Autant que je m'en souvienne, il me semble que ce Tour du Capcir a pris forme lors d’une conversation téléphonique avec mon fils Jérôme. A brûle-pourpoint, Jérôme m’a dit, j’ai un couple d’amis qui aimerait venir marcher dans les Pyrénées-Orientales et de préférence en montagne dans le Capcir, alors serais-tu partant pour l’organiser et le cas échéant venir avec nous ? Je suppose que Jérôme gardait encore en mémoire le Tour des Fenouillèdes que j’avais organisé (non sans mal !) sur 5 jours deux ans auparavant. Jérôme et son ami Fred étant déjà venus faire du VTT dans la région Cerdagne-Capcir l'année suivante, sans doute voulaient-ils revenir pour une randonnée pédestre ? Oui, je crois que c’est sur ces bases-là que tout a démarré même si la mémoire peut me faire défaut.
Pourquoi ce titre de « La Balade de Blek le Roc » ?
Pourquoi ce titre avec ce nom Blek le Roc ? Vous ne l’apprendrez bien sûr qu’en lisant ce long récit et en tous cas la première étape.
Préambule
11 septembre 2013, 9h20, nous entrons dans le joli petit village de Matemale. Depuis Saint-Estève, voilà presque une heure trente que nous roulons direction le Capcir. Si nous sommes là, Cathy, Fred, Jérôme et moi, c’est justement pour découvrir cette belle région : le Capcir. Notre dessein est de le découvrir en marchant et dont en effectuant son tour : le Tour pédestre du Capcir. Selon les différentes variantes empruntées, il peut être réalisé en 5 à 6 jours. Nous souhaitons lui en consacrer quatre. Cathy et Fred sont un couple d’amis à mon fils Jérôme. Un couple charmant, d’une grande gentillesse et des passionnés de sports et de voyages, qui comme moi, sont des amoureux de la Nature. Découvrir la nature en faisant un peu de sport, c’est bien l’objet que nous nous sommes fixés en voulant accomplir ce Tour pédestre. Selon les desideratas de mes compagnons puis avec l’assentiment de Jérôme, je l’ai programmé sous la forme de 4 étapes et donc en 4 jours. Personnellement, j’aurais préféré 5 jours, pour réduire un peu les étapes et par là même les difficultés, mais mes partenaires ne pouvaient pas. Normal, eux ont 20 ans de moins que moi et ils bossent et de ce fait, ils ont d’autres obligations que moi je n’ai pas. Je suis à la retraite depuis 5 ans et marcher, je pourrais presque dire que je n’ai que ça à faire. Le première étape, doit nous mener de Matemale à 1.500 m d’altitude jusqu’au refuge de la Font de la Perdrix, minuscule abri du Club Alpin Français situé lui à 2.312 m au pied du pic du Madres qui lui est un peu plus haut à 2.469 m. Selon le tracé réalisé sur mon logiciel CartoExploreur au format carte I.G.N top 25 c’est une quinzaine de kilomètres qu’il nous faudra accomplir. Depuis ce refuge, la deuxième étape de 17,600 km consistera à atteindre le Madres puis après une longue descente de son flanc ouest, à rejoindre Rieutort (1.517 m), un hameau situé près du barrage et du village de Puyvalador. J’ y ai réservé des chambres au gîte Le Moulin. Le but de la troisième étape, la plus longue de toutes avec 28 km est de rallier le lac des Bouillouses par la superbe Vallée du Galbe et les étincelants « estanys » des Camporells. Là, aux Bouillouses, j’ai retenu une nuitée en demi-pension à l’hôtel des Bones Hores (2.035m). Enfin, la dernière étape consistera à regagner Matemale par le lac d’Aude (2.130 m) puis par la station de ski du Pla del Mir et Les Angles (1.630 m) soit environ 20 km mais un peu plus si on envisage une visite du village. D’après les différents relevés que j’ai fait de l’itinéraire, ces 4 étapes, c’est donc environ 80 kilomètres à parcourir et au bas mot 4.500 mètres de montées cumulées. Autant l’avouer, j’appréhende un peu ce parcours car même si mon entraînement estival m’a amené à accomplir de nombreuses randonnées donc quelques unes assez difficiles comme l’ascension du Mont Coronat (2.172 m), le Balcon de la Coumelade (1.808 m) ou le Pilon de Belmatx (1.280 m), les 20 ou 25 ans de différence d’âge qui me séparent de mes trois « compères » seront sans doute là à chaque ascension et peut-être même dès la première déclivité d’importance. J’en suis conscient. Et puis, à bien y réfléchir, tout ce que j’ai pu accomplir, c’est un peu de la « gnognotte » au regard des 4 jours qui m’attendent car j’ai toujours tendance à flâner plutôt qu’à marcher quand je suis seul. Là, en groupe, la situation ne sera plus la même et je ne pourrais pas me permettre de ralentir exagérément mes compagnons. C’est donc dans cet état d’esprit que je suis quand je gare ma voiture sur le parking au centre du village de Matemale, me posant cette question qui me taraude : vais-je tenir le choc face à ces trois jeunes « flèches » ? Une fois la voiture garée, l’indispensable harnachement de mon gros sac à dos et la nécessité de me vêtir de la manière la plus confortable possible me font aussitôt oublier ces quelques tourments que je rumine depuis quelques semaines. Mais je ne me fais aucune illusion, ils reviendront à la première occasion et la première occasion, elle va se présenter dès aujourd’hui. Ici, à Matemale, quelques panonceaux de randonnées ont déjà été repérés et de toute manière, je ne suis pas inquiet car je connais la direction du départ pour y être déjà venu accomplir une jolie petite balade à la Tour de Creu et autour du magnifique lac de barrage.
Alors voilà comment se sont passées ces 4 étapes. Enfin ce que ma mémoire en a gardée, bien aidée il est vrai par les nombreuses photos que nous avons prises.
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2eme étape – 12 septembre 2013 : du Refuge de la Perdrix (2.312 au gite Le Moulin à Rieutort (1.517 m) soit 17,600 km pour un dénivelé de 1.080 m et des montées cumulées de 790 m. Point culminant : Le Madres (2.469 m) – Point le plus bas : Le pont de la Farga (1.400 m)
Bien que Fred et Jérôme aient alimenté le poêle au maximum et le plus longtemps possible, dès lors que l’on a cessé de l’entretenir, la température a rapidement chuté. La nuit est glaciale mais heureusement nous avions prévu cette éventualité. Les sacs de couchage plus des vêtements chauds sont suffisants pour ne pas avoir trop froid. En tous cas, je ne grelotte pas et seules les extrémités de mes mains et de mes pieds réclament plus de chaleur malgré deux paires de gants, deux paires de chaussettes et des petites bouillottes portatives mais malheureusement éphémères dans la durée. Mais connaissant bien cet inconvénient circulatoire sanguin qu’on appelle « froideur des extrémités », je sais qu’il n’y a pas grand-chose à faire de plus, si ce n’est juste à surveiller dans le cas de nouveaux symptômes ou si les anciens s’amplifient. J’ose espérer que mes compagnons n’ont pas ce problème. En pleine nuit, un besoin urgent m’envoie hors du refuge et je suis assez surpris de constater qu’il ne fait guère plus froid dehors qu’à l’intérieur du refuge. Le vent est presque complètement tombé et seule une brise légère balaie la crête. Le panorama est incroyable et si ce n’était pas la faiblesse de la température, je resterais sans doute bien plus longtemps à observer cette grandiose et merveilleuse splendeur. Eclairée par un croissant de lune, une longue chape nuageuse rougeâtre s’étend devant moi, si ce n’est à perte de vue au moins jusqu’à la Méditerranée que j’aperçois comme une tache bien plus claire par rapport au reste de l’horizon bien plus sombre. Ce reste d’horizon, j’imagine qu’il s’agit sans doute des Albères et de la Plaine du Roussillon. Sous cette longue ouate nébuleuse, le ciel est très clair dévoilant la silhouette des principales montagnes que je connais et qui paraissent bien plus proches : Canigou et Coronat au premier chef. De toute la Plaine du Roussillon et venant du sol, en tous cas de sa partie visible, des millions de scintillements jaunâtres semblent s’ajouter à cette clarté céleste. C’est très beau et pendant un instant, l’éventualité d’aller chercher mon appareil photo pour figer ce spectacle me vient à l’esprit. Mais non, je préfère rester là à contempler et surtout je ne veux pas réveiller mes amis et je zappe aussitôt cette idée. En contrebas, le lac d’Evol me démontre que sa réputation de « Gorg Negre » n’est pas usurpée. Seul un faible croissant de lune se reflète dans ses eaux noires. Quand un nuage cache cette tranche de lune, plus rien ne luit à sa surface et tel un puits sans fond, seul le contour de ses rives boisées encore plus sombres que lui reste visible. Pour quelqu’un croyant à toutes les sornettes que l’on raconte à son propos, cette vision ténébreuse et plutôt sinistre rajouterait sans doute encore un peu plus de phobie. Moi pas. Si j’ai toujours aimé les légendes pour leurs côtés mystérieux, leurs aspects trop souvent mystiques me font plutôt rigoler. C’est le cas ici où les fables les plus farfelues, sources de profondes terreurs auprès des gens du pays sont paraît-il légions : « jeter un pierre dans ses eaux engendrerait une tempête…., les truites pêchées seraient des démons qui s’enfuiraient par les cheminées dès lors qu’on tenterait de les faire cuire…., d’incroyables trésors y seraient enfouis et tenter de les récupérer serait synonyme d’orages funestes….., ses fonds lugubres seraient le palais des diables…..des fées et des sorcières seraient à l’origine de la création des trois lacs, etc….. ». Voilà en résumé ce qu’il se raconte du « Gorg Negre » et parfois des deux autres lacs que sont le Gorg Estelat et le Gorg Bleu. Ce n’est donc pas l’appréhension qui me fait réintégrer le refuge mais seulement le froid que je trouve bien trop cinglant. Cette froidure me rappelle qu’un chaud duvet m’attend à l’intérieur. J’oublie très vite cette vision lugubre du lac et Morphée m’entraîne vers elle avec essentiellement ces superbes et étranges tableaux enluminés que j’ai eus devant les yeux. Le plus grand des bonheurs est d’avoir pu observer un panorama aussi lointain et dégagé, chose que nous n’avons jamais pu avoir depuis notre arrivée sur cette crête des Gourgs. En effet, l’horizon a été désespérément bouché par du brouillard ou des nuages qui passaient tels de longs chapelets sans fin. Dans ma tête, je me dis que c’est peut-être les premiers indices d’une météo bien plus clémente que celle que nous avons connue hier et je m’endors avec cette bienheureuse espérance. Vers 8 heures du matin, le froid bien plus vif encore que dans la nuit me réveille. Personne n’est encore debout, alors je reste longtemps blotti dans mon duvet à chercher en vain un peu de tiédeur. Le pire est toujours au bout de mes membres et j’ai l’impression que je ne sens plus leurs extrémités. J’attends que mes compagnons se réveillent complètement car j’en entends certains se tourner et se retourner dans leurs sacs de couchage cherchant sans doute eux aussi un peu de chaleur. Avec le bout de tous mes doigts aussi réfrigérés et n’y tenant plus, je me lève le premier et je vois que Fred est réveillé lui aussi. La tête complètement dissimulée sous le capuchon de son sac, seul son visage apparaît et dans cet accoutrement, il ressemble à un papillon voulant s’extraire de sa chrysalide. Je sors du refuge car pour réveiller mes pieds endoloris par le froid, il faut nécessairement que je marche un peu. J’emporte mon appareil photo avec moi car j’espère que le spectacle sera aussi beau que celui aperçu cette nuit. Mais si les vues sont presque aussi lointaines toutes les couleurs ont disparu. La chape nocturne rougeâtre est désormais d’un bleu grisâtre plutôt terne et peu de lumières scintillent au loin. Seul l’horizon a de jolies nuances hésitant entre le rose et le gris. Mais je continue à trouver ça beau car dans ce jour naissant, mon regard est désormais attiré par la surface du Gorg Negre qui commence à miroiter sous les premières lueurs de l’aube. Il n’a plus rien de semblable avec le lac noir et mystérieux que j’ai observé cette nuit. Il est devenu le lac d’Evol. Tout comme hier matin à Matemale, le ciel est scindé en deux, mais cette fois les rôles sont inversés. Devant le refuge, le Conflent est chapeauté de nombreux nuages, certains très longs, gris ou blancs et d’autres plus petits et épars selon la direction dans laquelle je regarde. Derrière, c'est-à-dire vers le Capcir, un ciel encourageant semble hésiter entre un bleu dur très prometteur et un blanc laiteux que les premiers rayons du soleil ont du mal à colorer. Une fois encore, la direction à prendre est celle du beau temps et c’est encourageant même si hier je m’étais fait la même réflexion mais sans la réussite escomptée. En entrant dans le refuge, je suis néanmoins ravi d’annoncer cette excellente nouvelle à tout le monde. Fred a pris la peine de rallumer le poêle et une agréable chaleur commence à envahir la pièce. Jérôme est réveillé mais il est toujours perché sur son bat-flanc supérieur, déjà occupé à ranger son couchage. Cathy est attablée et a entamé son petit déjeuner. Grâce à des petites boîtes de lait sucré, quelques galettes moelleuses et un jus de fruit, le mien est vite expédié et aussitôt après je me met à ranger mes affaires et mon sac à dos. Tout le monde fait de même et après un peu de ménage vite bâclé, nous sortons du refuge en file indienne, direction le pic du Madres. Un petit vent glacial s’est levé et avant de démarrer, nous jugeons utile d’enfiler nos gants et de nous encapuchonner dans nos vestes. Pendant un instant, nous longeons le bord du cirque au fond duquel nous apercevons le petit Gorg Blau (Lac Bleu) et celui plus vaste et en forme de haricot du Gorg Estelat que l’on appelle plus communément le lac de Nohèdes ou Lac Etoilé. Ces décors ne me laissent pas indifférent. Je m’arrête un instant. En regardant ce dernier lac et ses rives, les souvenirs de ma deuxième étape sur le Tour du Coronat de 2007 émergent de ma mémoire : mon arrivée avec un groupe de vététistes espagnols, masculins et féminins. Ils avaient galéré dans les tourbières pour trouver le lac et je leur avais dit de me suivre pour accomplir les derniers mètres. Ils m’avaient demandé de les photographier avec vue sur le lac. Puis nous étions partis dans des directions opposées. Eux avaient pris la direction de l’ancien canal de Jujols alors que moi, j’avais décidé de faire le tour du lac pour partir à sa découverte. Avec mon gros sac à dos, je me souviens avoir galéré comme jamais dans les énormes pierriers de sa rive nord. Je me souviens aussi des couleurs extraordinaires que les rhododendrons roses et les flamboyants genêts composaient en se reflétant dans les eaux calmes du lac bleuté. Bleu, rose et jaune, cette incroyable palette de couleurs est toujours restée dans ma tête comme une des plus belles images de ce Tour du Coronat. Sur la rive ouest, là même où les eaux du Gorg Blau se déversent, j’avais trouvé une petite grève de sable fin avec une eau si limpide que je n’avais pas pu résister à y faire un peu de toilette. La toilette s’était rapidement transformée en une baignade dans le plus simple appareil. Un bain ô combien glacial mais nécessaire et qui m’avait définitivement revigoré et mis en forme pour le restant de la journée. Cette deuxième journée s’était poursuivie vers le lac d’Evol, le col du Portus et retour à Jujols, d’où j’étais parti la veille au matin. C’était mes deux premières étapes de ce Tour du Coronat qui