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Le Fajàs d'en Baillette depuis Le Vivier
Ce diaporama est agrémenté de musiques d'Ernesto Cortázar Jr., extraites de son album "You Are My Destiny"
avec successivement "Mother", "Heart to Heart", "You Are My Destiny", "Mariana" et "Love Spell".
En pays Fenouillèdes, le « Fajàs d’En Baillette » est un arbre remarquable (*) bien connu des randonneurs roussillonnais. Jugez plutôt : 500 ans, 30 m de hauteur et 5,75 m de circonférence, voilà ce qu’indique une pancarte se trouvant à son pied et rédigée en 2007 à son propos. En latin, les botanistes lui ont donné le nom de « Fagus Sylvatica », en occitan c’est « Fajàs » et en français, il s’agit d’un Hêtre commun, même si le mot commun n’est pas ici le mieux adapté. Pour le définir et en raisons de ses mensurations exceptionnelles, « hors du commun » est plus approprié. En France, ce n'est pas le seul hêtre remarquable (**) mais il fait partie des tout premiers. Je suppose ; mais ce n’est qu’une supposition personnelle ; que « d’En Baillette » est le nom du cortal se trouvant juste à côté dont tout le monde ou presque se désintéresse, primo parce qu’il s’agit d’une ruine dont il ne reste que peu de choses, et secundo car l’arbre attire vers lui toutes les attentions. Il y a très longtemps, et pour avoir été dans ce cas de figure, je pense que nombreux sont ceux, qui comme moi, n’ont jamais remarqué qu’il y avait un cortal juste à côté de l’arbre. En général, la dénomination attribuée à une habitation est le nom de famille de celui qui l’habitait ou qui la possédait, et on peut imaginer que c’est le cas ici, sauf que ce nom « Baillette » n’a rien de bien occitan, ni de catalan d’ailleurs et que de ce fait on comprend mal pourquoi un nom aussi francisé aurait été accolé au mot occitan « Fajàs » ? Enfin, c’est ainsi et à la limite pourquoi pas ? Pourtant, « Baillette » est un nom de famille plutôt présent dans les Pyrénées-Orientales et dans ce secteur en particulier, puisque c’est Sournia qui en détient le plus grand nombre (Sources Filae). Enfin, et pour en terminer avec cette toponymie, il est fort possible que le nom « Baillette » soit ici un terme plus général définissant une contrée ou un lieu puisqu’on sait que jadis ce mot signifiait soit un acte de donation soit une terre donnée par un seigneur à son serf pour le libérer de son joug. Il existe une dernière possibilité mais qui est peu probable ici, c’est que « baillette » soit un étymon désignant une « petite vallée » (source Robert Aymard). Certes, l’arbre est situé tout près d’une source, ce qui d’ailleurs peut expliquer sa vigueur et sa longévité, mais en aucun cas on ne peut parler de vallée comme définissant ce lieu. A pied, il existe plusieurs façons d’aller le découvrir et cela sera fonction des kilomètres et de la difficulté que l’on sera prêt à lui destiner. Des départs sont possibles de Sournia, de Prats-de-Sournia, de Rabouillet, de Vira et enfin depuis Le Vivier. Tous ces villages sont situés dans un périmètre raisonnable autour de l’arbre, et ce dernier est accessible grâce à des sentiers pédestres et à des pistes forestières. Ayant déjà vagabondé sur tous ces chemins, en ce 22 avril, j’ai décidé de faire un retour aux sources en démarrant depuis Le Vivier. Retour aux sources car l’arbre est situé dans la forêt communale du Vivier et surtout, c’est ainsi que je l’avais découvert la toute première fois. C’était il y a plus de 20 ans ; 23 ans exactement ; et si je m’en souviens, c’est parce que chose rarissime, ma fille était venue marcher avec nous. Ainsi accompagné de ma femme et ma fille, j’en gardais le souvenir d’une belle promenade en sous-bois, assez facile car sur des chemins plutôt rectilignes et avec un dénivelé modéré. Un rapide examen de la carte I.G.N me confirme ce sentiment et effectivement, aussi bien l’aller par le Ravin du Bois, que le retour par celui de la Couloubrière atteste de cette rectitude observée jadis. Rajoutons que ce circuit est désormais très présent dans les topo-guides et est devenu au fil du temps une randonnée quasi incontournable pour tous les clubs du département. 