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Le Monologue du frangin
Quelques photos de notre enfance et notre jeunesse avec mon frère aîné Daniel. Toujours complices dans le vie comme dans nos jeux. Sur la 1ere photo, sur la plage de Sormiou avec notre petite soeur Nicole.
Si le titre « Le Monologue du Frangin » peut prêter à sourire, ici s’arrête la dérision.
Le frangin c’est moi et au travers de ce monologue, je m’adresse à mon frère.
Si depuis longtemps déjà, j’éprouvais le besoin d’écrire à propos de mon frère, il est évident que la période que nous vivons avec le Covid-19 n’a fait qu’amplifier les choses. Devant ce petit virus qui peut soudain surgir et nous emporter en seulement quelques jours, on se sent infime, dérisoire même. On voit les « choses » différemment. Enfin, c’est mon cas.
« Pourquoi es-tu parti ? »
Voilà une question que je me poserais jusqu’à mon dernier souffle sans en obtenir de réponse.
Cette question est là comme une plaie qui dans ma tête ne se refermera jamais.
Combien de larmes, cette question a-t-elle engendré en moi ? Jamais trop si une d’entre-elles avait été au moins une réponse. Mais les pleurs aussi récurrents soient-ils ne sont pas des réponses.
Cette question, depuis 1992, je la pose à mon frère parti à l’âge de 46 ans. Si sur cette terre, un être ne méritait pas de partir si jeune c’est bien lui. D’un naturel plutôt réservé, timide même, il était la bonté et la générosité personnifiées. Enfin, c’est ainsi que je veux en garder le souvenir, souvenir d’enfance et de jeunesse principalement. Il s’était marié, avait eu un enfant ; mon neveu Pascal ; ce qui rajoute encore à l’injustice de son décès car je sais que fonder un foyer si possible parfait était le but de sa vie. C’était le mien aussi et sans jamais nous être concertés, nous étions sur ce plan-là dans une totale harmonie. Construire du durable, réussir, être irréprochables, être aimé des siens, nous avions été éduqués et aimés par nos parents dans cette optique. En devenant adulte, de cela, j'en ai acquis la certitude.
Cette question « Pourquoi es-tu parti ? » en engendre bien d’autres et la première est « quelle est la raison médicale de ton départ ? » Certes tu souffrais d’une forme d’asthme que les docteurs intitulent parfois de « sévère » mais aucun symptôme n’était visible et rien ne laissait présager que tu en souffrais quotidiennement. On sait tous que l’asthme se déclare sous la forme de crises mais de là à en mourir si subitement dans la force de l’âge, il y a une marge difficilement franchissable. Trop jeune et insouciant, je ne l’avais jamais franchie sans doute par méconnaissance des « choses » médicales. Depuis, j’ai lu un peu sur le sujet et je sais qu’il s’agit d’une maladie qui peut être très sournoise et bien évidemment fatale. Alors crise d’asthme ? Infarctus foudroyant ? Rupture d’un anévrisme ? Cette dernière solution ne cesse de m’interroger depuis que j’en souffre moi-même au point de m’être fait opérer et sachant que les anévrismes artériels peuvent être héréditaires et bien sûr mortels dans le cas d’une rupture. Alors quelle souffrance t’a emportée ? Cette question, personne n’y répondra jamais non plus et ne rien savoir à ce propos ajoute à ma désespérance surtout quand on connaît un peu les « rares » circonstances de ton départ (*).
D’ailleurs, étant devenu adulte, s’il y avait une souffrance qui transpirait sans cesse de toi, ce n’était pas tant la physique mais plutôt la morale. Oui, tu avais tant changé. De timide, tu étais devenu introverti, taciturne même. Parvenir à faire sortir 10 mots d’affilée de ta bouche devenait un exploit. Je me souviens de 2 ou 3 parties de pêche où j’avais essayé mais en vain de te demander pourquoi ton visage exprimait sans cesse la tristesse ? Le désarroi ? Le chagrin ? L’accablement ? L’inquiétude ? Le malheur peut-être ? Que sais-je ? Systématiquement tu coupais court à toutes mes questions m’envoyant dans les cordes comme un boxeur un peu groggy qui a pris un gros uppercut mais qui ne veut pas s’en laisser compter et qui a bien compris que la meilleure défense était d’attaquer. Oui, d’une manière un peu sèche tu m’envoyais systématiquement « bouler ». Un silence qui n’avait pas lieu d’être et que je trouvais malsain en cette circonstance s’installait entre nous. Une partie de pêche entre frères qui aurait dû être un moment de convivialité, de fraternité et de bonheur se transformait en mutisme. Jamais dans nos rapports d’enfance ou de jeunesse, je ne t’avais connu ainsi. Depuis que tu étais devenu adulte et que tu avais été contraint d’assumer les responsabilités qui vont avec ce statut tu semblais malheureux. Maman, papa, tous, on se posait la question. Oui, tu étais constamment sur la défensive quand cette question était sur le tapis et que ta vie privée paraissait en jeu. Ce n’était pas de la curiosité que nous avions mais simplement de l’attention.
