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Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

Publié le par gibirando

(Pour agrandir les photos, cliquez dessus. 2 fois pour un plein écran. Les photos sont numérotées. Vous trouverez les légendes de chacune des photos à la fin du texte.)

Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.Dans l’esprit de la plupart des personnes, le mot « impasse » a un côté péjoratif. Cela tient probablement au fait que l’expression « être dans une impasse » peut avoir de très nombreuses significations mais toujours négatives. Quel que soit le cas de chacun, on peut la résumer à « être dans une situation sans issue ». Autant vous le dire de suite, pour moi, le mot « impasse » n’a jamais eu cette résonance-là. J’ai habité 20 ans au fond d’une impasse, de 3 à 23 ans, c’est-à-dire de 1952 à 1972, et ce lieu, bien au contraire, a toujours été pour moi comme une fenêtre ouverte sur le monde. Mon monde devrais-je dire, car le monde de l’enfant ou du jeune que j’ai été n’a jamais été par la force des choses celui de tout un chacun.

Impasse Emile elle s’appelait, et j’habitais au numéro 8. C’était le dernier numéro et donc nous habitions la toute dernière maison se trouvant à son extrémité. Pour être plus précis, cette impasse, qui existe toujours, est située dans le 8eme arrondissement de Marseille dans le quartier de la Vieille-Chapelle. Parler de cette impasse, au point de vouloir écrire cette chronique à son sujet, c’est bien évidemment avoir envie de me remémorer un passé rempli de souvenirs d’enfance et de jeunesse le plus souvent très heureux.Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

Cette impasse, ce n’était pas n’importe qu’elle impasse. D’abord, elle s’élevait assez gaillardement sur une quarantaine de mètres vers le sommet d’une colline où un château de maître avait été construit au début du 20eme siècle. Le château du Collet. C’était son nom.  Je ne l’ai jamais connu car l’Histoire nous apprend qu’il fut détruit par les Allemands en 1943. Dans les années 60, une résidence de grand standing fut construite sur son emplacement. Cette résidence était située au sommet et notre petite maison était juste en dessous. Enfin, tout ça pour vous dire qu’habitant à la cime de cette colline, nous bénéficiions, depuis notre petit balcon, d’une incroyable vue sur la baie de Marseille mais aussi sur notre quartier et ceux limitrophes les plus proches. Autant que je me souvienne, et de droite à gauche, nous apercevions un bout de la Corniche, l’archipel du Frioul avec le célèbre château d’If et les îles Ratonneau et Pomègues.

Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

Vue depuis ma maison. Voilà la fênetre de mon enfance. En bas et devant, le boulevard Paul Hugues où avec les copains nous jouions au foot. On aperçoit la place de la Vieille-Chapelle en bord de mer où la fête foraine venait s'installer. Un bout de le jetée où j'ai appris à nager et à plonger par la force des choses car avec les amis, on se bousculait pour se pousser à l'eau. Juste après la baie de la Pointe-Rouge et sa plage où adolescent j'ai connu mes premiers flirts estivaux.

Derrière ces îles et dans le lointain, on distinguait à peine la continuité de la côte marseillaise du côté de l’Estaque et du Massif de la Nerthe. Au milieu de cet ample panorama maritime, il y avait l'île et le phare de Planier dont le signal nocturne lumineux a très souvent éclairé nos douces soirées estivales que nous passions sur le petit balcon « à prendre le frais ». Je vous parle d’une époque où nous n’avions pas encore la télé car chez nous elle est arrivée très tardivement. A gauche, nous pouvions voir un bout du Massif de Marseilleveyre, avec à nos pieds, une grande partie du quartier de la Vieille-Chapelle, l’anse de la Pointe-Rouge et son quartier, celui de Montredon avec derrière le petit mamelon du Mont Rose. Oui, cette vision constante à plus de 180 degrés a marqué mon enfance et à ma jeunesse. La mer Méditerranée était à la fois toute proche car à moins de 500 mètres de l’impasse et très lointaine aussi, puisque pour l’essentiel elleImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. définissait la quasi-totalité de l’horizon. De ce fait, la mer a toujours bercé ma vie. Cet horizon était bien souvent animé par les gros bateaux en partance pour la Corse, l’Afrique et les autres pays méditerranéens et sans doute cela a-t-il influencé ma curiosité et mon envie de découvertes. Je me souviens que ma mère en regardant le château d’If s’exclamait très souvent « je vais mourir sans jamais l’avoir visité ! ». Finalement, et sur le tard, alors que mon père était déjà décédé, mon oncle Henri et ma tante Juliette l’avaient amenée jusqu’au Vieux-Port où des bateaux organisés des visites. Elle était revenue ravie d’avoir vu le château d’If mais peut être encore plus d’avoir réalisé un vœu. Oui, cette impasse, même sans issue, n’était nullement fermée ni pour elle ni pour moi ni pour aucun membre de notre famille ! D’ailleurs, quand quelques années plus tard mon père a souhaité déménager, car malade il avait du mal à monter l’impasse, elle a constamment regretté tous ces panoramas qui s’offraient à nous dès que nous ouvrions la porte.


Si je dis « sans issue », c’est parce que l’impasse Emile était tout de même une vraie impasse.  Derrière notre petite maison à laquelle nous accédions par un escalier plutôt raide, nous avions un jardinet que mon père avaitImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. créé à la sueur de son front. D'autres escaliers y menaient car bien évidemment s'agissant d'une colline aucun accès n'était plat. Pour trouver un peu de terre et d’argile pour cultiver quelques salades, tomates et haricots, il avait été contraint de casser à la pioche et à la barre à mines le calcaire de la colline. Pour arroser le jardin, il avait construit un petit bassin où s’ébattaient de minuscules poissons rouges. Le bassin épousait en partie la roche où il avait été élevé. Au fond du jardin, il y eut un peu plus tard un poulailler, et au-dessus, accrochés au mur, des pigeonniers et des clapiers que mon père avait fabriqués lui-même avec des planches et du grillage. Pour nous enfants, c’était une ferme en miniature. Tout ce petit monde qui habitait le jardinet batifolait au pire dans le poulailler au mieux à l’air libre. C’était le cas des pigeons qui s’envolaient souvent dans d’incroyables voltiges. Je prenais un malin plaisir à les regarder planer au-dessus des maisons, les mains pleines de graines de maïs que j’égrainais peu à peu jusqu’à ce qu’ils reviennent les manger en se posant tout près de moi. Nous avions également une tortue d’Hermann qui n’était pas dépaysée dans cette colline méditerranéenne en 
miniature. Les chiens que nous avons toujours eus, Bambi et Miss, ne se plaignaient pas plus que la tortue de cet espace un peu sauvage. Enfant, j’ai toujours considéré qu’il y avait une amitié entre ces animaux et moi et j’allais jusqu’à leur donner des noms. Tout y passait, du prénom d’une copine de classe que je donnais à une poule au nom d’un célèbre chanteur ou sportif pour un pigeon ou un lapin. Le pire moment était l’instant où je ne retrouvais plus un de ces animaux car mon père l’avait tué pour que nous le mangions. Jusqu’à ce que nous soyons des adolescents « matures », mon père n’a jamais voulu que l’on assiste à ces mises à mort qu’il avait programmé pour remplir nos assiettes. Alors une fois à table, je mangeais le poulet, le lapin ou le pigeon comme les autres sans trop y penser car c’était notre façon de vivre et je savais que mes parents ne roulaient pas sur l’or. Malgré le jardinet, le bassin et la ferme en miniature, le calcaire de la colline était toujours là et pour moi, il était un terrain de jeu idéal pour que mes figurines, cow-boys et indiens, se livrent batailles. Tout autour du jardinet, ce n’était que de hauts murs infranchissables sauf à gauche où il y avait un grillage qui le séparait d’un petit terrain en friche et d’un terre-plein beaucoup plus plat. Le terre-plein était entouré de deux grands murs et suffisamment spacieux pour que l’on puisse taper tranquillement dans une balle ou un ballon sans déranger personne. Nous y jouions aussi à la pétanque. Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

C’est réellement ici et en tapant pendant des heures et des heures entre nous ou contre ces murs que mon frère Daniel et moi avons appris à jouer au foot et à aimer ce sport. Ce terrain était situé derrière la maison de nos voisins et amis, les Delpicchia mais autant que je sache, il ne leur appartenait pas. En tous cas, nous allions y jouer sans aucune contrainte ou interdiction. Outre les friches et le terre-plein, on y trouvait sur le sol et à un endroit bien précis, les vestiges cimentés et carrelés d’une maison qui avait été probablement rasée. Enfant, je ne me suis jamais posé la question « pourquoi ces vestiges étaient-ils là ? » Aujourd’hui, je me demande si ces ruines sans mur n’avaient pas un rapport avec la disparition du château du Collet ? A bien y réfléchir, c’est fort probable.  Ces dédales de ciment et de carrelages étaient eux aussi des lieux idéaux où l’on s’inventait des aires de jeux. Bien plats, nous y jouions aux billes, aux osselets ou au solitaire mais jamais à la marelle, jeu de filles

Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.que nous laissions à certaines de nos petites voisines. Sur le sol et à la craie, nous, on préférait y tracer des circuits représentant le Tour de France et nous y jouions avec les petites figurines de coureurs cyclistes. Nous en avions une bonne quarantaine et à chaque coureur nous attribuions un numéro et le nom d’un champion célèbre. Les circuits étaient des chemins remplis de rayures qui zigzaguaient sur les différentes esplanades. Avec mon frère, on se partageait le peloton et les coureurs avançaient sur les différentes rayures au gré du dé que nous lancions et donc des numéros qui sortaient. Le coureur avançait d'une rayure pour un « 1 » et de six rayures pour un « 6 ». Le coureur qui terminait le circuit le premier était déclaré vainqueur de l’étape. Nous tenions les résultats de chaque étape et de chacun des coureurs sur un cahier en leur attribuant des points et ce, jusqu’au dénouement final où le meilleur coureur, celui qui avait le plus de points était déclaré vainqueur du Tour. Puis on recommençait, avec le Tour d’Italie, le Tour d’Espagne et certaines classiques. Outre les jeux, je me souviens parfaitement que le terrain en friches était composé d’une herbe verte où poussaient principalement du lierre, des mauves et des concombres d’ânes. Cette dernière plante avait la particularité d’avoir des fruits qui explosaient dès lors qu’ils devenaient trop secs. La plupart du temps, ils n’avaient guère le temps de sécher car avec le talon nous les faisions exploser avant l’heure. Les fruits s’entrouvraient dans un bruit deImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. claquement laissant jaillir un jus verdâtre et des graines qui partaient sur plusieurs mètres et dans tous les sens. C’était devenu un jeu mais gare à ne pas se trouver devant ou à proximité !  Dans ce petit terrain vague, et dès les premiers beaux jours, il y avait également de très nombreux lézards qui n’en menaient pas large quand nous étions de sortie. Avec la méchanceté qui caractérise souvent les enfants, nous les poursuivions de nos assiduités et très souvent les pauvres n’avaient guère d’autres solutions que de nous laisser un bout de leur queue en guise de trophée. Tant que le morceau de queue gigotait vigoureusement, il nous intéressait et nous le regardions bouger dans la paume de nos mains, puis la plupart du temps il finissait au fond du bassin comme s’il s’agissait d’un aliment aussi comestible qu’un ver de terre.

Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.
J’oublie probablement beaucoup de choses de nos jeux d’enfants et de nos péripéties mais voilà comment se présentait l’extrémité de l’impasse Emile où il n’était pas rare qu'une multitude de copains ou copines viennent jouer avec mon frère Daniel et/ou moi.  Au fil du temps et sans un ordre précis, ils ont eu pour noms Mollard, Garnier, Ugona, Protesti, Aramini, Merciadri, Papa, Pardo, Testa, Ben Sissou, Delpicchia, Soscia, Tarducci et j’en oublie bien sûr. Tous des voisins ou voisines plus ou moins proches.

L’impasse en elle -même était large de tout juste 2 mètres voire guère plus. Elle était composée de trois parties. A gauche et en montant, il y avait une pente cimentée d’un mètre de large qui servait essentiellement à hisser les deux-roues, vélos et motos jusqu’à nos maisons. Elle était bien utile aussi pour monter les chariots des commissions ou les diables dès lors qu'on avait des charges lourdes. Attention, je précise que nous ne pouvions monter les deux-roues qu’en les poussant car la pente était bien trop
 raide pour espérer les amener tout là-haut autrement. Pas question d’être assis dessus. Au milieu, il y avait des escaliers aussi longs que larges mais dont les marches étaient très basses. Elles étaient nombreuses, ce qui compte tenu de leur conception les rendait à la fois faciles à gravir et peu dangereuses. A l’extrême droite, il y avait un très étroit caniveau où s’écoulaient à la fois les eaux de pluie mais également les eaux usées, car à l’époque le tout-à-l’égout n’existait pas encore. Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.
Evidemment, cette pente très raide a longtemps était un terrain de jeu. Avec les copains, nous y jouions par exemple à faire débouler nos petites « Majorettes » dans des courses effrénées. Je me souviens très bien que je gagnais de très nombreuses courses. Moi, qui n’ai jamais été intéressé par les marques et les modèles de voitures ; et encore de nos jours ; je me souviens parfaitement de celle qui me permettait de gagner le plus souvent. C’était une Ford Vedette qui avait la particularité d’être une ambulance qui roulait très bien et qui de surcroît était très solide. Elle paraissait incassable par rapport à toutes les autres que je possédais, lesquelles la plupart du temps finissaient en piteux états. Il y avait aussi un autre jeu, de balle celui-ci, qui consistait à éviter que cette dernière atteigne le bas de l’impasse et termine sa course dans le boulevard Paul Hugues. Ce jeu présentait l’avantage que l’on pouvait y jouer à deux ou à plusieurs. Le placement des différentsImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. joueurs s’effectuait par tirage au sort. Tout en haut, une joueur lançait une balle, de tennis le plus souvent, et de préférence au sol mais de toutes ses forces et les joueurs, qui étaient échelonnés tout au long de la pente, devaient la rattraper. Celui qui réussissait à la capter marquait des points selon son placement. Plus il était au bas de la pente et plus il marquait de points. Dès lors qu’un joueur avait 30 points, on procédait à d’autres placements toujours par tirage au sort mais la lanceur, lui, changeait automatiquement à tour de rôle.

Au fil de nos âges, et du mien bien sûr, les jeux ont évolué mais l’impasse Emile a continué à voir et à recevoir nos mutations toujours divertissantes mais désormais le plus souvent jubilatoires. Les « Majorettes » ont été d’abordImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. remplacées par de petites « planches à roulettes » très rudimentaires que nous construisons avec des planches et des roulements à billes et sur lesquelles tant bien que mal nous nous couchions pour descendre l’impasse. On les appelait « carriole ». Ensuite, les « carrioles » ont été remplacées par des trottinettes "maison" elles aussi, puis par des vélos toujours plus grands et les balles de tennis par des ballons de foot. Un jour, finalement, il arriva ce qu’il devait arriver.  L’impasse Emile était désormais trop étroite pour nos jeux de grands écervelés que nous étions devenus. Les matches de foot ou de pétanque s’effectuaient directement dans le boulevard Paul Hugues. Les « carrioles » que nous avions perfectionnées avec guidon et freins nous les chevauchions à tout berzingue dans le large et pentu Boulevard des Neiges. Mais parmi tous ces jeux, le foot était devenu pour mon frère et moi une véritable passion. Le dimanche, nous jouions au Sporting Club de Bonneveine. De 3 ans plus âgé, lui était bien meilleur que moi, surtout comme attaquant. C’était un redoutable ailier gauche, très bon buteur avec des dribbles déroutants. Moi, je continuais à me chercher, évoluant néanmoins avec une certaine facilité à tousImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. les postes, de gardien de but à avant-centre en passant par arrière central ou milieu de terrain. « Demi » comme nous disions à l’époque. Après la classe et les devoirs du soir, dans le boulevard Paul Hugues et avec les copains nous nous lancions dans des parties acharnées. Si acharnées parfois que même les passants de la rue nous devenaient indifférents voire carrément invisibles. C’est ainsi que me revient un souvenir cocasse à propos d’une de ces parties. Chaque soir et alors que nous jouions, Monsieur Testa, un de nos voisins, revenait systématiquement de son travail à vélo.  Il ronchonnait toujours car nous occupions toute la largeur de la rue et il acceptait mal le fait que nous n’interrompions pas notre partie pour le laisser passer. Il faut dire qu’il marmonnait le plus souvent et qu’on éprouvait les pires difficultés à le comprendre car il avait pour habitude d’avoir entre ses lèvres un petit mégot de cigarette. Le plus souvent éteint mais quelquefois allumé. De ce fait, il mâchouillait les mots plus qu’il ne lesImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. prononçait.  Nous l’appelions gentiment le père Testa et nous avions fini par ne plus l’écouter quand il passait. Un soir, avec une grande maladresse, et alors que j’occupais le poste de gardien de but, j’ai voulu dégagé le ballon qui est parti tout droit comme une flèche dans le visage du père Testa. Le pauvre homme en est tombé de son vélo, mais comme il y avait plus de peur que de mal, il s’est très vite relevé car à n’en pas douter il était à la fois très énervé mais surtout vexé. Le pire dans cette scène burlesque, c’est que comme un seul homme nous avons tous éclatés de rire, non pas à cause du ballon qui était venu le frapper, pas plus que du fait qu’il était tombé à la renverse, non, nous « rigolions comme des banastes (*) » (expression purement marseillaise !) à voir la tête qu’il avait. Une mèche noire de ses cheveux était descendue sur son front, quant au mégot, il était venu s’écraser sous ses narines, les deux éléments réunis le faisant ressembler comme deux gouttes d’eau à Hitler. Vexé, il se mit à hurler « qui a fait ça ? ». Et là, on éclata tous de plus belle car il nous rappelait encore plus l’image télévisée que nous avions du Führer allemand quand il haranguait les foules.  Par bonheur, il n’avait pas vu que c’était moi et personne neImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. pipa mot. Il insista mais personne ne me dénonça jamais. Ce soir-là, il rentra chez lui hyper vexé et très en colère mais comme il nous avait tous repérés et qu’il nous connaissait, le lendemain soir, il alla taper à toutes les portes pour se plaindre auprès de nos parents de ce qui lui était arrivé. C’est ainsi que mis sur le grill, je finis par avouer à ma mère que c’était moi et elle me conseilla d’aller le voir pour m’excuser. Elle argumenta en m’expliquant que c’était sans doute la meilleure manière si nous voulions continuer à jouer au foot dans la rue sans que cela fasse trop d’histoires. En effet, selon elle, le père Testa n’était pas le seul, loin s’en faut, à se plaindre de nos attitudes footballistiques un peu trop désinvoltes. Elle avait entendu d’autres doléances chez des commerçants. Le soir même de la discussion avecImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. ma mère, je partis m’excuser auprès de lui, lui expliquant que j’avais été maladroit et que je regrettais tout ce qui s’était passé. Il le prit plutôt bien mais insista néanmoins pour que l’on arrête de jouer dès lors qu’il était là, lui ou une autre personne précisa-t-il néanmoins. Il le prit d’autant mieux que son fils, un peu plus âgé que mon frère et moi jouait aussi au foot au Sporting Club de Bonneveine dans une catégorie supérieure et qu’il savait que nous étions de fervents supporters. Nos parties ont ainsi pu continuer mais quand un passant se pointait, nous faisions en sorte d’arrêter nos actions de jeu. Nous avions compris la leçon. Par contre, quand Monsieur Testa arrivait sur son vélo, en douce, nous ne l’appelions plus le père Testa mais Hitler. « Méfi, voilà Hitler ! (*) » lançait le premier qui le voyait arriver. Qu’est-ce qu’on a pu se marrer avec ça ! Mais quand il passait au milieu de nous, c’était d’abord le silence le plus total puis nous y allions du bout des lèvres de quelques « bonsoir Monsieur Testa ! ». Nous étions un brin moqueur et « chambreur » mais néanmoins polis car c’était l’éducation que nous avions reçue. Il n’y avait rien de méchant dans tout ce que nous faisions.Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

Voilà pour cette anecdote qui reflète bien qui nous étions, quels étaient nos jeux, notre jeunesse à laquelle je me remémore en pensant à l’impasse Emile ou j’ai finalement passé 20 ans de ma vie avant de ma marier et de partir sous d’autres cieux.

