• Si Cobazet m'était conté.......


    Le récit que vous allez lire ci-après est l'histoire de Cobazet, domaine forestier situé dans la Haut-Conflent au pied du Massif du Madres entre la Vallée de la Castellane et celle d'Urbanya. Dans la Vallée de la Castellane, le village le plus emblématique est celui de Mosset,  inscrit parmi les plus beaux villages de France et ce récit est le résultat d'un magnifique travail de recherche et de rédaction effectué par un vrai mossétan. Ce mossétan, c'est Julien PUJOL, agriculteur, randonneur émérite, amoureux fou de son pays catalan et fervent adepte du yoga depuis de très longues années. C'est d'ailleurs par l'entremise d'une association de yoga que j'ai connu Julien, les randonnées pédestres nous ont bien évidemment naturellement rapprochés, nous avons appris à nous connaître et avec la gentillesse qui le caractérise, Julien m'a transmis ce récit et m'a autorisé à le publier dans mon blog "Mes Belles Randonnées Expliquées". Je ne peux bien évidemment que l'en remercier. D’abord parce que j’aime l’histoire mais surtout parce que tout comme lui je suis tombé éperdument amoureux de ce coin de montagne…….


    Si Cobazet m’était conté…..

    Je ne suis pas écrivain, je ne suis pas historien, je suis tout simplement un agriculteur qui a travaillé la terre pendant plus de 45 ans et étant toujours aussi amoureux de cette terre catalane qui m’a vu naître, je n’ai pas pu refuser à Amaury, notre ami ardéchois, le fait de coucher sur le papier quelques témoignages, quelque partage sur le vécu concernant le domaine de Cobazet, situé dans cette belle vallée de la Castellane, entre le Col de Jau et le si pittoresque village de Mosset, bien en face de notre Canigou. C’est pour cela que j’ai fait appel à la tradition orale avec les anciens qui ont sué sang et eau dans ces montagnes, avec tout ce que cela induit d’erreurs quant à des interprétations diverses pour le même évènement puisque la mémoire populaire n’a pas toujours la rigueur de l’histoire !!

    Cobazet se prononce en catalan « coubazètt », ceci bien sûr en rapport avec la « cova » qui signifie « grotte », sous-entendant que sur les lieux, il y avait des avens qui ont été comblés par la suite et le « v »qui figure encore sur certaines cartes avec la dénomination « Covazet » devient « b » de par les mystères de la linguistique ! Le domaine de Cobazet, dont le propriétaire actuel est Groupama, décline bien en remontant le temps, l’économie agricole de cette vallée : c’était  de l’élevage et des cultures vivrières, puis l’exploitation de la forêt et enfin l’exploitation de la carrière de talc.

    La première interrogation, à l’arrivée sur le corps de ferme du domaine se pose dès le seuil, à l’entrée du corps d’habitation : sur une pierre de granit sont gravés deux noms et une date : « PARES, LAVILA, 1862 ». Cette date permet de présumer que ce sont ceux qui ont été les constructeurs ou au moins les habitants de cet édifice (les métayers ?). Puisque cela portait le nom de « Métairie de Cobazet » et quelques recherches nous conduisent à Jean Parès, enfant de Mosset, qui nous donne la probable origine de cette pierre gravée : elle repose sur l’analyse des familles Lavila et Parès au 19ème siècle mais sans pouvoir remonter avec précision sur la date exacte de la construction de l’édifice : dans la suite du récit nous essayerons d’établir un lien entre ces familles et le propriétaire des lieux en 1862, Rémi Jacomy. La bâtisse était délabrée lors de son achat et il avait chargé un de ses commis, Louis Lavila, de procéder à sa rénovation. Celui-ci choisit un maçon marié à une de ses cousines Françoise Lavila, née Parès et nous pensons qu’il a voulu honorer ses beaux-parents en gravant leur nom dans le roc. Quant aux origines des habitants de la bâtisse, une voie sur laquelle je m’étais engagé s’est révélée être fausse : à savoir qu’un dénommé Jean-Baptiste Vila, marié en 1810 avec Anne-Marie Parès, possédait, au lieu dit Cobazet, une terre de 2 hectares (erreur suite confusion de noms entre Lavila en un seul mot et La Vila).