8h30, me voilà devant la mairie où je viens de garer ma voiture. Météo France m’avait annoncé un grand ciel bleu et un soleil resplendissant mais aujourd’hui, force est de reconnaître qu’ils se sont bien foutus dedans car il n’y a rien de tout cela. J’harnache mon sac à dos et démarre cette balade sous un plafond céleste plus que laiteux. Le ciel est carrément blafard ne laissant rien passer ni transparaître, ni le moindre coin de ciel bleu, ni le moindre rayon de soleil, ni le plus minuscule des nuages. Non, dès que je lève les yeux, il n’y a rien d’autre que du terne ou du lactescent et autant dire que la luminosité étant totalement absente ça ne me réjouis pas pour les photos que j’escompte prendre de ce parcours. Il va en être ainsi toute la journée ou presque. Ressemblant à un château fantôme, la vieille tour des seigneurs du Vivier domine tristement le village, un village complètement désert de surcroît, ce qui ne fait qu’ajouter à cette mélancolie ambiante. Enfin peu importe et il m’en faut plus pour me démoraliser. Je connais bien la ligne de départ pour l’avoir remarquée lors d’une balade que j’avais intitulée « Le Cami d’El Viver ». Elle est située « rue de l’église ». Je m’y dirige en ne m’arrêtant que pour photographier l’église Sainte Eulalie, quelques moineaux et un magnifique cerisier du Japon. Avec sa floraison si dense et ses fleurs roses superbement serrées, l’arbre a des petits airs de barbe à papa. Un panonceau est là et s’il n’indique pas clairement le « Fajàs d’En Baillette », la mention « Coll de Benta Fride - GR.36 – 1h55 » m’assure de la bonne direction à prendre, au moins pour le départ. Voilà un col que je connais par cœur pour y être passé des dizaines de fois et notamment avec mon fils lors d’un mémorable Tour du Fenouillèdes effectué en 2011. Ce col est situé sur une ligne de crêtes séparant les jolies vallées de la Désix et de la Matassa. Amplement occupées par des forêts, qu’elles soient domaniales ou communales, comme celle du Vivier, ces crêtes, on les appelle les « Terres Noires », à cause des strates de schistes noirs qui en composent sa principale minéralogie. Plus loin, dans la continuité, avec ses 1.310m d’altitude, le « Sarrat Naout » dresse son débonnaire et très boisé mamelon. Il constitue le plus haut sommet de la forêt domaniale de Boucheville, forêt dont l’épaisse et très diversifiée couverture végétale recouvre l’ensemble du secteur grâce à sa position géographique où tous les climats ; méditerranéen, montagnard et atlantique ; s’immiscent et y circulent avantageusement. J’ai toujours adoré ce secteur, d’abord pour les panoramas qu’il peut offrir mais surtout car j’y ai presque toujours découvert une faune assez présente : cervidés, écureuils, renards, oiseaux et papillons. Quand à sa flore, elle est assez exceptionnelle avec de très nombreuses espèces, mais avec notamment des sous-bois truffés de narcisses jaunes et de jacinthes bleues et des prés où fleurissent plusieurs espèces d’orchidées. Pour toutes ces raisons, et outre le « Fajas d’En Baillette » , j’ai décidé que ces crêtes seraient l’autre objectif à cheminer. Ces crêtes doivent me permettre de remplir convenablement ma journée et j’ai bon espoir d’y faire quelques découvertes fauniques et floristiques. Me voilà donc sur le bon chemin mais déjà arrêté à discourir avec un aimable monsieur. Il vient d’ouvrir son garage et sort des pommes et du pain pour les donner à son cheval qui se trouve