le sentier et il nous faut absolument le retrouver pour entamer la descente. Un large chemin où la neige semble damée m'incite à partir sur la droite. Il y a même quelques vieilles traces de raquettes. Mais en regardant mon plan et la configuration du site, je m'aperçois que le sentier est plutôt à l'opposé. Pour nous y rendre, nous n'avons pas le choix, il faut traverser une vaste étendue neigeuse.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

    Ouf, nous avons retrouvé le chemin.

    Nous éprouvons beaucoup de difficultés à avancer, on s'enfonce profondément, parfois jusqu'aux genoux. Très rapidement, nos chaussures et nos pantalons de randonnée sont trempés. Au bout d'un quart d'heure, nous sommes exténués mais nous finissons, comme je l'espérais, par tomber sur des panneaux à la croisée des chemins. Ouf ! J'angoissai et commençai à envisager une redescente vers Mantet. La signalisation est claire, d'un côté, la descente vers Escaro, par la Font de Prat d'Avet et la Maison Forestière de Fourguéré, de l'autre, le chemin prévu vers Nyer appelé Tour du Pic des Très Estelles qui doit nous ramener au Pas de Grau et à notre voiture.

    Nous prenons cette dernière direction à travers quelques pins chétifs et sommes maintenant rassurés car dans la descente que nous entamons, il n'y a pratiquement plus du tout de neige. Quelques petites plaques par ci par là, mais rien sur le sentier.

    Il est midi passé, nous n'avons pas encore mangé, mais je propose à Dany de déjeuner un peu plus bas car un petit vent frais balaye la crête.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'OrryOUn cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

     Des crêtes, vue sur les gorges et les sommets enneigés

     

    - Prisonniers des étoiles !

    Nous avons parcouru environ cinq cent mètres quand au détour du chemin, une énorme plaque de neige d'une hauteur inhabituelle barre de nouveau notre progression. Sur ce versant ombragé du Pic, orienté au nord, la neige a très peu fondu mais le vent du nord a, en plus, composé de très hautes congères. En attendant Dany, car j'ai pris un peu d'avance, je regarde s'il y a un autre accès. Rien !

     La plaque de neige parait attaché à un surplomb et quelques mètres en dessous, il me semble apercevoir le chemin qui continue. Je propose à Dany d'aller voir, je descends une quinzaine de mètres non sans peine car je m'enfonce jusqu'à la taille. Je finis par atteindre l'endroit escompté. Il y a trop de neige et arrivé sur place, il m'est impossible de dire si le chemin passe ici. Dany m'attend en bordure du surplomb.

     Je cherche en vain une issue que je ne trouve pas. Je décide de remonter pour la rejoindre, car la neige, que je redoutais tant, est bien là. Dans ma tête, la décision de rebrousser chemin est définitivement prise. Mais, je m'enfonce jusqu'à la taille, je ne peux plus remonter, et malgré mes efforts, je finis par casser un de mes deux bâtons de marche pourtant en aluminium. Je suis pris dans cette gangue dont je ne peux m'extraire qu'en reculant. Je commence à stresser et essaie de ne pas le montrer à Dany qui m'observe quelques mètres au dessus. Mais je sens bien que je suis en train de paniquer et mes jambes sont tétanisées par cette épouvantable appréhension de me voir prisonnier. Au fond de moi, je me dis : " Il faut que je me calme pour rester lucide ".

     Je recule et tente vainement d'aller sur ma gauche. Là aussi, j'ai de la neige jusqu'à la ceinture, à droite pareil. Seule solution, descendre ! Je regarde en dessous, un immense névé de deux à trois cent mètres de long descend entre quelques sapins puis dans un large couloir d'éboulis. Ce n'est pas sans risque, car la pente est abrupte, mais descendre sur les fesses ne me parait pas chose impossible. La seule véritable difficulté est de ne pas prendre trop de vitesse car la plaque de neige se termine brutalement par d'énormes blocs de pierre qui nous attendent plus bas. A côté des éboulis, sur la droite, une épaisse forêt de conifères qu'il me parait aisé d'aborder et où nous pourrons peut-être avec un peu de chance, retrouver notre itinéraire.

    De toute façon, je ne vois pas d'autres solutions, sauf à m'épuiser pour tenter de remonter. Par contre, Dany qui craint le vide, acceptera-t-elle de descendre ?

    Je l'appelle et elle finit par me rejoindre non sans mal. Je lui expose rapidement la situation. A contrecoeur, je le vois bien, elle se résigne à cette solution.

    En analysant tous les paramètres, elle comprend, elle aussi, qu'il faut tenter la glissade. Au bout, il y a quand même l'espoir de sortir de ce piège de glace et de retrouver un chemin. Tout au loin, on aperçoit de nombreuses maisons. Je ne prends pas le temps de regarder la carte, mais compte tenu du parcours déjà accompli, j'imagine qu'il s'agit des alentours d'Escaro.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'OrryOUn cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

     Des plaques de neiges entravent le chemin

     

    - Glissade des étoiles… aux ténèbres

    Avant d'entamer la descente, je donne les derniers conseils à Dany. Je lui demande de rester espacés, d'observer comment je m'y prends et si possible, de rester dans la trace que mon postérieur ne manquera pas de creuser.

    Je m'assoie et commence à filer comme sur une luge. En me couchant un peu en arrière, mon sac à dos amortit les chocs. Je glisse parfaitement et me retourne pour regarder Dany. Elle n'a pas encore démarré. J'arrive à freiner et m'arrête au milieu du névé. Le fait que j'ai pu si facilement m'arrêter, semble la rassurer complètement. Elle s'aperçoit que ce n'est pas si compliqué ou si dangereux qu'elle l'imaginait. Elle démarre. Je repars et continue de regarder derrière moi pour vérifier si tout se passe bien pour elle. Je prends de la vitesse mais en plantant les bâtons, j'arrive à ralentir sans problèmes. Le magma de grosses pierres qui forment un immense éboulis se rapproche très rapidement. Je ralentis un peu plus et à l'aide des bâtons, j'arrive même à tourner pour me diriger directement vers la lisière de la forêt. Je parviens à rejoindre l'orée du bois, évite les arbres et me relève d'un bond en atteignant la terre. Je regarde derrière moi et vois Dany qui continue tout droit vers le pierrier, elle a pris de la vitesse, elle tente de freiner au maximum, mais il est déjà trop tard et son postérieur heurte violemment les roches. Je crains le pire et me dirige vers elle, mais par bonheur, elle se relève et viens vers moi en se tenant la fesse.Ouf ! Heureusement, plus de peur que de mal.

    Nous descendons en restant en lisière de la forêt, toujours en bordure des éboulis. J'hésite entre pénétrer dans le bois au risque de perdre toute visibilité ou rester en bordure et garder une vision du panorama. Pourtant, je sais que le sentier que nous avons perdu est bien sur notre droite et que pour le rejoindre, il faudrait traverser la forêt. J'opte tout de même pour la deuxième solution, car je sais aussi que le sentier poursuit une ligne de crête et qu'il sera peut-être très difficile d'y accéder à cet endroit très escarpé. Je fais donc le choix de continuer à descendre !

    Nous dévalons sans aucune difficulté, car sous les grands sapins, le sol est plat et tapissé de brindilles. Il nous faut seulement de temps à autre éviter quelques vieux troncs décimés et enjamber quelques branches cassées.

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      La glissade vers le ravin de l'Orry a commencé ici

    Nous quittons enfin les éboulis et atteignons un ru qui semble prendre sa source à proximité. Je regarde mon plan et si je suis bien à l'endroit que je crois, je m'aperçois que ce cours d'eau descend directement vers le village d'Escaro. Je prends la décision de le longer, mais garde espoir de croiser une sente qui nous ramènerait sur le chemin du Tour des Très Estelles.

    Cet espoir semble se concrétiser lorsque j'aperçois clouer sur un arbre, un écriteau " Chasse gardée ". Je me dis que si quelqu'un c'est donné tant de mal pour venir dans ce canyon mettre cette inscription, c'est qu'il doit y avoir un chemin à proximité.

    Dany et moi, nous mettons en quête d'un éventuel sentier.

    Il y a bien l'impression de quelques traces et par endroits, les lieux semblent avoir été piétinés, mais je pense qu'il s'agit plutôt d'animaux car la terre est retournée et les empreintes disparaissent dans des magmas rocheux très abrupts. Nous ne trouvons aucun chemin.