allait en compter six et que j’avais intitulé « Des Merveilles au pays d’Alysse » à cause de l’ « Alyssum pyrenaicum » ou Alysson des Pyrénées, cette fleur relictuelle que l’on ne trouve que dans les falaises du Mont Coronat et nulle part ailleurs dans le monde. Les botanistes qui adorent le latin et les mots compliqués lui ont donné le nom de « Hormathophylla pyrenaica ». Voilà ce que ces deux lacs me rappellent à cet instant : des moments d’une randonnée solitaire mais merveilleuse et de surcroît avec quelques rencontres qui l’avaient rendu inoubliable. Des moments à la fois de joie et de solitude où l’on peut se remettre en question ? Qu’ai-je fait de bien et de mal ? Je me remets en route. Le lac disparaît soudain de mon regard et avec lui mes vieux souvenirs. Mes compagnons ont déjà pris pas mal d’avance. Sur la crête caillouteuse, le Madres fait son apparition avec encore un beau névé accroché à son flanc sud. Je connais bien cet itinéraire pour l’avoir déjà accompli depuis le col de Sansa et en boucle par la Coume de Ponteils et le Serrat de l’Ours. A partir d’ici, la déclivité est plutôt modeste mais dans ma tête, je me souviens de cette belle difficulté rocheuse qu’il y a entre le Roc Nègre (2.459 m) et le Madres (2.469 m) que les montagnards du cru appelle le « Malpas », c’est à dire le « mauvais passage ». Sur la carte I.G.N, elle apparaît sous la dénomination de « Clos Tort », que l’on traduit du catalan en « enclos tortueux ». Ici, les randonneurs sujets au vertige sont priés d’oublier leur indisposition tant le sentier est étroit, abrupt et en équilibre au dessus d’un vide assez impressionnant. Je l’appréhende. J’ai déjà prévenu mes amis mais ça n’a pas eu l’air de les impressionner plus que ça. A l’approche du Clot Rodon, un isard s’enfuit devant nous et prend la même direction que celle que nous allons prendre. Il disparaît dans les rochers. Cathy, Fred et Jérôme amorcent la pente plutôt douce à cet endroit à une bonne cadence alors que mon cœur s’emballe. Mon vieux moteur diesel a un mal fou à trouver la bonne carburation. Il faut dire que la température sans doute proche de zéro ne fait rien pour m’aider et je suis vraiment frigorifié et comme toujours un maximum de froideur au bout de mes mains, de mes pieds mais de mon nez aussi. Telles de fines bougies accrochées à un sapin de Noël, de longs glaçons pendent aux branches de petits pins chétifs, c’est dire si la nuit a été froide par ici. Je suis rapidement largué mais Jérôme s’arrête souvent pour m’attendre mais quand j’arrive à sa hauteur, le voilà qui repart et moi inévitablement, je m’arrête un peu plus longtemps pour calmer mes palpitations. Je monte à mon rythme et ce rythme-là me convient. En outre, je sais qu’après cette ascension du Madres, les descentes prendront le relais sinon jusqu’à l’arrivée au moins jusqu’à Puyvalador. Avant le sommet du Roc Nègre, Cathy et Fred sont là à m’attendre et je m’en veux un peu de savoir qu’ils m’ont attendus dans ce froid et avec ce vent polaire qui nous glacent le corps. Depuis la crête, les vues s’entrouvrent magnifiquement sur une immense partie de l’Aude et de l’Ariège. Depuis notre démarrage, un épais matelas nuageux est monté du fin fond des vallées du Bas-Conflent et c’est soudain immobilisé créant ainsi une véritable mer de nuages. Le plus épais recouvre la Vallée de la Castellane. C’est marrant car en 2007, lors de mon Tour du Coronat, j’avais connu les mêmes phénomènes climatiques lors des deux premiers jours. La première fois à Jujols et la seconde fois au campement de l’Estany del Clot, au bord duquel j’avais passé la nuit sous ma tente. J’étais très longtemps resté scotché à regarder les lents mouvements de cet extraordinaire moutonnement nuageux ressemblant aux flots déchaînés d’un océan mais qu’on aurait cru comme filmé au ralenti. Peu après ce joli spectacle, le fameux passage difficile du Clos Tort se présente. Par bonheur, il s’effectue sans problème et une fois encore, en s’engageant la première, alors qu’elle n’a aucune connaissance des obstacles qui l’attendent, Cathy démontre toute son agilité et la facilité qu’elle a à gravir les passages les plus périlleux sans aucune appréhension. Jérôme passe en second et tout au long de l'hésitante escalade, je le suis quasiment comme son ombre. J’avoue qu’avec mon gros sac, je ne suis pas vraiment rassuré mais en tous cas, je n’ai pas le vertige. Il faut dire que j’évite de m’arrêter pour regarder derrière moi. Fred ferme la marche et une fois les difficultés franchies, il reconnaît lui aussi que ce couloir étroit et très abrupt avec le vide sous les pieds n’est pas si commode que ça. L’arrivée de Fred au sommet est pour moi un vrai soulagement car je sais que nous en avons terminé avec les difficultés, au moins pour aujourd’hui. Pour avoir étudié la totalité du parcours du Tour du Capcir, je n’ai pas connaissance qu’il y en ait d’autres même si à proximité du lac d’Aude, un autre lieu-dit a également pour nom « Malpas ». Du coup, la suite bien plus praticable vers le Madres et son fameux orri est pour moi une quasi promenade. Ce tronçon est d’autant plus agréable qu’en contrebas, côté Vallon de la Balmette et Salt del Bourro, de nombreux isards paissent tranquillement sur les pelouses d’altitude. Voir des animaux sauvages est suffisamment rare pour que l’on passe un long moment à les observer même si le carcanet est toujours là, violent et froid. A cause de ce vent et de la distance, j’éprouve les pires difficultés à les photographier convenablement et ce, malgré la puissance du zoom de mon appareil photo. Il faut dire que la violence du vent ne me facilite pas la tâche car j’ai un mal fou à garder l’équilibre et à ne pas trembler dans mes prises de vues. En arrivant au sommet du Madres et devant l’orri qui le matérialise, je suis surpris d’apprendre que deux hommes, qui bivouaquent encore devant l’entrée, y ont passé la nuit. Sur le moment, je pense qu’avec notre « bon » poêle, nous avons été bien mieux lotis dans notre minuscule refuge. On échange quelques banalités avec eux en grignotant des fruits secs et des barres de céréales puis on immortalise notre arrivée à ce remarquable sommet par une photo de notre petit groupe. Emmitouflés comme nous le sommes, nous ressemblons à des alpinistes au sommet de l’Everest et pourtant nous ne sommes qu’à 2.469 mètres d’altitude. Il faut dire que le Madres, c’est déjà le point culminant de ce Tour du Capcir, alors c’est sans doute un peu notre Himalaya à nous. Il ne manque que la neige. Ce début de matinée venteuse et froide n’est pas étrangère à cette vision des choses mais la journée s’annonce assez magique et en tous cas conforme aux prévisions météo. Le soleil et le ciel bleu semble vouloir s’installer durablement et j’en suis le premier ravi. Les bonnes prévisions ont eu un jour de retard, voilà tout. A aucun moment, je n’ai imaginé qu’un orage puisse survenir. Les mois de juillet et d’août sont déjà derrière nous et pour moi, la saison des orages violents et fugitifs qu’il y a souvent sur ce massif est passée. Il y a quelques années, j’y ai vu tomber des flocons, de manière éphémère il est vrai, mais en plein mois d’août. Les paysages à 360 degrés sont époustouflants même si deci delà quelques nuages épars restent accrochés à des reliefs. En contrebas, sur la Jasse de Guissotte, là même où le Ponteils prend sa source dans les nombreuses tourbières, Jérôme aperçoit d’autres cervidés. On en distingue également sur les crêtes du côté du Col des Gavaches mais avec la distance qui nous en sépare, il est impossible de discerner de quels cervidés il s’agit. Ici, il y a des isards, des cerfs, des mouflons de Corse réintroduits ou bien encore des chevreuils, encore que les chevreuils en troupeau soient assez rarissimes. Tous sont très présents dans ce massif et j’ai même lu dans un récent « Pyrénées Magazine », que le Massif du Madres est le lieu des Pyrénées où les spécialistes en ont recensé le plus : 4.000 cervidés sont présents dans le Capcir selon la revue. Quand au bouquetin des Pyrénées, il y a déjà longtemps qu’il a disparu de nos montagnes, sa chasse ayant eu raison de sa robustesse légendaire. Les bouquetins que l’on pourrait voir ont été réintroduits eux aussi comme les mouflons et les marmottes, celles visibles étant d’origine alpine et réintroduite en 1948. Oui, le Massif du Madres est un haut-lieu de la faune sauvage et il n’est donc pas étonnant qu’on y ait aperçu des ours, des loups et que les chats sauvages y soient bien présents sans compter bien sûr les sangliers et les renards roux. Nous quittons le sommet du Madres et prenons la direction de son flanc nord-ouest que l’on appelle le Serrat des Clotes. Le sentier tout en descente est très bon et file agréablement au milieu d’une végétation rase faite de minuscules bruyères et de graminées naines. Ici, les seuls arbres sont quelques pins rabougris très disséminés. Malgré la qualité du sentier peu caillouteux et tout en descente, une fois encore je suis décroché, d’abord parce que Cathy marche à un rythme incroyablement rapide mais surtout parce que le petit vent glacial qui balaie la montagne me fait constamment pleurer. Mes yeux larmoient sans cesse et de ce fait, je suis dans l’incapacité de voir où je mets mes pieds. Jérôme qui s’arrête régulièrement pour m’attendre ne comprend pas pourquoi je marche si lentement et je suis contraint de lui demander de s’arrêter pour lui expliquer. Après les avoir freinés dans les montées, voilà que maintenant je les retarde aussi dans les descentes. Je m’en veux. A la fin d’un dôme herbeux, le grand « V » bleu du lac de Puyvalador fait son apparition au fond de la verdoyante vallée de l’Aude. Au dessus de cette profonde vallée, les forêts domaniales étalent leur longue toison olivâtre. Un peu plus haut encore, tout n’est que minéralité. Devant nos yeux contemplatifs et dans une succession sans fin de sommets plus ou moins hauts, la chaîne pyrénéenne forme l’horizon. Parmi les quelques sommets que j’ai eu l’occasion de gravir, seule la pyramide du Carlit est vraiment reconnaissable. L’été est passé et a fait disparaître la quasi totalement des névés et seules quelques neiges éternelles subsistent anarchiquement sur les parties les plus élevées et les plus ombragées sans doute. Après être entrés dans une zone d’estives où quelques vaches somnolent, nous coupons une piste. Ici, les prairies essentiellement herbeuses laissent un peu de place à de petits bosquets plantés de pins. Un panonceau indicatif mentionnant Espousouille à 3h20 nous donne une petite idée du temps de marche approximatif restant. A cette altitude, quelques plantes fleuries font de la résistance. Après la grisaille d’hier, c’est un plaisir de découvrir quelques touches de couleurs : le rose des épilobes et de quelques gros chardons, la blanc ou le mauve d’œillets de Montpellier magnifiquement dentelés, le jaune et le bleu des aconits. Le sentier est plus caillouteux mais paradoxalement il file dans des décors plus charmants car moins monotones. Cathy vient d’arriver la première au petit abri du Refuge Oller (1.630 m) et elle semble bien décidée à poursuivre quand Jérôme et Fred l’arrêtent dans son élan car il est déjà 12h30 et leurs estomacs doivent certainement crier famine. Le mien aussi. Nous décidons de stopper là pour pique-niquer et pour moi c’est une vraie délivrance car en arrêtant de marcher mes yeux s’arrêtent aussitôt de larmoyer. L’endroit est agréable, herbeux à souhait et en plus les vues en balcon sur la vallée sont superbes. Nous y restons environ une heure, la plupart du temps couchés, car l’herbe est tendre, le ciel est bleu et les rayons du soleil sont suffisamment chauds pour envisager un semblant de sieste. En quittant le refuge Oller, le sentier tout en descente entre immédiatement dans un sombre sous-bois et pour moi, l’aspect agréable est que mes yeux ne pleurent plus. Ici, aux Planches d’en Jaquet, on voit clairement qu’un palier végétatif vient d’être atteint. C’est d’ailleurs l’impression générale que l’on a car tout autour de nous, la forêt est omniprésente. Les bois où nous marchons sont plus denses, les arbres plus hauts avec de nombreux grands résineux mais aussi quelques hauts feuillus. Peu après, on entend le bruit d’un petit ruisseau qui s’écoule et depuis la Font de la Perdrix, c’est le premier « rec » actif que l’on rencontre. Un coup d'oeil sur mon bout de carte et c'est bien le Rec du Roc Mari, escarpement rocheux isolé en forme de protubérance et entourée de pierriers que nous avons longtemps aperçu sur notre gauche. L’étroit sentier s’élargit soudain se transformant en un chemin bien plus praticable lequel devient très rapidement une large piste forestière. Là, nous sommes arrivés en surplomb de la cabane du Bécet (1.560 m). En observant la carte I.G.N, il est évident que quel que soit l’itinéraire que l’on va choisir pour rejoindre Puyvalador, seules des pistes forestières nous attendent et parmi les deux possibles, toutes les deux se terminent sur la digue du barrage. Il y a celle filant vers OdelloRéal et celle dite de Serrallongua que Jérôme a enregistrée dans son G.P.S et qui arrive directement au bord de l’Aude au lieu-dit le Pont de la Fargua. C’est cette dernière que nous choisissons et bien que ne connaissant pas l’autre, autant dire que celle de Serrallongua porte parfaitement son nom. Je la trouve très longue et fastidieuse cette piste et sans doute que je ne suis pas le seul dans ce cas. Comme souvent et pour passer le temps, je photographe tous et n’importe quoi : vaches, fleurs, insectes et papillons, tout y passe. L’arrivée au barrage de Puyvalador réveille quelques récents souvenirs car il y a moins de 15 jours, j’y suis venu avec Dany pour une randonnée consistant à faire le tour de son lac. C’est donc tout frais et je n’ai plus rien à découvrir que je ne connaisse déjà. Seule la météo est plus favorable et le lac un peu plus plein que lors de notre récente venue. Je prends quelques photos. On traverse la digue du barrage, toujours occupée par une ribambelle de martinets puis l’on monte vers le village de Puyvalador que l’on rejoint très rapidement. Ici, pour l’avoir accompli en voiture, je connais la distance qu’ils nous restent à parcourir : 3 kilomètres mais essentiellement sur de l’asphalte et tous les quatre, nous avons horreur de ça. On quitte Puyvalador et sa charmante église en empruntant la petite D.32g se dirigeant vers le hameau de Rieutort. Nous y sommes attendus au gîte Le Moulin. Au travers de grandes prairies et des paysages très amples eux aussi, la petite route est moins lassante que je ne l’avais imaginée. Il faut dire que quelques petits rapaces planant dans le ciel attirent sans cesse l’objectif de mon numérique. Par chance, un d’entre eux se pose sur un pin. 15h50, en entrant dans Rieutort, j’ai le sentiment de pénétrer dans un village qui a été déserté de tous ses habitants. Personne. Tout est silencieux, Seuls le bruit du ruisseau de Cirerol et la gazouillis de quelques passereaux se font entendre. Heureusement, Alex et Sia, les propriétaires du gîte sont bien présents. Ils sont chaleureux et formidables avec nous. Le lieu est charmant et reposant, les chambres sont parfaites et le grand calme que j’avais observé à mon arrivée s’avère être un atout indéniable pour trouver le repos auquel certains d’entre nous aspirent, moi le premier. Après les douches indispensables, Cathy se repose dans sa chambre pendant que Jérôme et Fred profitent des chaises longues du jardin fleuri et ensoleillé. De mon côté, appareil photo en bandoulière, je pars à la découverte du village qui s’avère bien plus grand que je ne l’avais supposé. Il faut dire que si le hameau a vécu un exode rural au milieu du siècle précédent, il n’en a pas toujours été ainsi. La taille de certains bâtiments, école et mairie par exemples, sont là pour prouver que Rieutort a eu ses heures de gloire et un nombre d’habitants bien plus important que de nos jours. La soirée, ponctuée d’un succulent repas avec formule table d’hôtes est des plus agréables. Alex et Sia se mettent en quatre pour nous satisfaire. Alex, en plus de son labeur d'aubergiste, est un fou de nature, moniteur de ski et guide de randonnées à ses heures. C’était un fana de pêche en mer et en rivière et il aime beaucoup la photo. Sur les murs du gîte, on peut découvrir de nombreuses photos relatant ses exploits et ses trophées halieutiques. De ce fait, nous avons de nombreux atomes crochus pour nous entendre et aucun problème pour trouver facilement des sujets de conversation. Sia est plus timide, excellente cuisinière et très captivante également quand elle parle de gastronomie et de la vie au gîte qu’elle semble affectionner. En plus des charmants propriétaires, un couple sympathique s’est joint à nous lors du repas. La femme écrit des romans et de ce fait, les causeries s’en trouvent facilitées. La fin de la soirée tire agréablement en longueur mais pour la plupart d’entre nous, la nuit précédente a été peu réparatrice et l’envie d’aller nous coucher arrive bien plus vite que nous le souhaiterions. Nous pensons déjà à la très longue étape de demain. Ajoutons à cela les 17 kilomètres de l’étape d’aujourd’hui, le bon air du Madres et du Capcir, un bon et vrai lit qui nous attend et tout est en place pour une nuit qui s’annonce bien plus douce et régénératrice que la précédente. 