En septembre 2012, soit 40 ans plus tard, je suis retourné voir ce qu’étaient devenues l’impasse et mon ancienne maison, lieux qui m’avaient été si familiers et où j’avais connu tant de joies et de bonheurs, à la fois familiaux mais aussi d’amitiés simples et sincères. Je n’aurais jamais dû y retourner car inévitablement et tant d’années plus tard, j’aurais dû me douter que beaucoup trop de choses auraient changées. Si le boulevard Paul Hugues n’avait guère connu de bouleversements, or mis le nombreImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. incroyable de voitures garées des deux côtés qui le rendait beaucoup plus étroit que l’idée que j’en avais gardée, si le boulevard des Neiges et quelques rues mitoyennes n’avaient guère subi de transformations, l’impasse, elle, était désormais fermée par une porte où pour entrer il fallait détenir un digicode. Je ne pouvais donc pas remonter l’impasse ni accéder à mon ancienne maison. J’étais complètement désenchanté et démuni devant cette porte qui était close et sans aucune possibilité d’ouverture. Le plus exécrable était que même la plaque signalétique que je voulais photographier en souvenir était taguée. Il n’y avait plus d’Emile visible et ça rajoutait à ma tristesse déjà bien grande. Tristesse de constater que nous vivions une époque où les gens estimaient qu’il valait mieux se barricader, époque où l’on s’en prenait même à de simples plaques de rues. Pourquoi ? Notre époque était-elle mieux qu’aujourd’hui ? Je restais là sans réponse. Pendant un instant, je me suis mis à penser à certains de mes amisImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. d’enfance ou d’école qui en grandissant avaient mal tourné. Adolescents, ils étaient devenus voleurs et pour certains carrément proxénètes se retrouvant parfois entre quatre murs et derrière les barreaux des Baumettes et je me demandais s’ils auraient été capables de s’en prendre à une simple plaque de rue. A bien y réfléchir, la réponse fut formellement « Non ». Mal éduqués puis livrés à eux-mêmes,  ils avaient mal tourné certes, préférant vivre de larcins et du proxénétisme mais ce n’était pas des vandales irréfléchis. Depuis le boulevard Paul Hugues, j’essayais d’apercevoir ma maison mais elle aussi avait bien changé. Une terrasse avait remplacé notre toiture et pour tout le reste je restais dans l’inconnu. En rentrant chez moi et en revoyant les quelques photos que j’avais prises de mon quartier, j’eus envie d’en savoir plus de ce qu’était réellement devenue mon impasse et ma maison et je me mis à visionner des vues aériennes et d’autres vues mobiles sur Google Maps qu’on appelle « Street View ». PourImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. l’impasse, je n’avais pas d’autre vision que celle de la porte fermée et la confirmation de la plaque taguée. La vue aérienne de l’impasse, de ma maison, de mon jardinet et du terre-plein d’à côté ne fit qu’amplifier ma déception car tout ou presque de ce que j’avais connu avait disparu. Comme déjà aperçue, la toiture de ma maison avait été remplacée par une vaste terrasse, le terre-plein où nous jouions au foot avaient apparemment disparu sous d’autres habitations et il y avait même une piscine à l’emplacement même des vestiges carrelés où nous jouions au Tour de France avec mon frère. Seul, à l’endroit où nous avions le jardinet subsistait un coin de verdure mais la photo n’était pas suffisamment claire et précise pour avoir le certitude qu’il s’agissait encore d’un jardin potager. D’ailleurs, tout autour, beaucoup de choses avaient également changé car j’apercevais d’autres piscines et d’autres résidences inexistantes de monImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. temps. Au moment de quitter l'impasse ou plutôt le boulevard Paul Hugues, avec Dany, nous prîmes la décision d’aller visiter le reste du quartier et notamment le bord de mer. Là aussi, beaucoup de choses étaient nouvelles. La digue et le petit port où j’avais appris à nager avaient disparu sous des tonnes de terre et une multitude de brise-lames dans le seul but de gagner un peu d’espace sur la mer. Idem pour la placette où jadis avait été élevée la fameuse et « vieille chapelle » qui avait donné son nom au quartier, chapelle que je n’ai jamais connue et pour cause puisqu’elle avait été démolie en 1863. Une vaste esplanade avec parking et grand terrain de boules était venue la remplacer Il y avait désormais des pelouses et de larges allées où de très nombreux promeneurs circulaient. Je ne sais pas pourquoi mais je me mis à penser à des souvenirs futiles comme certains rochers qui émergeaient de la mer sur lesquels enfant je venais pêcher bavarelles, gobies, patacletsgirelles et roucaous. Ces rochers, je neImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. les voyais plus. Où bien quand un peu plus grands, avec mon frère Daniel, nous venions prélever quelques oursins ou autres grosses huîtres qui pullulaient sur des tables rocheuses guère profondes où quelques années auparavant nous avions initié nos premières plongées avec masque et tuba. Oui, je pensais à tout ça mais aussi à ses milliers d'élastiques qui pendant plusieurs semaines étaient venues s'échouer au milieu des banquettes de posidonies un jour de grosse mer. Entrelacées, serrées les unes aux autres puis finalement coupées à leur extrémité, ces élastiques avaient constitué des balles de caoutchouc extraordinairement performantes. Si performantes et si agréables à jongler, quelles avaient occupé toutes nos récréations pendant plusieurs trimestres scolaires. Avenue des Goumiers, le bar Mistral qui faisait l'angle avec la rue Joseph Vidal, lieu de rendez-vous entre adolescent(e)s où nous venions Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.jouer au flipper, au baby-foot et au billard français en écoutant un juke-box avait disparu lui aussi sous les façades modernes d'une banque. Mais le mot "Mistral" subsistait néanmoins sur la devanture d'un bel hôtel très contemporain lui aussi. Je pensais à tout ça mais aussi à la fête foraine qui venait s’installer chaque année, fameuse fête où j’avais gagné « le petit chien de porcelaine » dont j’ai eu l’occasion d’évoquer l’histoire dans Mon Journal Mensuel. Comment ne pas repenser à cette fête foraine puisque c'est là pour la toute première fois que j'ai connu Dany la femme de ma vie en juillet 1968. 

Oui, en quittant tout ça, je me suis dit que bien des choses avaient changé à la Vieille-Chapelle, et c'était sans doute une évolution normale. Un progrès ? Je ne sais pas mais j'en doutais fortement. Mais dans mon esprit, c’était l’inaccessibilité à l’impasse Emile qui me chagrinait le plus. Considérant qu’elle avait toujours été très ouverte, je l’avais trouvée close et le pire même, fermée aux deux extrémités. Au bout de cette impasse des personnes avec sans doute des enfants occupaient ces lieux désormais et je les plaignais me disant ; irrationnellement je l’avoue ; que depuis cet endroit, ils ne verraient jamais le monde aussi merveilleusement que j’avais pu le voir moi-même au cours de mon enfance.

(*) Banaste : Dans le Midi, il s'agit d'un grand panier en osier mais également d'un personnage un peu lourdaud. "Rire comme une banaste" signifie "rire un peu lourdement et bêtement". Méfi : attention, gare à toi !

Photo 1 : L'impasse Emile fermée avec une porte à digicode telle que je l'ai retrouvée en septembre 2012, 40 ans après l'avoir quittée.

Photo 2 : La plaque signalétique taguée telle que photographiée en septembre 2012.

Photo 3 : Cette carte postale montre sensiblement la vue de la Vieille-Chapelle et de la Pointe-Rouge que nous avions à l'époque où nous habitions au 8 impasse Emile. De notre balcon, la vue était bien sûr bien plus ample. On aperçoit très bien la placette où venait s'installer la fête foraine mais aussi le petit port et sa digue où j'ai appris à nager et à plonger.

Photo 4 : A l'école maternelle de la Vieille-Chapelle sans doute en 1953. J'ai 4 et suis au balcon devant la maîtresse.

Photo 5 : Avec mon regretté frère Daniel dans le petit jardinet que mon père est entrain de créer à la sueur de son front. On aperçoit les nombreuses caillasses de calcaire extraites de la roche de la colline.

Photo 6 : Avec mes grands-parents paternels Adèle et Gabriel et mon frère Daniel à l'endroit même du terre-plein où nous jouions au ballon, seul endroit plat suffisamment spacieux du terrain vague qui jouxtait notre jardinet.Je me cache derrière une tortue d'Hermann que nous possédions.

Photo 7 : Photo d'une Majorette Ford Vedette telle que je l'ai connue au temps où nous jouions aux petites voitures dans la partie cimentée de l'impasse Emile.

Photo 8 : Avec ma mère Adrienne et ma grand-mère Adèle sur le balcon de notre petite maison. Je suis au premier plan. La photo a été un peu loupée car il y a aussi mon grand-père Gabriel et mon frère Daniel. 

Photo 9 : Vue de mon ancienne maison depuis le boulevard Paul Hugues. Une terrasse est venue remplacée la toiture et une véranda a été aménagée sur le balcon. Photo prise en septembre 2012.

Photo 10 : Avec mon frère Daniel, ma soeur Nicole et mes cousines et cousine sur le parapet au bord de la mer à la Vieille-Chapelle. Je suis au premier plan puis il y a mes cousins Paul et Pierre, Daniel, Nicole puis ma cousine Mireille.

Photo 11 : Autre vue plus lointaine de mon ancienne maison prise depuis le bord de mer. On aperçoit mieux la colline où avait construit le château du Collet, détruit par les Allemands en 1943 puis remplaçait à diverses reprises par des résidences de grand standing.