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     D'immenses éboulis descendent dans le ravin

     - Dans la branche sans issue d'une étoile.

    Nous continuons à descendre, mais au fur et à mesure, le simple filet d'eau se transforme en un ruisseau plus large et plus profond. Rectiligne au départ, le cours d'eau suit maintenant les lacets du vallon et se faufile dans des méandres rocheux très difficiles d'accès. Très souvent, les berges sont impraticables et nous marchons à même la rivière. Nous pataugeons, glissons sur les galets, tombons dans l'eau glacée. Progressivement, la petite rivière se transforme en un torrent aux contours de plus en plus escarpés. Notre progression s'est terriblement ralentie car nous sommes maintenant obligés de franchir des rochers, des branchages et des troncs d'arbres qui parsèment le défilé. De temps à autre, je grimpe sur un promontoire et scrute vers l'ouest, un hypothétique chemin. A un moment, je crois apercevoir au loin une piste au pied de ce qui me semble être soit une clairière soit un monticule rocheux isolé au milieu de la forêt. Je descends de mon perchoir et demande à Dany de me suivre. Nous partons dans la forêt, marchons en direction de l'endroit imaginé. Rien ! Seulement un bois de résineux qui semble être sans fin. Dans cette effroyable quête, les buissons ajoutés aux branches qui jonchent le sol nous obligent à zigzaguer pour avancer efficacement. Nous ne trouvons aucune issue et décidons de retourner vers le torrent.

    Le défilé s'est fortement creusé et rétréci. Il est maintenant encadré par de très hautes barres rocheuses, des à-pics colossaux qui grimpent jusqu'aux sommets. Le plus souvent, les berges ne sont plus de tout accessibles et nous divaguons au milieu de la rivière dont le lit s'est fortement élargi et la profondeur accentuée. Le courant est plus soutenu et nous avons du mal à marcher car nos godillots sont gorgés d'eau. Entraînés par nos sacs à dos trop lourds, on trébuche, on se relève, on retombe à nouveau, on se fait mal, on est trempés jusqu'aux os. Faire quelques mètres devient un véritable " chemin de croix ". Il faut se rendre à l'évidence : on est bels et bien perdus. L'angoisse ajoutée au froid tétanise nos jambes.

    Mais au détour d'un virage, l'espoir revient quand nous apercevons, plus très loin maintenant, les toitures de quelques maisons. J'estime la distance à environ deux kilomètres maximum. J'avais raison, il s'agit bien d'Escaro ! Cette vision nous stimule et nous encourage à avancer encore plus vite.

    Malheureusement, cet espoir retombe très vite quant j'arrive en surplomb d'une cataracte d'eau de sept à huit mètres de hauteur. Impossible d'aller plus loin, je regarde autour de moi s'il y a un éventuel autre accès. Rien ! Pas d'autres passages ! Dany m'a rejoint et je lui avoue immédiatement la vérité :

    - Il y a une cascade ! Il est impossible de continuer par là ! Il faut remonter d'où on vient et prendre l'option de traverser la forêt !

    - Je suis trop fatiguée ! Je ne pourrai pas remonter ! (et elle éclate en sanglots).

    - On y arrivera, il est à peine quatre heures ! Il est encore tôt, il fait jour longtemps et nous pouvons encore marcher quatre à cinq heures !

    - Je n'en peux plus, tu ne te rends pas compte de la quantité de fois où je suis tombé dans ce torrent ! J'ai mal partout ! Nous sommes perdus ! J'en ai assez ! Je n'arriverai pas à remonter !

    - Attends, gardons notre calme et laisse moi tranquillement regarder mon plan !

    - Non, j'en ai assez, je vais appeler les secours ! Tu ne sais même pas où nous sommes !

    - Mais si, je sais où l'on est ! C'est encore tôt et il n'est pas utile de s'affoler au point d'appeler les secours.

    - Je suis fatigué, j'appelle les secours !

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    Dans la descente, nous apercevons Escaro

     

    - S.o.s depuis les étoiles.

    Je n'arrive pas à la convaincre. Elle sort son portable et compose le 14 :

    - As-tu réfléchi à ce que tu vas dire ? lui dis-je.

    - Allo ! bonjour monsieur, avec mon mari, nous sommes perdus en montagne !

    - Dis lui que nous sommes coincés dans un ravin au dessus d'Escaro, au pied du Pic des Très Estelles et que de là où nous sommes, nous apercevons le village à environ deux kilomètres !

    - Nous sommes bloqués dans un ravin! Nous descendions du Pic des Très Estelles ! On aperçoit des maisons à environ deux kilomètres ! Mon mari pense que c'est Escaro !

    Dany écoute son interlocuteur un moment, puis coupe la communication :

    - Qu'est-ce qu'il a dit ?

    - Il veut mon numéro de portable !

    - Est-tu ne le connais pas par cœur ?

    - Non !

    Elle cherche et recompose le 14 :

    -Allo, nous sommes les randonneurs perdus en montagne ! Je vous donne mon numéro de portable. C'est le 06………… . Mais, je vous préviens, je n'ai presque plus de batterie ! Rappelez-moi vite.

    La communication se coupe de nouveau :

    - Il dise quoi les secours ?

    - Qu'il ne faut pas bouger ! Ils font le nécessaire et vont rappeler.

    - C'est quoi le nécessaire ?

    - Je ne sais pas ! Il va rappeler.

    Stressés et trempés que nous étions, nous n'avons pas fait attention, mais le temps a subitement changé. Le ciel bleu, du début de journée, a laissé place à un plafond très bas. Désormais, de gros nuages gris recouvrent une grande partie du massif.

    Le téléphone sonne, Dany réponds par de courtes phrases : d'accord, on va faire comme ça, on attends, on ne bouge pas, dans combien de temps viendrez vous ? Puis elle coupe la communication.

    - Ils disent quoi ?

    - Qu'ils nous envoient des secours. Qu'il faut mettre des vêtements avec des couleurs voyantes et se rendre visibles au maximum. Et surtout qu'il ne faut plus bouger d'ici car ils vont tenter de nous repérer.

    Je tente de la rassurer et dis :

    - Ne t'inquiète pas, ils vont envoyer un hélicoptère, maintenant, il suffit de prendre patience. Mais, on peux pas rester là au fond du ravin, il faut trouver un endroit plus dégagé afin qu'ils nous voient.

    - Mais il ne faut pas s'éloigner, car il a dit de ne pas bouger.

    - Oui, je sais, mais ce n'est pas à quelques mètres près et de toute manière, on va tenter de trouver quelque chose dans le coin.

    - Viens suis-moi !

    Nous remontons le cours du ruisseau, que nous traversons en sautant par-dessus quelques troncs d'arbres. Nous continuons à patauger, tantôt dans le cours du torrent, tantôt dans le sable mouillé de la grève, parfois dans la boue ou au milieu de quelques hautes herbes qui poussent sur ces berges chaotiques. Sur notre gauche, une dense et noire forêt d'épicéas ou bien ces à-pics constituaient d'une accumulation d'énormes rochers qui paraissent infranchissables. Sur la droite, une paroi rocheuse avec quelques buissons et quelques arbustes plus clairsemés et par endroits des espaces gazonnés.

    Je comprends vite que c'est par là qu'il faut chercher un promontoire qui sera visible d'un hélicoptère.

    Je commence à grimper pendant que Dany m'attend en bordure du torrent. Je trouve rapidement un piton rocheux relativement plat qui surplombe d'une dizaine de mètres de hauteur la cascade que nous n'avons pas pu franchir. Il n'y a pas beaucoup d'espace, environ deux mètres carrés, mais ce promontoire présente l'avantage d'être à découvert et surtout d'être sûr car entourés de gros genévriers. Nous ne pourrons pas tomber dans le ravin. J'appelle Dany, l'aide à monter car elle semble vraiment très fatiguée et n'est pas très rassurée à l'idée d'avoir à escalader ce piton rocheux.

    Arrivée en haut, elle parait tranquillisée par cette plate-forme rocheuse recouverte partiellement de mousse. Nous pourrons nous reposer en attendant les secours.