11 heures, la raison l’emporte et nous partons nous coucher car dès le lendemain, la plus longue et plus difficile étape de ce Tour du Capcir nous attend. 28 kilomètres pour atteindre les Bouillouses et surtout une très longue montée par la Vallée du Galbe jusqu’au Camporells. Adorant l’Histoire, la toponymie et n’aimant pas « marcher idiot », autant qu’il est possible, j’ai appris que Les Camporells étaient les « champs des rois ». Ces rois, c’était ceux d’Aragon et de Majorque qui avaient fait du Capcir leur lieu de villégiature et de Formiguères leur résidence d’été. En réalité, le village a surtout servi à soigner l’asthme dont souffrait le roi Sanche 1er, roi de Majorque de 1299 à 1324. Quant aux Camporells, c’était son lieu de prédilection pour venir y chasser les isards, les cerfs et autres chevreuils. Il est mort ici à Formiguères à l’âge de 48 ans. En 1920, le prince Albert 1er de Monaco a, à sa manière, perpétué cette tradition puisqu’il était également un habitué des lieux appréciant le secteur des Camporells qu’il avait loué pour venir y chasser et y pêcher. Avant de m’endormir, je me remets à penser à cette révélation que j’ai eu avec Blek le Roc. A ma mère bien sûr, puisque c’est elle qui m’a permis de lire ces bandes dessinées. Mes pensées s’enchainent les unes aux autres. Ma mère, mon enfance, Blek le Roc. Ma mère est dans un service spécialisé Alzheimer d’une maison de retraite depuis 5 ans déjà et c’est bien rare que lors d’une randonnée sur plusieurs jours, je ne pense pas à elle plusieurs fois. Plusieurs fois et le plus souvent avec tristesse, tant je trouve la fin de sa vie si injuste. L’aspect solitaire de la randonnée et les efforts à accomplir me font souvent sortir de mes pensées habituelles et quotidiennes, et de ce fait, il m’arrive très souvent de songer au temps passé et aux êtres chers qui ne sont plus de ce monde. Ce monde, ma mère n’en fait déjà plus partie. Avec la maladie d’Alzheimer, elle a basculé dans un autre univers. Grâce à elle et depuis hier, le nom de Blek le Roc est revenu à la surface de mes souvenirs. S’il n’est pas revenu dans la journée, c’est probablement parce que l’étape d’aujourd’hui ne présentait aucune difficulté. Désormais, je n’ai plus aucun doute, ce personnage de bande dessinée est définitivement lié à mon amour pour la randonnée pédestre. Je ne sais pas pourquoi, je n’y avais jamais pensé auparavant. Me remémorer tout ça et mon enfance me rend triste car bien sûr ça me renvoie à ma mère et pourtant je suis super heureux d’être là et de marcher avec Jérôme et ses amis Cathy et Fred. Alors j’essaie de penser à autre chose mais les souvenirs bons et mauvais reviennent sans cesse et parfois se chevauchent. Avant de m’endormir, me viennent à l’esprit des questions parfois stupides. Je me demande par exemple si Blek le Roc aurait pu s’entendre avec les rois de Majorque, eux, dont le quotidien était les guerres pour conserver leurs pouvoirs, pour étendre leur immense royaume. Je n’ai pas la réponse. Blek, c’était d’abord un héros au grand cœur, un Robin des Bois à la sauce américaine, un être épris de justice et de liberté dont le seul objectif était de vaincre les Anglais. Les « homards rouges » comme il les appelait à cause de leurs uniformes. Il se battait pour que les Etats-Unis accèdent à leur Indépendance et non pas pour étendre un royaume voire un empire. Suis-je encore éveillé ? Suis-je déjà dans un rêve ? Les pensées concernant mon enfance se mélangent au temps présent. Elles oscillent entre la chance que j’ai d’être là et les êtres qui m’étaient chers et dont j’aurais tant aimé qu’ils soient avec moi. Je voudrais bien n’être que positif mais Blek le Roc me ramène parfois à des souvenirs plus tragiques. Ma mère encore et toujours, mais mon frère aîné Daniel aussi. En pensant à Blek le Roc, je me souviens qu’il cachait mes bandes dessinées uniquement pour me taquiner. Il est décédé à l’âge de 46 ans et dieu sait si l’avoir avec moi au cours de cette randonnée aurait été merveilleux.
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2eme étape – 12 septembre 2013 : du Refuge de la Perdrix (2.312 au gite Le Moulin à Rieutort (1.517 m) soit 17,600 km pour un dénivelé de 1.080 m et des montées cumulées de 790 m. Point culminant : Le Madres (2.469 m) – Point le plus bas : Le pont de la Farga (1.400 m)
Bien que Fred et Jérôme aient alimenté le poêle au maximum et le plus longtemps possible, dès lors que l’on a cessé de l’entretenir, la température a rapidement chuté. La nuit est glaciale mais heureusement nous avions prévu cette éventualité. Les sacs de couchage plus des vêtements chauds sont suffisants pour ne pas avoir trop froid. En tous cas, je ne grelotte pas et seules les extrémités de mes mains et de mes pieds réclament plus de chaleur malgré deux paires de gants, deux paires de chaussettes et des petites bouillottes portatives mais malheureusement éphémères dans la durée. Mais connaissant bien cet inconvénient circulatoire sanguin qu’on appelle « froideur des extrémités », je sais qu’il n’y a pas grand-chose à faire de plus, si ce n’est juste à surveiller dans le cas de nouveaux symptômes ou si les anciens s’amplifient. J’ose espérer que mes compagnons n’ont pas ce problème. En pleine nuit, un besoin urgent m’envoie hors du refuge et je suis assez surpris de constater qu’il ne fait guère plus froid dehors qu’à l’intérieur du refuge. Le vent est presque complètement tombé et seule une brise légère balaie la crête. Le panorama est incroyable et si ce n’était pas la faiblesse de la température, je resterais sans doute bien plus longtemps à observer cette grandiose et merveilleuse splendeur. Eclairée par un croissant de lune, une longue chape nuageuse rougeâtre s’étend devant moi, si ce n’est à perte de vue au moins jusqu’à la Méditerranée que j’aperçois comme une tache bien plus claire par rapport au reste de l’horizon bien plus sombre. Ce reste d’horizon, j’imagine qu’il s’agit sans doute des Albères et de la Plaine du Roussillon. Sous cette longue ouate nébuleuse, le ciel est très clair dévoilant la silhouette des principales montagnes que je connais et qui paraissent bien plus proches : Canigou et Coronat au premier chef. De toute la Plaine du Roussillon et venant du sol, en tous cas de sa partie visible, des millions de scintillements jaunâtres semblent s’ajouter à cette clarté céleste. C’est très beau et pendant un instant, l’éventualité d’aller chercher mon appareil photo pour figer ce spectacle me vient à l’esprit. Mais non, je préfère rester là à contempler et surtout je ne veux pas réveiller mes amis et je zappe aussitôt cette idée. En contrebas, le lac d’Evol me démontre que sa réputation de « Gorg Negre » n’est pas usurpée. Seul un faible croissant de lune se reflète dans ses eaux noires. Quand un nuage cache cette tranche de lune, plus rien ne luit à sa surface et tel un puits sans fond, seul le contour de ses rives boisées encore plus sombres que lui reste visible. Pour quelqu’un croyant à toutes les sornettes que l’on raconte à son propos, cette vision ténébreuse et plutôt sinistre rajouterait sans doute encore un peu plus de phobie. Moi pas. Si j’ai toujours aimé les légendes pour leurs côtés mystérieux, leurs aspects trop souvent mystiques me font plutôt rigoler. C’est le cas ici où les fables les plus farfelues, sources de profondes terreurs auprès des gens du pays sont paraît-il légions : « jeter un pierre dans ses eaux engendrerait une tempête…., les truites pêchées seraient des démons qui s’enfuiraient par les cheminées dès lors qu’on tenterait de les faire cuire…., d’incroyables trésors y seraient enfouis et tenter de les récupérer serait synonyme d’orages funestes….., ses fonds lugubres seraient le palais des diables…..des fées et des sorcières seraient à l’origine de la création des trois lacs, etc….. ». Voilà en résumé ce qu’il se raconte du « Gorg Negre » et parfois des deux autres lacs que sont le Gorg Estelat et le Gorg Bleu. Ce n’est donc pas l’appréhension qui me fait réintégrer le refuge mais seulement le froid que je trouve bien trop cinglant. Cette froidure me rappelle qu’un chaud duvet m’attend à l’intérieur. J’oublie très vite cette vision lugubre du lac et Morphée m’entraîne vers elle avec essentiellement ces superbes et étranges tableaux enluminés que j’ai eus devant les yeux. Le plus grand des bonheurs est d’avoir pu observer un panorama aussi lointain et dégagé, chose que nous n’avons jamais pu avoir depuis notre arrivée sur cette crête des Gourgs. En effet, l’horizon a été désespérément bouché par du brouillard ou des nuages qui passaient tels de longs chapelets sans fin. Dans ma tête, je me dis que c’est peut-être les premiers indices d’une météo bien plus clémente que celle que nous avons connue hier et je m’endors avec cette bienheureuse espérance. Vers 8 heures du matin, le froid bien plus vif encore que dans la nuit me réveille. Personne n’est encore debout, alors je reste longtemps blotti dans mon duvet à chercher en vain un peu de tiédeur. Le pire est toujours au bout de mes membres et j’ai l’impression que je ne sens plus leurs extrémités. J’attends que mes compagnons se réveillent complètement car j’en entends certains se tourner et se retourner dans leurs sacs de couchage cherchant sans doute eux aussi un peu de chaleur. Avec le bout de tous mes doigts aussi réfrigérés et n’y tenant plus, je me lève le premier et je vois que Fred est réveillé lui aussi. La tête complètement dissimulée sous le capuchon de son sac, seul son visage apparaît et dans cet accoutrement, il ressemble à un papillon voulant s’extraire de sa chrysalide. Je sors du refuge car pour réveiller mes pieds endoloris par le froid, il faut nécessairement que je marche un peu. J’emporte mon appareil photo avec moi car j’espère que le spectacle sera aussi beau que celui aperçu cette nuit. Mais si les vues sont presque aussi lointaines toutes les couleurs ont disparu. La chape nocturne rougeâtre est désormais d’un bleu grisâtre plutôt terne et peu de lumières scintillent au loin. Seul l’horizon a de jolies nuances hésitant entre le rose et le gris. Mais je continue à trouver ça beau car dans ce jour naissant, mon regard est désormais attiré par la surface du Gorg Negre qui commence à miroiter sous les premières lueurs de l’aube. Il n’a plus rien de semblable avec le lac noir et mystérieux que j’ai observé cette nuit. Il est devenu le lac d’Evol. Tout comme hier matin à Matemale, le ciel est scindé en deux, mais cette fois les rôles sont inversés. Devant le refuge, le Conflent est chapeauté de nombreux nuages, certains très longs, gris ou blancs et d’autres plus petits et épars selon la direction dans laquelle je regarde. Derrière, c'est-à-dire vers le Capcir, un ciel encourageant semble hésiter entre un bleu dur très prometteur et un blanc laiteux que les premiers rayons du soleil ont du mal à colorer. Une fois encore, la direction à prendre est celle du beau temps et c’est encourageant même si hier je m’étais fait la même réflexion mais sans la réussite escomptée. En entrant dans le refuge, je suis néanmoins ravi d’annoncer cette excellente nouvelle à tout le monde. Fred a pris la peine de rallumer le poêle et une agréable chaleur commence à envahir la pièce. Jérôme est réveillé mais il est toujours perché sur son bat-flanc supérieur, déjà occupé à ranger son couchage. Cathy est attablée et a entamé son petit déjeuner. Grâce à des petites boîtes de lait sucré, quelques galettes moelleuses et un jus de fruit, le mien est vite expédié et aussitôt après je me met à ranger mes affaires et mon sac à dos. Tout le monde fait de même et après un peu de ménage vite bâclé, nous sortons du refuge en file indienne, direction le pic du Madres. Un petit vent glacial s’est levé et avant de démarrer, nous jugeons utile d’enfiler nos gants et de nous encapuchonner dans nos vestes. Pendant un instant, nous longeons le bord du cirque au fond duquel nous apercevons le petit Gorg Blau (Lac Bleu) et celui plus vaste et en forme de haricot du Gorg Estelat que l’on appelle plus communément le lac de Nohèdes ou Lac Etoilé. Ces décors ne me laissent pas indifférent. Je m’arrête un instant. En regardant ce dernier lac et ses rives, les souvenirs de ma deuxième étape sur le Tour du Coronat de 2007 émergent de ma mémoire : mon arrivée avec un groupe de vététistes espagnols, masculins et féminins. Ils avaient galéré dans les tourbières pour trouver le lac et je leur avais dit de me suivre pour accomplir les derniers mètres. Ils m’avaient demandé de les photographier avec vue sur le lac. Puis nous étions partis dans des directions opposées. Eux avaient pris la direction de l’ancien canal de Jujols alors que moi, j’avais décidé de faire le tour du lac pour partir à sa découverte. Avec mon gros sac à dos, je me souviens avoir galéré comme jamais dans les énormes pierriers de sa rive nord. Je me souviens aussi des couleurs extraordinaires que les rhododendrons roses et les flamboyants genêts composaient en se reflétant dans les eaux calmes du lac bleuté. Bleu, rose et jaune, cette incroyable palette de couleurs est toujours restée dans ma tête