Un cauchemar pour trois étoiles - 1er jour : Nyer - Mantet
Le récit suivant est une histoire vraie. Elle relate les journées des 1, 2 et 3 mai 2004. C'est l'histoire d'un égarement survenu lors d'une randonnée de 2 jours autour du Massif des Tres Estelles dans les Pyrénées-Orientales. Grâce à l'ensemble des secouristes et plus particulièrement aux gendarmes Daniel et Nicolas qui nous ont retrouvé, tout c'est bien terminé pour nous. Au delà du besoin d'avoir à écrire ce témoignage afin qu'il soit éventuellement utile à d'autres randonneurs, ce récit a pour but de remercier tous ces secouristes pour leur professionnalisme, leur implication et leur dévouement. A jamais, ils auront toute notre gratitude.
UN CAUCHEMAR POUR TROIS ETOILES.
- Chapitre 1 : Nyer-Mantet
Tu ne suis que ton étoile et voilà que tu aboutis au gouffre (Konstantin Balmont, poète russe 1867-1942)
-Pardon, monsieur, le départ pour les étoiles ?
Samedi 1er mai 2004, il est 9 heures. Depuis quelques minutes, Dany et moi déambulons dans le pittoresque village de Nyer. Nous sommes à la recherche d'un panneau indicateur ou d'une vaine signalisation annonçant le point de départ d'une randonnée que nous envisageons de faire sur deux jours. Cette ballade que nous projetons depuis plusieurs semaines doit nous conduire à Mantet aujourd'hui, puis retour demain, si le temps est propice par le Pic des Très Estelles. Le massif des Très Estelles ou des Trois Etoiles est surnommé ainsi à cause des trois dômes caractéristiques qui le couronnent et dont les crêtes et les ravines forment les multiples branches d'une étoile.
Les Très Estelles, vue de Sahorre
A l'entrée de Nyer, nous venons de laisser la voiture au parking, puis avons traversé un petit pont sous lequel le furieux torrent Mantet dégringole vers la Têt dans un vacarme rugissant. En ce calme et lumineux matin de printemps, ce tumulte, provenant du ravin, est dans ce morne village, le seul signe d'une nature éveillée.
On se sépare, Dany part vers le centre du village, pendant que je monte une ruelle escarpée qui longe la rivière. Un coup de peinture jaune sur un muret semble manifester la présence d'un sentier de randonnée. Je continue de grimper, mais sans rencontrer d'indications supplémentaires. Tout en haut de la ruelle, je finis par apercevoir une faible lumière jaunâtre qui filtre à travers un carreau. Je m'approche, un rideau s'écarte et le visage d'un vieux monsieur apparaît. Par un petit signe de la main, je lui fais part de mes sociables intentions. Il ouvre aussitôt la fenêtre et je lui dis :
- Pour se rendre à Mantet, s'il vous plaît ?
- C'est bien par là, mais en cette saison, je vous déconseille les gorges car avec la fonte des neiges, le ravin déborde par endroits et le sentier doit être impraticable. C'est même très dangereux ! Je vous conseille de prendre le chemin au dessus du village. C'est plus long mais plus sûr à cette époque!
- C'est de quel côté ?
- Vous redescendez la ruelle, vous prenez à droite, vous devriez trouver !
Je redescends la ruelle tout en me disant que Dany a dû trouver le bon chemin, car elle a pris la direction indiquée par le prévenant vieux monsieur.
Je la retrouve et m'aperçois très vite qu'il n'en est rien. Elle n'a aperçu aucune indication pour se rendre au village de Mantet.
Ce laborieux démarrage me contrarie, car voilà presque deux mois que j'ai programmé cette ballade sur deux jours qui doit nous mener à Mantet par le sentier d'interprétation de la nature fortement recommandé sur le site Internet du Conseil Général des Pyrénées Orientales : http://www.cg66.fr/environnement/reserve_nyer/rando/index.html (cette page a depuis disparu !)