dans un pré en contrebas. Un cheval avec une belle robe noire, sans doute âgé, mais super câlin de surcroît. Je me laisse amadouer et lui donne une des deux poires que j’ai emportées en guise de dessert. Nous discutons un bon quart d’heures puis l’homme achève la discussion en m’indiquant qu’il y a peu de temps, le col de l’Espinas était encore enneigé. Je lui dis que je n’irais probablement pas jusque là mais le remercie néanmoins de cette information. Je laisse le brave homme, son cheval qui est bien à son image, et poursuis l’itinéraire. J’évite d’emprunter le G.R.36 qui me servira au retour et prend soin de suivre le balisage jaune bien présent en quittant la voie principale au profit d’une autre piste qui file à main gauche. C'est la voie la plus directe pour aller vers l'arbre. Je m’attendais à trouver un étroit sentier mais la piste cendreuse que j’emprunte est large et un peu monotone. Comme souvent, je tente de compenser cette monotonie en observant, selon moi, tout ce qui mérite de l’être. Paysages alentours et flore printanière sont ainsi photographiés. Malgré ma quête permanente à tenter de les surprendre, les oiseaux nécessitent beaucoup plus de patience et de tentatives pour obtenir quelques bons clichés. Si les petits passereaux sont de toute évidence les plus nombreux à proximité du village ; les mésanges et les fauvettes notamment ; l’éloignement de ce dernier et le temps passé à faire des photos permet bien d’autres observations. C’est ainsi que les merles noirs puis les geais prennent à tour de rôle le relais, leurs chants bien différents rompent le silence et emplissent la forêt au fur et à mesure que j’avance. Dans cette flânerie volontaire, je progresse bien malgré tout, car entre deux observations, la piste est suffisamment bonne pour que la marche s’effectue d’un pas très alerte. Parmi toutes ces considérations, la vision furtive d’un chevreuil à la lisière d’un bois sera le clou de la journée. Photos uniques au nombre de trois mais ô combien réjouissantes quand on a l’ambition de vouloir faire de la photo animalière en amateur. La piste finit par présenter un virage mais ma connaissance du tracé rectiligne plus un panneau gisant à terre m’incite à faire le choix de poursuivre un sentier qui entre dans l’épaisse forêt. Rien n’est écrit sur le panneau, ou tout du moins l’inscription qu’il y avait a été effacée par le temps. Il reste une balise jaune et cela suffit à me convaincre. De plus, dans cette haute et dense forêt, mon G.P.S ne capte pas les satellites et je ne peux que me fier à ma carte I.G.N et à mon impression. C’est la bonne ! Un chemin rouge, car amplement enseveli sous les feuilles mortes, vient remplacer la piste noirâtre. D’une forêt variée de divers feuillus, je passe très rapidement à une hêtraie ancestrale. Seuls de hauts buis et quelques buissons de fragons semblent être admis par ces hêtres de toutes sortes. Mes lectures m’ont appris qu’il y avait de nombreuses sous-espèces d’hêtres et donc de diverses formes mais toutes ou presque sont un seul et même arbre : le « Fagus sylvatica ». Il y en a des petits, des gros, des carrément énormes car très vieux, de très droits au tronc unique, des tordus et d’autres carrément tortueux aux ramures sinueuses. Je marche enfin sans m’ennuyer car les chants puissants d’oiseaux se font entendre puis ces derniers se laissent voir et photographier. Il s’agit de pinsons peu craintifs ou alors très affamés. Ils descendent de la canopée renaissante et viennent se poser à même le sol, sans doute à la recherche d’une pitance faite de graines, d’insectes, de chenilles ou de larves que le printemps ressuscite. Quelques rouges-gorges et des troglodytes mignons les accompagnent mais sont plus craintifs et donc plus difficiles à photographier. A force d’être aux