comme une des plus belles images de ce Tour du Coronat. Sur la rive ouest, là même où les eaux du Gorg Blau se déversent, j’avais trouvé une petite grève de sable fin avec une eau si limpide que je n’avais pas pu résister à y faire un peu de toilette. La toilette s’était rapidement transformée en une baignade dans le plus simple appareil. Un bain ô combien glacial mais nécessaire et qui m’avait définitivement revigoré et mis en forme pour le restant de la journée. Cette deuxième journée s’était poursuivie vers le lac d’Evol, le col du Portus et retour à Jujols, d’où j’étais parti la veille au matin. C’était mes deux premières étapes de ce Tour du Coronat qui allait en compter six et que j’avais intitulé « Des Merveilles au pays d’Alysse » à cause de l’ « Alyssum pyrenaicum » ou Alysson des Pyrénées, cette fleur relictuelle que l’on ne trouve que dans les falaises du Mont Coronat et nulle part ailleurs dans le monde. Les botanistes qui adorent le latin et les mots compliqués lui ont donné le nom de « Hormathophylla pyrenaica ». Voilà ce que ces deux lacs me rappellent à cet instant : des moments d’une randonnée solitaire mais merveilleuse et de surcroît avec quelques rencontres qui l’avaient rendu inoubliable. Des moments à la fois de joie et de solitude où l’on peut se remettre en question ? Qu’ai-je fait de bien et de mal ? Je me remets en route. Le lac disparaît soudain de mon regard et avec lui mes vieux souvenirs. Mes compagnons ont déjà pris pas mal d’avance. Sur la crête caillouteuse, le Madres fait son apparition avec encore un beau névé accroché à son flanc sud. Je connais bien cet itinéraire pour l’avoir déjà accompli depuis le col de Sansa et en boucle par la Coume de Ponteils et le Serrat de l’Ours. A partir d’ici, la déclivité est plutôt modeste mais dans ma tête, je me souviens de cette belle difficulté rocheuse qu’il y a entre le Roc Nègre (2.459 m) et le Madres (2.469 m) que les montagnards du cru appelle le « Malpas », c’est à dire le « mauvais passage ». Sur la carte I.G.N, elle apparaît sous la dénomination de « Clos Tort », que l’on traduit du catalan en « enclos tortueux ». Ici, les randonneurs sujets au vertige sont priés d’oublier leur indisposition tant le sentier est étroit, abrupt et en équilibre au dessus d’un vide assez impressionnant. Je l’appréhende. J’ai déjà prévenu mes amis mais ça n’a pas eu l’air de les impressionner plus que ça. A l’approche du Clot Rodon, un isard s’enfuit devant nous et prend la même direction que celle que nous allons prendre. Il disparaît dans les rochers. Cathy, Fred et Jérôme amorcent la pente plutôt douce à cet endroit à une bonne cadence alors que mon cœur s’emballe. Mon vieux moteur diesel a un mal fou à trouver la bonne carburation. Il faut dire que la température sans doute proche de zéro ne fait rien pour m’aider et je suis vraiment frigorifié et comme toujours un maximum de froideur au bout de mes mains, de mes pieds mais de mon nez aussi. Telles de fines bougies accrochées à un sapin de Noël, de longs glaçons pendent aux branches de petits pins chétifs, c’est dire si la nuit a été froide par ici. Je suis rapidement largué mais Jérôme s’arrête souvent pour m’attendre mais quand j’arrive à sa hauteur, le voilà qui repart et moi inévitablement, je m’arrête un peu plus longtemps pour calmer mes palpitations. Je monte à mon rythme et ce rythme-là me convient. En outre, je sais qu’après cette ascension du Madres, les descentes prendront le relais sinon jusqu’à l’arrivée au moins jusqu’à Puyvalador. Avant le sommet du Roc Nègre, Cathy et Fred sont là à m’attendre et je m’en veux un peu de savoir qu’ils m’ont attendus dans ce froid et avec ce vent polaire qui nous glacent le corps. Depuis la crête, les vues s’entrouvrent magnifiquement sur une immense partie de l’Aude et de l’Ariège. Depuis notre démarrage, un épais matelas nuageux est monté du fin fond des vallées du Bas-Conflent et c’est soudain immobilisé créant ainsi une véritable mer de nuages. Le plus épais recouvre la Vallée de la Castellane. C’est marrant car en 2007, lors de mon Tour du Coronat, j’avais connu les mêmes phénomènes climatiques lors des deux premiers jours. La première fois à Jujols et la seconde fois au campement de l’Estany del Clot, au bord duquel j’avais passé la nuit sous ma tente. J’étais très longtemps resté scotché à regarder les lents mouvements de cet extraordinaire moutonnement nuageux ressemblant aux flots déchaînés d’un océan mais qu’on aurait cru comme filmé au ralenti. Peu après ce joli spectacle, le fameux passage difficile du Clos Tort se présente. Par bonheur, il s’effectue sans problème et une fois encore, en s’engageant la première, alors qu’elle n’a aucune connaissance des obstacles qui l’attendent, Cathy démontre toute son agilité et la facilité qu’elle a à gravir les passages les plus périlleux sans aucune appréhension. Jérôme passe en second et tout au long de l'hésitante escalade, je le suis quasiment comme son ombre. J’avoue qu’avec mon gros sac, je ne suis pas vraiment rassuré mais en tous cas, je n’ai pas le vertige. Il faut dire que j’évite de m’arrêter pour regarder derrière moi. Fred ferme la marche et une fois les difficultés franchies, il reconnaît lui aussi que ce couloir étroit et très abrupt avec le vide sous les pieds n’est pas si commode que ça. L’arrivée de Fred au sommet est pour moi un vrai soulagement car je sais que nous en avons terminé avec les difficultés, au moins pour aujourd’hui. Pour avoir étudié la totalité du parcours du Tour du Capcir, je n’ai pas connaissance qu’il y en ait d’autres même si à proximité du lac d’Aude, un autre lieu-dit a également pour nom « Malpas ». Du coup, la suite bien plus praticable vers le Madres et son fameux orri est pour moi une quasi promenade. Ce tronçon est d’autant plus agréable qu’en contrebas, côté Vallon de la Balmette et Salt del Bourro, de nombreux isards paissent tranquillement sur les pelouses d’altitude. Voir des animaux sauvages est suffisamment rare pour que l’on passe un long moment à les observer même si le carcanet est toujours là, violent et froid. A cause de ce vent et de la distance, j’éprouve les pires difficultés à les photographier convenablement et ce, malgré la puissance du zoom de mon appareil photo. Il faut dire que la violence du vent ne me facilite pas la tâche car j’ai un mal fou à garder l’équilibre et à ne pas trembler dans mes prises de vues. En arrivant au sommet du Madres et devant l’orri qui le matérialise, je suis surpris d’apprendre que deux hommes, qui bivouaquent encore devant l’entrée, y ont passé la nuit. Sur le moment, je pense qu’avec notre « bon » poêle, nous avons été bien mieux lotis dans notre minuscule refuge. On échange quelques banalités avec eux en grignotant des fruits secs et des barres de céréales puis on immortalise notre arrivée à ce remarquable sommet par une photo de notre petit groupe. Emmitouflés comme nous le sommes, nous ressemblons à des alpinistes au sommet de l’Everest et pourtant nous ne sommes qu’à 2.469 mètres d’altitude. Il faut dire que le Madres, c’est déjà le point culminant de ce Tour du Capcir, alors c’est sans doute un peu notre Himalaya à nous. Il ne manque que la neige. Ce début de matinée venteuse et froide n’est pas étrangère à cette vision des choses mais la journée s’annonce assez magique et en tous cas conforme aux prévisions météo. Le soleil et le ciel bleu semble vouloir s’installer durablement et j’en suis le premier ravi. Les bonnes prévisions ont eu un jour de retard, voilà tout. A aucun moment, je n’ai imaginé qu’un orage puisse survenir. Les mois de juillet et d’août sont déjà derrière nous et pour moi, la saison des orages violents et fugitifs qu’il y a souvent sur ce massif est passée. Il y a quelques années, j’y ai vu tomber des flocons, de manière éphémère il est vrai, mais en plein mois d’août. Les paysages à 360 degrés sont époustouflants même si deci delà quelques nuages épars restent accrochés à des reliefs. En contrebas, sur la Jasse de Guissotte, là même où le Ponteils prend sa source dans les nombreuses tourbières, Jérôme aperçoit d’autres cervidés. On en distingue également sur les crêtes du côté du Col des Gavaches mais avec la distance qui nous en sépare, il est impossible de discerner de quels cervidés il s’agit. Ici, il y a des isards, des cerfs, des mouflons de Corse réintroduits ou bien encore des chevreuils, encore que les chevreuils en troupeau soient assez rarissimes. Tous sont très présents dans ce massif et j’ai même lu dans un récent « Pyrénées Magazine », que le Massif du Madres est le lieu des Pyrénées où les spécialistes en ont recensé le plus : 4.000 cervidés sont présents dans le Capcir selon la revue. Quand au bouquetin des Pyrénées, il y a déjà longtemps qu’il a disparu de nos montagnes, sa chasse ayant eu raison de sa robustesse légendaire. Les bouquetins que l’on pourrait voir ont été réintroduits eux aussi comme les mouflons et les marmottes, celles visibles étant d’origine alpine et réintroduite en 1948. Oui, le Massif du Madres est un haut-lieu de la faune sauvage et il n’est donc pas étonnant qu’on y ait aperçu des ours, des loups et que les chats sauvages y soient bien présents sans compter bien sûr les sangliers et les renards roux. Nous quittons le sommet du Madres et prenons la direction de son flanc nord-ouest que l’on appelle le Serrat des Clotes. Le sentier tout en descente est très bon et file agréablement au milieu d’une végétation rase faite de minuscules bruyères et de graminées naines. Ici, les seuls arbres sont quelques pins rabougris très disséminés. Malgré la qualité du sentier peu caillouteux et tout en descente, une fois encore je suis décroché, d’abord parce que Cathy marche à un rythme incroyablement rapide mais surtout parce que le petit vent glacial qui balaie la montagne me fait constamment pleurer. Mes yeux larmoient sans cesse et de ce fait, je suis dans l’incapacité de voir où je mets mes pieds. Jérôme qui s’arrête régulièrement pour m’attendre ne comprend pas pourquoi je marche si lentement et je suis contraint de lui demander de s’arrêter pour lui expliquer. Après les avoir freinés dans les montées, voilà que maintenant je les retarde aussi dans les descentes. Je m’en veux. A la fin d’un dôme herbeux, le grand « V » bleu du lac de Puyvalador fait son apparition au fond de la verdoyante vallée de l’Aude. Au dessus de cette profonde vallée, les forêts domaniales étalent leur longue toison olivâtre. Un peu plus haut encore, tout n’est que minéralité. Devant nos yeux contemplatifs et dans une succession sans fin de sommets plus ou moins hauts, la chaîne pyrénéenne forme l’horizon. Parmi les quelques sommets que j’ai eu l’occasion de gravir, seule la pyramide du Carlit est vraiment reconnaissable. L’été est passé et a fait disparaître la quasi totalement des névés et seules quelques neiges éternelles subsistent anarchiquement sur les parties les plus élevées et les plus ombragées sans doute. Après être entrés dans une zone d’estives où quelques vaches somnolent, nous coupons une piste. Ici, les prairies essentiellement herbeuses laissent un peu de place à de petits bosquets plantés de pins. Un panonceau indicatif mentionnant Espousouille à 3h20 nous donne une petite idée du temps de marche approximatif restant. A cette altitude, quelques plantes fleuries font de la résistance. Après la grisaille d’hier, c’est un plaisir de découvrir quelques touches de couleurs : le rose des épilobes et de quelques gros chardons, la blanc ou le mauve d’œillets de Montpellier magnifiquement dentelés, le jaune et le bleu des aconits. Le sentier est plus caillouteux mais paradoxalement il file dans des décors plus charmants car moins monotones. Cathy vient d’arriver la première au petit abri du Refuge Oller (1.630 m) et elle semble bien décidée à poursuivre quand Jérôme et Fred l’arrêtent dans son élan car il est déjà 12h30 et leurs estomacs doivent certainement crier famine. Le mien aussi. Nous décidons de stopper là pour pique-niquer et pour moi c’est une vraie délivrance car en arrêtant de marcher mes yeux s’arrêtent aussitôt de larmoyer. L’endroit est agréable, herbeux à souhait et en plus les vues en balcon sur la vallée sont superbes. Nous y restons environ une heure, la plupart du temps couchés, car l’herbe est tendre, le ciel est bleu et les rayons du soleil sont suffisamment chauds pour envisager un semblant de sieste. En quittant le refuge Oller, le sentier tout en descente entre immédiatement dans un sombre sous-bois et pour moi, l’aspect agréable est que mes yeux ne pleurent plus. Ici, aux Planches d’en Jaquet, on voit clairement qu’un palier végétatif vient d’être atteint. C’est d’ailleurs l’impression générale que l’on a car tout autour de nous, la forêt est omniprésente. Les bois où nous marchons sont plus denses, les arbres plus hauts avec de nombreux grands résineux mais aussi quelques hauts feuillus. Peu après, on entend le bruit d’un petit ruisseau qui s’écoule et depuis la Font de la Perdrix, c’est le premier « rec » actif que l’on rencontre. Un coup d'oeil sur mon bout de carte et c'est bien le Rec du Roc Mari, escarpement rocheux isolé en forme de protubérance et entourée de pierriers que nous avons longtemps aperçu sur notre gauche. L’étroit sentier s’élargit soudain se transformant en un chemin bien plus praticable lequel devient très rapidement une large piste forestière. Là, nous sommes arrivés en surplomb de la cabane du Bécet (1.560 m). En observant la carte I.G.N, il est évident que quel que soit l’itinéraire que l’on va choisir pour rejoindre Puyvalador, seules des pistes forestières nous attendent et parmi les deux possibles, toutes les deux se terminent sur la digue du barrage. Il y a celle filant vers OdelloRéal et celle dite de Serrallongua que Jérôme a enregistrée dans son G.P.S et qui arrive directement au bord de l’Aude au lieu-dit le Pont de la Fargua. C’est cette dernière que nous choisissons et bien que ne connaissant pas l’autre, autant dire que celle de Serrallongua porte parfaitement son nom. Je la trouve très longue et fastidieuse cette piste et sans doute que je ne suis pas le seul dans ce cas. Comme souvent et pour passer le temps, je photographe tous et n’importe quoi : vaches, fleurs, insectes et papillons, tout y passe. L’arrivée au barrage de Puyvalador réveille quelques récents souvenirs car il y a moins de 15 jours, j’y suis venu avec Dany pour une randonnée consistant à faire le tour de son lac. C’est donc tout frais et je n’ai plus rien à découvrir que je ne connaisse déjà. Seule la météo est plus favorable et le lac un peu plus plein que lors de notre récente venue. Je prends quelques photos. On traverse la digue du barrage, toujours occupée par une ribambelle de martinets puis l’on monte vers le village de Puyvalador que l’on rejoint très rapidement. Ici, pour l’avoir accompli en voiture, je connais la distance qu’ils nous restent à parcourir : 3 kilomètres mais essentiellement sur de l’asphalte et tous les quatre, nous avons horreur de ça. On quitte Puyvalador et sa charmante église en empruntant la petite D.32g se dirigeant vers le hameau de Rieutort. Nous y sommes attendus au gîte Le Moulin. Au travers de grandes prairies et des paysages très amples eux aussi, la petite