Oui, où était-il passé le grand frère fusionnel qu’enfant j’avais toujours connu ? Le frère que je n’avais de cesse de faire rire avec mes sempiternelles pitreries ? A la maison, j’étais le bouffon et tu étais le roi. Un roi timide certes mais un roi tout de même. Un roi que j’appréciais car jamais tu ne profitais de ton pouvoir, de ton statut. Avec tes 3 ans de plus, tu étais l’aîné, et de ce fait, j’ai toujours accepté très volontiers ce rôle de cadet-bouffon, sauf peut-être quand une gifle ou une fessée qui aurait dû être commune n’arrivait que sur moi. Mais même là, je ne me suis jamais plaint de ce rôle de « souffre-douleur », ni auprès de toi ni de personne d’ailleurs. J’acceptais ce rôle que je considérais dans l’ordre des choses. Et puis, tu étais beaucoup plus sage, plus obéissant et beaucoup plus studieux que moi dans tout ce que tu entreprenais et cette différence de sanctions je la trouvais quelque part assez normale le plus souvent. Oui, où était-il passé le frère qui avait dormi près de moi pendant tant et tant d’années ? Le frère qui chaque soir ouvrait son lit–bahut au milieu de la salle à manger puis le refermait chaque matin, comme je le faisais moi- même avec mon propre lit pliant parce que la maison était trop petite et que nous ne pouvions pas avoir notre propre chambre. Cette promiscuité entre nous était devenue si naturelle. J’avais toujours imaginé que cette exiguïté contrainte avait tissé des liens entre nous à jamais dénouables. Oui devenu adulte, ta tristesse, ta morosité quasi permanente étaient entrain de réussir à les dénouer et ça me peinait énormément.
Oui, où était-il l’enfant espiègle qui m’amenait jusqu’aux arènes de Bonneveine voir les corridas en me tenant la main et qui se débrouillait toujours pour y entrer en resquillant car nous n’avions pas les moyens de payer ? Oui, qu’était-il devenu l’enfant plutôt fortiche avec un ballon dans les pieds, que j’admirais, et qui avait réussi à me faire aimer le football autant que tu l’aimais toi-même ? Où était-il passé le grand frère qui m’avait toujours aidé, aimé sans jamais s’arroger son droit d’aînesse en droit formel, sans jamais me faire sentir une quelconque différence d’âge ou de supériorité ? Qu’était-il devenu le jeune homme qui me racontait son service militaire à Montluçon comme un héros raconte ses exploits glanés sur un champ de bataille ?
Oui, les années passant, tu n’étais plus du tout le même frère et si j’en avais conscience, ce n’était pas pour autant que je m’en satisfaisais. Les questions restaient là toujours en suspens. L’instant de nos retrouvailles, ta tristesse devenait la mienne mais je me refusais à vivre dans ce qui me semblait être un carcan. Oui, je voulais vivre mon propre bonheur. Chacun doit mener sa vie à sa manière et si la tienne n’était pas pour me plaire, les questions auxquelles tu ne voulais pas répondre empêchaient toute possibilité de trouver des solutions. En tous cas, je ne pouvais rien te proposer. Je ne pouvais rien pour toi et je m’en désolais. Je n’arrivais pas à me faire à l’idée que toutes ces questions resteraient à jamais sans réponse. Le grand frère que j’avais vénéré comme un roi semblait déchu.
Si ta disparition si jeune ne mit pas fin à mes questionnements à ce propos, elle entérina pour toujours l’absence de réponses. Oui, pourquoi es-tu parti ? Ne rien savoir c'est très dur tu sais !
(*) Mon frère Daniel est décédé en juillet 1992 sur le petit port de la calanque de Sormiou. Il avait eu 46 ans le 1er mai. Alors qu’il revenait d’une partie de pêche nocturne en bateau, il s’est écroulé sur le quai selon les dires du seul témoin présent ce jour-là. Ce témoin a bien tenté d’appeler les secours mais par malchance, la seule cabine téléphonique était assez éloignée car au dessus de la plage et hors service car elle avait été vandalisée et pas encore réparée. Voilà ce que je sais de ses derniers instants. Il repose au cimetière de Mazargues dans un caveau familial.
Mon frère en 1986, sur le petit quai même où il a perdu la vie.
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