Photo 12 : En 1956 et en famille dans la partie "colline" calcaire de notre jardinet. Endroit même où j'avais l'habitude de jouer avec mes figurines "cow-boys" et "indiens". De gauche à droite et en haut : mon cousin Raymond, ma grand-mère Adèle, mon cousin Jean-Pierre et Louis mon père. En dessous : Adrienne ma mère, Gaby ma tante, dans ses bras ma soeur Nicole qui est né en décembre 55 et ma cousine Mireille.Au premier rang, Danielle Esposito une amie, mon frère Daniel tête baissée et moi faisant le singe.

Photo 13 : Un exemple de carriole que nous fabriquions avec des planches et des roulements à billes.

Photo 14 : En 1960, avec l'équipe des benjamins du Sporting Club de Bonneveine. Je tiens le ballon au premier rang.

Photo 15 : Déjà adolescent dans le jardinet qu'il y avait derrière notre maison. Je suis assis au bord du bassin qui servait à arroser le jardin et dans lequel nous avons toujours eu des poissons rouges.

Photo 16 : Exemples de figurines de coureurs cyclistes avec lesquelles nous jouions au Tour de France étant enfant, mon frère et moi.

Photo 17 : En 1970, dans le jardinet avec Dany ma future femme. De gauche à droite Louis mon père, Dany, ma soeur Nicole, Adrienne ma mère, Adèle ma grand-mère et François et Rosine mes futurs beaux-parents. Ce sont mes dernières années à la Vieille-Chapelle car ensuite je vais partir au service militaire puis je me marierais en février 1972.

Photo 18 : Les fameux concombres d'ânes qui poussaient à profusion dans le terrain vague derrière notre maison. Je prenais un malin plaisir à écraser leurs fruits dont les graines et un jus verdâtre jaillissaient dans un claquement.

Photo 19 : La plage de la Pointe-Rouge telle que je l'ai connue dans les années 50, 60 et 70. J'y ai connu quelques flirts d'été et y est passé mai 68 et une grande partie du printemps, alors que de très nombreux autres étudiants manifestaient dans les rues. "Sous les pavés, la plage" disait un slogan célèbre. Moi, je n'ai jamais trouvé de pavés dans le sable de la Pointe-Rouge ! Au fond, la vieille chapelle et la colline où j'habitais. Chose étonnante, on aperçoit au sommet de la colline un grand immeuble qui n'existe plus de nos jours. On aperçoit aussi une grue travaillant à la construction d'une autre résidence.

Photo 20, 21, 22, 23 et 24 : La photo 20 et les suivantes sont des photos ou cartes postales que j'ai trouvées sur Internet. Sans garantie d'une chronologie exacte, elles démontrent l'évolution qu'il y a eu en un peu plus d'un siècle dans le quartier de la Vieille-Chapelle où j'ai vécu 20 ans de ma vie; enfance et jeunesse ; de 1952 à 1972. 

 

 

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Hommage à Adèle ma grand-mère paternelle....1893 - 1980.

Publié le par gibirando

 

Ce diaporama est agrémenté des chansons suivantes, chansons qu'Adèle aimait bien pour la plupart : - "Voulez-vous dansez grand-mère" ? paroles de Jean Lenoir, musique de Raymond Baltel et Alex Padou, chantée par Jean Lumière. - "Un petit cabanon" paroles de René Sarvil, musique de Vincent Scotto chantée Maria de Rossi. - "Plus bleu que tes yeux" composée par Charles Aznavour, chanté par Edith Piaf et Charles Aznavour. - "La vie en rose", musique de Louiguy et paroles d'Edith Piaf, joué et chanté par Louis Armstrong. -"Nous nous reverrons un jour ou l'autre" paroles de Jacques Plante, musique de Charles Aznavour, chantée par Thierry Le Luron.


 

Avec ce récit, j’ai voulu rendre hommage à ma grand-mère paternelle. C’est donc une nouvelle tranche de ma vie que j’ai eue envie d’évoquer. Une période de surcroît très heureuse car elle a été le véritable lien entre mon enfance et ma jeunesse. Une tranche avec Adèle. Une tranche de mortadelle, si je veux rester dans la plaisanterie de mauvais goût qui m’animait à cette époque. Adèle, c’était son prénom et bien évidemment, quand je pense à elle,  ce jeu de mots un peu balourd revient à ma mémoire. Avec mon frère Daniel, nous le répétions à l’envie dès lors que ce prénom était cité dans une conversation : « Elle morte Adèle » et plus grands, nous avions fini par rajouter « tuée par un sale ami ». Ce mauvais jeu de mot avait le don de mettre en rogne mon père mais ma grand-mère, elle, le prenait toujours avec le sourire disant : « Laisse Louis, ce sont des enfants ! ».

 

Pourtant dieu sait si nous l’aimions notre grand-mère et loin de nous l’idée qu’un jour elle puisse mourir. En tous cas, enfants et même, jeunes garçons, nous n’y pensions jamais. Non, c’était juste une plaisanterie de gamins.

 

