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Par gibirando le 8 Avril 2023 à 07:33
A la télévision, mon épouse regarde parfois cette émission de Nagui qui s’intitule « N’oubliez pas les paroles ». Alors bien sûr, même si je n’aime pas cette émission, je respecte ses choix télévisuels. Quand je regarde du foot, j’ai conscience que les miens ne sont sans doute pas mieux et peut-être même pires ! Si j’en crois ce que j’en lis sur Wikipédia, c’est ce que l’on appelle une émission « culte » puisqu’elle a commencé en 2007 et perdure depuis, soit déjà 16 ans. Toujours dans cette encyclopédie, il est indiqué qu’elle est l’adaptation d’une émission américaine qui s’ intitulait « Don’t Forget the Lyrics ! » et qui là-bas n’a duré qu’un peu moins de 4 ans. Son but ? Se souvenir de paroles de chansons et gagner de l’argent. Enfin quand je dis de l’argent, il n’y a pas que le micro qui soit en argent, car ici c’est plutôt des sommes folles puisque chaque soir c’est 40.000 euros que les candidats peuvent être amenés à gagner. Ils les gagnent parfois. Un jeu d’argent quoi ou connaître quelques chansons peut en terme de tarif se comparer à quelques buts marqués par Mbappé ou Messi ! Choquant quoi ! Indécent même !
Alors si j’écris cette rubrique, c’est parce que je n’aime pas cette émission et que j’ai envie d’écrire pourquoi. Attention, je ne dis pas que c’est la pire, loin s’en faut, mais sous ces faux-airs d’émission sage, ludique, doucereuse, culturelle et parfois carrément larmoyante (car gagner des millions d'euros c’est comme éplucher des oignons ça fait souvent pleurer ! ), elle rassemble à elle seule tout ce qui m’horripile de la télévision et méprise de la société dans laquelle nous vivons. Attention, je précise aussi que ce n’est pas pour autant que je n’aime pas certaines chansons et chanteurs. Là, n’est pas le problème.
Mais je retrouve dans cette émission ( mais il y en a bien d’autres !), l’abêtissement inéluctable de l'humain que le philosophe allemand Günther Anders redoutait déjà en 1956 dans une de ses réflexions prémonitoires. C’est une amie qui m’a envoyé et rappelé ce texte il y a quelques jours. Qu’écrivait-il ? : « On diffusera massivement, via la télévision, des divertissements abrutissants, flattant toujours l’émotionnel, l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon avec un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de s'interroger, penser, réfléchir…..Comme anesthésiant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité, de la consommation deviennent le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.» Alors certes ce philosophe a toujours été réputé pour ses exagérations, mais force est de reconnaître que c’est malheureusement la société que l’on connaît désormais ! Internet étant venu s'ajouter à la télévision pour amplifier ce phénomène !
D’abord, il suffit de regarder cette émission pour constater qu’elle est réglée comme du « papier à musique » et cette expression que j’emploie à raison est faible. Ainsi, chaque soir, comme un bourrage de crâne qu’il connaît et répète par cœur, Nagui emploie toujours les mêmes mots, je pourrais presque dire toujours le même refrain, la même sérénade, la même rengaine. Après sa litanie répétitive concernant les différents gains possibles de 1.000 à 20.000 euros, tous les participants à l’émission crient « VINGT MILLE » comme si la somme en question les concernait tous ! Idem quand il s’agit d’hurler « N’oubliez pas ……LES PAROLES ! ». Idem par exemple, quand c’est à la publicité de passer ; car l’émission n’existe que grâce à cela ; Nagui crie « ÇA ! » et à cet instant précis tout le monde reprend en cœur le fameux pronom démonstratif, son index se transformant en une baguette magique auprès d’un auditoire docile car bien dompté. Oui, s’il y a bien un seul « maestro » dans cette émission, c’est bien Nagui ! Son auditoire ? Quelques jeunes gens assis sur une estrade tels des perroquets dans une cage dont la seule raison d’être là (or mis peut-être une petite enveloppe !) est la même que celle du cerveau des volatiles, à savoir répéter bêtement puis se balancer et se trémousser aux sons de quelques paroles sans grande cohérence le plus souvent voire carrément débiles quelquefois. Car, il ne faut pas se leurrer, toutes les chansons françaises n’ont pas été écrites par Brel, Ferrat, Brassens, Ferré, Trenet, Cabrel voire par Pierre Delanoë, Jean-Loup Dabadie ou Louis Amade. Non, toutes les chansons sont « bonnes » à passer dans cette émission, de la pire à la plus aboutie. C’est ainsi mais « N’oubliez pas les paroles » n’est pas une émission spécialement culturelle ou alors il faudrait remplacer les paroles des chansons par quelques vers de nos plus célèbres poètes que sont Hugo, Rimbaud ou Du Bellay par exemple. Alors certes, l’Audimat tomberait et il n’y aurait pas 3 millions de téléspectateurs devant leur écran tous les soirs mais à la longue toute la société française ; et la jeunesse en particulier ; y gagnerait probablement en intellect ! Mais comme aurait dit La Palice si le but n’est pas là c’est bien qu’il est ailleurs. Gagner de l’audimat, c’est gagner du fric et peu importe si l’émission est un matraquage stéréotypé, déficient intellectuellement, indécent en terme d’argent à gagner et avilissant à mon goût.