route est moins lassante que je ne l’avais imaginée. Il faut dire que quelques petits rapaces planant dans le ciel attirent sans cesse l’objectif de mon numérique. Par chance, un d’entre eux se pose sur un pin. 15h50, en entrant dans Rieutort, j’ai le sentiment de pénétrer dans un village qui a été déserté de tous ses habitants. Personne. Tout est silencieux, Seuls le bruit du ruisseau de Cirerol et la gazouillis de quelques passereaux se font entendre. Heureusement, Alex et Sia, les propriétaires du gîte sont bien présents. Ils sont chaleureux et formidables avec nous. Le lieu est charmant et reposant, les chambres sont parfaites et le grand calme que j’avais observé à mon arrivée s’avère être un atout indéniable pour trouver le repos auquel certains d’entre nous aspirent, moi le premier. Après les douches indispensables, Cathy se repose dans sa chambre pendant que Jérôme et Fred profitent des chaises longues du jardin fleuri et ensoleillé. De mon côté, appareil photo en bandoulière, je pars à la découverte du village qui s’avère bien plus grand que je ne l’avais supposé. Il faut dire que si le hameau a vécu un exode rural au milieu du siècle précédent, il n’en a pas toujours été ainsi. La taille de certains bâtiments, école et mairie par exemples, sont là pour prouver que Rieutort a eu ses heures de gloire et un nombre d’habitants bien plus important que de nos jours. La soirée, ponctuée d’un succulent repas avec formule table d’hôtes est des plus agréables. Alex et Sia se mettent en quatre pour nous satisfaire. Alex, en plus de son labeur d'aubergiste, est un fou de nature, moniteur de ski et guide de randonnées à ses heures. C’était un fana de pêche en mer et en rivière et il aime beaucoup la photo. Sur les murs du gîte, on peut découvrir de nombreuses photos relatant ses exploits et ses trophées halieutiques. De ce fait, nous avons de nombreux atomes crochus pour nous entendre et aucun problème pour trouver facilement des sujets de conversation. Sia est plus timide, excellente cuisinière et très captivante également quand elle parle de gastronomie et de la vie au gîte qu’elle semble affectionner. En plus des charmants propriétaires, un couple sympathique s’est joint à nous lors du repas. La femme écrit des romans et de ce fait, les causeries s’en trouvent facilitées. La fin de la soirée tire agréablement en longueur mais pour la plupart d’entre nous, la nuit précédente a été peu réparatrice et l’envie d’aller nous coucher arrive bien plus vite que nous le souhaiterions. Nous pensons déjà à la très longue étape de demain. Ajoutons à cela les 17 kilomètres de l’étape d’aujourd’hui, le bon air du Madres et du Capcir, un bon et vrai lit qui nous attend et tout est en place pour une nuit qui s’annonce bien plus douce et régénératrice que la précédente. 11 heures, la raison l’emporte et nous partons nous coucher car dès le lendemain, la plus longue et plus difficile étape de ce Tour du Capcir nous attend. 28 kilomètres pour atteindre les Bouillouses et surtout une très longue montée par la Vallée du Galbe jusqu’au Camporells. Adorant l’Histoire, la toponymie et n’aimant pas « marcher idiot », autant qu’il est possible, j’ai appris que Les Camporells étaient les « champs des rois ». Ces rois, c’était ceux d’Aragon et de Majorque qui avaient fait du Capcir leur lieu de villégiature et de Formiguères leur résidence d’été. En réalité, le village a surtout servi à soigner l’asthme dont souffrait le roi Sanche 1er, roi de Majorque de 1299 à 1324. Quant aux Camporells, c’était son lieu de prédilection pour venir y chasser les isards, les cerfs et autres chevreuils. Il est mort ici à Formiguères à l’âge de 48 ans. En 1920, le prince Albert 1er de Monaco a, à sa manière, perpétué cette tradition puisqu’il était également un habitué des lieux appréciant le secteur des Camporells qu’il avait loué pour venir y chasser et y pêcher. Avant de m’endormir, je me remets à penser à cette révélation que j’ai eu avec Blek le Roc. A ma mère bien sûr, puisque c’est elle qui m’a permis de lire ces bandes dessinées. Mes pensées s’enchainent les unes aux autres. Ma mère, mon enfance, Blek le Roc. Ma mère est dans un service spécialisé Alzheimer d’une maison de retraite depuis 5 ans déjà et c’est bien rare que lors d’une randonnée sur plusieurs jours, je ne pense pas à elle plusieurs fois. Plusieurs fois et le plus souvent avec tristesse, tant je trouve la fin de sa vie si injuste. L’aspect solitaire de la randonnée et les efforts à accomplir me font souvent sortir de mes pensées habituelles et quotidiennes, et de ce fait, il m’arrive très souvent de songer au temps passé et aux êtres chers qui ne sont plus de ce monde. Ce monde, ma mère n’en fait déjà plus partie. Avec la maladie d’Alzheimer, elle a basculé dans un autre univers. Grâce à elle et depuis hier, le nom de Blek le Roc est revenu à la surface de mes souvenirs. S’il n’est pas revenu dans la journée, c’est probablement parce que l’étape d’aujourd’hui ne présentait aucune difficulté. Désormais, je n’ai plus aucun doute, ce personnage de bande dessinée est définitivement lié à mon amour pour la randonnée pédestre. Je ne sais pas pourquoi, je n’y avais jamais pensé auparavant. Me remémorer tout ça et mon enfance me rend triste car bien sûr ça me renvoie à ma mère et pourtant je suis super heureux d’être là et de marcher avec Jérôme et ses amis Cathy et Fred. Alors j’essaie de penser à autre chose mais les souvenirs bons et mauvais reviennent sans cesse et parfois se chevauchent. Avant de m’endormir, me viennent à l’esprit des questions parfois stupides. Je me demande par exemple si Blek le Roc aurait pu s’entendre avec les rois de Majorque, eux, dont le quotidien était les guerres pour conserver leurs pouvoirs, pour étendre leur immense royaume. Je n’ai pas la réponse. Blek, c’était d’abord un héros au grand cœur, un Robin des Bois à la sauce américaine, un être épris de justice et de liberté dont le seul objectif était de vaincre les Anglais. Les « homards rouges » comme il les appelait à cause de leurs uniformes. Il se battait pour que les Etats-Unis accèdent à leur Indépendance et non pas pour étendre un royaume voire un empire. Suis-je encore éveillé ? Suis-je déjà dans un rêve ? Les pensées concernant mon enfance se mélangent au temps présent. Elles oscillent entre la chance que j’ai d’être là et les êtres qui m’étaient chers et dont j’aurais tant aimé qu’ils soient avec moi. Je voudrais bien n’être que positif mais Blek le Roc me ramène parfois à des souvenirs plus tragiques. Ma mère encore et toujours, mais mon frère aîné Daniel aussi. En pensant à Blek le Roc, je me souviens qu’il cachait mes bandes dessinées uniquement pour me taquiner. Il est décédé à l’âge de 46 ans et dieu sait si l’avoir avec moi au cours de cette randonnée aurait été merveilleux.
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2eme étape – 12 septembre 2013 : du Refuge de la Perdrix (2.312 au gite Le Moulin à Rieutort (1.517 m) soit 17,600 km pour un dénivelé de 1.080 m et des montées cumulées de 790 m. Point culminant : Le Madres (2.469 m) – Point le plus bas : Le pont de la Farga (1.400 m)
Bien que Fred et Jérôme aient alimenté le poêle au maximum et le plus longtemps possible, dès lors que l’on a cessé de l’entretenir, la température a rapidement chuté. La nuit est glaciale mais heureusement nous avions prévu cette éventualité. Les sacs de couchage plus des vêtements chauds sont suffisants pour ne pas avoir trop froid. En tous cas, je ne grelotte pas et seules les extrémités de mes mains et de mes pieds réclament plus de chaleur malgré deux paires de gants, deux paires de chaussettes et des petites bouillottes portatives mais malheureusement éphémères dans la durée. Mais connaissant bien cet inconvénient circulatoire sanguin qu’on appelle « froideur des extrémités », je sais qu’il n’y a pas grand-chose à faire de plus, si ce n’est juste à surveiller dans le cas de nouveaux symptômes ou si les anciens s’amplifient. J’ose espérer que mes compagnons n’ont pas ce problème. En pleine nuit, un besoin urgent m’envoie hors du refuge et je suis assez surpris de constater qu’il ne fait guère plus froid dehors qu’à l’intérieur du refuge. Le vent est presque complètement tombé et seule une brise légère balaie la crête. Le panorama est incroyable et si ce n’était pas la faiblesse de la température, je resterais sans doute bien plus longtemps à observer cette grandiose et merveilleuse splendeur. Eclairée par un croissant de lune, une longue chape nuageuse rougeâtre s’étend devant moi, si ce n’est à perte de vue au moins jusqu’à la Méditerranée que j’aperçois comme une tache bien plus claire par rapport au reste de l’horizon bien plus sombre. Ce reste d’horizon, j’imagine qu’il s’agit sans doute des Albères et de la Plaine du Roussillon. Sous cette longue ouate nébuleuse, le ciel est très clair dévoilant la silhouette des principales montagnes que je connais et qui paraissent bien plus proches : Canigou et Coronat au premier chef. De toute la Plaine du Roussillon et venant du sol, en tous cas de sa partie visible, des millions de scintillements jaunâtres semblent s’ajouter à cette clarté céleste. C’est très beau et pendant un instant, l’éventualité d’aller chercher mon appareil photo pour figer ce spectacle me vient à l’esprit. Mais non, je préfère rester là à contempler et surtout je ne veux pas réveiller mes amis et je zappe aussitôt cette idée. En contrebas, le lac d’Evol me démontre que sa réputation de « Gorg Negre » n’est pas usurpée. Seul un faible croissant de lune se reflète dans ses eaux noires. Quand un nuage cache cette tranche de lune, plus rien ne luit à sa surface et tel un puits sans fond, seul le contour de ses rives boisées encore plus sombres que lui reste visible. Pour quelqu’un croyant à toutes les sornettes que l’on raconte à son propos, cette vision ténébreuse et plutôt sinistre rajouterait sans doute encore un peu plus de phobie. Moi pas. Si j’ai toujours aimé les légendes pour leurs côtés mystérieux, leurs aspects trop souvent mystiques me font plutôt rigoler. C’est le cas ici où les fables les plus farfelues, sources de profondes terreurs auprès des gens du pays sont paraît-il légions : « jeter un pierre dans ses eaux engendrerait une tempête…., les truites pêchées seraient des démons qui s’enfuiraient par les cheminées dès lors qu’on tenterait de les faire cuire…., d’incroyables trésors y seraient enfouis et tenter de les récupérer serait synonyme d’orages funestes….., ses fonds lugubres seraient le palais des diables…..des fées et des sorcières seraient à l’origine de la création des trois lacs, etc….. ». Voilà en résumé ce qu’il se raconte du « Gorg Negre » et parfois des deux autres lacs que sont le Gorg Estelat et le Gorg Bleu. Ce n’est donc pas l’appréhension qui me fait réintégrer le refuge mais seulement le froid que je trouve bien trop cinglant. Cette froidure me rappelle qu’un chaud duvet m’attend à l’intérieur. J’oublie très vite cette vision lugubre du lac et Morphée m’entraîne vers elle avec essentiellement ces superbes et étranges tableaux enluminés que j’ai eus devant les yeux. Le plus grand des bonheurs est d’avoir pu observer un panorama aussi lointain et dégagé, chose que nous n’avons jamais pu avoir depuis notre arrivée sur cette crête des Gourgs. En effet, l’horizon a été désespérément bouché par du brouillard ou des nuages qui passaient tels de longs chapelets sans fin. Dans ma tête, je me dis que c’est peut-être les premiers indices d’une météo bien plus clémente que celle que nous avons connue hier et je m’endors avec cette bienheureuse espérance. Vers 8 heures du matin, le froid bien plus vif encore que dans la nuit me réveille. Personne n’est encore debout, alors je reste longtemps blotti dans mon duvet à chercher en vain un peu de tiédeur. Le pire est toujours au bout de mes membres et j’ai l’impression que je ne sens plus leurs extrémités. J’attends que mes compagnons se réveillent complètement car j’en entends certains se tourner et se retourner dans leurs sacs de couchage cherchant sans doute eux aussi un peu de chaleur. Avec le bout de tous mes doigts aussi réfrigérés et n’y tenant plus, je me lève le premier et je vois que Fred est réveillé lui aussi. La tête complètement dissimulée sous le capuchon de son sac, seul son visage apparaît et dans cet accoutrement, il ressemble à un papillon voulant s’extraire de sa chrysalide. Je sors du refuge car pour réveiller mes pieds endoloris par le froid, il faut nécessairement que je marche un peu. J’emporte mon appareil photo avec moi car j’espère que le spectacle sera aussi beau que celui aperçu cette nuit. Mais si les vues sont presque aussi lointaines toutes les couleurs ont disparu. La chape nocturne rougeâtre est désormais d’un bleu grisâtre plutôt terne et peu de lumières scintillent au loin. Seul l’horizon a de jolies nuances hésitant entre le rose et le gris. Mais je continue à trouver ça beau car dans ce jour naissant, mon regard est désormais attiré par la surface du Gorg Negre qui commence à miroiter sous les premières lueurs de l’aube. Il n’a plus rien de semblable avec le lac noir et mystérieux que j’ai observé cette nuit. Il est devenu le lac d’Evol. Tout comme hier matin à Matemale, le ciel est scindé en deux, mais cette fois les rôles sont inversés. Devant le refuge, le Conflent est chapeauté de nombreux nuages, certains très longs, gris ou blancs et d’autres plus petits et épars selon la direction dans laquelle je regarde. Derrière, c'est-à-dire vers le Capcir, un ciel encourageant semble hésiter entre un bleu dur très prometteur et un blanc laiteux que les premiers rayons du soleil ont du mal à colorer. Une fois encore, la direction à prendre est celle du beau temps et c’est encourageant même si hier je m’étais fait la même réflexion mais sans la réussite escomptée. En entrant dans le refuge, je suis néanmoins ravi d’annoncer cette excellente nouvelle à tout le monde. Fred a pris la peine de rallumer le poêle et une agréable chaleur commence à envahir la pièce. Jérôme est réveillé mais il est toujours perché sur son bat-flanc supérieur, déjà occupé à ranger son couchage. Cathy est attablée et a entamé son petit déjeuner. Grâce à des petites boîtes de lait sucré, quelques galettes moelleuses et un jus de fruit, le mien est vite expédié et aussitôt après je me met à ranger mes affaires et mon sac à dos. Tout le monde fait de même et après un peu de ménage vite bâclé, nous sortons du refuge en file indienne, direction le pic du Madres. Un petit vent glacial s’est levé et avant de démarrer, nous jugeons utile d’enfiler nos gants et de nous encapuchonner dans nos vestes. Pendant un instant, nous longeons le bord du cirque au fond duquel nous apercevons le petit Gorg Blau (Lac Bleu) et celui plus vaste et en forme de haricot du Gorg Estelat que l’on appelle plus communément le lac de Nohèdes ou Lac Etoilé. Ces décors ne me laissent pas indifférent. Je m’arrête un instant. En regardant ce dernier lac et ses rives, les souvenirs de ma deuxième étape sur le Tour du Coronat de 2007 émergent de ma mémoire : mon arrivée avec un groupe de vététistes espagnols, masculins et féminins. Ils avaient galéré dans les tourbières pour trouver le lac et je leur avais dit de me