Aujourd’hui quand je pense à elle, quelques souvenirs joyeux bien précis remontent à la surface de ma mémoire. Le plus important de ses souvenirs, ce sont ces trois années scolaires que j’ai passées chez elle alors que j’étais en 3eme au collège de la Grande-Bastide à Mazargues puis en 2eme et 1ere au lycée Jean Perrin de Marseille. Ces trois années, je les compte parmi les plus belles années de ma jeunesse et pourquoi ne pas le dire de ma vie d’enfant tout court. Vie d’adolescent certes mais tranche de vie où j’ai pris conscience bien plus tard qu’elle avait forgée une grande partie de ma vie future, vie d’adulte celle-là. J’étais sorti de l’enfance chez Adèle. D’abord, parce que je profitais à fond de plus d’indépendance, de plus d’autonomie dans mes décisions, en un mot de plus de liberté. C’était le temps des flirts avec les copines, des sorties avec les copains, des booms, du rock’n roll qui commençait à déferler et surtout du foot qui accaparait une partie très importante de mon temps libre et parfois même du temps que j’aurais du consacrer aux études. Je l’ai regretté ensuite mais sans jamais renier toutes les joies que le foot m’avait offertes.  La vie chez ma grand-mère était bien plus drôle qu’à la maison. J’étais à la campagne. J’y avais ma chambre à moi, petit nid intime, tranquille et douillet sous les toits, indispensable quand on a 16, 17 ou 18 ans. Pour être franc, je ne me souviens plus très bien comment j’ai atterri chez ma grand-mère. J’étais très turbulent et mes parents ont-ils trouvé cette solution pour que la maison retrouve un peu de sérénité ? Il faut dire qu’à la maison, mon frère et moi, nous n’avions pas de chambre personnelle et nous partagions la salle à manger avec deux lits pliants que l’on dépliait le soir et repliait le matin. C’était un peu galère, surtout pour mon frère qui avait 3 ans de plus que moi et qui aspirait probablement à une plus grande tranquillité dans ses études et à une plus grande indépendance et émancipation dans sa vie d’adulte qui commençait. Le collège de la Grande-Bastide à Mazargues était également bien plus proche de chez ma grand-mère que de chez mes parents et les économies n’étaient sans doute pas négligeables, notamment celles réalisées sur l’essence de mon VéloSolex. Mes parents ne roulaient pas sur l’or et l’argent était souvent un sujet de querelles entre eux. Mon père était comptable et ma mère faisait des ménages. L’essence du Solex était censée ne servir qu’à aller au collège mais ma mère était lucide et elle savait que pour moi il était le meilleur moyen pour que je m’évade un peu plus loin que le bout du quartier. Mes parents avaient-ils pris conscience qu’un peu plus d’autonomie me ferait le plus grand bien ? En m’envoyant loger chez sa mère qui avait déjà plus de 70 ans et qui était seule depuis quelques années, mon père voulait-il me montrer la confiance qu’il mettait en moi ? Et de ce fait, être plus tranquille car ma grand-mère était un peu diabétique ? Je ne peux répondre à aucune de ces questions car à l’époque, à vrai dire, j’étais bien trop insouciant pour me les poser. Enfin je me suis retrouvé là et j’étais heureux de cette situation. Être chez ma grand-mère m’apportait de nombreux avantages mais ne m’empêchait nullement d’aller voir mes parents à la Vieille-Chapelle le soir ou le week-end. Le quartier était à un quart d’heure en Solex. Ce que j’aimais chez ma grand-mère, c’était, sous son air faussement strict et sans doute un peu timide, son côté boute-en-train. Ma grand-mère était une vraie pince-sans-rire et je n’ai jamais connue une personne âgée aussi marrante qu’elle. Elle connaissait quantité de blagues grivoises et parfois même un peu cochonnes que je m’efforçais de retenir tant elles me faisaient tordre de rire. Pendant très longtemps, grâce aux blagues d’Adèle et à quelques autres plus personnelles, j’ai eu cette étiquette de « blagueur de service » lors des repas familiaux. Au fil du temps, j’ai perdu le souvenir de la plupart d’entres-elles même si parfois certaines reviennent à ma mémoire avec beaucoup d’allégresse car elles me rappellent les très bons moments passés chez elle. Outre, ce côté « rigolo » que j’adorais, ma grand-mère avait une autre qualité essentielle à mes yeux : elle était excellente cuisinière. Elle me mijotait presque tous les soirs de bons petits plats dont elle seule, et ma mère qu’elle avait initiée avaient le secret et surtout le tour de main : ragoûts, sautés divers et variés, daubes, légumes farcis, alouettes sans tête, pâtes en sauce, raviolis et cannellonis maison c’était mon lot quotidien et surtout quel régal en comparaison du midi et de la cantine du collège ou du lycée. C’est bien simple, quand j’y pense encore aujourd’hui, je revoie cette grosse cuisinière à charbon sur laquelle mijotaient tous ces bons mets qu’elle me préparait rien que pour moi. Je revois ma grand-mère sortir du four tous ces gratinés croustillants et fumants et il me revient dans les narines, ce fumé d’où s’exhalent des odeurs de sauces, de tomates grillées, de thym et d’herbes de Provence. Quelques années auparavant, en 1962, mon grand-père Gabriel nous avait quitté et je suis convaincu que ma présence la rendait heureuse car ça lui permettait de ne pas être trop seule, même si je partais le matin et ne rentrais que le soir après l’école et parfois bien plus tard quand les entraînements du foot m’accaparaient. Les petits plats qu’elle me concoctait, lui rappelaient sans doute une petite fraction du bon temps passé avec mon grand-père paternel. Outre ces évocations-là, quand je me remémore ces trois années scolaires passées chez elle, d’autres aspects bien précis me traversent l’esprit. Il y avait bien sûr Kiki, le chien tout fou de la maison que j’adorais à cause de ses fantaisies toujours imprévisibles. Il avait succédé à un autre chien encore plus dingue que lui et qui s’appelait Mickey. Mickey était le frère de Bambi, ce chien dont mes parents s‘étaient séparés et que j’ai eu l’occasion d’évoquer dans le récit intitulé « le petit chien de porcelaine ». Chez les Jullien, il y a toujours eu des chiens et des oiseaux en cage aussi. Ma grand-mère avait une cage où s’égayait un beau chardonneret au milieu de quelques flamboyants canaris. Ce chardonneret avait une belle particularité. Il suffisait que l’on soulève légèrement la porte de la cage et il passait dessous et sortait. Il ne s’enfuyait pas et quand il estimait que le moment était venu de réintégrer son gîte, il le faisait tout seul. Le reste du temps, il voletait gentiment au milieu de nous, venant se poser sur nos épaules pour quémander une offrande. Le soir, quand je rentrais du collège et que je ne trouvais pas ma grand-mère chez elle, c’est parce qu’elle était partie chez Madame Michel, sa voisine. Moi, cette gentille et vieille dame, je l’appelais la « mère Michel », car bien évidemment elle avait un chat, mais surtout elle avait un perroquet qui était presque capable de vous tenir une conversation. Dieu sait si j’en ai eu des fous rires grâce à ce perroquet de Madame Michel ! Chez ma grand-mère, je retrouvais aussi les frères Errico qui étaient des voisins italiens à peine plus âgés que moi. On s’entendait super bien. Ils étaient excellents bricoleurs mais également très sportifs. Mon vélo et mon Solex profitaient de leur compétence en mécanique et moi, de leur esprit de compétition. Eux étaient coureurs cyclistes et moi c’était surtout le foot. Entre-nous, c’était constamment des échanges de bons procédés. On se lançait en permanence des défis soit à vélo où l’impasse servait de piste de sprint soit au foot où la placette terminale faisait office de terrain. Je les battais au foot mais ils me gagnaient toujours à plate couture sur un vélo. Malgré ça, j’ai toujours aimé les vélos. Le vélo me rappelait mon enfance quand avec mon frère Daniel nous jouions au Tour de France avec des petites figurines. Le plus âgé des frères Errico était un sprinter hors pair gagnant de nombreuses courses amateurs grâce à la puissance de ses cuisses, quand au plus jeune, lui gagnait aussi mais son point fort c’était surtout l’endurance et les longues échappées en solitaire. Pour eux, la campagne marseillaise était essentiellement synonyme de chasse et souvent, je les retrouvais le soir à faire le guet, dans un poste qu’ils avaient construit avec des planches, lesquelles étaient camouflées de branchages. C’est au cours d’une de ces parties de chasse où ils avaient tiré un héron cendré ; allez savoir pourquoi ? ; que l’oiseau blessé, dont on voulait mesurer l’envergure, me planta un grand coup de son bec puissant entre les deux yeux. De cette ânerie et de cette absurdité d’adolescents, j’en garde encore la cicatrice même si j’ai toujours eu conscience de l’immense chance que j’avais eu ce jour-là. A quelques centimètres près, j’aurais pu devenir borgne pour le restant de mes jours. Le héron, dont la blessure n’était que superficielle, je l’ai relâché moi-même quelques jours plus tard. Je l’ai vu partir vers d’autres horizons bien plus cléments que la campagne mazarguaise (de Mazargues, quartier sud de Marseille) où il avait eu le malheur de passer. J'étais heureux qu’il s’en soit sorti et moi avec lui. Quand je pense à ma grand-mère, je pense également à sa maison et à quelques objets que j’ai toujours vus. Un petit crucifix qu’elle avait accroché au dessus de son lit, lit qu’enfant j’ai toujours eu des difficultés à gravir tant il me paraissait haut. Etait-il vraiment haut ? Etais-ce moi qui étais trop petit ou bien était-ce cet énorme édredon qu’il y avait en permanence qui me donnait cette étrange impression de hauteur ? Quand j’ai commencé à loger chez elle, je prenais tant de plaisir à plonger sur cet épais édredon que finalement elle m’en avait confectionné un avec du vrai duvet d’Eider, pour moi tout seul et pour mon propre lit qui n’avait qu’une place. Le logement et ma chambre en particulier n’étaient sans doute pas très bien isolés et je me souviens encore des hivers très rigoureux où je glissais ce gros duvet carrément sous les draps. Entre mes jambes et sous mes pieds, il y avait des briques que ma grand-mère avait pris soin de faire chauffer sur la cuisinière à charbon. Pour ne pas que je me brûle, elle les enroulais dans une serviette ou dans une grosse chaussette en laine ayant sans doute appartenu à mon grand-père. Je me revois encore me blottir dans ce lit douillet et quand le mistral soufflait très fort dehors, j’avais ce sentiment très agréable de m’endormir dans une étuve.  Concernant le crucifix, j’ai compris bien plus tard pourquoi il était là car Adèle ne m’a jamais parlé de religion. Le Christ était là, elle n’en faisait pas un plat et ça devait suffire à son bonheur de catholique non pratiquante. Chez mes parents et grands-parents, les religions n’ont jamais été un sujet à l’ordre du jour. Ce n'était pas tabou car on savait que des religions étaient là et nous étions chrétiens nous-mêmes mais ça n’allait jamais plus loin. Plus tard, dans les papiers de ma mère, j’ai retrouvé un vieux certificat de 1ere communion d’Adèle. Il mentionnait qu’elle avait été baptisée le 7 octobre 1893 et je me suis souvenu du crucifix au dessus de son lit. Je me souviens aussi de cette grosse cloche en verre qui trônait sur sa commode. Je n’ai jamais osé la toucher car elle me donnait l’impression d’une extrême fragilité même si j’ai toujours été curieux de son contenu. A l’intérieur, il y avait des statuettes dorées. Accrochés aux statuettes, il y avait une fourragère et des médailles militaires. Au pied des statuettes, quelques insignes que mon grand-père avait ramenées de la guerre de 14-18, guerre au cours de laquelle, il était revenu blessé et sans doute autant meurtri intérieurement par ce qu’il avait vu que physiquement par ses blessures. Autant que je me souvienne, mon grand-père et ma grand-mère n’ont jamais évoqué les guerres, en tous cas devant nous leurs petits-enfants. Une seule fois, j’ai posé des questions à ma grand-mère à ce propos, car la guerre de 14/18 était au programme du lycée, et elle m’a répondu sans trop s’appesantir avec des mots très simples où  « plus jamais ça, horreur, souffrance, drame, tragédie et chance » revenaient comme des rengaines. Oui, dans sa bouche, j’ai compris ce jour-là, la véritable signification du mot « chance ». Il n’y a jamais eu de seconde fois. Quand une guerre implique 60 millions de soldats et que plus de 10 millions de personnes y perdent la vie, on peut effectivement s’estimer chanceux d’en avoir réchappé. Mon grand-père faisait partie de ceux-là. Par deux fois, il était revenu blessé, meurtri dans sa chair mais vivant et enfin, ma grand-mère et lui avaient pu s’aimer normalement.  Les médailles de mon grand-père, je suis fier de les avoir chez moi aujourd’hui mais pour une seule raison : je sais le prix qu’elles ont coûté et suis conscient que nombreux sont ceux qui n’ont pas eu la chance de les gagner de leur vivant voire du tout. Enfin, le dernier objet dont je me souviens avec le plus de mélancolie, c’est cette petite bibliothèque en bois qui était accrochée dans ma mansarde. C’est mon frère Daniel qui l’avait faite de ses propres mains lors d’un cours de menuiserie au lycée technique de Marseilleveyre. Il me l’avait offerte de bon cœur puis elle est restée longtemps chez ma mère jusqu’à ce que je la récupère pour la mettre dans ma petite maison d’Urbanya. Elle est là-bas maintenant. D’aspect plutôt moderne, je ne m’en séparerais pour rien au monde, car avec le « petit chien de porcelaine », elle reste un des rares objets qui me reste de mon enfance. Au même titre que les photos, ces objets sont des fils d’Ariane qui me relient à mon frère, à mes parents et à mes grands-parents bien sûr. Ils font partie de ma vie.

 

Quand m’est venue cette idée de rendre hommage à Adèle, j’ai voulu, comme pour mon grand-père (Mon grand-père Gabriel Jullien ce héros...), réaliser un petit diaporama des photos que j’avais d’elle. Et là, petit tourment, car j’ai constaté que sur les photos que je détenais d’elle, rares étaient celles où elle souriait. Quelques photos avec un semblant de rictus et une ou deux seulement où on la voit vraiment rire ou s’esclaffer. Sur toutes les autres, pas le moindre début d’une risette. Non Adèle est toujours restée hermétique à toutes les photos que l’on avait pu prendre d’elle, loin de l’image toujours plaisante que j’avais eue. Alors, je me suis dit tant pis, c’était ma grand-mère et un jour où il y aura un diaporama retraçant sa vie. Adèle était ainsi : « rigolote » dans la vie mais fermée à toute image que l’on voulait avoir d’elle. « Être oui, paraître  non », tel devait être son dicton. Heureusement qu’elle ne vit plus aujourd’hui, car sans doute aurait-elle eu horreur de toutes ces photos numériques et autres « selfies » que l’on prend pour un oui ou pour un non ? Je n’ai jamais su pourquoi elle avait eu cette espèce d’appréhension du cliché, mais j’imagine que l’avènement et le début de la démocratisation de la photographie au début des années 1900 a coïncidé avec le départ de mon grand-père d’abord sous les drapeaux puis à la guerre de 14/18. Elle devait être triste de le voir seulement en photos. La photo était donc synonyme d’absence, d’angoisse, de mauvaises nouvelles, d’abominables souvenirs et c’est ce qui transpire un peu de chacune de ses photos les plus anciennes : beaucoup de mélancolie. Rajoutons à tout ça, le fait qu’elle avait des origines alsaciennes, et donc germaniques, qu’elle tenait de sa mère et il est évident que la guerre contre les Allemands l’avait très certainement bouleversée.