aguets, je finis par avoir le sentiment d’être observé moi-même. Mais non, ce n’est qu’une sensation, mais une sensation bien réelle car je m’aperçois que les hêtres ont parfois des yeux, des cils, des sourcils, une bouche, des oreilles ou un nez. Orchestrés par les nœuds et les fissures de l’écorce de certains arbres, je finis par y discerner des faciès, des visages, des regards. Dans certains troncs, sans doute séculaires eux aussi, les premières gravures, elles, sont bien réelles. Les scientifiques leur donnent le nom barbare de "dendroglyphes", du préfixe "dendro" signifiant "bois" et du mot grec "glyphe" signifiant "signe gravé". C’est ainsi que j’y découvre « Delph Arno 1999 » et un joli cœur gravé. Plus loin « JF 98 » et dessous un hameau magnifique sculpté où l’on aperçoit clairement une petite chapelle. Quel talent ! Je lui décerne le titre de Champion du monde 98 de la gravure sur écorce ! Peu après, c’est un « JP » qui tente de nous faire comprendre qu’il est passé ici le « 15 XI 99 ». Finalement, le « Fajàs d’En Baillette » est là. Majestueux, somptueux, on le voit de loin, trônant un peu à droite de la clairière au sein de laquelle il a réussi à se développer jusqu’à atteindre des mensurations colossales. Quand on l’observe de très près comme j’ai enfin pu le faire et le photographier, on comprend qu’il est vraiment plus qu’un arbre. C’est devenu un ouvrage collectif ! Un manuscrit, un abécédaire, un grimoire, un livre d’amour, une amicale correspondance, un rébus, un répertoire, un agenda, un cryptogramme, un tableau d’algorithmes indéchiffrables, une cacographie, un cahier de dessins, un logogriphe, une attestation de gravures et d'escalade. Oui cet arbre, c’est tout ça à la fois et bien plus encore !. Amplement gravé par des hommes au fil de son élévation ; on trouve désormais des gravures à plus de 4, 5, 6 mètres de hauteur ; il mérite amplement son épithète et son label de « remarquable ». Avec son système racinaire puissamment ancré au sol, on se sent bien petit à côté de lui. On comprend immédiatement qu’il survivra encore à bien des générations futures si aucun cataclysme ou bouleversement ne vient perturber ou rompre son existence si séculaire. Voilà plusieurs fois que je viens le voir mais c’est la toute première fois que je viens seul et l’envie d’y laisser une petite gravure me démange. Pas facile ? Sur son tronc, il y a de moins en moins de place ! Tout en prenant un en-cas, je m’essaye à y graver de petites initiales avec un minuscule Laguiole. « JG » me semble amplement suffisant et ce d’autant que dès que je gratte son écorce grise et blanche, une sève rougeâtre apparaît me donnant le sentiment d’une blessure. J’arrête là tout en repensant aux autres arbres que j’ai pu graver dans ma vie. Rares, ils sont au nombre de trois, celui-ci inclus. En 1968, quand j’ai connu Dany, nous avions gravé notre amour naissant sur un platane du boulevard Michelet à Marseille. Quelques années plus tard, nous n’avions pas retrouvé notre cœur et les initiales que ce dernier contenait. L’arbre ayant été tronçonné, tout avait disparu, sauf notre amour heureusement, qui lui a perduré. Le 18 août 2009, lors du Tour du Vallespir et au lieu-dit « la Cabane de la Devèse de Vallbonne », j’avais gravé (fort mal) mes initiales et la date, dans un hêtre (déjà !) lors d’une étape entre Batère et Saint-Guillem de Combret. En 2014, j’y suis retourné et la gravure, bien qu’encore parfaitement visible » s’était nettement cicatrisée. J’avais été ravi de ce constat car la blessure avait guérie. Voilà quelles sont mes pensées à l’instant même où il me faut quitter ce monumental « Fajàs d’En Baillette ». Je le quitte non sans un détour par les ruines du vieux cortal. Envahies par les lierres, je n’y décèle rien de bien intéressant sauf