suivre pour accomplir les derniers mètres. Ils m’avaient demandé de les photographier avec vue sur le lac. Puis nous étions partis dans des directions opposées. Eux avaient pris la direction de l’ancien canal de Jujols alors que moi, j’avais décidé de faire le tour du lac pour partir à sa découverte. Avec mon gros sac à dos, je me souviens avoir galéré comme jamais dans les énormes pierriers de sa rive nord. Je me souviens aussi des couleurs extraordinaires que les rhododendrons roses et les flamboyants genêts composaient en se reflétant dans les eaux calmes du lac bleuté. Bleu, rose et jaune, cette incroyable palette de couleurs est toujours restée dans ma tête comme une des plus belles images de ce Tour du Coronat. Sur la rive ouest, là même où les eaux du Gorg Blau se déversent, j’avais trouvé une petite grève de sable fin avec une eau si limpide que je n’avais pas pu résister à y faire un peu de toilette. La toilette s’était rapidement transformée en une baignade dans le plus simple appareil. Un bain ô combien glacial mais nécessaire et qui m’avait définitivement revigoré et mis en forme pour le restant de la journée. Cette deuxième journée s’était poursuivie vers le lac d’Evol, le col du Portus et retour à Jujols, d’où j’étais parti la veille au matin. C’était mes deux premières étapes de ce Tour du Coronat qui allait en compter six et que j’avais intitulé « Des Merveilles au pays d’Alysse » à cause de l’ « Alyssum pyrenaicum » ou Alysson des Pyrénées, cette fleur relictuelle que l’on ne trouve que dans les falaises du Mont Coronat et nulle part ailleurs dans le monde. Les botanistes qui adorent le latin et les mots compliqués lui ont donné le nom de « Hormathophylla pyrenaica ». Voilà ce que ces deux lacs me rappellent à cet instant : des moments d’une randonnée solitaire mais merveilleuse et de surcroît avec quelques rencontres qui l’avaient rendu inoubliable. Des moments à la fois de joie et de solitude où l’on peut se remettre en question ? Qu’ai-je fait de bien et de mal ? Je me remets en route. Le lac disparaît soudain de mon regard et avec lui mes vieux souvenirs. Mes compagnons ont déjà pris pas mal d’avance. Sur la crête caillouteuse, le Madres fait son apparition avec encore un beau névé accroché à son flanc sud. Je connais bien cet itinéraire pour l’avoir déjà accompli depuis le col de Sansa et en boucle par la Coume de Ponteils et le Serrat de l’Ours. A partir d’ici, la déclivité est plutôt modeste mais dans ma tête, je me souviens de cette belle difficulté rocheuse qu’il y a entre le Roc Nègre (2.459 m) et le Madres (2.469 m) que les montagnards du cru appelle le « Malpas », c’est à dire le « mauvais passage ». Sur la carte I.G.N, elle apparaît sous la dénomination de « Clos Tort », que l’on traduit du catalan en « enclos tortueux ». Ici, les randonneurs sujets au vertige sont priés d’oublier leur indisposition tant le sentier est étroit, abrupt et en équilibre au dessus d’un vide assez impressionnant. Je l’appréhende. J’ai déjà prévenu mes amis mais ça n’a pas eu l’air de les impressionner plus que ça. A l’approche du Clot Rodon, un isard s’enfuit devant nous et prend la même direction que celle que nous allons prendre. Il disparaît dans les rochers. Cathy, Fred et Jérôme amorcent la pente plutôt douce à cet endroit à une bonne cadence alors que mon cœur s’emballe. Mon vieux moteur diesel a un mal fou à trouver la bonne carburation. Il faut dire que la température sans doute proche de zéro ne fait rien pour m’aider et je suis vraiment frigorifié et comme toujours un maximum de froideur au bout de mes mains, de mes pieds mais de mon nez aussi. Telles de fines bougies accrochées à un sapin de Noël, de longs glaçons pendent aux branches de petits pins chétifs, c’est dire si la nuit a été froide par ici. Je suis rapidement largué mais Jérôme s’arrête souvent pour m’attendre mais quand j’arrive à sa hauteur, le voilà qui repart et moi inévitablement, je m’arrête un peu plus longtemps pour calmer mes palpitations. Je monte à mon rythme et ce rythme-là me convient. En outre, je sais qu’après cette ascension du Madres, les descentes prendront le relais sinon jusqu’à l’arrivée au moins jusqu’à Puyvalador. Avant le sommet du Roc Nègre, Cathy et Fred sont là à m’attendre et je m’en veux un peu de savoir qu’ils m’ont attendus dans ce froid et avec ce vent polaire qui nous glacent le corps. Depuis la crête, les vues s’entrouvrent magnifiquement sur une immense partie de l’Aude et de l’Ariège. Depuis notre démarrage, un épais matelas nuageux est monté du fin fond des vallées du Bas-Conflent et c’est soudain immobilisé créant ainsi une véritable mer de nuages. Le plus épais recouvre la Vallée de la Castellane. C’est marrant car en 2007, lors de mon Tour du Coronat, j’avais connu les mêmes phénomènes climatiques lors des deux premiers jours. La première fois à Jujols et la seconde fois au campement de l’Estany del Clot, au bord duquel j’avais passé la nuit sous ma tente. J’étais très longtemps resté scotché à regarder les lents mouvements de cet extraordinaire moutonnement nuageux ressemblant aux flots déchaînés d’un océan mais qu’on aurait cru comme filmé au ralenti. Peu après ce joli spectacle, le fameux passage difficile du Clos Tort se présente. Par bonheur, il s’effectue sans problème et une fois encore, en s’engageant la première, alors qu’elle n’a aucune connaissance des obstacles qui l’attendent, Cathy démontre toute son agilité et la facilité qu’elle a à gravir les passages les plus périlleux sans aucune appréhension. Jérôme passe en second et tout au long de l'hésitante escalade, je le suis quasiment comme son ombre. J’avoue qu’avec mon gros sac, je ne suis pas vraiment rassuré mais en tous cas, je n’ai pas le vertige. Il faut dire que j’évite de m’arrêter pour regarder derrière moi. Fred ferme la marche et une fois les difficultés franchies, il reconnaît lui aussi que ce couloir étroit et très abrupt avec le vide sous les pieds n’est pas si commode que ça. L’arrivée de Fred au sommet est pour moi un vrai soulagement car je sais que nous en avons terminé avec les difficultés, au moins pour aujourd’hui. Pour avoir étudié la totalité du parcours du Tour du Capcir, je n’ai pas connaissance qu’il y en ait d’autres même si à proximité du lac d’Aude, un autre lieu-dit a également pour nom « Malpas ». Du coup, la suite bien plus praticable vers le Madres et son fameux orri est pour moi une quasi promenade. Ce tronçon est d’autant plus agréable qu’en contrebas, côté Vallon de la Balmette et Salt del Bourro, de nombreux isards paissent tranquillement sur les pelouses d’altitude. Voir des animaux sauvages est suffisamment rare pour que l’on passe un long moment à les observer même si le carcanet est toujours là, violent et froid. A cause de ce vent et de la distance, j’éprouve les pires difficultés à les photographier convenablement et ce, malgré la puissance du zoom de mon appareil photo. Il faut dire que la violence du vent ne me facilite pas la tâche car j’ai un mal fou à garder l’équilibre et à ne pas trembler dans mes prises de vues. En arrivant au sommet du Madres et devant l’orri qui le matérialise, je suis surpris d’apprendre que deux hommes, qui bivouaquent encore devant l’entrée, y ont passé la nuit. Sur le moment, je pense qu’avec notre « bon » poêle, nous avons été bien mieux lotis dans notre minuscule refuge. On échange quelques banalités avec eux en grignotant des fruits secs et des barres de céréales puis on immortalise notre arrivée à ce remarquable sommet par une photo de notre petit groupe. Emmitouflés comme nous le sommes, nous ressemblons à des alpinistes au sommet de l’Everest et pourtant nous ne sommes qu’à 2.469 mètres d’altitude. Il faut dire que le Madres, c’est déjà le point culminant de ce Tour du Capcir, alors c’est sans doute un peu notre Himalaya à nous. Il ne manque que la neige. Ce début de matinée venteuse et froide n’est pas étrangère à cette vision des choses mais la journée s’annonce assez magique et en tous cas conforme aux prévisions météo. Le soleil et le ciel bleu semble vouloir s’installer durablement et j’en suis le premier ravi. Les bonnes prévisions ont eu un jour de retard, voilà tout. A aucun moment, je n’ai imaginé qu’un orage puisse survenir. Les mois de juillet et d’août sont déjà derrière nous et pour moi, la saison des orages violents et fugitifs qu’il y a souvent sur ce massif est passée. Il y a quelques années, j’y ai vu tomber des flocons, de manière éphémère il est vrai, mais en plein mois d’août. Les paysages à 360 degrés sont époustouflants même si deci delà quelques nuages épars restent accrochés à des reliefs. En contrebas, sur la Jasse de Guissotte, là même où le Ponteils prend sa source dans les nombreuses tourbières, Jérôme aperçoit d’autres cervidés. On en distingue également sur les crêtes du côté du Col des Gavaches mais avec la distance qui nous en sépare, il est impossible de discerner de quels cervidés il s’agit. Ici, il y a des isards, des cerfs, des mouflons de Corse réintroduits ou bien encore des chevreuils, encore que les chevreuils en troupeau soient assez rarissimes. Tous sont très présents dans ce massif et j’ai même lu dans un récent « Pyrénées Magazine », que le Massif du Madres est le lieu des Pyrénées où les spécialistes en ont recensé le plus : 4.000 cervidés sont présents dans le Capcir selon la revue. Quand au bouquetin des Pyrénées, il y a déjà longtemps qu’il a disparu de nos montagnes, sa chasse ayant eu raison de sa robustesse légendaire. Les bouquetins que l’on pourrait voir ont été réintroduits eux aussi comme les mouflons et les marmottes, celles visibles étant d’origine alpine et réintroduite en 1948. Oui, le Massif du Madres est un haut-lieu de la faune sauvage et il n’est donc pas étonnant qu’on y ait aperçu des ours, des loups et que les chats sauvages y soient bien présents sans compter bien sûr les sangliers et les renards roux. Nous quittons le sommet du Madres et prenons la direction de son flanc nord-ouest que l’on appelle le Serrat des Clotes. Le sentier tout en descente est très bon et file agréablement au milieu d’une végétation rase faite de minuscules bruyères et de graminées naines. Ici, les seuls arbres sont quelques pins rabougris très disséminés. Malgré la qualité du sentier peu caillouteux et tout en descente, une fois encore je suis décroché, d’abord parce que Cathy marche à un rythme incroyablement rapide mais surtout parce que le petit vent glacial qui balaie la montagne me fait constamment pleurer. Mes yeux larmoient sans cesse et de ce fait, je suis dans l’incapacité de voir où je mets mes pieds. Jérôme qui s’arrête régulièrement pour m’attendre ne comprend pas pourquoi je marche si lentement et je suis contraint de lui demander de s’arrêter pour lui expliquer. Après les avoir freinés dans les montées, voilà que maintenant je les retarde aussi dans les descentes. Je m’en veux. A la fin d’un dôme herbeux, le grand « V » bleu du lac de Puyvalador fait son apparition au fond de la verdoyante vallée de l’Aude. Au dessus de cette profonde vallée, les forêts domaniales étalent leur longue toison olivâtre. Un peu plus haut encore, tout n’est que minéralité. Devant nos yeux contemplatifs et dans une succession sans fin de sommets plus ou moins hauts, la chaîne pyrénéenne forme l’horizon. Parmi les quelques sommets que j’ai eu l’occasion de gravir, seule la pyramide du Carlit est vraiment reconnaissable. L’été est passé et a fait disparaître la quasi totalement des névés et seules quelques neiges éternelles subsistent anarchiquement sur les parties les plus élevées et les plus ombragées sans doute. Après être entrés dans une zone d’estives où quelques vaches somnolent, nous coupons une piste. Ici, les prairies essentiellement herbeuses laissent un peu de place à de petits bosquets plantés de pins. Un panonceau indicatif mentionnant Espousouille à 3h20 nous donne une petite idée du temps de marche approximatif restant. A cette altitude, quelques plantes fleuries font de la résistance. Après la grisaille d’hier, c’est un plaisir de découvrir quelques touches de couleurs : le rose des épilobes et de quelques gros chardons, la blanc ou le mauve d’œillets de Montpellier magnifiquement dentelés, le jaune et le bleu des aconits. Le sentier est plus caillouteux mais paradoxalement il file dans des décors plus charmants car moins monotones. Cathy vient d’arriver la première au petit abri du Refuge Oller (1.630 m) et elle semble bien décidée à poursuivre quand Jérôme et Fred l’arrêtent dans son élan car il est déjà 12h30 et leurs estomacs doivent certainement crier famine. Le mien aussi. Nous décidons de stopper là pour pique-niquer et pour moi c’est une vraie délivrance car en arrêtant de marcher mes yeux s’arrêtent aussitôt de larmoyer. L’endroit est agréable, herbeux à souhait et en plus les vues en balcon sur la vallée sont superbes. Nous y restons environ une heure, la plupart du temps couchés, car l’herbe est tendre, le ciel est bleu et les rayons du soleil sont suffisamment chauds pour envisager un semblant de sieste. En quittant le refuge Oller, le sentier tout en descente entre immédiatement dans un sombre sous-bois et pour moi, l’aspect agréable est que mes yeux ne pleurent plus. Ici, aux Planches d’en Jaquet, on voit clairement qu’un palier végétatif vient d’être atteint. C’est d’ailleurs l’impression générale que l’on a car tout autour de nous, la forêt est omniprésente. Les bois où nous marchons sont plus denses, les arbres plus hauts avec de nombreux grands résineux mais aussi quelques hauts feuillus. Peu après, on entend le bruit d’un petit ruisseau qui s’écoule et depuis la Font de la Perdrix, c’est le premier « rec » actif que l’on rencontre. Un coup d'oeil sur mon bout de carte et c'est bien le Rec du Roc Mari, escarpement rocheux isolé en forme de protubérance et entourée de pierriers que nous avons longtemps aperçu sur notre gauche. L’étroit sentier s’élargit soudain se transformant en un chemin bien plus praticable lequel devient très rapidement une large piste forestière. Là, nous sommes arrivés en surplomb de la cabane du Bécet (1.560 m). En observant la carte I.G.N, il est évident que quel que soit l’itinéraire que l’on va choisir pour rejoindre Puyvalador, seules des pistes forestières nous attendent et parmi les deux possibles, toutes les deux se terminent sur la digue du barrage. Il y a celle filant vers OdelloRéal et celle dite de Serrallongua que Jérôme a enregistrée dans son G.P.S et qui arrive directement au bord de l’Aude au lieu-dit le Pont de la Fargua. C’est cette dernière que nous choisissons et bien que ne connaissant pas l’autre, autant dire que celle de Serrallongua porte parfaitement son nom. Je la trouve très longue et fastidieuse cette piste et sans doute que je ne suis pas le seul dans ce cas. Comme souvent et pour passer le temps, je photographe tous et n’importe quoi : vaches, fleurs, insectes et papillons, tout y passe. L’arrivée au barrage de Puyvalador réveille quelques récents souvenirs car il y a moins de 15 jours, j’y suis venu avec Dany pour une randonnée consistant à faire le tour de son lac. C’est donc tout frais et je n’ai plus rien à découvrir que je ne connaisse déjà. Seule la météo est plus favorable et le lac un