 

 

Adèle a définitivement quitté ce monde le 10 mai 1980. Etant née le 26 avril 1893, elle avait 87 ans. Alors que j'habitais déjà les Pyrénées-Orientales, mes parents ne m’ont jamais averti de son départ plutôt soudain alors qu’elle venait d’être admise depuis une année dans une maison de retraite. J’avais pourtant 31 ans et sur l’instant, je leur en ai voulu. Sans doute, ont-ils voulu me protéger de sa mort ? A bien y réfléchir mes parents nous ont toujours protégés de la mort de proches.  La mort d’Adèle ? Je ne l’ai su que plusieurs jours après son enterrement. Je n’ai pas pleuré sur l’instant, malgré la peine que j’avais, et j’ignore pourquoi ? Je n’ai pleuré que bien plus tard. Je m’étais souvenu d’une blague qu’elle m’avait racontée et alors je m’étais mis à rire à cause de la blague, j’ai terminé en pleurs, revoyant tous les bons moments que j’avais passés avec elle quand j’étais plus jeune. Un autre jour, jour de grande solitude et jour de grand cafard comme nous en avons tous, j’ai également pensé à elle en pleurant. C’était en randonnée lors d’un Tour du Vallespir en 2009, et comme souvent quand je marche avec le cafard, je pense à tous les êtres qui me sont chers aujourd’hui disparus. Souvent, j’aurais bien envie qu’ils soient là à côté de moi. Ce jour-là,  c'était la dernière des 6 étapes et j'avais sans doute emmagasiné pas mal de fatigue, mon frère disparu en 1992 à l’âge de 46  ans et ma mère malade d’Alzheimer, ont été les épicentres de ma tristesse et de mes angoisses mais à tour de rôle, Adèle et quelques autres défunts ont fait partie de ce lot d’êtres chers. Ma marche pédestre est devenue pendant une paire d’heures une marche funèbre. J’avais pris conscience qu’elle était morte Adèle…. et il n’y avait pas sujet à plaisanter avec ça….Mon père, qui n’aimait pas cette plaisanterie mais chérissait sa mère, l’a suivi quelques mois plus tard, en novembre 1980 exactement. Il avait 64 ans. Elle était morte Adèle et il ne l’avait pas supporté….et c’est le premier enterrement de ma vie auquel j’ai assisté…..

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Mai 1968....des pavés sous la plage.....

Publié le par gibirando

Si j’ai intitulé cette chronique « Mai 1968….des pavés sous la plage » c’est bien sûr pour être dans la dérision d’un des plus emblématiques slogans de cette période qui était « Sous les pavés, la plage ! ». L’Histoire raconte que lors de l’élévation des premières barricades à l’aide des pavés qu’ils avaient sous leurs pieds, les étudiants de mai 68 avaient constaté que ces derniers étaient posés sur un lit de sable. Ce célèbre slogan dont plusieurs personnes s’attribuent la paternité est rapidement devenu le symbole de cette liberté à laquelle de nombreux jeunes étudiants et lycéens aspiraient. Je n’ai jamais abondé à ces événements, sans doute par un manque certain de maturité sociétale, sauf que pour moi, la plage était bien réelle…..

Mai 1968....des pavés sous la plage.....

Mon bulletin de notes de l'année scolaire 1967/1968. Notez l'absence de toutes annotations pour le 3eme trimestre suite aux événements de mai. Cliquez dessus pour agrandir la photo.

Mai 1968. Je viens d’avoir 19 ans. Je suis en Première G2 au lycée Jean Perrin de Marseille. Lycée technique d’Etat comme indiqué solennellement sur mes relevés de notes peu folichons. En G2, nouveau bac créé l’année même,  on est censé apprendre les « pompeuses » techniques quantitatives de gestion, c'est-à-dire de la comptabilité, de l’économie, du droit et de la mécanographie mais on en est encore à « se taper » du Napoléon Bonaparte à longueur d’Histoire avec un prof corse et de la compo française et de la philo avec une prof si jeune et si superbe que l’on ne peut pas croire une seule seconde qu’elle ait pu s’intéresser à des doctrines aussi soporifiques que la métaphysique ou l’existentialisme. Force est de reconnaître que je ne suis pas en avance dans ma scolarité. En avance sur rien d’ailleurs. J’ai déjà redoublé deux fois et ça n’a pas changé grand-chose à mon indolence quasi totale pour les études. Je suis un doux rêveur qui ne se réveille que dans l’eau lors des parties de chasse sous-marine.  Je suis un insouciant nonchalant qui ne se soucie que des matches de foot auxquels il participe activement. Voilà les seules disciplines qui me conviennent et me plaisent et je pourrais y consacrer des journées entières. C’est d’ailleurs ce que je fais. Chasse sous-marine aléatoirement mais foot aux récréations, foot entre midi et deux, foot le dimanche avec mon nouveau club, le Racing Club de Marseille, où mon équipe n’arrête plus de gravir les échelons et les divisions d’année en années, foot le jeudi au lycée où l’équipe 2 à laquelle j’appartiens brille plus que l’équipe 1. Foot le soir aux entraînements. Au foot, et contrairement aux études, les résultats sont au rendez-vous et ils me remplissent de joies. Champion de Marseille puis vice - champion d’académie universitaire avec le lycée, champion de Provence avec mon club du Racing.  Oui, comme le dit assez souvent mon père « je suis un imbécile heureux » !

Mai 1968....des pavés sous la plage..... 

En 1968, avec l'équipe de foot du lycée Jean Perrin championne universitaire de Marseille. Je suis debout et le second à droite.

Alors en mai 68 quand le « carnaval révolutionnaire (*) » arrive, je n’y comprends rien. Avec les copains et pour faire comme eux, je pars participer à une manifestation dans le centre ville de Marseille mais je comprends très vite que je ne comprends rien à toutes ces revendications gaucho-marxistes. Si je voulais blaguer et encore pas trop, je dirais que le seul « marxisme » que je connaisse est celui des Marx Brothers. Celui-ci me fait tordre de rire et le vrai m’indiffère. Il faut dire que je connais nettement mieux Groucho que Karl.  Je finis par comprendre que la plupart des étudiants sont comme moi mais suivent le mouvement beaucoup moins par conviction que pour suivre une mode. La mode est à la contestation et contester c’est d’abord ériger des barricades avec tout et n’importe quoi puis balancer des pavés sur les flics. La lutte soi-disant des classes c’est d’abord la lutte loin des classes scolaires pour un maximum de lycéens branleurs dont je fais partie.  Mais moi, je déteste toutes formes de violences. Je suis peut-être bête mais pas méchant pour un sou.  Pas question pour moi de lancer le moindre pavé en direction de quelqu’un.  Je n’ai pas reçu cette éducation. Je suis aussi engoncé dans l’armure du manifestant que dans le blazer en flanelle de l’étudiant premier de la classe. Je préfère nettement le short de foot voire le maillot de bain. La politique ne m’a jamais vraiment intéressée quand à une liberté qui m’aurait éventuellement échappée, je cherche encore laquelle. Voilà déjà 3 ans que je loge chez ma grand-mère et j’ai acquis une autonomie qui suffit amplement à mon bonheur. Avec les filles, je suis conscient d’être en retard aussi, même si je flirte assez régulièrement. Les expressions « libération sexuelle » et « amour libre » ne sont pas encore arrivées à mes oreilles. Deux ans auparavant, à Juan-les-Pins, j’ai eu une relation sexuelle avec une anglaise au doux prénom de Rosemary mais l’occasion de renouveler cette expérience « majeure » ne sait jamais réellement présentée mêmes si certains flirts un peu trop chauds se terminent en un « ruissellement » involontaire mais toujours spasmodiquement agréable.  Avec l’éducation plutôt puritaine et rigoriste que j’avais reçue, et même si la religion en était exempte, il ne pouvait pas en être autrement. Loin de moi l’idée d’avoir une relation sexuelle qui aurait débouché sur la naissance d’un mioche. Je ne compte plus le nombre de fois où à ce propos notre mère nous avait mis en garde mon frère Daniel et moi. Elle nous avait mis en garde mais au niveau pédagogie zéro. Nous étions des garçons et il était normal que l’on se débrouille tous seuls sur ce plan-là. Se débrouiller, c’était d’abord faire un blocage. Alors je me débrouillais mais avec les filles ça n’allait jamais plus loin qu’un flirt bouillant.