    Nos pérégrinations dans la neige puis les chutes répétitives dans le ruisseau ont rendus nos vêtements pesants. Ils sont complètement imbibés d'une eau que notre immobilité à tendance à refroidir rapidement. Je propose à Dany que nous changions de vêtements car nous avons du linge de rechange dans nos sacs et ce n'est pas la peine de rester mouillés de la tête aux pieds. Nous enfilons d'autres tee-shirts, une polaire et des chaussettes sèches. Pour être plus visibles, Dany enfile sa veste en gore-tex jaune et je mets une polaire rouge. Il ne reste plus qu'à attendre et j'en profite pour manger un peu car il est 17 heures et voilà six heures que je n'ai rien ingurgité. Dany, elle, est tellement angoissée qu'elle ne peut plus rien avaler.

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    La descente n'est pas facile

     

    - Angoisse : garantie trois étoiles.

    Moi, aussi je commence sérieusement à m'inquiéter car le temps a subitement changé. Un brouillard très épais recouvre tout le massif et des nappes de brume remontent très rapidement le défilé depuis le bas de la vallée.

    Tout en mangeant, je me dit que si cette brume s'installe durablement l'hélicoptère ne pourra pas nous voir et peut-être, ne pourra-t-il pas venir du tout !

    Les minutes défilent et Dany s'impatiente et n'arrête pas de dire : qu'est ce qu'ils font ? Je tente de la rassurer mais un brouillard chargé d'humidité est maintenant ancré dans la ravine. De temps à autres, des nappes plus épaisses recouvrent tout le paysage et empêchent toute visibilité.

    Nous sommes perdus dans cette enveloppe grisâtre et parfois, nous ne voyons même plus de l'autre côté des gorges à moins de dix mètres seulement.

    Quand de temps à autre, la brume se dissipe, j'observe un immense couloir d'éboulis que se trouve légèrement sur notre gauche. Je n'arrête pas de dire à Dany que nous pourrions tenter l'ascension car seul le départ semble vraiment compliqué à franchir car en surplomb du torrent. Mais, il ne semble pas infranchissable si nous pouvons l'atteindre en traversant l'épaisse forêt d'épicéas qui nous fait face. Mais, Dany ne veut rien entendre et je comprends très vite que je ne pourrai plus la faire bouger d'ici.

    Vers 18 heures 30, le ciel s'est à nouveau dégagé et l'espoir d'être plus rapidement secourus renaît en nous.

    Vers 19 heures, nous retenons notre souffle et faisons silence. Très loin, il nous a semblé entendre un bruit de moteur. Nous tendons l'oreille, mais seul le clapotis du torrent et le sifflement des quelques passereaux rompent le silence.

    Soudain, on se lève comme un " seul homme ". Cette fois c'est sûr, c'est bien le bruit d'un hélicoptère que nous entendons en direction d'Escaro. Au début, nous ne le voyons pas, puis brusquement, il apparaît au dessus du village, il part direction Nyer puis revient et repart sur la droite.

     Je dis à Dany : Appelle les secours, et dis leur que nous voyons l'hélico au dessous d'Escaro et qu'il faut qu'il remonte le ravin en direction du Pic des Très Estelles !

    Malheureusement, déception supplémentaire, la batterie est vide et le portable ne fonctionne plus. Pendant quelques minutes, nous continuons à entendre l'hélicoptère puis le brouillard et le silence s'installent à nouveau.

     Nous sommes forcément déçus et surtout, nous ne comprenons pas pourquoi à aucun moment l'hélicoptère n'est venu sur nous après les indications que nous avons donné au téléphone.

    Je tourne et retourne mes deux feuilles au format A4 que constitue mon plan. Je refais l'itinéraire et j'arrive toujours à la même conviction : nous sommes bien à quelques kilomètres au dessus d'Escaro.

    Où alors, je me trompe complètement ? Peut-être que les panneaux indicateurs cloués sur un sapin en haut du Pic des Très Estelles ont été tournés et que les traces que nous avons suivies n'étaient pas les bonnes ? A ce moment-là, nous serions descendus sur un autre versant ?

    Je me pose un tas de questions et je finis par me convaincre que si l'hélicoptère nous a cherché ailleurs c'est que nous ne sommes pas à l'endroit que je supposai jusqu'à présent. C'est certainement çà !

     20 h15, l'hélicoptère est revenu, il tourne au dessus du village que je pense être Escaro. Nous ne l'apercevons que par intermittence car le brouillard ne se dissipe que lors d'intermèdes furtifs. Soudain le bruit se rapproche. Nous ne voyons pas l'hélicoptère, mais l'entendons venir sur nous distinctement. Il n'est plus qu'à quelques dizaines de mètres, en aval du torrent, derrière une barre rocheuse. Il semble faire du surplace et l'on s'attend à chaque instant à le voir déboucher. Enfin, nouvelle désillusion, le bourdonnement s'amenuise, s'éloigne puis disparaît à nouveau. De temps en temps, nous percevons dans le lointain ou très haut dans le ciel, au dessus de la brume, le bruit caractéristique des pales.

     De nouveau, ce claquement de pales tant espéré arrive de la direction d'Escaro. Du bas du défilé, nous voyons l'hélicoptère qui arrive droit sur nous, je me précipite sur mon sac à dos, sort la torche, grimpe un peu plus haut et pendant que Dany fait de grands signes avec ses bras, de mon côté, je fais clignoter ma petite lampe. Il arrive et il va passer au dessus de nous à moins de quarante mètres. Ce n'est pas possible ! Personne ne nous voit ! On se met à crier. On s'égosille. Il passe au dessus de nous, continue son chemin, grimpe, grimpe, puis se volatilise dans les brumes en direction du Pic.

     Dany a les larmes aux yeux : Pourquoi, ils ne nous ont pas vu ? Je suis complètement dégoûtée !

    Je me précipite pour tenter la consoler : Ne t'inquiètes pas, il va revenir !

     L'hélicoptère continue à voler dans les parages. Très haut dans le ciel, du côté du sommet, nous l'entendons tourner mais le brouillard entrave toute visibilité.

    Puis, il revient, semble redescendre dans les gorges. Le voilà, qui transperce le brouillard ! Il arrive encore droit sur nous ! On aperçoit distinctement le pilote. On se met à gesticuler, à crier. Je dirige le faible faisceau de ma torche dans sa direction. A toute vitesse, cette fois, il passe au dessus de nous et disparaît.

     Le soir tombe et je dis à Dany : Cette fois, c'est râpé, il est trop tard, il ne reviendra pas avant demain ! Il faut s'installer pour passer la nuit ici !

     21 heures, la brume s'est maintenant transformée en une bruine très compacte. Nous enfilons nos ponchos, fermons bien nos sacs à dos et les recouvrons du rabat hermétique.

    Un contre l'autre, serrés sur notre plate forme étriquée, on se recroqueville sous nos ponchos, adossés à nos sacs.

    Une profonde lassitude m'envahit et je m'endors très vite.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 2me jour : Mantet - Ravin de l'Orry

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    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - EscaroChapitre 3 : Ravin de l'Orry - Escaro

    Nous avons trop aimé les étoiles, pour avoir peur de la nuit. (Epitaphe citée dans Cosmos par Carl Sagan, astronome américain 1934-1996)

     

    - Une nuit à la belle étoile dans les étoiles !

    A minuit, je me réveille en sursaut. Un mauvais cauchemar où je me vois glisser sur la glace, glisser encore, puis tomber dans une crevasse sans fond ! Je mets quelques secondes avant de réaliser où je suis. La pluie a redoublé d'intensité. Il tombe un crachin dru, lequel, malgré mon poncho, réussit à s'infiltrer sournoisement à l'intérieur de mes vêtements. Dany est couchée et dors sur le côté dans la position du fœtus. Ses pieds sont trempés et je tente en vain de descendre son poncho pour les recouvrir. Je finis par me résigner à lui poser ma veste en gore-tex sur ses jambes et ses pieds qui traînent maintenant dans la boue. A force de piétiner toujours la même surface, la mousse a fini par se transformer en une glaise collante.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - Escaro

    Peu après le col de Mantet

    Il ne fait pas froid. Je me lève car je n'arrive plus à trouver le sommeil et je crains par-dessous tout de répéter ce mauvais cauchemar. Mais éveillé, ce n'est pas mieux car dans ma tête, je ressasse toujours les mêmes choses et je m'en veux de ne pas avoir su faire demi-tour dès les premières plaques de neige. Je pense à Jérôme et à Carole et à tous mes proches. Je pense à l'inquiétude que notre disparition va engendrer. Nous avons bien tenté de les appeler mais coincés que nous étions au fond de ces maudites gorges, les communications ne passaient pas.