deux Tircis, papillons des bois que pour le coup je photographie puis déloge et qui partent se réfugier dans les hauteurs du « fajàs ». Après quelques photos de l’arbre séculaire et une photo souvenir, il est temps d’aller rejoindre la crête. Je fais le choix du petit sentier qui part vers l’est et passe au pied du Roc Courbe. A l’altitude de 916 m, et après le passage d’un portail, je tombe sur le panonceau du « Tour des Cabanes », balade que j’avais réalisée en mars 2013 depuis Prats-de-Sournia. De ce fait, je sais parfaitement où je me trouve, sauf que j’ai bien envie d’improviser en évitant les pistes que je connais trop bien. Le chemin partant à gauche rejoint le GRP Tour du Fenouillèdes et même s’il me remémore de bien agréables souvenirs, j’en connais tous les aspects. A droite, c’est le GR.36 descendant vers Sournia et là aussi, je connais tout ça par cœur. Ici, les deux chemins de grande randonnée sont communs. Un coup d’œil sur ma carte I.G.N et je fais le choix de traverser un pré, direction le Sarrat de la Carrette. Sur sa droite, un peu plus bas, il y a des pistes que je ne connais pas et j’ai bien envie d’aller les découvrir. En parcourant le pré, je ne doute plus avoir fait le bon choix, car outre deux corneilles qui semblent y trouver sinon leur bonheur au moins leur nourriture, ce dernier est jonché de magnifiques orchidées et les quelques arbres sont littéralement envahis par une colonie de Traquets. Traquets motteux ou oreillards ? En les photographiant, il est très difficile de les identifier car les deux espèces ont de nombreuses caractéristiques communes et notamment leurs couleurs où le blanc et le noir prédominent. Le Traquet motteux vit plutôt en montagne alors le Traquet oreillard a un habitat plus près de la mer et a une nette préférence pour le fond des vallées et les plaines. Mais ici à 900 ou 1.000 m d’altitude, suis-je en montagne ou est-ce encore la plaine ? Avec leurs queues assez courtes, j’aurais tendance à dire qu’il s’agit de Traquets motteux. Le pré descend en déroulant son tapis verdoyant vers des panoramas amples et grandioses et habituellement très beaux, sauf qu’aujourd’hui ce ciel si blême écrase tout. Je peste contre Météo France et leurs prévisions si « merdiques » parfois. Vers l’est et en contrebas, j’aperçois néanmoins Prats-de-Sournia mais derrière le village je ne vois qu’une succession de collines arrondies englouties sous une draperie de brume. Vers le sud, la Serre de Sournia est chapeautée par le Massif du Canigou encore très enneigé mais force de reconnaître qu’aujourd’hui, la montagne sacrée des Catalans n’a pas sa fascination habituelle. Je finis par atteindre la piste escomptée que je ne connais pas. Elle m’entraîne dans un bois où feuillus et pins à crochets se partagent l’espace. J’y découvre de bien jolis narcisses jaunes et des tapis de potentilles. Il est midi et je m’installe sur l’herbe pour déjeuner. Tout près de moi, un monceau de bois morts, résultat d’un important élagage, capte quelques oiseaux. Tout en mangeant, je m’essaye à souffler dans mes appeaux et presque aussitôt les sifflements attirent des pinsons et des mésanges. Plus surprenants, et après maintes hésitations en des vols circulaires, quelques becs croisés viennent se poster au faite de sapins. Plus ahurissant encore ; mais je pense que mes appeaux n’y sont pour rien ; un coucou gris vient chanter juste au dessus de ma tête. Je l’entends égosiller son chant lancinant fait de « cucouuuu» répétitifs mais je ne le vois pas. Lui non plus ne me voit pas d’ailleurs, car dès lors que je me déplace et qu’il me voit, il s’envole 50 mètres plus loin. Je plie bagages, adosse mon sac et me lance à sa poursuite. Poursuite essentiellement photographique bien évidemment. Je l’aperçois au sommet d’un grand arbre aux