J'ai été charmé par la description de cet itinéraire vers Mantet, par l'histoire de ces villages du Haut-Conflent et je suis impatient de découvrir la Réserve Naturelle Volontaire. Cet espace protégé a été crée grâce à la détermination des propriétaires terriens. Je reste admiratif par l'histoire de ces hommes qui pour survivre étaient contraints soit de travailler la terre et de faire un peu d'élevage soit d'exploiter des mines de fer dans ces lieux hostiles au climat très rude. Ces hommes puis leurs descendants, dans un sursaut de bon sens ont préféré protéger leur terre plutôt que de la léguer à des investisseurs immobiliers peu scrupuleux.
Grâce à eux, dans ce sanctuaire naturel, les scientifiques peuvent à loisir étudier les nombreuses richesses régionales qu'elles soient faunistiques, florales ou culturelles. Grâce à eux, nous venons ici pour notre plaisir et pour observer toutes ces richesses et nous n'avons pas d'autre tracas que de trouver le chemin qui doit nous les faire découvrir.
Effectivement, nous n'avons pas d'autre choix que de trouver le bon sentier qui doit nous mener à Mantet car nous avons réservé pour ce soir, une chambre à l'auberge Le Bouf'Tic.
Il s'agit d'un gîte d'étape très connu sur le célèbre Gr.10. Nous le connaissons bien pour y avoir séjourné en août 2001 lors de nos huit jours sur la Gr.10. De temps à autre, nous retournons y déjeuner à l'occasion d'une randonnée ou simplement pour sa tranquillité et son panorama magnifique sur la Vallée de l'Alemany, le Porteille et les pics environnants.
Au Pas de Grau, presque prêts pour le départ puis panorama de la crête de la Sola de la Mare de Déu
Arrivée à Mantet
Devant l'Auberge La Bouf'tic
Voilà déjà une vingtaine de minutes, que nous lambinons dans le village endormi. Pour couronner le tout, la Maison de la Réserve indiquée sur le Web est fermée. Pourtant, je comptais sur elle, pour obtenir les renseignements utiles à la découverte de sentier d'interprétation. Cette Maison constituait aussi mon dernier espoir de trouver rapidement notre point de départ et par la même occasion, notre chemin.
En l'absence d'indications plus précises, je suis contraint de me référer aux conseils du vieux monsieur et je me mets à consulter mon rudimentaire morceau de carte que j'ai imprimé à partir de mon ordinateur.
Je repère facilement sur la carte, le sinueux sentier qui se hisse au dessus du village de Nyer et qui se dirige vers le Pas de Grau, point de jonction du sentier vers Mantet et du Tour des Très Estelles.
Très rapidement, je décide de nous y rendre car ainsi, nous rattraperons le temps perdu et serons immédiatement sur le bon chemin.
Nous reprenons la voiture, traversons le village par les étroites venelles et rejoignons aisément le chemin forestier qui serpente dans les collines qui dominent Nyer. Trouver le point de départ n'est pas aussi aisé que je l'imaginai, car dans la montée, plusieurs sentiers partent en tous sens. Je m'arrête, à plusieurs reprises pour contrôler ma route sur la carte, puis je repars sans certitude.
9h45, ouf ! Nous voilà enfin au Pas de Grau, devant un explicite panneau indicateur : à droite direction Mantet, à gauche le Pic des Très Estelles.
Panoramas sur les pics enneigés
- Le compte à rebours pour les étoiles a commencé !
Nous harnachons nos gros sacs à dos de douze kilos chacun, laissons la voiture sur un " pla " et partons sur la droite à travers la forêt. Le bon dénivelé et le poids des sacs ont vite fait de ralentir notre ardeur. Mais, nous ne sommes pas pressés et savons que nous aurons environ six à sept heures de marche pour rejoindre le village de Mantet.