    Je me dis que nos enfants doivent maintenant être informés de notre appel au secours car en général, ils appellent souvent le dimanche soir pour avoir des nouvelles de nos sorties pédestres. Ce n'est pas la première fois que l'on se perd mais jusqu'à présent, nous avions toujours retrouvé notre chemin. Deux fois, nous avions été pris dans le brouillard : la première fois, dans les Albères, nous étions redescendus sur le versant espagnol à vingt cinq kilomètres de notre voiture et une deuxième fois, aux Madres, nous avions marché trois heures de plus dans le froid et sous la pluie avant de rejoindre notre véhicule.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - Escaro

    En montant aux Très Estelles, vue sur la village de Py et la vallée de Rotja

    Aujourd'hui, je m'en veux aussi, de ne pas avoir acheter un GPS comme je me promettais de le faire depuis ces deux tristes expériences.

    Je me recouche, mais l'inconfort, toutes ces réflexions et ces mauvaises pensées me tiennent en éveil. Oh non, je ne m'inquiète pas pour moi, car je me sais capable de remonter ce défilé et de trouver une issue. Mais, je stresse à cause de Dany qui ne veut plus bouger et à l'idée de l'anxiété que va susciter notre disparition auprès de notre famille et de nos amis.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - Escaro

    Quelquefois, j'essaie de m'assoupir car je me dis aussi que pour déguerpir de ce trou, il faudra que je sois en forme. De temps en temps, Dany se réveille et cherche en tous sens, un brin d'aisance qu'elle ne trouve pas. Il est vrai que la pluie qui continue de tomber sans arrêt rend notre rudimentaire terrasse bien inconfortable. Des branches d'un petit pin qui se trouve juste au dessus de nous, l'eau tombe à grosses gouttes sur nos têtes. Nous glissons en permanence sur la roche mouillée et la glaise à cause d'une légère inclinaison du sol. Nous avons beaucoup de mal à garder nos sacs sous la tête et en glissant, nos pieds finissent par s'accrocher dans les branches piquantes d'un genévrier très touffu.

    Les seuls vrais moments de répit, je les passe debout à grignoter, car heureusement, nos provisions sont abondantes.

    Tout compte fait, la nuit est passée très vite. Il est déjà six heures et malgré le temps maussade, une légère clarté apparaît dans le vallon. Les cimes sont encore dans les nuages, mais le brouillard a disparu et j'arrive partiellement à distinguer la forêt et les éboulis que nous avons descendus hier après-midi. Peu à peu la nature s'éveille. J'observe une mésange jaune et noire qui volette de buisson en buisson. Elle vient se poser près de nous sur le genévrier et ne semble pas effarouchée par notre présence. Excepté le bruit du torrent et les chants de quelques passereaux, la forêt est parfaitement calme. Malgré le mauvais temps et tout ce qui nous arrive, je me dois de reconnaître que dans cette parfaite quiétude et dans ce matin vaporeux, la nature reste belle en toute circonstance. J'éprouve un certain bien-être à me trouver ici à cet instant.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - Escaro

    Au sommet, avant le cauchemar, Dany est encore confiante

    7 h30, Dany se réveille. Comme toujours, elle a dormi plus longtemps que moi et je lui propose un café accompagné de quelques biscuits. L'eau du thermos est encore légèrement tiède.

    Tout en mangeant, je lui fais part de mes intentions de partir d'ici. En effet, le ciel est tellement plombé que je sais pertinemment que l'hélicoptère ne viendra pas.

    Je lui dis qu'il faut que nous comptions que sur nous-mêmes et je lui propose que nous remontions une partie du défilé jusqu'au panneau " chasse gardée " aperçu hier. Là, je suis persuadé, qu'en insistant un peu plus longtemps, nous trouverons un échappatoire. Mais elle ne cesse pas de répéter : " les secours m'ont dit de ne pas bouger d'ici et je ne bougerai pas ". Et elle rajoute aussitôt : " si l'on entre dans la forêt, nous ne serons plus visibles ! ".

    Nos deux théories s'affrontent : elle n'a pas tort et son point de vue est respectable, mais je ne pense plus qu'à une chose : bouger et sortir de ce trou et de ce cauchemar.

    Alors que notre discussion s'enlise, je lui dis : essaie de rappeler les secours, peut-être que dans la nuit, la batterie s'est un peu rechargée !

    Elle sort le téléphone portable du sac et me dit : il semble effectivement s'être un peu rechargé, je vais essayer ! Il fonctionne s'exclame-t-elle !

    -Allo, nous sommes les randonneurs égarés, l'hélicoptère est passé deux fois au dessus nous hier soir après 20 heures. Mais pourquoi, reste-t-il au dessus d'Escaro alors que nous sommes dans le ravin ?

    Pendant qu'elle parle, je lui dis :

    -Ne lui parle plus d'Escaro, j'ai réfléchi cette nuit, je ne suis plus aussi confiant qu'hier et je ne sais pas où nous sommes !

    Elle continue à parler :

    -Venez vite nous chercher, car mon mari est fatigué ! Moi ça va !

    Je l'engueule :

    -Arrête de raconter des conneries, ce n'est pas ça qui les fera venir plus vite !

    Elle continue de parler :

    -Quand allez-vous venir ? Il pleut et il commence à faire froid, j'en ai assez ! Faites vite !

    La communication se coupe et elle me dit immédiatement :

    -Il ne faut pas qu'on bouge d'ici, car il cherche à nous repérer à l'aide du téléphone portable et il nous envoie des secours. Il faut mettre du linge de couleur en évidence !

    -Tu es complètement folle de leur avoir dit que j'étais fatigué. Si les enfants sont près d'eux, ils vont " baliser " encore plus !

    -Comme ça, ils viendront plus vite !

    -Ne sois pas stupide, ce n'est pas en leur faisant peur qu'ils pourront nous trouver plus rapidement ! D'ailleurs, quels secours veux-tu qu'ils envoient ? Avec ce temps, je suis certain que l'hélico ne décollera pas et de toute manière, s'il vient, il ne prendra pas le risque de descendre au dessous des nuages! Le plafond est bien trop bas !

    -Nous n'avons pas d'autres choix que d'attendre !

    -Avec ce temps, nous devrions décamper d'ici, tu sens comme la température a fraîchi !

    -Non, tu ne me feras broncher d'ici ! J'attends les secours, j'ai cru comprendre qu'il était en liaison avec d'autres services d'intervention.

    J'abandonne cette discussion stérile car en la circonstance, je n'ai vraiment pas envie de me disputer.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - Escaro

    Pitons rocheux et éboulis surplombent le ravin

     

    - Et si nous quittions les étoiles ?

    Pourtant, au fur et à mesure que la lumière du jour s'installe dans le ravin, je ne pense qu'à bouger, qu'à " foutre le camp " d'ici. De rester de la sorte, assis, inerte, sous la pluie que ne cesse de tomber, je me sens inutile. J'éprouve un sentiment d'impuissance que j'ai du mal à supporter.

    Je regarde les éboulis et dit à Dany :

    -Je les monterai bien ces éboulis ! Et toi ?

    -Non.

    -Bon écoute, il continue à pleuvoir sans arrêt, la température est déjà descendue de quelques degrés, je vais partir voir dans les parages si je trouve un abri, une grotte, enfin quelque chose où s'abriter.

    -Non, reste là !

    -Ecoute, je ne vais pas m'éloigner, mais c'est inutile d'attendre sous cette pluie qui nous trempe jusqu'au os, si je peux trouver un endroit où nous protéger !

    -Où va tu ?

    -Je vais commencer par monter au dessus. Ca m'a l'air accessible !

    -Fais attention de ne pas tomber ! C'est mouillé !

    -Ne te fais pas de souci, je vais faire très attention !