branches dénudées. Je m’approche et il s’envole un peu plus loin, et ainsi de suite sans que je puisse le photographier correctement, car une fois encore l’absence de luminosité est une mauvaise alliée. Par bonheur, son vol suit à peu de chose près le tracé de la piste forestière que j’avais envie de découvrir et quand il se pose, il a toujours une nette préférence pour les arbres effeuillés. Ainsi, aussi loin soit-il, je le vois. Le suivre ainsi devient un jeu, un jeu de piste qui parfois m’éloigne de la crête que j’avais envie de cheminer et qui désormais se trouve au moins 100 à 200 mètres au dessus de moi. Quand je sors de la piste, je me retrouve au milieu d’une végétation pas toujours affable pour ma peau. Hauts genêts, ronciers, cistes à feuilles de lauriers et rosiers sauvages sont des arbustes auxquels il vaut mieux éviter de se frotter. Le coucou s’habitue-t-il à me voir ? Est-ce les hauts genêts dans lesquels j’ai réussi à me planquer pour mieux l’approcher ? Toujours est-il que le voilà désormais à une bonne distance de mon objectif et de son zoom qui me permet de le fixer correctement. Il ne bouge pas et le voilà enfin immortaliser dans mon numérique. Je suis ravi mais je m’aperçois aussi que j’ai pas mal marché et que j’ignore où je me trouve. Au loin, le pic du Canigou donne le sentiment de vouloir disparaître sous un ciel bleu opalin. Un coup d’œil sur mon G.P.S pour connaître mes coordonnées puis sur la carte I.G.N et me voilà fixé sur ma position géographique. Je suis au lieu-dit « La Pépinière », presque en dessous du col de l’Espinas. Je rejoins la crête et trouve la clôture que je réussis à longer tant bien que mal. Elle m’amène à une piste se terminant devant un passage canadien et une barrière métallique. Je connais bien cet endroit et je pourrais même redescendre vers Le Vivier, mais il est tôt et je choisis de prendre le chemin qui file et monte vers le col de Benta Fride. Les chenilles processionnaires, en grand nombre, semblent vouloir m’accompagner. J’ai d’autant plus envie de marcher que les journées s’allongent, qu’il y a de jolies fleurs à photographier, que quelques papillons sont présents, que des mésanges charbonnières jouent dans les pins à crochets, que deux vautours fauves sillonnent le ciel presque à me faire peur. Un petit monde bien vivant pour lequel je suis venu. Le col de Benta Fride est atteint. Ici, à 992 m d’altitude, un panonceau m’annonce le Vivier à 1h50. Me connaissant, rajoutons-y une heure. Je ne crois pas si bien dire. Ici, je n’ai plus guère d’autres choix que de redescendre. Là, je fais le choix de longer la clôture, histoire de profiter encore un peu des derniers panoramas, fussent-ils affligeants aujourd’hui. En tous cas, me voilà sur le chemin du retour. Un peu plus bas, je retrouve la large piste forestière commune au G.R.36 et G.R.P Tour du Fenouillèdes. Agrémenté des fameuses traces blanches et rouges, un panneau de bois mentionne « Le Vivier ». C’est le bon chemin, sauf qu’ici et d’emblée, de profondes cicatrices ont mutilé la forêt et fait disparaître le G.R.36 sous un fatras de bois et sous de profondes ornières où les marques de gros pneus ne laissent planer aucun doute quand à l’utilisation de puissants bulldozers et débusqueurs. Apparemment, une nouvelle piste est en cours de création sinon pourquoi cet affreux layon défigurant cette si belle forêt ? Cette nouvelle piste épargnera-t-elle les hêtres séculaires ? Je l’espère mais rien n’est moins sûr. Non, sans mal, je finis par retrouver le bon itinéraire dans tout ce désordre forestier. Balisage jaune, blanc et rouge, blanc et bleu, une borne peinte me rassurent très vite quand au bon itinéraire. Les ruines de vieilles cabanes confortent cette idée. Alors que je descends d’un bon pas dans cette forêt qui semble