• Ma mère est un numéro ?

    Dans ma vie professionnelle, j’ai d’abord été informaticien pendant une quinzaine d’années puis ensuite tout en continuant à travailler sur des ordinateurs, j’ai plutôt œuvré dans la gestion, la comptabilité et la finance jusqu’à ma récente retraite. Alors, les chiffres et les nombres, je pensais, sans prétention aucune, en avoir fait le tour et évalué leur nécessité  et leur importance. Dans mes divers métiers et notamment ceux en relation avec l’informatique, on tire bien évidemment un certain avantage à donner des numéros à un élément d’un fichier  et pour donner des exemples : au client X, on attribue le numéro 1000 ou bien le salarié Durand est le matricule 15, ceci bien entendu au sein d’une liste d’un fichier qui peut recenser un nombre indéterminé d’éléments.  Toutefois et tout en manipulant des chiffres et des nombres à longueur de journée, j’ai toujours eu à cœur dans mes relations avec les autres d’oublier leurs numéros de codifications pour les considérer comme il se doit comme des êtres humains. Quand j’avais à faire à un client, à un fournisseur ou à un salarié, je l’appelais toujours par son nom voire son prénom quand il s’agissait d’un(e) collègue et je ne lui disais pas « numéro 1000 » ou « matricule 15 », etc... A dire vrai, appeler une personne par son numéro ou son matricule, ce n’est pas l’éducation que m’avait donnée mes parents et cette idée ne m’est à vrai dire jamais venue à l’esprit et bien au contraire, j’avais encore en tête d’avoir lu que c’était la manière abominable dont les nazis désignaient les déportés dans certains camps de concentration.

    L’Administration Française et en l’occurrence, pour ne pas la citer, la Caisse d’Allocations Familiales a, semble-t-elle, oublié cette sacro-sainte éducation et je ne vous cache mon immense déconvenue quand l’autre jour le facteur est venu me remettre une lettre en me disant : « C’est bien vous l’allocataire 15931…? ». J’ai d’abord été très surpris de la question puis j’ai sans doute bégayé quelque chose avant d’apercevoir, au dessous de ce numéro, mon adresse dans la fenêtre de l’enveloppe qu’il me tendait et en prenant ce courrier, je n’ai pas trouvé autre chose à lui dire que : « Oui, c’est sans doute moi ! ».  

    J’avais l’impression d’être revenu 40 ans en arrière et d’être entré de pleins pieds dans la célèbre série télévisée  que je regardais à l’époque c’est à dire « Le Prisonnier » , dans laquelle tous les personnages s’appelaient par des numéros. Le « Prisonnier », alias ce fameux N°6 était constamment poursuivi et martyrisé par le N°2 qui voulait lui faire avouer pourquoi il avait démissionné de son poste d’agent secret. En quelque sorte, j’ai eu, ce jour-là, le sentiment d’être le N°6 interrogé par le facteur qui était le N°2.

    Puis quand le facteur a eu tourné les talons, la colère et l’indignation ont pris le pas sur l’étonnement. Ô non, or mis sa maladresse dans sa façon de s’exprimer, je n’avais pas grand-chose à reprocher à ce « brave » facteur qui, dans le cadre de son travail, avait posé une simple question pour s’assurer que j’étais bien le bon destinataire, mais sur le moment, j’ai eu vraiment une vive animosité contre cette Caisse d’Allocations Familiales dont j’avais le sentiment qu’elle avait oublié que j’étais un être humain.

    Alors, j’ai ouvert l’enveloppe et j’ai constaté que cette lettre de la CAF ne m’était pas adressée mais elle concernait ma mère dont je suis le tuteur légal depuis 2 ans. Croyez-vous que cela a atténué ma colère ? Non, bien au contraire et je dirais presque que cela n’a fait que l’amplifier. En effet, ma mère est atteinte de la Maladie d’Alzheimer depuis quelques années et les psychiatres la décrivent en ces termes : « elle est sénile et dans un état de dépendance physique et psychique majeure qui nécessite qu’elle réside obligatoirement dans une institution médicalisée de façon définitive ». Alors, j’estime que c’est déjà excessivement difficile de voir sa maman finir sa vie comme ça sans que l’Administration en rajoute en la traitant comme un simple numéro. Ma mère, un numéro ? Non, ça je ne pouvais pas l’accepter et il m’est venu la haine ! Et croyez-moi je n’ai eu que très rarement la haine dans ma vie, pour ne pas dire jamais contre quelqu’un ou quelque chose. Mais là c’était trop et ayant travaillé dans l’informatique, je sais pertinemment qu’il est très simple de régler un problème tel que celui-là !