    Revenons aux origines de propriété : une vaste propriété rurale dite « montagnes de Mosset » en nature de pacages, bois et forêt de pins, sapins, hêtres et chemins d’exploitation pour une superficie d’environ 1894 hectares ainsi que le domaine de Cobazet, composé d’une maison de maître, de granges et d’écuries, de champs, et de près pour un ensemble d’environ 91 hectares appartenait, entre autres propriétés, dont le site dit « le Caillau », jusqu’e 1861, aux descendants de la seigneurie du Marquis d’Aguilar. Cette famille, depuis 1675, régnait sur le territoire de Mosset jusqu’à la révolution de 1789.

    Comme les descendants des d’Aguilar avaient émigré en Espagne en 1793, leurs biens ont été nationalisés et revendus aux enchères. Seuls la forêt et les vacants y ont échappé. Ils ont été attribués à Jean Gaspar d’Aguilar qui avait émigré bien avant la révolution. La commune de Mosset s’est opposée énergiquement à cette décision par voie de justice. Elle s’est ruinée en d’interminables procès jusqu’en 1811.

    Localement, les délits forestiers sont de plus en plus fréquents. En 1806, les deux gardes forestiers de d’Aguilar sont assassinés au lieu dit Ladou. Leurs cadavres sont retrouvés deux semaines plus tard enfouis dans un four à chaux au Coll del Torn. Après enquête et jugements, le bilan est de sept inculpations : deux acquittements, quatre condamnations à 20 ans de fer à Rochefort et un fuyard.

    A la suite des évènements qui s’ensuivirent, les héritiers revendirent ces biens précisés à celui qui fut un grand acteur du monde économique catalan dans les années 1860-1883, le maître des forges Rémi Jacomy qui était le gérant de la Société des Forges de Ria. C’était un véritable capitaine d’industrie qui fut le promoteur d’une dizaine de haut fourneaux à bois et ceci explique l’achat du domaine de Cobazet pour l’exploitation de ses forêts pour la fourniture du bois et du charbon de bois nécessaire à son industrie.

    Le débardage se faisait alors par ce qu’on appelait « le chemin des Traginers » Le Caillau – Cobazet – le col d’el Torn – le col de las bigues – Estardé. Par la suite nous verrons que c’est toujours sur cette rive droite de la Castellane que fut construite la ligne de chemin de fer. C’est ce qui s’appelait alors « le trajet libre » entre le col de Jau et Prades, de par une convention passée entre Jacomy et la commune de Mosset : « Monsieur Jacomy autorise la commune de Mosset et ses habitants à passer à pied, à cheval et en voiture sur le chemin qu’il a tracé sous la condition, à moins d’autorisation spéciale, d’y passer avec des troupeaux, du minerai ou du charbon de bois » (concurrence oblige !).

    Cette convention (Jugement du 16 Juillet 1861) met fin au conflit qui oppose la communauté de Mosset aux d’Aguilar depuis des siècles. On sait que les habitants pouvaient prélever du bois de chauffage et de construction et défricher les vacants sur tout le territoire de la baronnie. Ce droit global sur tout le territoire est transformé par cantonnement : Jacomy est affranchi de toute servitude sur la partie haute de la forêt (sauf le droit de passage indiqué ci-dessus). La commune devient propriétaire des vacants et de la partie basse de la forêt, c’est-à-dire, grosso modo, de tout ce qui est au-dessous d’une ligne qui va du col de Jau à Estardé.

    Ensuite l’évolution technique et économique fait que les sociétés de Rémi Jacomy sont en faillite en 1882 et tous ses biens sont finalement vendus aux enchères en 1883.