vide de toute vie, mon chemin croise avec surprise celui d’un jeune couple qui le remonte. Surpris je le suis, car si l’homme est à peu près convenablement habillé d’un jeans, d’une chaude chemise canadienne et chaussé plutôt correctement avec des souliers hauts et en cuir, la jeune femme, elle, est plutôt vêtue pour une sortie en boite de nuit que pour une balade en forêt. Un minuscule short moulant et très sexy, un tee-shirt qui ne l’est pas moins sur une poitrine généreuse et agréablement décolletée, des tennis légères et d’un jaune flashy, elle n’a rien de la randonneuse qui part à la découverte du « Fajàs d’En Baillette », car c’est bien là leur objectif. J’ai beau leur dire qu’ils se sont trompés de chemin mais l’homme n’a pas l’air de me croire. Je suis contraint de sortir ma carte I.G.N pour leur montrer où l’on se trouve, mais là encore il semble douter de mes paroles. Au fond de moi, je me dis qu’ils sont mal barrés. Il est déjà 16h et je doute fort qu’ils trouvent l’arbre remarquable et ce d’autant qu’aucun panonceau ne l’indique plus haut dans ce secteur, qu’ils n’ont aucune carte et encore moins de G.P.S. Etant décidés à poursuivre, je tente de les dissuader une dernière fois en leur indiquant qu’ils vont inévitablement tombés sur la large plaie tailladée par les bulldozers. Rien n’y fait. Ils semblent sûrs d’eux et je ne peux m’empêcher d’imaginer la jeune femme avec son short si ajusté entrain d’enjamber les chablis et autres arbres coupés. Je continue. Le silence revient car la forêt continue d’être vide et ce, malgré la présence du ruisseau de la Couloubrière qui commence à creuser son ravin. Or mis quelques violettes des bois, il n’y a rien de concret à mettre dans mon appareil-photo. Aux lieux-dits « Les Moles » et « Palmade », des vestiges en pierres sèches attirent mon regard et l’objectif de mon numérique. Dans ce dernier lieu, près d’un long mur en pierres sèches, des vestiges moins réjouissants car plus modernes sont les preuves évidentes de la sottise humaine. Tables et chaises en plastique renversées, panneaux stratifiés, cagettes, tous ces objets ont été laissés là, à l’abandon, dans ce bois où ils n’ont rien à y faire. C’est assez lamentable. En tous cas, si déjeuner dans les bois il y a eu, l’intelligence des pique-niqueurs, elle, était absente. Un peu plus bas, une affiche clouée à un arbre me rappelle à des souvenirs à la fois bons et mauvais, ceux de la tempête Klaus de 2009, de mon Tour du Vallespir et d’une étape mémorable qui devait m’amener au bien nommé Col du Miracle puis à Prats-de-Mollo. A cause des arbres couchés, cette affiche réclame la prudence et je ne peux m’empêcher de penser au couple que je viens de croiser. Un peu plus bas encore, le chant du ruisseau se fait désormais entendre. Il est parallèle au chemin mais traverse quelques prés où poussent d’énormes merisiers en fleurs. L’eau qui s’écoule, des fleurs dans les prés, quelques papillons voltigeurs et des oiseaux chanteurs semblent vouloir remettre en branle une apparence de vie. Peu après, cette vie se concrétise par la photo d’un magnifique Loriot. Du côté d’Urbanya, j’ai déjà aperçu cet oiseau rare par deux fois mais sans jamais pouvoir le figer. Sous un ciel un peu moins blafard que ce matin, l’approche puis l’arrivée au Vivier se résument à des photographies florales et à de nombreuses et laborieuses tentatives pour photographier des mésanges et des fauvettes qui s’ébattent dans les cerisiers fleuris. Un peu plus loin, un rapace noir se lance dans un vol statique avant de se raviser en me voyant. Au bout du chemin, le village est là avec son château ruinée et son église dédiée à ma petite-fille, Eulalie la bien nommée. Je retrouve le cheval noir du brave homme. Me reconnaît-il ? Toujours est-il qu’il vient quémander un peu