 

En mai, quand les cours commencent à être supprimés, je suis le plus souvent à la plage de la Pointe-Rouge. Bains de soleil et bains de mer rythment mes journées. Il faut y rajouter les parties acharnées de billards et de flippers au Bar Mistral de la Vieille-Chapelle. Au bar Mistral, je fais la connaissance d’une gentille Evelyne. Elle bosse dans une usine de jouets, la société Van Ruymbeke (**), où j’ai moi-même mes entrées pour y avoir fait un court remplacement à la demande d’un copain. Evelyne est un peu boulotte mais elle me plaît bien. En plus comme tous les copains y courent derrière, je me décide à la draguer aussi et ce d’autant que je la sens plutôt difficile à atteindre. Ce n’est pas pour me déplaire. Il faut dire que je ne l’ai toujours vu qu’habillée dans sa tenue austère de « manutentionnaire (**) » et force est de reconnaître que son charme est tout autre quand elle revêt son bikini. Dans cette minuscule tenue dévoilant tous ses attraits, elle présente un tout autre intérêt pour le jeune homme que je suis. Force est de reconnaître que mes copains sont plus clairvoyants que moi quand il s’agit d'observer une fille habillée. Je comprends assez vite que je ne lui déplais pas, alors un soir, je me décide à aller l’attendre à la sortie de l’usine.  Elle apprécie cette présence et comme il n’est que 17 heures, nous filons aussi sec à la plage. Nous y flirtons puis pour faire le galant je la raccompagne chez elle. Ce scénario se répète plusieurs jours mais quand je la raccompagne, je n’insiste jamais pour entrer chez elle. Il faut dire qu’elle loge chez sa sœur beaucoup plus âgée qu’elle et qui n’a pas l’air très commode. Finalement, j’apprends que sa sœur est censée veiller sur elle. Evelyne a des principes fixés par sa sœur qu’elle suit à la lettre. Boulot obligatoire la journée mais pas de sortie nocturne et seulement des flirts en cachette de sa soeur. Sa liberté s’arrête là et par la force des choses la mienne aussi. Nous flirtons une dizaine de jours sur la plage mais son contrat de travail à l’usine se finit fin mai. Evelyne rentre chez elle dans la région bordelaise et ainsi se termine notre courte mais « ardente » passion.

Mai 1968....des pavés sous la plage..... 

Le Tim-Bird, l'oiseau volant de chez Van Ruymbeke.

Le mois de juin est déjà là. Je loge toujours chez ma grand-mère et je ne passe chez mes parents que pour regarder les Shadoks à la télé. J’adore ces petits oiseaux si déjantés même si j’ai une nette préférence pour les Gibis dont je vais garder longtemps ce patronyme comme surnom de Gilbert. C’est dire si mes passages sont courts car une émission des Shadoks ne dure que quelques minutes. Ma mère n’apprécie guère cette rapidité. D’un autre côté, elle est déjà bien occupée avec ma sœur, qui a 3 ans de moins que moi mais qui n’a pas attendu mai 68 pour être déjà bien éveillée. Dans les rues, les manifestations s’essoufflent un peu, mais les cours du lycée continuent d’être perturbés. Tout le monde considère que l’année scolaire est terminée. Je ne vais qu’au lycée le matin et encore pas tous les jours, plus pour me montrer et jouer au foot avec les copains que pour participer aux rares leçons. D’ailleurs quand le bulletin de notes tombe, le 3eme trimestre est vide de toutes annotations. De ce bulletin, et malgré un « pourrait réussir » de l’avis du conseil de classes dans mes notes générales de compositions, mon père ne retiendra que les aspects négatifs : une nette dégradation dans le travail, la conduite et le classement général. Le tout étant couronné d’un sévère avertissement du dirlo qui aura pour effet de le faire sortir de ses gongs.  Fini le logement chez ma grand-mère, fini le foot à l’école, fini les permissions de minuit et l’obligation d’aller bosser avec lui une partie de l’été. Il me fixe un objectif : obtenir mon bac l’année suivante.

Mai 1968....des pavés sous la plage.....

Bulletin de notes des compositions de 1967/68/69. Il faut noter un encourageant "pourrait réussir" de l'avis du conseil de classe.

Ce printemps 1968, qui aura été celui de la libération pour bon nombre de mes camarades, se termine pour moi bourré d’entraves. Hors de question de contredire mon père et puis rappelons-nous que la majorité est encore à 21 ans.

 

Oui, il y avait bien des pavés sous la plage…..ceux de mon père mais pas pour longtemps…..

 

Le 14 juillet 1968, mes entraves se brisent à jamais…..Elle se prénomme Danièle mais tout le monde l’appelle Dany……et voilà bientôt 50 ans que nous nous aimons !

 

Mai 68 ne m’aura servi à rien, sauf à comprendre, mais bien plus tard, que j’ai reçu une sévère mais bonne éducation parentale. Quand à l’éducation scolaire, elle n’a toujours dépendu que de moi et ce, malgré les efforts incommensurables de ma mère pour qu’ils ne soient pas pires qu’ils n’aient été. L’année scolaire 68/69 ne sera pas celle escomptée par mon père. Il a mis son veto sur le foot au lycée et je loupe la finale du championnat de France universitaire. Dans ma tête, voilà le seul résultat qui me trouble et m’obsède. Je lui en ai longtemps voulu. Passable est le mot qui revient le plus souvent sur mon dernier bulletin de notes. Fiasco complet au bac malgré une moyenne dans toutes les matières mais avec un 4 ½ en compta coefficient  6 qui m’ôte toute chance de bénéficier de l’oral de rattrapage. J’ai pour moi les excuses que l’étude de cas proposée n’avait jamais été mise au programme de l’année et qu’en 1968, les bacs G avaient été distribués comme des petits pains. Je reste convaincu que 1969 était la plus mauvaise année pour passer et réussir son bac. En tous cas, pour le bac G2 c’est l’année de rattrapage des erreurs éducatives de 1968. J’ai 20 ans et trop c’est trop. J’arrête là ma scolarité obligatoire « publique » pour une voie que j’estime plus concrète et plus captivante. D’août à novembre, je m’accroche comme un malade à des cours de programmation Cobol sur ordinateur IBM et j’en obtiens assez facilement le diplôme. Ma voie professionnelle commence ici. Elle est toute tracée et j’ai choisi l’informatique, discipline moderne s’il en est. Ma vie tout court aussi d’ailleurs est toute tracée. Grâce à Dany et à l’amour que l’on se porte, j’ai eu un déclic. Celui de vouloir faire quelque chose d’intéressant de ma vie même sans le bac. Mon bac c’est elle et il m’a aidé à traverser bien des flots impétueux…Oui, la vie n’est pas un long fleuve tranquille et Mai 68 n’a jamais rien changé à cette maxime. Quand je regarde derrière moi, autant l'avouer, je ne regrette pas cette non-participation à ce "Carnaval gaucho révolutionnaire". Qu'en est-il sorti ? Une idéologie faite de laxisme et de pertes de repères, d'absence totale de toute autorité, de culture de l'excuse, de dénigrement de notre passé quel qu'il soit, d'effondrement de nos valeurs les plus fondamentales comme le mariage, le civisme, la culture française et l'éducation, j'en passe et des meilleures. Oui, je crois bien que Mai 68 a été un poison si toxique qu'on en subit encore les conséquences les plus terribles de nos jours avec une société insécuritaire où l'ensauvagement de la société est devenu le quotidien.

Oui de mai 68, je ne veux garder que le bon !

L’année 1968 est à jamais gravée dans ma mémoire pour toutes les raisons que je viens d’invoquer mais le jour le plus important reste ce 14 juillet où j’ai rencontré Dany. Voilà la principale raison qui a fait que j’ai eu envie de m’en souvenir 50 ans après.

Mai 1968....des pavés sous la plage..... 

Dany, peu de temps après notre rencontre.

Si les pavés des barricades de mai 68 ont été ensevelis dans l’indifférence générale, ceux de ma plage ont été emportés par un raz de marée…..Il avait pour nom « Amour » ! Amour pour Dany. Amour de bien faire. Amour de réussir. Amour de la vie. Amour tout simplement……

 

(*) Carnaval révolutionnaire : Cette expression est du sociologue et philosophe Raymond Aron. Elle figure dans son livre de réfléxions "La révolution introuvable" paru en 1968 à propos des événements de mai. J'aime bien cette expression car elle réflète magnifiquement l'impression que j'ai eu lors de la seule manifestation à laquelle j'ai participée, celle d'un carnaval.

(**) La société Van Ruymbeke est une société marseillaise qui fabrique des jouets depuis la fin des années 60. Elle est connue pour avoir inventé et fabriqué le "Tim Bird", un oiseau assez extraordinaire qui vole à l'aide d'un élastique. Il se vend encore de nos jours en des milliers d'exemplaires même si depuis d'autres modèles hautement plus performants ont été inventés par cette même famille.  Moi, j'y ai surtout bossé la nuit au cours de l'année 1970 en qualité de manutentionnaire-presseur. J'étais chargé d'une presse composée d'un moule où les pièces des jouets étaient fabriquées par injection de granulés de plastiques qui fondaient sous une très forte chaleur. Evelyne, elle, était chargée du montage des pièces pour obtenir le produit fini. Outre le "Tim Bird", on y fabriquait un pistolet qui tirait des petites billes rouges. Après recherche, il s'avère que plusieurs modèles de ce pistolet sont encore présents sur le marché du jouet, toujours fabriqués par la société marseillaise.

 

 

 

 

 

 

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Albert Falco, mes bleus souvenirs...

Publié le par gibirando


Mes enfants m’ont offert pour Noël, un très beau livre intitulé « Sormiou, le berceau bleu de mes souvenirs ». Or, aujourd’hui, même si j’en recommande vivement la lecture car j’ai pris beaucoup de plaisir à le lire, c’est plus de son principal auteur que j’ai envie de vous parler que du livre lui-même.

Cet auteur, auquel aujourd’hui je veux rendre hommage au travers de cette très humble chronique, c’est le célèbre Albert Falco qui malheureusement nous a quitté en avril 2012, quelques mois après l’impression et la parution de ce livre dans lequel il nous raconte son remarquable parcours d’homme, de plongeur et de marin. Moi, je vais l’appeler Bébert car à Sormiou, tout les calanquais l’appelaient comme ça et je suis persuadé qu’il aurait voulu qu’il en soit ainsi. Je dis de lui qu’il est « célèbre » mais en réalité, j’avoue que je n’en sais trop rien mais il y a une chose dont je suis certain, c’est qu’il est forcément connu des gens de ma génération et à fortiori de la précédente mais à coup sûr de toutes les personnes qui, un jour ou l’autre, se sont intéressés de près ou de loin aux « choses de la mer ». Sur le plan mondial, ça fait tout de même beaucoup de monde !