peu plus plein que lors de notre récente venue. Je prends quelques photos. On traverse la digue du barrage, toujours occupée par une ribambelle de martinets puis l’on monte vers le village de Puyvalador que l’on rejoint très rapidement. Ici, pour l’avoir accompli en voiture, je connais la distance qu’ils nous restent à parcourir : 3 kilomètres mais essentiellement sur de l’asphalte et tous les quatre, nous avons horreur de ça. On quitte Puyvalador et sa charmante église en empruntant la petite D.32g se dirigeant vers le hameau de Rieutort. Nous y sommes attendus au gîte Le Moulin. Au travers de grandes prairies et des paysages très amples eux aussi, la petite route est moins lassante que je ne l’avais imaginée. Il faut dire que quelques petits rapaces planant dans le ciel attirent sans cesse l’objectif de mon numérique. Par chance, un d’entre eux se pose sur un pin. 15h50, en entrant dans Rieutort, j’ai le sentiment de pénétrer dans un village qui a été déserté de tous ses habitants. Personne. Tout est silencieux, Seuls le bruit du ruisseau de Cirerol et la gazouillis de quelques passereaux se font entendre. Heureusement, Alex et Sia, les propriétaires du gîte sont bien présents. Ils sont chaleureux et formidables avec nous. Le lieu est charmant et reposant, les chambres sont parfaites et le grand calme que j’avais observé à mon arrivée s’avère être un atout indéniable pour trouver le repos auquel certains d’entre nous aspirent, moi le premier. Après les douches indispensables, Cathy se repose dans sa chambre pendant que Jérôme et Fred profitent des chaises longues du jardin fleuri et ensoleillé. De mon côté, appareil photo en bandoulière, je pars à la découverte du village qui s’avère bien plus grand que je ne l’avais supposé. Il faut dire que si le hameau a vécu un exode rural au milieu du siècle précédent, il n’en a pas toujours été ainsi. La taille de certains bâtiments, école et mairie par exemples, sont là pour prouver que Rieutort a eu ses heures de gloire et un nombre d’habitants bien plus important que de nos jours. La soirée, ponctuée d’un succulent repas avec formule table d’hôtes est des plus agréables. Alex et Sia se mettent en quatre pour nous satisfaire. Alex, en plus de son labeur d'aubergiste, est un fou de nature, moniteur de ski et guide de randonnées à ses heures. C’était un fana de pêche en mer et en rivière et il aime beaucoup la photo. Sur les murs du gîte, on peut découvrir de nombreuses photos relatant ses exploits et ses trophées halieutiques. De ce fait, nous avons de nombreux atomes crochus pour nous entendre et aucun problème pour trouver facilement des sujets de conversation. Sia est plus timide, excellente cuisinière et très captivante également quand elle parle de gastronomie et de la vie au gîte qu’elle semble affectionner. En plus des charmants propriétaires, un couple sympathique s’est joint à nous lors du repas. La femme écrit des romans et de ce fait, les causeries s’en trouvent facilitées. La fin de la soirée tire agréablement en longueur mais pour la plupart d’entre nous, la nuit précédente a été peu réparatrice et l’envie d’aller nous coucher arrive bien plus vite que nous le souhaiterions. Nous pensons déjà à la très longue étape de demain. Ajoutons à cela les 17 kilomètres de l’étape d’aujourd’hui, le bon air du Madres et du Capcir, un bon et vrai lit qui nous attend et tout est en place pour une nuit qui s’annonce bien plus douce et régénératrice que la précédente. 11 heures, la raison l’emporte et nous partons nous coucher car dès le lendemain, la plus longue et plus difficile étape de ce Tour du Capcir nous attend. 28 kilomètres pour atteindre les Bouillouses et surtout une très longue montée par la Vallée du Galbe jusqu’au Camporells. Adorant l’Histoire, la toponymie et n’aimant pas « marcher idiot », autant qu’il est possible, j’ai appris que Les Camporells étaient les « champs des rois ». Ces rois, c’était ceux d’Aragon et de Majorque qui avaient fait du Capcir leur lieu de villégiature et de Formiguères leur résidence d’été. En réalité, le village a surtout servi à soigner l’asthme dont souffrait le roi Sanche 1er, roi de Majorque de 1299 à 1324. Quant aux Camporells, c’était son lieu de prédilection pour venir y chasser les isards, les cerfs et autres chevreuils. Il est mort ici à Formiguères à l’âge de 48 ans. En 1920, le prince Albert 1er de Monaco a, à sa manière, perpétué cette tradition puisqu’il était également un habitué des lieux appréciant le secteur des Camporells qu’il avait loué pour venir y chasser et y pêcher. Avant de m’endormir, je me remets à penser à cette révélation que j’ai eu avec Blek le Roc. A ma mère bien sûr, puisque c’est elle qui m’a permis de lire ces bandes dessinées. Mes pensées s’enchainent les unes aux autres. Ma mère, mon enfance, Blek le Roc. Ma mère est dans un service spécialisé Alzheimer d’une maison de retraite depuis 5 ans déjà et c’est bien rare que lors d’une randonnée sur plusieurs jours, je ne pense pas à elle plusieurs fois. Plusieurs fois et le plus souvent avec tristesse, tant je trouve la fin de sa vie si injuste. L’aspect solitaire de la randonnée et les efforts à accomplir me font souvent sortir de mes pensées habituelles et quotidiennes, et de ce fait, il m’arrive très souvent de songer au temps passé et aux êtres chers qui ne sont plus de ce monde. Ce monde, ma mère n’en fait déjà plus partie. Avec la maladie d’Alzheimer, elle a basculé dans un autre univers. Grâce à elle et depuis hier, le nom de Blek le Roc est revenu à la surface de mes souvenirs. S’il n’est pas revenu dans la journée, c’est probablement parce que l’étape d’aujourd’hui ne présentait aucune difficulté. Désormais, je n’ai plus aucun doute, ce personnage de bande dessinée est définitivement lié à mon amour pour la randonnée pédestre. Je ne sais pas pourquoi, je n’y avais jamais pensé auparavant. Me remémorer tout ça et mon enfance me rend triste car bien sûr ça me renvoie à ma mère et pourtant je suis super heureux d’être là et de marcher avec Jérôme et ses amis Cathy et Fred. Alors j’essaie de penser à autre chose mais les souvenirs bons et mauvais reviennent sans cesse et parfois se chevauchent. Avant de m’endormir, me viennent à l’esprit des questions parfois stupides. Je me demande par exemple si Blek le Roc aurait pu s’entendre avec les rois de Majorque, eux, dont le quotidien était les guerres pour conserver leurs pouvoirs, pour étendre leur immense royaume. Je n’ai pas la réponse. Blek, c’était d’abord un héros au grand cœur, un Robin des Bois à la sauce américaine, un être épris de justice et de liberté dont le seul objectif était de vaincre les Anglais. Les « homards rouges » comme il les appelait à cause de leurs uniformes. Il se battait pour que les Etats-Unis accèdent à leur Indépendance et non pas pour étendre un royaume voire un empire. Suis-je encore éveillé ? Suis-je déjà dans un rêve ? Les pensées concernant mon enfance se mélangent au temps présent. Elles oscillent entre la chance que j’ai d’être là et les êtres qui m’étaient chers et dont j’aurais tant aimé qu’ils soient avec moi. Je voudrais bien n’être que positif mais Blek le Roc me ramène parfois à des souvenirs plus tragiques. Ma mère encore et toujours, mais mon frère aîné Daniel aussi. En pensant à Blek le Roc, je me souviens qu’il cachait mes bandes dessinées uniquement pour me taquiner. Il est décédé à l’âge de 46 ans et dieu sait si l’avoir avec moi au cours de cette randonnée aurait été merveilleux.
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Mantet. Le 26 juillet 2019. Il est 10 h. La météo n’est pas top mais tant pis, Dany et moi sommes prêts pour accomplir une balade qui s’intitule « la Vallée de l’Alemany». Enfin, c’est avec cet intitulé-là qu’on la trouve sur la plupart des topo-guides. Si pendant très longtemps, et avec quelques années de moins, Mantet et ses alentours ont été pour nous, un magnifique et immense « champ d’investigation », voilà déjà 9 ans que nous ne sommes pas revenus ici. La dernière fois, c’était en décembre 2010 lors d’une superbe journée où le Pla Segala, immaculé d’une belle poudreuse, nous avait accueillis pour une mémorable sortie en raquettes. Mémorable à cause d’une incroyable météo « estivale » mais surtout à cause de chaussures qui ne me convenaient pas et qui avaient fini par me « pourrir » la plante des pieds. Avec des raquettes, il faut le faire ! Antérieurement, il y avait eu de très belles boucles, celle par exemple, menant au Porteille, toujours par le Pla Segala et le Roc Colom, où, à cause d’un bel égarement du côté de Pomerola, nous avions « flâné » 13 heures, avant d‘en terminer et de récupérer notre voiture au col de Mantet à 20 h tapantes. Il y avait eu aussi, celle un peu moins longue, au Col del Pal sur le GR.10 avec retour par la rivière de Caret et ses jasses. Ou bien encore, ce mémorable aller-retour pour vaincre le Pic de la Dona et ses 2.702 m. Toutes ses randonnées et quelques autres encore avaient à chaque fois marqué nos esprits tant cette vallée de Mantet est merveilleuse, ample et donc grandiose mais jamais aisée à cheminer. Ses crêtes alentours ne le sont jamais moins non plus. Au fil du temps et des balades, Mantet était presque devenu un fréquent pied à terre. Nous y réservions souvent une demi-pension au Bouf’tic afin d’être dispos pour une balade dès le lendemain matin. La gentille Odile Guinel, remarquable aubergiste et maire du village, commençait à bien nous connaître. Parfois, c’était juste l’histoire de venir y passer un bon week-end alors que la météo nous annonçait un grand soleil dans un immense ciel bleu. Ces jours-là, nous vagabondions au gré des sentiers. Oui, les bons souvenirs ont été légions à Mantet mais comme dans la vie rien n’est jamais simple, nous y avons connu aussi des jours de grande galère. En 2001 par exemple, lors notre GR.10 depuis Mérens-les Vals, quand Dany, des ampoules pleins les pieds depuis Bolquère ; avait été dans l’impossibilité d’aller plus loin que Mantet lors de cette 8eme et, par la force des choses, dernière étape. Ou bien encore, lors de ces deux jours d’un 1er et 2 mai 2004, où nous avions fini par nous perdre dans ce Massif des Tres Estelles si beau mais incroyablement si fallacieux quand des hauts murs de glace et d’immenses névés n’avaient rien trouvés de mieux que d’être encore bien présents sur le versant nord du pic où nous voulions à tout prix redescendre pour nous diriger vers Escaro et notre voiture se trouvant au Pas del Grau. Pour toujours gravée dans nos têtes, cette terrible aventure, qui par bonheur s’était bien terminée grâce aux secouristes, était devenue à jamais « Un cauchemar pour trois étoiles ». Oui, en cette matinée du 26 juillet 2019, alors que nous enfilons nos chaussures de marche, les souvenirs sont là, tenaces mais pas vraiment angoissants car les bons et les mauvais finissent par se mélanger et se confondre. Il est vrai que nous avons toujours fait en sorte de ne pas rester sur un échec, refaisant le même itinéraire, histoire de vaincre le « signe indien ». Si nous avons connu le meilleur et le pire, on se dit que rien de bien plus méchant ne peut nous arriver aujourd’hui. En randonnée, vaincre le « signe indien », on commence à connaître, même si la prudence reste constamment de mise car sinon à quoi serviraient les expériences ? Après un bref instant d’hésitation entre un chemin « Sentier d’interprétation » qui part à droite et celui qui traverse le village, nous choisissons ce dernier. Le Bouf’tic est fermé mais un homme qui jardine nous indique qu’il fait toujours chambres d’hôtes mais plus du tout resto. Odile Guinel n’est plus maire du village nous annonce-t-il. C’est lui le maire nous dit-il. On le remercie pour les renseignements, lui souhaitons une bonne journée et démarrons enfin notre balade même si des souvenirs continuels, quelques fleurs, des oiseaux et un gentil ânon ne cessent déjà d’interpeller mon appareil-photo. Nous traversons le village, ici tout en descente, en notant tout de même quelques menus changements. Comme par exemple cette brasserie Senglar où l’on s’arrêtera au retour pour déguster l’excellente bière du pays dont la publicité sur le Net indique qu’elle est brassée avec une eau de source et confectionnée avec des herbes sauvages, le tout provenant de cette sublime vallée de Mantet qui nous attend. Malgré un temps plutôt médiocre mais pas du tout désagréable sur le plan température, et même si la luminosité n’est pas toujours idéale, mon appareil-photo essaie de ne rien louper de toutes les originalités que je découvre en chemin. Un beau chien cherchant des câlins, un jardin potager, une mésange peu farouche, un étrange message à propos des compteurs Linky, des lézards le plus souvent trop remuants pour l’instant, un rapace qui nous surprend et s’envole, finalement la petite passerelle de bois enjambant le Ressec est vite là. La présence de la rivière a démultiplié la présence des fleurs dont les plus beaux spécimens sont incontestablement les œillets de Montpellier. Blancs, parfois un peu rosée ou verts, accouplés aux mauves scabieuses et aux jaunes boutons d'or, les gros bouquets sauvages ainsi constitués sont toujours extraordinaires. Ici, je connais bien ces torrents, celui de Ressec dont la confluence avec l’Alemany engendre un peu plus bas, la rivière de Mantet, elle-même affluent de la Têt. Combien de fois me suis-je rafraîchi à ces torrents soit pour de simples bains de pieds soit pour des immersions un peu plus conséquentes ? Un chemin encadré de grosses pierres et pavé grossièrement de plus petites file désormais en direction de la rivière Alemany que l’on enjambe un peu plus loin, juste après avoir poussé un petit portail métallique. Cette « carrerada » se rétrécie quelque peu mais garde encore ses fonctions primitives qui étaient d’amener les troupeaux aux estives tout en protégeant au maximum les cultures alentours. Si les fleurs et les papillons sont désormais les éléments les plus convoités par mon objectif photo, un rougequeue noir et une fauvette se laissent gentiment photographier. Mais que dire de tous ces lézards qui habitent dans les murets. Certains détalent, d’autres tergiversent à le faire, mais la plupart ne bougent guère ou pas du tout hésitant à quitter leur pierre que quelques éphémères rayons de soleil ont tout de même un peu tiédis. Jamais de ma vie, je n’ai aperçu autant de lézards et pour moi, c’est l’occasion ou jamais d’essayer de voir s’il s’agit du commun Lézard des murailles ou du plus rare Lézard catalan. Murailles, murailles, murailles et bien non ici à Mantet, je ne vois pas de catalan ! Puis finalement si, j’en vois aussi, grâce à leur plaque massétérique quasiment absente que j’observe en m’aidant du zoom de mon appareil-photo. A l’approche d’un bois de pins, Dany qui le plus souvent marche loin devant moi, cette fois-ci m’a attendu. Elle souhaite s’arrêter pour déjeuner. Il est vrai que ne regardant jamais l’heure, je constate soudain qu’il est presque 12h30. A l’orée du bois et à quelques mètres du sentier, on s’installe sur l’herbe. De nombreux randonneurs passent devant nous et descendent vers Mantet. En réalité, et à notre étonnement, il y a plus de randonneuses que de randonneurs. Certains passent silencieux