de nourriture. Je fouille sans conviction et en vain dans mon sac à dos car à l’évidence aujourd’hui j’ai tout mangé. Il se plante devant moi ne comprenant pas pourquoi je ne lui donne rien. Je lui tend un peu d’herbe dont il n’a apparemment que faire. Il a raison car faut-il être bête pour donner de l’herbe à un animal qui n’a que ça sous ses sabots ? Donne-t-on du pain à manger à un boulanger qui a envie de manger autre chose ? Ma balade au « Fajàs d’En Baillette » se termine-t-elle sur cet échec ? Non pas vraiment car dans le canal du village ; continuité des deux ruisseaux que j’ai suivis ; une bergeronnette grise et un rouge-queue noir en ont décidé autrement. Ils m'offrent leurs couleurs et se laissent très gentiment photographier, le rouge-queue noir, peu craintif, venant même me braver sur la balustrade du pont où je me trouve. Cette randonnée, telle qu’expliquée ici, a été longue de 19 kms avec des montés cumulées de 1.500 m, égarements volontaires sur les crêtes inclus. Rien bien évidemment ne vous obligera à accomplir ce circuit tel que je l’ai réalisé moi-même et après la découverte de l’arbre, vous pourrez vous cantonner au G.R.P Tour du Fenouillèdes et à son col de Benta Fride, raison pour laquelle vous trouverez sur ma carte explicative les deux tracés : celui réalisé et celui conseillé qui est long d’environ 13 km, pour des montées cumulées de 980 m et un dénivelé de 566 m entre le point le plus bas au Vivier (426 m) et le plus haut au col de Benta Fride (992 m). Carte I.G.N 2348 ET Prades – Saint-Paul de Fenouillet Top 25.
(*) Label attribué en mars 2014 par l’association A.R.B.R.E.S.
(**) Comme la plupart des arbres, l'hêtre a sa propre étymologie, ses propres histoires ou légendes. Voici celles qui nous ont été laissées par Jacques Brosse, naturaliste, philosophe et historien (1922-2008) dans son livre " Les Arbres de France - Histoire et légendes" paru chez Plon en 1987.
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Commentaires
4Seb Le VivierLundi 17 Août 2020 à 23:41Bonjour cher Ami de la nature, si je trouve le récit de cette balade riche et intéressant je ne peux m’empêcher de vous demander l’intérêt de graver des initiales sur cet être remarquable? A plus de 500 ans et toujours vivant il méritait sans doute une autre forme d’admiration ce bel Hêtre non?Répondre3Pierre RégnaudJeudi 29 Novembre 2018 à 11:10Voilà. La vidéo est sur le site du Vivier. Les Viviérols vont redécouvrir une rando qui leur est chère. Je dis redécouvrir parce que ta façon de nous présenter tes balades ne laisse pas indifférent, tant tes commentaires et l'intérêt que tu manifestes pour la faune et la flore viennent ajouter de l'intérêt au spectacle. Avec toute mon amitié.
Bonjour Gilbert
C'est une superbe forêt que tu me fais découvrir ... je suis en admiration devant toutes les fleurs , les oiseaux , les beaux paysages , les gravures sur les arbres sans oublier cet hêtre remarquable . Tes photos des oiseaux sont magnifiques ; moi je suis incapable de les reconnaître et c'est difficile de les photographier mais j'aime écouter leurs chants dans la nature ! Demain nous allons suivre tes pas sur " le chemin des canons " et je pense que ce sera une bien agréable balade
Bon weekend ... Amicalement , Patricia
Salut l'ami Gilbert,
J'allais presque te chanter "Auprès de mon arbre , je vivais heureux" mais surtout te dire que nous avions chacun le nôtre ces jours passés, toi un hêtre et moi des châtaigniers aussi vieux les uns que les autres, ici, dans le Var, ça va être calme cette semaine avec le temps qu'il fait à ne pas mettre un randonneur dehors, mais nous aurons tout le reste de l'année pour nous rattraper...
Jolie rando et belles photos, merci à toi et à bientôt
Jean-Claude
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