    Je commence à monter rapidement car au départ l'ascension est facile à travers une végétation plutôt rase. Je me faufile à travers les buis, les genévriers et quelques pins chétifs qui s'accrochent péniblement à un peu de terre. Les pitons rocheux se succèdent. De temps en temps, je m'arrête sur l'un d'eux et regrette de ne pas avoir été là quand l'hélicoptère est passé hier soir. Je m'assoie, regarde vers Escaro que je n'aperçois pas, tant la brume est redevenue épaisse et je me dis : C'est maintenant que l'hélico devrait venir ! Mais je ne me fais pas d'illusion, avec ce temps, nous ne sommes pas prêts de le voir apparaître.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - Escaro

    Malgré le drame que nous vivons au fond du ravin, la montagne reste belle

    J'aperçois Dany en contrebas, je me suis hissé d'une soixantaine de mètres, mais sans trouver le moindre abri. Au dessus moi, je n'ai pas une bonne perspective du site car les arbres sont plus nombreux et barrent la vue, mais la paroi rocheuse semble se prolonger. Je tente de continuer mais cela devient plus dangereux, les rochers constitués de lauzes sont lisses et mouillés et deviennent plus difficiles à franchir. Je regarde encore au dessus mais je ne vois aucune grotte et quand bien même, Dany ne viendra jamais jusqu'ici ! Prudemment, je me résigne à redescendre, tout en regardant autour ou en face de moi sur l'autre versant du ravin, si j'aperçois un abri. Il y a bien une toute petite grotte en face dans le bois d'épicéas, mais trop exigu et surtout trop basse pour contenir nos deux carcasses.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - Escaro

    La descente reste périlleuse !

    De plus, claustrés dans ce sous-bois, nous deviendrions complètement invisibles aux éventuels regards de secouristes. La pluie a enfin cessé. J'ai rejoint Dany qui reste prostrée sur son minuscule belvédère. Comme je ne tiens pas en place, je la laisse tranquille. Je redescends au niveau du torrent que je commence à remonter sur la droite. Mais là aussi, je ne trouve aucun refuge. De ce côté, les contreforts du ruisseau sont boueux et à nouveau, je patauge et m'empêtre dans une terre argileuse. Je prends le temps d'observer une grosse salamandre tachetée puis je continue ma quête en slalomant à travers les branches basses de quelques feuillus, tantôt à droite, tantôt à gauche du torrent. Quand je reviens à notre plate-forme, pour avoir cogné les branches dont les feuilles sont chargées d'eau, j'ai la tête aussi trempée que si j'avais pris un bain.

    Je m'éponge un peu et reprends ma place à côté de Dany. Je ne dis plus rien mais je ne suis pas résigné. La pluie a cessé mais les nappes d'une brume vaporeuse ont fait leur réapparition. Toujours de l'aval vers l'amont, elles filent en direction du pic, laissant de temps à autre, se dévoiler, lors d'une brève éclaircie, ce paysage à la fois boisé, chaotique et pierreux.

    Les secondes, les minutes et les heures s'égrènent. Aucun bruit d'hélicoptère ne vient troubler cette attente angoissante. Uniquement le bruit du torrent et de quelques corbeaux qui croassent très haut, près des cimes. Dans le lointain, de temps à autre, les aboiements d'un chien arrivent jusqu'à nous. Ils viennent, avec bonheur, nous rappeler que nous ne sommes pas très éloignés de la liberté et de la civilisation.

    Vers midi, la pluie a complètement cessé de tomber. La voûte nuageuse est moins basse et nous entrevoyons, de temps en temps, les cimes des hautes murailles rocheuses qui nous entourent. Si le temps continue à se découvrir ainsi, j'ai bon espoir que l'hélicoptère puisse venir dans l'après-midi. Par contre, la température a chuté d'au moins sept à huit degrés et pour la première fois, nous avons froid dans nos vêtements mouillés.

    Je ne cache pas mon inquiétude à Dany, si nous devons passer une nuit supplémentaire. Je lui pose même l'ultimatum suivant : Si les secours n'arrivent pas à nous trouver avant demain matin, je décampe d'ici quelque soit le temps et son choix personnel. Elle ne répond pas, mais en raison du froid qui s'installe, je comprends bien qu'elle pense comme moi et qu'elle appréhende, elle aussi, une nuit supplémentaire à la belle étoile. De plus, je m'aperçois qu'ayant changé de sac à dos, je n'ai pas les deux ou trois petits briquets qui traînent habituellement au fond des poches. La poisse nous poursuit car nous n'avons aucun moyen d'allumer un feu pour nous réchauffer si le besoin s'en fait sentir.

    Les éboulis qui se trouvent en face de nous, légèrement sur notre gauche continuent de m'obséder. Pour passer le temps, je les observe en détail, pierre par pierre, rocher par rocher, de bas en haut puis de haut en bas. Plus je les regarde et plus je me convaincs que nous pouvons les monter et qu'il s'agit de la meilleure échappatoire pour fuir d'ici. Ce n'est pas très loin, ils ne paraissent pas très hauts, peut-être trois ou quatre cent mètres et si le regard que je porte sur mon plan est juste, il y a une maison forestière (Founguéré) et une piste au bout de ce " chemin de croix".

    Mais plus j'en parle à Dany et plus elle semble être décourager pour procéder à la moindre tentative. Sur le coup, ça me démoralise mais je me dis que si je dois la laisser seule ici, c'est peut-être la solution la plus rapide pour aller chercher du secours. Dans ma tête, je prends la résolution suivante : " Si demain matin, nous sommes encore coincés ici, c'est par là que je partirai ! ".

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    L'hélicoptère passe juste au dessus de nous sans nous voir (**)

     

    - Enfin, une bonne étoile !

    Recroquevillé sur moi-même, la tête dans les genoux, ces pensées d'évasion lancinantes me hantent continuellement. Je ne pense plus qu'à ça, partir ! Mais, si je suis bloqué dans ce ravin, je suis également prisonnier de mes états d'âme. Partir et aller chercher des secours et laisser Dany seule ici ! Ou bien, rester là, ici avec elle, avec ce sentiment d'inutilité, de faiblesse et d'impuissance.

    Rêvons-nous ? Soudain, nous entendons des cris : Ohé !!! Ohé !!!. D'un seul bond, on se lève.

    -Tu as entendu, toi aussi ?

    -Ouais. Ce sont des hommes qui ont crié !

    -D'où viennent ces cris ?

    -D'en face, je crois, du côté des éboulis !

    -Je ne vois rien !

    -Oui, ça y est, je les vois, regarde là haut, il y a deux hommes qui descendent !

    -Tu crois que c'est les secours ?

    -Oui je crois bien !

    Et elle se met à pleurer de joie en disant : Ils nous ont trouvé ! On est sauvé !

    Les deux hommes descendent les éboulis relativement vite, ils sautent de blocs en blocs ce qui me conforte dans l'idée que nous aurions pu tenter l'ascension.

    Ils déboulent tout droit vers le ravin et je tente de leur faire signe qu'ils auront du mal à nous rejoindre s'ils continuent dans cette direction. Ils ne semblent pas m'entendre et finissent par arriver à l'aplomb de la chute d'eau que nous n'avons pas pu franchir. Ils bifurquent sur leur gauche en direction du bois d'épicéas. Au passage que je jugeais le plus difficile pour rejoindre les éboulis, ils s'agrippent aux rochers et aux branches, tels des araignées, ils longent le bord du torrent et finissent par passer, avec une dérisoire facilité, les obstacles qui les sépare de nous. Ils traversent le torrent et nous rejoignent sur le piton rocheux. Immédiatement, ils se présentent et s'inquiètent de notre sort :

    -Je m'appelle Daniel et mon collègue se prénomme Nicolas. Nous sommes du peloton de Gendarmerie de Haute-Montagne d'Osséjà. Vous allez bien ?

    -Ca va bien ! Mais nous languissions votre arrivée ! Je m'appelle Gilbert et mon épouse, c'est Dany.

    -Monsieur, vous êtes sûr que ça va? On nous a dit que vous étiez fatigué ?

    -Non, je vais très bien, c'était simplement un coup de fatigue, car je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit. Mais c'est passé maintenant.

    -Nous vous cherchons depuis quatre heures ce matin. Nous avons envoyé quatre équipes de deux sauveteurs tout autour du massif. Nous étions sur les crêtes, mais de là-haut, on ne voyait pas le fond du ravin à cause de la brume. C'est là que mon collègue Nicolas m'a dit : " Si nous allions voir en bas ?" Nous sommes descendus tout droit dans les éboulis et c'est comme ça que l'on vous a aperçu.