Alors si je ne disconviens pas qu’il faut de la mémoire pour gagner beaucoup d’argent ; mais c’est souvent le cas (voir la liste de tous les gagnants ayant gagné plus de 100.000 euros sur Wikipédia) ; comme le dit si bien Nagui chaque soir, une chanson c’est quoi ? 200 ou 300 mots à connaître par cœur ? Oui, c’est ça ! C’est-à-dire qu’une personne comme Margaux qui a gagné 530.000 euros en 59 victoires, elle a peut-être su chanter 10.000 à 15.000 mots maximum pour en arriver là, soit peut être une moyenne de 35 à 40 euros le mot. C’est le tarif fourchette très élevée d’une heure d’une femme de ménage qui elle travaillera toute sa vie sans pour autant arriver à gagner ce que Margaux a gagné en l’espace de 2 mois ! « Tant mieux pour Margaux et tant pis pour les femmes de ménage, elles n'ont qu’à apprendre des chansons par cœur » diront certains. Pas si facile que ça le raisonnement !
Quand j’entends Nagui dire à un candidat « le travail paye », je ne partage pas son avis et en tous cas pas ici le mot «travail». Depuis que dans ma jeunesse j’ai lu « Germinal » de Zola, j’ai toujours pensé que la vraie définition du mot « travail », c’était au pire d’aller au charbon et au minimum de se lever chaque matin avec la volonté d’aller bosser, de créer, d’enseigner ou de produire quelque chose comme le Larousse le laisse entendre dans sa définition . En tous cas, c’est ce que mes parents m’ont appris, c’est ce que j'ai fait pendant 40 années et c’est ce que j’ai essayé d’inculquer à mes deux enfants. Apprendre 5, 6, 7 à 8 centaines de chansons par cœur, n’est-ce pas plutôt un plaisir ? Un agréable divertissement ? Un passe-temps ? Une récréation ? Un amusement ? Un amusement où certaines personnes à la « mémoire absolue » ou presque ont cru bon de s’engouffrer pour gagner beaucoup d’argent en un minimum de temps. Je les comprends et n’ai rien contre eux que ça soit clair. Et oui avoir « une mémoire absolue » n’est pas donné à tout le monde. Les scientifiques rajouteraient qu’il y a peu de personnes qui ont une mémoire eidétique. Certains ont tellement compris qu’ils avaient découvert un filon qu’ils ont changé de métier comme Hervé ou Margaux, préférant le milieu du spectacle à leurs premières orientations, pourtant à priori très enrichissantes. Ce qui tendrait à prouver qu'après être passé à la TV, leur façon d'appréhender le travail, la société, la vie quoi, a changé, confirmant ainsi cette euphorie et cet émotionnel qu'évoque Günther Anders.
Alors les plus grands gagnants sont devenus des « maestros ». Ils se produisent sur scène et donnent des concerts dans les plus grandes salles d’Europe comme les Zénith par exemple. Ma crainte, au regard de l’ampleur que prend cette émission ne plus en plus « monopolisante » le soir à 21 heures, c’est que bientôt cette définition du mot « maestro » entre dans les dictionnaires comme « gagnant du jeu N’oubliez pas les paroles », donnant ainsi une même résonance que celle attribuée aux plus éminents compositeurs classiques et aux plus grands chefs d’orchestre de notre planète et de notre Histoire.
Oui, outre le fait qu’elle est trop récurrente, qu’il y ait trop de publicités (mais malheureusement la TV ce n'est plus que ça aujourd’hui !) voilà pourquoi je n’aime pas cette émission.
Même si j’évite de la regarder, il m’arrive de l’entendre quand mon épouse la regarde et quand je sais que parfois les gains vont à des associations caritatives, je me dis que c’est pas mal et que ça compense un tout petit peu tous ses défauts. On pourrait faire des jeux plus culturels et donner également les gains à des associations reconnues d'intérêt général. Mais non, le pli de l'abrutissement des masses est pris et il semble que ça soit trop tard pour que cette machine folle qu'est souvent la télévision fasse marche arrière. Quand je la regarde, ce qui m'arrive, je la subis moi aussi !
Euh…….J’espère que je n’ai rien oublié ?
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