mais la plupart y vont d’un bonjour ou d’un bon appétit. Quelques-uns s’arrêtent et trouvent nécessaires d’engager une conversation aussi courte fût-elle. Bien évidemment, ils parcourent soit le GR.10 soit ils arrivent d’Espagne. Pendant un long laps de temps, tout redevient tranquille et c’est à ce moment-là que Dany me fait remarquer que d’innombrables oiseaux volent dans tous les sens au sommet d’un pic. Un petit coup d’œil sur mon bout de carte IGN et je constate qu’il s’agit probablement du pic de l’Orry culminant à 2.040m. Les oiseaux, en réalité des vautours fauves, sont encore bien plus haut et sans doute 300 à 600 m encore au dessus de la crête. Ils paraissent descendre et certains se détachent peu à peu de ce groupe énorme. C’est la première que j’en vois autant réunis sur un périmètre aussi réduit. Dans l’immédiat et le pique-nique terminé, je suis surtout attiré par les fleurs, les papillons et quelques hirondelles rustiques volant en rase-mottes. Je tente tant bien que mal de les prendre en photo mais malheureusement et vu leur vitesse, c’est plus souvent mal que bien. Heureusement que nous n’en sommes plus au temps de l’argentique car sinon quel gaspillage en papier ! Alors que j’en suis là à tenter en vain ces difficiles photographies des hirondelles en plein vol, une ombre immense passe au dessus des pins qui se trouvent à quelques mètres de nous. Il s’agit d’un vautour fauve. Un deuxième arrive et passe-lui aussi et en planant à 15 ou 20 m au dessus des pins les plus hauts. Puis, il en passe un deuxième, un troisième, un quatrième et je vais en conter six en l’espace de quelques secondes. Une fois encore, ce spectacle a toujours un petit angoissant car on s’interroge sur cette soudaine proximité. Photographier des vautours en plein vol et bien plus facile qu’une hirondelle. J’en profite. Finalement, les vautours disparaissent aussi soudainement qu’ils étaient arrivés. Nous repartons. Tout en marchant, je me dis que la toponymie (*) "aile grande" ; "ale" pour "aile" et "many" pour "grand" ; que certains linguistes donnent au nom "Alemany" n'est peut être pas si absurde que ça ! Le sentier s’élève et avec la Jasse Grosse un palier semble atteint. D’ailleurs la végétation change aussi avec un peu moins d’arbres, une longue steppe d’herbes sèches parsemés de gros rochers sur la droite et sur la gauche des genévriers et des genêts nains. Avant même d’atteindre l’orri bien connu de ce lieu-dit, quelle n’est pas ma surprise d’apercevoir deux marmottes perchées sur de gros blocs. Elles ne bougent pas, mais une fois encore elles sont bien trop loin pour la puissance de mon téléobjectif. Je les photographie tant bien que mal. J’essaie de m’approcher mais très craintives, elles disparaissent aussitôt. C’est donc à regret que je retourne retrouver l’itinéraire. A regret, car il faut bien reconnaître que les occasions de voir des marmottes dans les Pyrénées-Orientales ; et d ‘ailleurs dans les Pyrénées tout court : ne sont pas si abondantes que ça ! En ce qui me concerne, c’est la quatrième fois que j’en vois et j’en ajoute une éventuelle cinquième, si je veux tenir compte des sifflets perçants que j’avais entendu du côté des Sources du Riuferrer, non loin du lieu-dit la Baraque del Faig lors de Mon Tour du Vallespir. Deux autres fois, c’était lors d’une randonnée au Pic de Costabonne, sur le versant ouest et nord du Bac du Costabonne plus exactement, puis ensuite un peu plus bas avant d’arriver à la Baraque de la Coma del Tech. Enfin, les plus visibles et les plus proches que j’avais pu photographier avaient été vu au bassin d’Aixeques dans la Vallée de la Riberole, non loin du Refuge de l’Orri. Voir des marmottes est d’autant plus réjouissant que sa réimplantation à la fin des années 40 n’a jamais été vraiment considérée comme une réelle réussite et qu’il a fallu plusieurs campagnes de réintroduction pour la voir s’installer dans de très nombreuses vallées pyrénéennes ensoleillées. Aujourd’hui encore, il n’y a pas vraiment photo, entre celles que l’on voit dans les Alpes et qui se laissent gentiment approcher et nourrir et celles des Pyrénées toujours plutôt farouches et moins nombreuses. Après l’orri, le sentier serpente au sein d’un végétation plutôt rabougrie. Finalement, des panonceaux directionnels se présentent : Ras de la Carança d’un côté et Portella de Mentet de l’autre. Nous poursuivons cette dernière direction et très vite le Refuge de l’Alemany est là. Construit en 1988, il est bien occupé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur par plusieurs randonneurs. Nous n’y stoppons que le temps d’un courte visite et d’un peu de lecture évoquant le refuge, la baraque des Allemands et la toponymie du nom Alemany (*). Le texte en question confirme bien la "grande aile" citée ci-avant. Malgré la vision exceptionnelle que nous venons d'avoir des vautours, j'avoue que je ne la partage guère. Nous continuons et dès lors que le chalet du berger est atteint, je sais que les vestiges de la Baraque des Allemands ne sont plus très loin. Nous y stoppons et après un brève incertitude quant au bon sentier à poursuivre, mon GPS et le tracé enregistré nous indiquent la marche à suivre. L’itinéraire est là, peu visible sur l’herbe verte qui a sans doute repoussée, mais juste derrière les ruines de la vieille baraque. Alimenté par le ruisseau de Bassibès, il suffit de faire quelques mètres pour trouver une première passerelle enjambant l’Alemany. Etroit ruisseau très tranquille, il serpente au sein d’une incroyable végétation florale où les papillons et quelques autres insectes trouvent un biotope à leur gré et à leur dimension. La suite reste simple puisqu’il suffit d’emprunter ce sentier toujours parallèle au modeste ruisseau qui peu à peu devient petit torrent. Une deuxième passerelle se présente et permet de passer sur l’autre rive. Le sentier s’élève, file désormais en balcon au dessus de l’Alemany puis entre dans un bois de pins à crochets. Nous profitons de la quiétude du lieu pour finir les restes de notre casse-croûte puis repartons. Finalement, c’est à l’instant de sortir de ce bois que nous retrouvons les couleurs blanches et rouges du GR.10. La suite et la fin seront encore plus faciles et sans doute trop faciles pour moi car je décide tout à coup de quitter le sentier pour partir à la découverte des vestiges du passé. Cortals ruinés, orris et surtout des murs souvent plus impressionnants les uns que les autres, je me lance dans une quête que je sais perdue d'avance. Au sein de ce monde minéral, souvent envahi par le végétal, tout n’est que silence. On entend les abeilles voler et quand j’observe la Nature, l’évidence saute aux yeux : les lézards et les insectes ont pris la place des ovins, des caprins, des bovins et des chevaux qui devaient paître dans ces lieux, il y a moins d’un siècle sans doute. Ce n’est pas avec ça, qu’on se régalera d’un steak bien tendre aux auberges de Mantet me dis-je ! Je pars retrouver l’itinéraire que Dany a continué à suivre. Un brouillard très dense descend du col de Mantet et des Tres Estelles en direction du village. Je ne dis rien à Dany car elle vient de m’annoncer qu’elle aimerait bien se tremper les pieds dans la rivière mais au fond de moi, je me dis que nous devrions peut être presser le pas. Alors j’observe plus précisément cette brume mais finalement je m’aperçois qu’elle descend, remonte un peu et fait ce yoyo presque constamment, même si un mouvement de descente paraît certain. Je me dis que le chemin est simple et que l’arrivée n’est plus très loin. Dany trempe ses pieds dans l’Alemany et pour une fois, moi qui aime tant l’eau, je me contente de la regarder. Finalement, et malgré cet épais brouillard qui semble vouloir tomber sur Mantet comme un rapace tombe sur sa proie, nous flânons plus que jamais. On part voir la forge et son imposant marteau, je photographie des oiseaux, on caresse un chat puis le chien de la brasserie Senglar. Alors bien sûr, comment ne pas s’arrêter pour déguster cette merveilleuse bière artisanale que cette brasserie a concoctée presque essentiellement pour les visiteurs de Mantet ? Visiteurs d’un jour nous le sommes, visiteurs de toujours nous le resterons pour la vie. Nous quittons la brasserie et le sympathique Béranger. Le village est encore là, mais comme vide de tout occupant. Quelques ruelles restent à gravir pour en terminer. Le mauvais temps ferait-il peur aux Mantetaires ? Oui, sans doute, car ils connaissent la montagne et le mauvais temps qui peut survenir encore plus vite qu’il ne faut ici pour l’écrire. La suite va leur donner raison. Nous terminons cette balade dans la brume mais sans avoir vu la moindre goutte de pluie. Nous reprenons la voiture et filons vers Urbanya. Et là, à partir de Ria, c’est un véritable déluge. Par bonheur, nous sommes dans la voiture. Un tel déluge, Dany et moi l’avons connu une seule fois sur nos têtes. C’était en 2002, dans la descente du Pic de la Vache, près des étangs Bleu et Noir et alors que nous redescendions vers les étangs de la Carança. C’est trempés jusqu’au os que nous avions trouvé refuge dans le très bel orri à deux chambres qui se trouve au lieu-dit Planell de l’Estany. Oui, depuis notre égarement au pic des Tres Estelles et ce « Cauchemar pour Trois Etoiles », Mantet aura toujours cette faculté de faire renaître en moi d’incroyables souvenirs, les bons et les mauvais et ceux inoubliables du GR.10. Cet orage au dessus des Etangs de la Carança, qui par bonheur avait été très violent mais très court, je n’ai jamais su où le ranger ! Telle qu’expliquée ici, et errements photographiques inclus, cette balade dans la « Vallée de l’Alemany » a été longue de 8,8 km pour des montées cumulées de 708 m. Le dénivelé est de 504 m entre le point le plus bas à 1.475 m sur la passerelle enjambant le Ressec et le plus haut à la Baraque des Allemands à 1.979 m. Le parking du village est à une altitude de 1.580 m. Carte IGN 2250 ET Bourg-Madame – Mont-Louis – Col de la Perche Top 25.
(*) Le nom Alemany et sa toponymie : La rivière de l’Alemany qui coule dans le vallée éponyme a une longueur de 5 km et son bassin versant une superficie de 11,2 km2. Les crues torrentielles les plus marquantes ont eu lieu en 1763, 1772, 1940 et 1992. Des avalanches ont parfois lieu dans la partie la plus haute de l’Alemany. (Les avalanches en haute Alemany de Jean-Marie Aguera (1985).
Tous les linguistes semblent d’accord pour dire que le mot catalan « Alemany » signifie « Allemagne » ou « Allemand ». A propos du nom de famille, voici ce qu’écrit le professeur Jean Tosti sur la page de son site dédié : « Nom d'origine (allemande). Désigne une personne venue d'Allemagne. Le patronyme est fréquent en Roussillon ». Le site de généalogie Généanet écrit sensiblement la même chose : « Désigne une personne venue d’Allemagne. Le nom de famille est fréquent en Roussillon et plus généralement en Catalogne ». Ainsi, une recherche sur ce site donne plus de 27.000 résultats dans le fichier « ancêtres » et plus de 15.000 résultats dans la bibliothèque généalogique, c'est-à-dire au niveau des documents consultables en ligne si un compte est ouvert chez eux. Très étonnamment aucun nom ne figure dans le village de Mantet mais si on s’en éloigne de seulement 30 km autour, on obtient 139 résultats. Le site « La langue catalane et son histoire » confirme cette traduction et parle de l'orthographe et de la phonétique des mots finissant tout spécialement par "ny" (palatal et graphème).
Concernant le nom de la rivière et des autres lieux-dits de la vallée (roc, bac, jasse, cortal, soula, refuge), là, les toponymistes sont beaucoup plus partagés. Pour Robert Aymard, aucun doute, le nom continue de définir un « allemand » (source « Les toponymes pyrénéens »). Pour les rédacteurs catalans de la « Nomenclàtor toponimic de la Catalunya del Nord », c’est la même chose, et pour eux la « Barraca de l’Alemany » devient carrément la « Barraque des Allemands ». Il faut donc se fier aux éventuelles explications données par Jean Rigoli, l’historien de Mantet le plus prolifique sur ce village (Diaporama photos, Histoire, toponymie de tous les noms de lieux) pour envisager d’autres toponymes possibles. Voici textuellement (en bleu ciel) ce qu’il écrit à ce propos :
Lalemany - Cad. 1824 - B2/57 à 121
L' Alemany- IGN 1991 - 2250 ET
Rivière et vallée au sud-ouest du village, en amont de Mentet : L'Alemanyou l'Alamany.
La rivière porte aussi le nom de rivière de la Portella.
- D'après Lluís BASSEDA, sans doute patronyme d'un possesseur, provenant du germaniqueAlls : tout + Man : homme pour donner le nom latin d'Alamanius.
Mais il est possible aussi que cet anthroponyme provienne d'un ancien soldat d'un poste de garde, tenu par des colons ou mercenaires Alamans, pour contrôler le passage stratégique entre Collet Portella de Mentet.
Clin d'oeil ironique de l'histoire, ce poste de garde aurait alors préfiguré la "Baraquedes Allemands" édifiée pour la même raison par les troupes d'occupation lors de la dernière guerre, en 1943. (voir B2.03.5)
On trouve ce toponyme avec un "s" final, sous la forme Alamanys, à Tatzó d' Argelers et à La Roca de l'Albera.
Cependant, il nous faut observer que la formation anthroponymique est pratiquement inexistante dans la toponymie ancienne de Mentet, surtout dominée par l'oronymie.
D'autre part, le caractère sauvage et particulièrement isolé de cette contrée semble peu favorable à l'implantation domaniale gallo-romaine.
Aussi peut-on avancer une autre hypothèse à partir de l'agglutination possible "Ala -Many", Ala,issu du latin Ala: épaule, aile, ayant aussi, en catalan, le sens de contrefort montagneux, accompagné ici du déterminatif du vieux catalan Many, issu du latin Magnus: grand.
Semblable à Caramanydu Fenouillèdes, à Galamanyde Vià, à Rocamany de Mosset ou encore aux Capmany et Portmany d'outre-Pyrénées quant à sa formation, l'Alamany de Mentet désignerait le puissant épaulement de la Serra de Caret dominant la vallée de l'Alamany, avec le sens degrand contrefort montagneux.
Une autre explication pourrait faire intervenir la survivance du vieux mot basque Ala : pâturage, associé au vieux catalan Many pour donner le sens de grand pâturage à cette vaste vallée si accueillante aux bestiaux.
La voyelle atone de la deuxième syllabe a pu être indifféremment transcrite "a" ou "e", ce qui permet de trouver les deux graphies Alamany et Alemany, avec une fixation de cette dernière forme par la cartographie la plus récente.
- Mentions du cadastre de 1824 :
- cortal de Lalemany
- cortal del Tramesou
- ravin del soula de Lalemany
- ravin del camp de l'orme
- Mentions de la carte IGN 1991 - 2250 ET :
- refuge de l'Alemany
- roc de l'Alemany
Parmi toutes ces explications, il faut noter que l'origine la plus ancienne du nom a été retrouvée à propos d'un cortal et d'un ravin sur un cadastre de 1824 et qu'il était écrit "Lalemany". On peut donc logiquement imaginé qu'il s'agissait du nom d'un habitant de Mantet possédant ce cortal. Il faut également noter que sur ce vieux cadastre, on trouve une autre "Jasse de Lalemany" non loin du pic du Canigou et plus précisément sur le versant ouest au pied du pic Joffre. Sur les nouvelles cartes IGN, il est désormais mentionné "Jasse Lallemand".