    -Nicolas, vous avez eu une idée lumineuse ! Vous en avez souvent des intuitions comme ça ?lui dis-je.

    Les deux jeunes gendarmes se mettent à rire puis Daniel avec un gros talkie-walkie informe son PC qu'ils nous ont retrouvés.

    -Vous devez être gelés ? En tous cas, nous le sommes avec cette pluie qui n'a pratiquement pas cessé de toute la matinée. Nous allons prendre un café ?

    -Oui, ce n'est pas de refus ?

    -Comment vous êtes arrivés là ?

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    Sur la piste aux étoiles

    Il sorte un thermos et tout en buvant un café, nous nous mettons à raconter notre histoire : notre départ de Nyer, notre arrêt à Mantet, notre belle randonnée jusqu'aux plaques de neige rencontrées au sommet des Très Estelles, la glissade sur le névé, la descente dans le torrent, l'impossibilité de rejoindre le chemin, le stress, le ravin et l'impossibilité d'aller plus loin, nos jambes tétanisées et le coup de fatigue de Dany.

    Grâce à Jérôme qui a retrouvé des plans sur mon bureau et l'itinéraire sur mon ordinateur, ils semblent être vaguement au courant de notre parcours. Les autres sauveteurs ont aperçu notre voiture. Ils savent que nous avons dormi au Bouf'tic. Ils ont vu nos traces dans la neige au sommet du pic, puis les ont perdues.

    Ils demandent si nous sommes des randonneurs aguerris et si nous marchons souvent. Nous répondons par l'affirmative mais compte tenu des déboires qui nous arrivent, je ne sais pas si nous arrivons à les convaincre.

    De notre côté, nous cherchons à comprendre pourquoi ils ont mis aussi longtemps à arriver alors que nos explications étaient claires et précises ? Pourquoi l'hélicoptère nous cherchait vers la droite puis vers la gauche d'Escaro puis au sommet du Pic des Très Estelles ?

    Nous n'obtenons pas réellement de réponses précises de la part des deux gendarmes. La seule explication, c'est qu'une géolocalisation par le système de " triangulation " a été demandée à l'opérateur de téléphonie Orange pour localiser nos appels téléphoniques et que le résultat nous a situé sur l'autre versant du pic au dessus de Py. Par contre, ils ne font pas de commentaires sur le fait que nous avions parfaitement donné notre position et qu'ils n'ont pas été capables de nous repérer plus vite. Ils supposent simplement que les intervenants ont été si nombreux (pompiers, Crs, Sécurité Civile, gendarmes) qu'il y a eu déperdition d'informations au moment de la passation des messages d'un service à un autre. C'est regrettable pour nous mais l'important pour eux c'est qu'ils nous aient enfin trouvé.

    Ils nous donnent des nouvelles des enfants qui depuis la nuit dernière ont été prévenus de notre disparition et qui sont avec le Pc de recherche depuis ce matin. Ils sont au village d'Escaro avec le commandement et ont été rassurés de notre parfait état de santé.

    Cette information nous apporte un profond soulagement mais pendant ces dernières heures nous avons tellement pensé à eux qu'inévitablement la question essentielle fuse de la bouche de Dany avant même que je n'ai pu la prononcer moi-même : " Il vient dans combien de temps, l'hélico ? ".

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    Type de cataracte descendue (*)

     

    - Toboggan dans les étoiles !

    Et là, je revois la tête de Dany et le silence qui s'en suit quand à la réponse obtenue :

    -Mais il ne viendra pas Madame ! , réponds Daniel.

    -Ah bon ! Et pourquoi ne vient-il pas ? dit Dany, complètement abasourdie.

    -Le ravin est trop encaissé et il y a trop d'obstacles, c'est trop risqué. En plus avec ce temps, il ne peut pas décoller car il lui faut au moins un plafond de 1.500 mètres de haut. Ce n'est pas le cas, il ne viendra pas !

    (Silence).

    -Et comment va-t-on faire pour sortir de là ?

    -Par la rivière !

    -Comment par la rivière ? Mais on ne peut pas, c'est justement là que nous sommes restés coincés !

    -Ne vous inquiétez pas Madame, on va vous aider et on a le matériel pour descendre.

    -Mais je ne pourrai jamais !

    -Mais si, mais si, vous y arriverez, vous verrez !

    -Mais on va se mouiller ?

    -Ah ça oui, on va se mouiller, mais au point où en est, vous depuis hier et nous depuis ce matin, ce n'est pas le plus grave !

    -Mais je crains le vide et je vais avoir le vertige !

    -De tout manière, nous n'avons pas le choix, si nous voulons être sortis de là avant ce soir. C'est le chemin le plus court ! Allez, il faut y aller maintenant ! Rassemblez vos affaires ! Nous allons faire un échange de sacs à dos, car les vôtres ont l'air beaucoup plus lourds que les nôtres ? Combien pèsent-ils ?

    -Un peu plus de dix kilos ?

    Ils sortent le matériel de leur sac qui est composé de cordes, de baudriers et de mousquetons et nous échangeons nos sacs respectifs. Effectivement leurs sacs à dos sont tout petits et vidés de leur matériel d'une étonnante légèreté.

    Le dialogue qui s'est installé avec les deux gendarmes, nous a permis de découvrir deux très gentils garçons, très affables, très chaleureux et non dénués d'un sens de l'humour. En quelques minutes, grâce à leur simplicité, ils ont su nous redonner confiance.

    -Bon, avant de démarrer, nous allons mettre les baudriers ! dit Daniel.

    Nous enfilons nos vestes en gore-tex, puis ils nous aident à harnacher les baudriers et les sacs à dos et nous redescendons en file indienne vers le torrent.

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    Voilà, comme nous descendions!(*)

    Sans aucune hésitation, ils marchent au milieu de la rivière et se dirigent vers le bord de la cascade. Nous les suivons mais restons en retrait pour écouter très attentivement leurs recommandations. Je m'inquiète pour Dany car elle n'a pas l'air très rassurée à l'idée de descendre. De mon côté, depuis que je sais que je vais enfin bouger pour sortir de là, je me sens pousser des ailes et je suis plein d'énergie.

    -Nicolas va descendre en premier, je descendrai en deuxième, Dany en troisième dit Daniel. Je fermerai la marche !

    Nicolas s'arque boute au bord de la cataracte qui doit être de six à sept mètres de haut, pendant que Daniel l'assure à l'autre bout de la corde, Dany est moi, on se penche pour regarder comment il s'y prend et comment il arrive en bas dans le bassin.

    A priori ça a l'air facile ! Daniel remonte la corde et me l'attache aux mousquetons du baudrier. A mon tour, je me laisse glisser le long de la corde, puis les jambes posées contre la paroi, je continue la descente très lentement. Je n'ai pas encore fait deux mètres que je sens l'eau glacée de la cascade me tomber sur la tête et les épaules comme si l on me jetait des seaux. Mes pieds dérapent sur la paroi moussue et gluante et je tourne maintenant le dos à la cascade suspendue à la corde. Je me débat et arrive à me retourner tout en cognant violemment les rochers avec les jambes. Je continue à descendre et deux mètres avant la surface, Daniel me laisse tomber dans un immense éclaboussement. Je suis entraîné vers le fond, mais aussitôt, je sens la main de Nicolas qui m'agrippe et qui me tire vers la berge.

    Pour une première descente, ce n'est pas vraiment une réussite mais je pense avoir assimilé les principales erreurs qu'il ne faut pas faire. Dany descend beaucoup plus facilement que moi, mais atterrit avec le même fracas. Elle a bu la tasse mais à priori tout va bien.

    Pendant que nous attendons Daniel, qui lui descend sans aucune aide et récupère les drisses, Nicolas est déjà parti en avant pour mieux appréhender la cascade suivante. Je demande à Dany si elle n'a pas trop froid car personnellement j'ai une véritable sensation de chaleur dans tout le corps. Est-ce la différence de température entre l'eau et l'air ? Est-ce le fait de bouger ? Est-ce à cause de la " bonne " couche de vêtements que j'ai sur le dos ? Pourtant, il s'agit d'une eau qui provient directement de la fonte des neiges. Dany me répond que ça va mais je ne suis pas convaincu tant elle parait blafarde au fil du temps qui passe.