Mais quel spectacle, nous marchons d'abord en lisière de la forêt et dominons Nyer. Tout au loin, nous contemplons la Vallée de la Têt et le massif des Madres encore partiellement enneigé. Ensuite, nous grimpons dans la forêt et finissons par atteindre les crêtes qui surplombent le ravin de " La Sola de la Mare de Déu ". En face, les " rocs " les plus hauts qui dominent les Gorges de Nyer sont peu enneigés. Dans un contraste étonnant de divers tons de vert, les émeraudes forêts de sapins et les feuillus bourgeonnants dégoulinent vers cet étroit ravin.
Sommets enneigés au dessus du ravin
Par une sente rocailleuse peu évidente, nous descendons vers un canal d'irrigation et un mas effondré. En bordure du canal, deux chevaux semblent sortir d'un autre monde et divaguent en quête d'un peu de nourriture dans cette caillasse parsemée d'une maigre garrigue. Nous sommes étonnés de les trouver en train d'errer dans ce paysage oublié de tous. Comment sont-ils arrivés là ? Que font-ils dans cette solitude? Difficile de le savoir ?
Chevaux en liberté au Col de Mantet
Il est midi, nous stoppons à proximité de ruines, de ce qui devait être une ancienne bergerie. Nous dévorons nos sandwichs d'un bel appétit sous un ciel cristallin et un soleil bien agréable pour la saison.
En début d'après-midi, nous cheminons pendant quelques kilomètres en ligne droite au pied du versant ouest du Pic des Très Estelles. Les flans de ce versant sont composés de larges rampes faites de gros pierriers ou de parois rocheuses vertigineuses, puis le sentier bifurque à droite en direction du collet de la Pargonneille. A partir de cet instant le sentier devient plus sinueux, le panorama plus boisé et le défilé formé par le torrent Mantet commence à s'élargir.
Malgré une bonne déclivité, notre randonnée se poursuit sans aucune difficulté.
Vers 16 heures, nous arrivons sur un large promontoire herbeux où le panorama est superbe. Le regard plonge à la fois dans l'étranglement du ravin, mais porte aussi sur l'amont de la vallée. Nous n'apercevons pas encore Mantet mais discernons mieux les contreforts du Pic des Très Estelles que nous devrons gravir demain. Sur notre droite, les quelques cimes qui dominent le défilé sont encore bien enneigées et ce constat m'inquiète un peu.
Nous profitons de ce superbe belvédère pour prendre une réconfortante collation. Nous sortons de nos sacs, tout le nécessaire à un " super quatre heures ", thermos d'eau chaude, quarts, sachets de café, sucre, gâteaux, fruits secs et nous installons sur l'herbe pour un véritable pique-nique.
La rivière Mantet dans les gorges de Nyer
Soudain, j'entends un bruit qui ressemble à un grognement. Dany l'a entendu aussi et nous faisons silence. Pendant un court instant, j'ai même cru que c'était elle qui plaisantait. Le grommellement semble se rapprocher et je comprends aussitôt qu'il s'agit d'un sanglier. Au moment où je me retourne, j'aperçois un marcassin d'une trentaine de centimètres qui fonce droit sur moi. De son groin, il vient heurter mon dos, fait demi-tour et part sur ma gauche. Handicapé par le gobelet de café que je tiens dans la main droite, je tente d'attraper l'animal de la main gauche. Son poil soyeux glisse entre mes doigts, il s'échappe en poussant un petit cri aigu et je n'ai que le temps d'apercevoir son dos avec ces claires rayures disparaîtrent dans les buissons. Je me lève, tente de le poursuivre par les sons qu'il continue d'émettre, j'essaie, mais en vain, de le repérer dans les broussailles. Il a disparu !
Que faisait-il ainsi tout seul ! A t'il été abandonné par sa mère? S'est-il perdu pour s'être éloigné du chaudron maternel ? Il est, parait-il, coutumier que sur une nombreuse portée, plusieurs marcassins ne puissent survivre !