    Commence alors une autre aventure pour les habitants de la vallée de la Castellane : précédemment, c’était l’exploitation du bois de ses forêts qui primait. Avec l’achat, le 4 juin 1883 par le Baron de Chefdebien c’est la grande aventure de l’exploitation de la carrière de talc qui commence. Le talc, tiré de cette roche tendre appelée « stéatite » servait aux usines de Chefdebien pour élaborer, en tant que matériau de charge, la fameuse poudre cuprique CCD (carbonate de cuivre déployé) utilisée pour combattre le mildiou. Plus tard l’arrivée des fongicides de synthèse fit tomber celle-ci dans l’oubli, mais pendant des décennies ce furent, avec le soufre pour combattre l’oïdium, les produits vedette de la pharmacopée viticole !

    Commence alors l’éreintant travail de la mine : dans le journal des Mossétans, nous suivons l’évolution de ce chantier. Qui étaient ces travailleurs de la carrière de talc, ces mineurs qui provenaient de Mosset de Campôme mais aussi des Italiens et des Espagnols ? De 4 à 7  ouvriers en 1887, ils sont de 14 à 20 en 1900 et une quinzaine en 1937. Voici rapidement esquissées leurs conditions de travail. Ils travaillaient du lundi matin 6 heures jusqu’au samedi soir 18 heures. Ils passaient donc le dimanche à Mosset qu’ils quittaient à pied le lundi vers 2-3 heures du matin pour arriver à Cobazet. Là, une petite locomotive à vapeur dont nous reparlerons les amenait au Caillau qui servait alors de dortoir et de cantine, par conséquent, le Caillau portait le nom de « maison des mineurs » (à l’inverse des bâtiments de Cobazet, dont on ne trouve pas l’année de construction, cette « maison des mineurs », fut construite en 1870). Ces mineurs étaient soumis à de conditions de travail draconiennes, un quart d’heures de retard à l’arrivée sur le chantier et c’était la perte d’une demie journée de salaire.

    Ils extrayaient ce minerai, la stéatite, et le chargeaient sur des wagonnets tirés par les vaches, sur la voie ferrée à voie étroite qui l’amenaient au Caillau, ensuite c’étaient les chevaux ou  des mulets qui prenaient le relais pour l’amener à Estardé. Par la suite, le Baron s’équipa de cette petite locomotive à vapeur fabriquée par Decauville et qui fut pompeusement baptisée « stéatite ». En 1950 la carrière fut fermée et elle fut rapatriée aux établissements de Chefdebien à Perpignan puis vendue à la ville de Perpignan en 1954.

    Le talc était transporté à Prades par la route sur les chariots tirés par des bœufs. Le baron de Chefdebien a expérimenté plusieurs autres moyens de transport, sans succès, par plan incliné au-dessus de Campôme, puis par câble entre Cobazet et la Forge haute jusqu’en 1950 environ.

    Etienne Margaill, ancien mineur, mémoire vivante de ce qui fut la grande aventure de la carrière de talc, a les yeux qui brillent lorsqu’il évoque la descente vers l’Estardé, juché sur la cargaison de ces wagonnets tirés par un mulet et dont on pensait qu’ils allaient verser d’un moment à l’autre dans le ravin, car les déraillements étaient monnaie courante, ainsi que le relate un rapport de la gendarmerie de Prades lorsqu’un ouvrier fut blessé après une chute alors que le préposé au serre-frein n’était pas intervenu assez tôt !!!

    Les mineurs de cette carrière de talc vécurent des moments très forts au cours de la guerre 39-45. Pour échapper au STO (service travail obligatoire) beaucoup de jeunes gens s’embauchaient comme mineurs, ce qui les dispensait de partir en Allemagne, et ipso facto beaucoup faisaient partie du maquis. Plusieurs de ces maquis cohabitaient dans la région du col de Jau, et le 12 août 1944 il y eut une rencontre, au Caillau, entre les différentes sensibilités des mouvements de la Résistance pour mettre au point le programme de la Libération. Y étaient, entre autres, les guérilleros FT¨P (Francs-tireurs et partisans) qui vivaient à la Moulinasse, en bas du col de Jau, après leur départ de Valmanya à la suite de l’attaque du village par les Allemands et c’étaient des combattants redoutables qui s’étaient endurcis au combat pendant la guerre d’Espagne.