    Nous continuons à descendre dans une bonne humeur communicative qui s'est installée entre nous. Les nombreuses glissades sur les galets qui succèdent aux chutes dans les petites poches d'eau ont pour effet de transformer cette descente en une espèce de toboggan grandeur nature. Heureusement, quand nous tombons c'est toujours sans gravité, même si parfois nous avons conscience que le danger est bien présent. Nicolas et Daniel sont de vrais professionnels, et nous restons en permanence très attentifs à toutes les consignes qu'ils promulguent. Il n'est pas question de ne pas les écouter car si certains passages paraissent faciles, d'autres sont très périlleux. Certaines cascades atteignent plus de dix mètres de hauteur. D'autres se terminent par des vasques très profondes où le courant tourbillonne.

    En raison de toutes ces difficultés qui entravent notre descente, nous avons seulement parcouru, deux à trois cent mètres en un peu de moins de deux heures.

    Dany est maintenant livide et se plaint du froid. Les gendarmes qui grelottent eux aussi, ne sont pas mieux lotis. Je semble être celui qui supporte le mieux le froid. Cette résistance est-elle due à l'habitude que j'ai prise de passer d'interminables heures dans l'eau glacée des calanques à traquer le poisson en chasse sous-marine ? Toujours est-il que l'eau glaciale du ravin de l'Orry n'arrive pas à perturber ma vitalité ! Je ne pense toujours qu'à une seule chose : sortir au plus vite de ce maudit torrent qui n'en finit plus de mettre des obstacles sur notre route !

    Dany est maintenant blême et je m'aperçois qui si nous ne stoppons pas, elle va " tomber dans les pommes ". Comme à son habitude, Nicolas est parti devant et je profite d'une petite grève de sable pour faire asseoir Dany en attendant Daniel. Elle n'est vraiment pas bien et je suis maintenant convaincu qu'elle aura beaucoup de mal à franchir les prochaines difficultés qui nous attendent. Je prends son sac à dos, puis je cours prévenir Daniel de son état de grande lassitude due certainement à un début d'hypothermie. Il fait aussitôt le même constat que moi et sort de son sac, un tube de vitamines dont il tend un comprimé à Dany.

    De son côté, Nicolas que nous avions perdu de vue dans un boucle du ravin, reviens la mine déconfite et dit : " Nous ne sommes pas au bout de nos peines car après le virage, les cascades sont encore bien plus hautes, bien plus étroites et bien plus difficiles ! Et Escaro est encore très loin ! ".

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    - Envol vers les étoiles !

    Daniel n'attends pas la fin et se met à grimper à travers un bois en direction d'un étroit éboulis cerné de grands conifères! Je l'aperçois qu'il sort son talkie-walkie, se met à parler puis il demande à Nicolas de le rejoindre. Je les vois s'entretenir puis Nicolas prend l'écouteur et continue de grimper vers un petit piton rocheux. Daniel me fait signe de monter. Je soutiens Dany pour gravir les éboulis et Daniel revient m'aider et me dit :

    - J'ai appelé mon chef, il semble qu'il y ait une éclaircie et je lui ai demandé qu'il envoie l'hélicoptère. J'attends la réponse, mais dans l'immédiat, il faut un peu escalader les éboulis pour qu'il puisse le cas échéant nous remarquer. Cette trouée me semble suffisamment large pour que l'hélico puisse nous hélitreuiller.

    - Dans combien temps, va-t-il venir car ma femme est très fatiguée ?

    - Je ne sais pas, mais nous devrions être rapidement fixés. L'hélico met environ vingt à trente minutes pour venir de Perpignan. Continuez à monter et faites très attention que les pierres ne roulent pas sur vos pieds !

    Pour progresser, j'assiste Dany, mais elle semble déjà avoir repris des forces. Est-ce la vitamine ou bien la perspective de voir enfin apparaître cet hélicoptère tant espéré ? Toujours est-il qu'elle parvient à grimper en solo ce magma rocheux dont chaque enjambée est presque un numéro d'équilibriste. Tous les rochers ou presque présentent un équilibre très instable et il est nécessaire à chaque pas de vérifier si une pierre ne va pas dégringoler sur nos jambes ou celles du voisin.

    Après avoir parcouru une cinquantaine de mètres, Daniel nous fait signe de stopper et dit :

    -Asseyez-vous ici en attendant. Je pense que nous sommes suffisamment loin des arbres !

    Nicolas qui nous a rejoint, nous annonce la bonne nouvelle :

    -Le plafond est supérieur à 1500 mètres. L'hélico a pu décoller de Perpignan ! Il arrive, il reste plus qu'à attendre et à espérer que le ciel reste aussi dégagé ici.

    -En attendant, si nous prenions un grog, ça nous réchauffera un peu! dit Daniel.

    Il sort un thermos et chacun boit à son tour. Nicolas est déjà reparti rejoindre le promontoire qui fait, certainement, office de relais pour capter les signaux du talkie-walkie.

    Tout à coup, le ravin passe du silence le plus absolu au vacarme le plus tonitruant. L'hélico est là, juste sur notre droite au dessus d'une aiguille rocheuse.

    C'est drôle, mais je m'aperçois que cette demi-heure est passée très vite ! C'est fou, comme le temps peut-être une unité très capricieuse. Il passe vite quant on attend quelque chose avec certitude et lentement quand on attend cette même chose dans l'incertitude et l'anxiété.

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    Dans l'espoir de voir l'hélicoptère arriver, Dany est décidée à aller jusqu'au sommet

    Daniel nous fait lever et prescrit les derniers conseils :

    -Qui veut y aller le premier ?

    -Dany, lui dis-je sans attendre sa réponse.

    -Oui, je pense que c'est mieux ! Surtout, Dany n'ayez pas peur, tout va bien se passer ! Ils vont faire descendre un filin au bout duquel il y a un baudrier. Vous resterez debout à côté de moi et vous me laisserez faire. Je passerai le baudrier sous vos aisselles et quand vous sentirez l'hélico vous hisser, gardez bien les bras le long de votre corps. C'est bien compris ?

    -Oui, j'ai bien compris, mais j'ai peur !

    -Vous n'avez aucune raison, c'est impressionnant mais sans risque !

    Et en plaisantant il rajoute : " Et en plus, vous n'êtes jamais contente, après le canyoning, vous avez droit à un tour d'hélico gratis ! ".

    -Je m'en serai bien passer ! dit Dany, qui a repris quelques couleurs.

    -Ensuite, pendant la remontée, surtout vous ne bougez plus jusqu'à l'hélico. Là haut, quelqu'un va vous récupérer !

    Pendant ce temps, l'hélico s'est rapproché de nous et commence à descendre dans un bruit assourdissant. Les immenses épicéas et les quelques feuillus se mettent osciller dans un immense tourbillon d'aiguilles et de feuilles qui s'envolent en tous sens.

    Je m'écarte un peu de Daniel et Dany et vais m'asseoir un peu plus haut dans les éboulis car le câble commence à descendre en tourbillonnant dangereusement au dessus de leurs têtes.

    Je reste admiratif devant la précision du pilote. L'hélicoptère est pratiquement immobile et les pales tournent à quelques mètres voire quelques centimètres de la cime des grands épicéas. Malgré le violent souffle qu'engendre les pales, Daniel finit pas se saisir du filin et le passe très rapidement sous les bras de Dany. Un petit signe en direction de l'hélico et voilà Dany qui s'élève rapidement dans le ciel. A l'arrivée, j'aperçois quelqu'un qui l'agrippe et qu'il l'assoie au bord de l'habitacle.

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    L'hélicoptère est là, nous sommes sauvés ! (**)

    Soudain l'hélico remet les gaz, remonte et amorce un large virage. Je vois Dany, toujours assise au bord de l'hélico, qui s'envole au dessus des arbres puis elle disparaît dans le goulet du ravin.

    Est-ce un trop plein d'émotions, mais de voir Dany tirée d'affaire, je me mets à pleurer.

    Daniel qui est resté près de moi me dit :

    - Après ce que vous avez enduré, ce n'est pas le moment de craquer !

    -Oui, je sais, mais je pleure de joie !

    -Oui, je m'en doute, mais le plus difficile est passé !

    -C'est vrai, vous avez raison.

    -Laissez les sacs à dos et préparez-vous car, bientôt ça va être votre tour !