Déconcertés après cette étrange rencontre, nous reprenons notre marche vers Mantet. A l'approche du village, le vallon s'élargit encore et maintenant, la sente serpente dans des paysages plus rocailleux et plus arides.
17 heures 15, nous sommes en vue du village. Nous croisons quelques chèvres, quelques moutons encadrés par deux ou trois chiens qui tentent de ramener au troupeau les plus récalcitrants. Assis sur un promontoire, le berger indolent surveille son cheptel. Après plus de sept de marche, il est le seul être humain que nous aurons croisé de toute la journée.
Les chèvres de Mantet sont heureuses en liberté
17 heures 30, nous entrons dans Mantet et nous dirigeons vers l'auberge 'La Bouftic'.
Mantet, est un minuscule village de montagne, à proximité de la frontière espagnole. Depuis 1964 seulement, ce village indompté est rattaché à la civilisation par une petite route goudronnée. Mais avant la construction de cette liaison, la légende et l'histoire le présentait ainsi : dernier village de France aux confins des terres d'Espagne, enclavé entre des monts de plus de deux mille mètres, où ne pouvaient parvenir que chèvres et mulets pratiquant un affreux sentier bordé de précipices, où les maisons, bâties sur un fumier millénaire, abritaient une race de contrebandiers sales et sauvages menant leur fragile existence parmi les aigles, les isards et les sangliers.
Cette citation est tirée du site consacré à Mantet par Jean Rigoli : http://www.mediterranees.net/vagabondages/divers/mantet.html
La vallée de l'Alemany avec le Porteille de Mantet au loin
Mantet au matin du 2eme jour avec son église du XIIeme siècle
Nous passons du bon temps à l'Auberge La Bouf'tic
-Mantet, la porte des étoiles !
La charmante aubergiste nous guide vers notre chambre. Les souvenirs resurgissent car c'est la même chambre qu'en 2001. A l'époque, Mantet avait fait office de terminus dans notre périple sur le Gr.10 depuis Mérens, alors que nous tentions de rallier Vernet-les-Bains. Mais les pieds meurtris de Dany en avaient décidé autrement et notre " Conquête de l'Agréable " s'était arrêtée là.
Il est encore tôt, nous décidons de prendre une bonne douche puis remontons dans la salle à manger où par la spacieuse baie vitrée on ne se lasse pas d'admirer le paysage qui s'offre à nous. Chaque saison apporte son lot d'émerveillements. Devant nous, la vaste et verte vallée de l'Alémany avec autour ses multiples pics : Pic de l'Orry, Pic de Rives Blanques, Pic de la Dona, Pic de Serre Gallinière, Porteille de Mantet.. Les plus hauts sommets qui culminent à plus de 2.600 mètres sont encore abondamment couverts de neige. Je ne dis rien mais au fond de moi, j'espère que le Pic des Très Estelles qui est à seulement 2.099 mètres sera moins enneigé car nous ne sommes pas équipés pour marcher dans la poudreuse ou la glace.
Avant le repas, nous passons le temps à de longues et délassantes parties de Scrabble.
Mais la quiétude de la journée s'arrête là quant un groupe de visiteurs envahit la salle à manger. Ils entament, eux aussi, dans une ambiance très chahutée, des parties de rami qui, au fil du temps, deviennent de plus en plus acharnées. Heureusement, ils quittent l'auberge juste avant le repas et comme nous sommes les seuls hôtes, nous finissons la soirée dans la paisible tranquillité à laquelle nous aspirions en venant ici.
Après un excellent repas, la bonne fatigue de la journée nous persuade d'aller au lit. Fourbus mais heureux, nous regagnons notre mansarde et c'est avec la tête remplie d'images de beaux paysages que nous fermons les yeux.
Le Pic du Canigou, vue dans la montée vers les Très Estelles
Au Col de Mantet (1760 m)
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