    Ici, il convient de relater le drame arrivé au curé de Mosset, Isidore Pailler. Ce prêtre, d’origine espagnole, et soupçonné de sympathies franquistes, fut abattu à la Moulinasse et non au Caillau comme la vox populi le relate parfois : quelles en sont les raisons ? Des Mossetans livraient des vivres aux maquisards, ce prêtre, embusqué derrière la moustiquaire, prenait les noms, pour cela il fut arrêté et amené à la Moulinasse. Là, les avis divergent, certains disent qu’il fut jugé sommairement et fusillé et d’autres parlent « d’accident » !! Il aurait été confié à la garde d’un jeune maquisard, aurait tenté de s’enfuir et abattu au cours de cette tentative… Aucune guerre n’est propre !!!

    A la fin de la guerre, ce fut la Société des mines de Carmaux, qui continua quelques temps l’exploitation de la carrière mais, en Ariège, à Luzenac une autre carrière de talc signait l’arrêt de mort du Caillau et ce fut la fin du talc de la Castellane, un bail emphytéotique de 99 ans ayant été signé, ceci bien sûr pour éviter toute concurrence.

    En 1956, La famille de Chefdebien décide alors de vendre le domaine. Celui-ci fut proposé à la Mairie de Mosset. Le conseil municipal se réunit  et c’est par une seule voix de différence à la suite du vote que cet achat fut refusé ! Ce fut alors la Caisse Centrale des Assurances Mutuelles Agricoles qui s’en porta acheteur (tout organisme d’assurance se doit d’avoir dans son patrimoine de quoi pouvoir répondre aux éventuels sinistres). Ce fut le Directeur Général, Monsieur Jacques de ROQUELAURE qui mena toute l’affaire et fit attribuer 3 parts  aux caisses locales de Prades, d’Ille et de Vinca et ipso facto, ce fut la caisse départementale qui en devint le gérant. Ce fut d’abord l’exploitation des forêts par l’ONF, qui fut ensuite confiée à la COFOPYR pour revenir à l’ONF, celle-ci particulièrement efficace pour la gestion de la chasse. Il convient de signaler que grâce, entre autres, à Jean Maurice MESTRES, il y a une excellente collaboration entre les chasseurs et le propriétaire des lieux.

    Par contre, un autre bail emphytéotique avait été signé entre Groupama et la Mairie de Mosset  pour les bâtiments du Caillau et une petite bande de terre y attenant, ceci pour la somme de 1euros par an. Ceci étant une côte mal taillée, l’Assemblée Générale du 30 octobre 1998, sous la Présidence de Roger PAILLES, décidait de vendre le refuge du Caillau à la commune de Mosset.

    Voici rapidement brossé l’historique du domaine de COBAZET, cette perle de notre pays, très chère aussi bien aux habitants de Mosset, qu’à tous les catalans ainsi qu’aux amoureux de nature et de randonnées et j’espère que nous ne verrons jamais des capitaux étrangers venir s’en emparer !!!

    Merci à Etienne MARGAILL, Jean PARES, Jean-Maurice MESTRES, Pierre CAILLIS dont je n’ai fait que retracer les paroles ou les écrits.

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  • Commentaires

    1
    Lundi 7 Mars 2016 à 09:39

    Histoire, digne d'habiter les mémoires, mais que les cascatelles de la Castellane ne racontent pas... Ne disait-on pas que l'actuel propriétaire veut empêcher les randonneurs de passer, les privant, par là-même de cet accès au Madrès ? Est-ce toujours d'actualité ?   

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