    Je me ressaisis aussitôt et retourne me placer près de Daniel.

    Effectivement, moins de dix minutes plus tard, l'hélico revient se positionner au dessus de nous.

    Daniel répète les consignes pour l'hélitreuillage déjà formulées à Dany.

    L'élingue commence à descendre et Daniel la saisit, cette fois, sans aucune difficulté.

    J'enfile le baudrier, passe les sangles sous les aisselles et serre bien les bras contre mon corps. Je suis soulevé du sol et reste un bref instant suspendu au dessus de Daniel. Soudain je m'élève en même temps que l'hélico, je tourne, je tourne, dix, vingt, trente mètres au dessus du ravin. Je suis près de la carlingue et malgré un courant d'air violent qui souffle en sens inverse, je me sens tiré automatiquement vers la porte. Deux mains m'accrochent fermement et m'entraîne dans le cockpit. Tout comme dans un " grand huit ", je suis tiré en arrière par la soudaine accélération de l'hélicoptère, puis je repars en avant comme aspiré par l'espace. Je suis assis au bord du vide mais heureusement une main sans visage continue de tenir avec poigne les sangles du baudrier. Mes yeux emplis de curiosité essaient en vain de regarder de tous côtés : l'intérieur de l'hélico, le pilote, le visage de cette main salvatrice qui est dans mon dos, les arbres, le ravin, les crêtes rocheuses…Je regarde tout mais je ne vois rien. Ca va beaucoup trop vite, quelques secondes suffisent et j'aperçois déjà les près puis les toitures et les jardins des maisons d'Escaro.

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    En montant au Très Estelles, ce cheval affamé vient chercher pitance

     

      - Fin du cauchemar pour trois étoiles.

    L'hélicoptère descend déjà, j'aperçois de nombreuses voitures, et une foule de personnes qui regardent vers moi. Les enfants sont là, à l'écart, à côté de Dany, à l'extrémité d'un champ près d'une route.

    On se pose et je ne vois plus rien. Mes yeux sont à nouveau remplis de larmes de joie. J'essaie de m'extraire de l'hélicoptère mais une voix dans mon dos me dit :

    -Attendez, que l'hélicoptère s'immobilise et que je vous enlève le harnais !

    Puis la voix rajoute :

    -C'est bon, allez-y mais baissez bien la tête et restez courbé sur une dizaine de mètres !

    Je cours en sanglotant vers les enfants qui se précipitent sur moi. Je ne vois plus rien mais je sens des bras qui m'entourent et une énorme étreinte qui m'enlace. Pendant ces longues heures d'attente et d'angoisse, j'ai tant rêvé de cet instant, je me sens bien dans ces bras qui m'étreignent, mais j'ai honte et je me mets à pleurer tout en criant :

    -Je vous demande pardon ! Je vous demande pardon ! Pardon ! Pardon !

    -Pardon de quoi ! Réponds Jérôme.

    -De vous avoir inquiétés, j'ai honte de vous avoir inquiétés ! J'ai honte de ce que j'ai fait !

    Moi, qui ait pour principe de vie, de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour aider mes enfants, voilà que maintenant les rôles sont inversés et je ne l'admets pas. Je me sens puéril et nigaud.

    Je reprends mes esprits dans les bras de Jérôme et j'entends dans leur dos, une petite voix qui implore en pleurant :

    -Et moi, tu ne me serres pas dans tes bras !

    -Mais si, mais si, bien sur, ma chérie !

    Et je me remets à pleurer de " plus belle " dans les bras de Carole et de Dany.

    Quand j'y repense aujourd'hui, malgré ce cauchemar que j'ai vécu, ces retrouvailles et ces longues étreintes dans les bras de mes proches resteront à jamais gravés dans mon coeur parmi les moments inoubliables de ma vie.

    Oui cette randonnée dans le massif des Très Estelles s'était terminé en cauchemar…mais pour moi, à l'arrivée, il y avait trois autres étoiles qui brillaient et qui se prénommaient : Jérôme, Carole et Dany !!!

    C'était la fin d'une randonnée et d'un cauchemar pour trois étoiles ! Mais ce n'était pas celles que j'avais augurées au départ !

    - Que les bonnes étoiles veillent sur eux !

    A Escaro, Dany et moi avons remercié le commandant qui a mis en place et coordonné le dispositif de recherche. Mais nous aurions aimé remercier tous les sauveteurs sans exception, le pilote de l'hélico, son assistant qui tenait le " fil " auquel notre vie était suspendue, les autres équipes qui étaient partis à notre recherche, les CRS, les pompiers enfin tous ceux qui avaient participés activement à nous venir en aide.

    Bien sur, nous n'oublierons jamais Daniel et Nicolas qui eurent cette lumineuse idée de descendre dans le ravin de l'Orry.

    L'hélicoptère était déjà reparti les chercher. De notre côté, nous étions si heureux de retrouver les nôtres que sur le moment, nous les avons négligés.

    Qu'ils nous pardonnent et qu'ils sachent que nous nous sentirons toujours redevables des risques qu'ils ont pris pour nous venir en aide.

    Je profite de ce récit pour leur adresser nos remerciements pour leur dévouement, leur gentillesse, leur générosité, leur patience, leur professionnalisme et leur sens de l'humour. Avec leurs formidables qualités, ils ont su nous redonner l'énergie et la confiance que nous avions perdues.

    Que les bonnes étoiles veillent sur eux !

    -Quelques explications

    -Les photos avec le signe astérisque (*) ne sont pas de moi. Je remercie leurs créateurs de les avoir mises sur Internet et de me permettre de les utiliser gracieusement.

    -Les photos suivies de deux étoiles (**) sont des montages réalisés à partir de photos personnelles.

    -Les photos suivies d'un (S) ont été prises en septembre 2004 lors d'une autre randonnée (Pla Segala, Roc Colom et Porteille) autour de Mantet.

    -La plupart des photos qui enjolivent ce récit ont été prises, pratiquement jour pour jour, une année après les faits sur les endroits mêmes de cette histoire.

    Il y avait beaucoup moins de neige, mais les lieux sont les mêmes que ceux cités dans cette rocambolesque odyssée.

    -Alors que notre appareil avait pris l'eau dans le Ravin de l'Orry, Dany avait détruit la pellicule. Nous sommes donc retournés aux Très Estelles le 7 mai 2005 pour prendre de nouveaux clichés. 

    -Le mardi 4 mai 2004, nous faisions le gros titre des faits divers de l'Indépendant de Perpignan. Le résumé est fidèle hors mis nos ages respectifs. Mais avec les têtes que nous avions à la descente de l'hélicoptère, le journaliste était parfaitement excusable, nous avions pris dix ans !

    -Fin mai 2006, nous avons enfin définitivement " tué les vieux démons" en réalisant sur deux jours la boucle complète avec notre fils Jérôme. Cette magnifique randonnée, réalisée par grand beau temps, restera pour nous trois, inoubliable.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - Escaro

    Mantet, au retour de notre randonnée un an plus tard

    Choisissez une étoile, ne la quittez pas des yeux. Elle vous fera avancer loin, sans fatigue et sans peine. (Alexandra David-Neel, exploratrice et écrivain français 1868-1969).

    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - Escaro

    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - Escaro

    Cliquez dans la photo pour visionner le parcours et le compte rendu de notre égarement par l'Indépendant.

    Sinon cliquez sur la photo ci-dessous pour retourner à la page d'acceuil du blog.

    Un cauchemar pour trois étoiles - 3me jour : Ravin de l'Orry - Escaro

    Photo à 180° prise du sommet des Très Estelles, on aperçoit parfaitement les deux autres mamelons composant le massif


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    ARTICLE DE PRESSE PARU DANS L’INDEPENDANT DE PERPIGNAN LE MARDI 4 MAI 2004 A LA RUBRIQUE "FAITS DIVERS"

    Un cauchemar pour trois étoiles - Parcours et article de presse de L'Indépendant

    CARTES QUE NOUS AVIONS LORS DE NOTRE PARCOURS

    Un cauchemar pour trois étoiles - Parcours et article de presse de L'Indépendant

    Un cauchemar pour trois étoiles - Parcours et article de presse de L'Indépendant

    Un cauchemar pour trois étoiles - Parcours et article de presse de L'Indépendant

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