    Ma mère, malade d’Alzheimer, un numéro ? Non, c’était inacceptable et j’ai eu immédiatement envie d’écrire à la CAF en question pour leur signifier le fond de ma pensée. Puis, je me suis dit qu’il devait en être de même pour tous les autres allocataires de la CAF et que les gens prêtaient sans doute plus d’attention au contenu de leur courrier qu’à la manière dont leur adresse y était mentionnée. Alors, en prenant connaissance du contenu de cette lettre, mon indignation ne fit que s'accroître une fois de plus car la CAF m’informait qu’elle supprimait tous ses droits à ma maman. Ô non, ce n’est pas le fait d’avoir perdu les 15,20 euros par mois qu’elle percevait depuis une année seulement qui changeât ma manière de voir les choses mais c’était tout cet ensemble de pratiques et de décisions que je trouvais injustes, qui ajoutait à ce problème de « numéro », est venu excessivement m’irriter.

    Mes parents étaient, ce que l’on appelle, des ouvriers et ils n’ont jamais « roulé sur l’or ». Mon père était comptable et ma mère faisait des ménages pour que ses trois enfants ne manquent de rien. Comme on dit, ils se sont «saigner aux quatre veines » pour nous élever et nous donner une excellente éducation. Puis quand nous avons été casés, ils ont fait un crédit et ils ont puisés dans leur petite épargne qu’ils avaient économisée sous à sous pour s’offrir un appartement de 50 m2 au rez-de-chaussée d’un très vieil immeuble où leur unique bien-être était qu’il disposait d’un petit jardin. Mon père est décédé à 64 ans et il n’a ni profité de ce petit jardin et encore moins de sa retraite. Ma mère resta seule et au moment où elle aurait pu bénéficier d’une vie un peu plus paisible, elle a été très injustement rattrapée par cette infâme maladie qui l’a peu à peu transformée en véritable zombie.  Mais je dois le dire, avant tout ça, nous n’avons jamais manqué de rien et surtout pas de protection, d’affection et d’amour que notre mère avait à revendre.

    Aujourd’hui, en additionnant sa propre retraite et la réversion de mon père, ma mère perçoit 1.400 euros de retraite par mois et dans le contexte économique actuel très difficile, on est en droit de considérer que ce n’est pas mal de tout car des gens qui travaillent ne gagnent pas autant.  Mais malgré ce revenu « correct », la maison de retraite spécialisée Alzheimer où elle réside, lui coûte 2.500 euros par mois. Alors quand je lis que la CAF a étudié ses droits et qu’elle n’a plus droit à aucune prestation, je l’avoue, j’ai honte d’être français et je suis indigné. Pour « joindre les deux bouts » et assumer les frais de la maison de retraite, j’ai vécu comme une humiliation d’avoir été contraint de vendre ce petit appartement que mes parents avaient mis tant d’années à acquérir. Et quand je dis ça, ce n’est pas  pour profiter plus tard d’un quelconque héritage mais je vis cette obligation de dépendance de ma mère comme une terrible injustice. Aujourd’hui, malgré un projet de loi adopté très récemment, on hésite à suspendre les allocations aux parents dont les enfants ne vont jamais à l’école, on hésite à supprimer les prestations aux parents dont les enfants ont maille à partir avec le justice. Pourtant, dieu sait s’il y en a ! Qui n’a pas entendu parlé d’escroqueries, d’abus et de fraudes diverses aux prestations sociales ? Ces tristes réalités reviennent constamment sur le devant de la scène médiatique. En contrepartie, on n’hésite pas à supprimer radicalement une très faible allocation à quelqu’un qui a eu une vie exemplaire et qui est désormais dépendant à cause d’une terrible maladie. Il y a tellement de gâchis en France, d’abus financiers, de passe-droits, de conflits d’intérêts, d’écarts de plus en plus importants entre les plus pauvres et les plus riches.  

    Alors, voilà pourquoi, je me suis indigné en recevant cette lettre.

    Non, ma mère ne méritait ni cette maladie ni ce peu de considération de l’Administration Française. Non ma mère n’est pas un simple numéro, mais je le dis bien haut : « Pour moi, au temps où elle allait bien, ma mère, a toujours été un « sacré numéro » !!!

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