En effet, qui de la génération des années 1930 à 1960 ne connaît pas « le Monde du Silence » de Louis Malle et de l’illustre commandant Cousteau, film primé en 1956 par une Palme d’Or au Festival de Cannes et un Oscar à Hollywood en 1957 ? Qui, de ces générations-là n’a pas un jour ou l’autre, vu à la télé ou même possédé tout ou partie de la collection des aventures cinématographiques de la légendaire Calypso, intitulée « l’Odyssée sous-marine de l’équipe Cousteau » ? Alors forcément, même si Albert Falco est un peu moins connu des générations qui ont suivi et des jeunes d’aujourd’hui, il restera à jamais l’apprivoiseur de Jojo le mérou et l’irremplaçable chef plongeur et capitaine de la Calypso. A la fin de son livre, il suffit de lire sa « Chronologie » pour prendre conscience de la richesse de son incroyable parcours.  

Moi, je l’avoue, j’ai un regard un peu faussé de Bébert. Mais comment pourrait-il en être autrement, car toutes proportions gardées, si Sormiou a été le berceau bleu de ses souvenirs, la calanque a été et est encore aujourd’hui largement le mien ? Sormiou, j’y suis quasiment né, enfin pas très loin, dans ce quartier de Marseille qui s’appelle Mazargues et qui est tout proche de la calanque. Mes grands-parents et mes parents ont toujours été détenteurs d’un cabanon au sein de la calanque et tout enfant, j’y venais, comme Bébert, par le sentier des Escourtines ou bien celui des Treize Contours avant que la route bitumée ne voit le jour. Comme son propre père, le mien y a toujours eu un bateau qu’il construisait d’ailleurs lui-même et qu’ici on appelle « bette », « barquette », « pointu » ou encore « youyous » quand ils sont plus petits. Mais bon, Sormiou, j’aurais sans doute l’occasion de vous en reparler un jour ou l’autre dans le « Journal mensuel » de mon blog, car si cette merveilleuse calanque a été le « berceau bleu » de Bébert et aussi le mien, je n’en garde pas que des bons souvenirs car elle a été aussi le « cercueil noir » de mon frère Daniel, qui en 1992 y a perdu la vie par un beau matin de juillet sur un quai de son petit port. Il venait tout juste d’avoir 46 ans.

Mais revenons à Bébert car rien que d’écrire ces quelques lignes au sujet de mon frère, il m’en vient les larmes aux yeux….mais c’est sûr, je vous reparlerais un jour ou l’autre de Sormiou, ce berceau bleu de mes souvenirs à moi aussi.

D’Albert Falco, je ne peux pas avoir un regard vraiment objectif car voilà un homme qui m’a fait rêvé la mer comme personne et notamment à travers ses films mais pas seulement. Personnellement, plutôt que de lire « sa vie », j’aurais nettement préféré qu’il me la raconte. Oui, cela aurait été sans doute génial et surtout possible car nous avons assez souvent vécu non loin l’un de l’autre à la calanque de Sormiou. En 1971, quand son cabanon a brûlé, il est venu s’installer pendant quelques années non loin du mien à celui qui s’appelle le « Conteur d’Ô » mais que nous, nous avions toujours appelé « le cabanon des Gomme » car une famille portant ce nom-là y avait vécu quelques années auparavant. Mais les circonstances n’ont jamais été réunies pour qu’il me raconte sa vie. Moi, parce qu’il m’intimidait et lui, car il avait sans doute d’autres passions à assouvir et d’autres missions lointaines à accomplir que de s’occuper de moi. A vrai dire, nous ne sommes pas souvent croisés. Parfois, depuis mon cabanon, je le voyais accoudé à la balustrade du sien, regardant la mer qui sans doute, l’appelait sans cesse même quand il était en vacances.

Pourtant, les occasions de lui parler sont parfois arrivées mais je lui disais simplement bonjour et j’ai toujours pensé que le fait qu’il me réponde, suffisait à mon bonheur. Je me trompais et je m’aperçois aujourd’hui que j’aurais peut-être dû aller vers lui quand les occasions se présentèrent et pourtant par deux fois, je m’y suis essayé.  Ces deux anecdotes, elles sont profondément ancrées dans ma tête et je vais tenté de vous les raconter comme je m’en souviens aujourd’hui. Mais avant tout, précisons que Bébert était plus âgé que moi d’une vingtaine d’années. 22 ans pour être exact. Voilà ces anecdotes :

 

-          Je devais avoir treize ou quatorze ans, peut-être un peu moins et déjà j’étais un vrai passionné de chasse sous-marine depuis 2 ou 3 ans. Passionné mais pas vraiment doué car sans doute un peu trop nerveux au moment fatidique où il fallait approcher les poissons et appuyer sur la gâchette de mon minuscule harpon équipé d’un trident. Mais heureusement quelques années plus tard, je vais finalement me calmer et là, ça changera du tout au tout et je vais « tirer mon épingle du jeu ». Mais revenons à Sormiou et à ce jour-là. Alors que j’étais sur le chemin qui va de la plage au port, je vois Bébert arriver en tenue de chasseur sous-marin avec sa combinaison néoprène et dans les mains, son masque, son tuba, ses palmes et son fusil. Pour moi, à l’époque, avec mes yeux d’enfant, il était déjà « l’immense Bébert », le plongeur de la Calypso, l’amadoueur des gros poissons et des requins notamment et surtout l’acteur de cinéma que j’avais déjà vu dans quelques films : le Grand Conclu, un film sur les holothuries qu’ici à Marseille on appelle « boudins de mer » et bien sûr, le Monde du Silence. Evidemment, je lui emboîte le pas et le voilà qu’il se met à l’eau juste devant mon cabanon à l’endroit même où j’avais l’habitude de me baigner et de « pêcher » mes pataclets et mes gobies. Il ne prête pas attention à moi, mais moi, je ne le quitte pas des yeux. Je le vois traverser les Cabesailles et disparaître très rapidement derrière la Pointe de la Busque que les calanquais appellent plus communément « Blanc » et désormais plus connue comme étant la pointe où se trouve le cabanon de Fabio Montale, la célèbre série télé avec Alain Delon. Que croyez-vous que j’ai fait ? Je l’ai attendu là, sur les rochers, au bord de l’eau, à me faire bronzer pendant plus de deux heures en espérant bien sûr qu’il ne sorte pas de l’eau ailleurs. Puis, au bout de deux heures, je l’ai vu revenir et quant il est ressorti de l’eau, autant le dire, j’étais plutôt déçu. Avec mon regard de jeune adolescent et l’admiration que je lui portais, je m’attendais à le voir sortir avec d’énormes poissons à la ceinture comme j’en avais vu nagé très souvent dans ses films et au lieu de ça,  il n’avait que quelques beaux sars, deux ou trois loups et muges plutôt moyens et surtout un très beau poisson aux multiples couleurs chatoyantes que je voyais pour la toute première fois. C’est ce poisson-là dont la maille faisait au moins 30 centimètres qui ce jour-là m’impressionna le plus, non pas à cause de sa taille mais de ses belles couleurs bigarrées. Quelques années plus tard, j’appris qu’il s’agissait d’un Labre paon ou plus exactement d’un Crénilabre paon (Symphodus Tinca)  mais qu’ici à Marseille, on appele plus couramment des « vieilles » ou des « roucaous ». Bébert a ôté son masque, son tuba et ses palmes et moi, je le regardais sans rien dire. J’avais pourtant une envie folle de lui adresser la parole mais je ne savais pas quoi lui dire et en tous cas, les mots n’arrivaient pas à sortir de ma bouche. Puis finalement, le voyant un peu embarrassé avec son matériel et sa douzaine de beaux poissons, je lui ai dit « belle pêche, je peux vous aider Monsieur » mais très gentiment il m’a répondu « non merci, ça va aller ! » puis il a rajouté « ça te ferait plaisir si je t’offrais un poisson ou deux » et là, je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête mais j’ai bêtement répondu avec un mensonge « non, merci, moi aussi je fais de la pêche sous-marine et j’en attrape aussi des poissons comme ceux-là ! ». Il a simplement eu un petit sourire et a dit « Ah bon !  Très bien ! ». Puis il est parti. Je l’ai suivi jusqu’au chemin et se dirigeant vers la plage, il a très rapidement disparu et je suis resté très longtemps sans plus le revoir. Dans la seconde qui a suivi cette première rencontre, je regrettais déjà mes paroles, je m’en voulais d’avoir menti et fanfaronné à « Monsieur Albert Falco » mais ce jour-là, je me suis fait une promesse : « attraper à la chasse sous-marine autant de poissons que Bébert venait d’en sortir ce jour-là et surtout attraper ce magnifique poisson multicolore que j’avais aperçu accroché à sa ceinture». Voilà la petite histoire de ma vraie première rencontre avec Bébert. Cette courte rencontre a accouché d’un mensonge mais surtout d’une promesse d’enfant, promesse qui finalement a du m’être utile puisque elle s’est exaucée plus tard des dizaines voire quelques centaines de fois. Mais ce n’est pas tout. A partir de ce jour-là, mon parcours de chasse sous-marine préféré a été de me mettre à l’eau devant mon cabanon, de traverser les Cabesailles puis de partir derrière la Pointe de Blanc en direction de la crique de la Palée ou de Cancéou en passant par le récif de la Loude (renommée depuis peu Réserve Albert Falco) quand ce n’était pas jusqu’au Cap de Morgiou. Plus je grandissais ou vieillissais, plus je prenais de l’assurance et plus j’allais loin. Très souvent, quand j’estimais avoir le poisson suffisant à ma consommation personnelle, je me baladais uniquement pour le plaisir des yeux. Oui, je peux vraiment le dire, ce jour-là,  Bébert m’avait montré un chemin, un chemin magnifique qu’il m’arrive encore de parcourir aujourd’hui, même si je ne vais plus aussi loin qu’avant. Je ne me suis jamais lassé d’y découvrir de merveilleux fonds sous-marins.

 

-          La deuxième rencontre avec Bébert est plus récente, beaucoup plus cocasse mais malheureusement pour moi, elle aussi s’est terminée en « eau de boudin ». C’était il y a une dizaine d’années, peut-être moins, je ne sais plus exactement et ce soir-là, à Sormiou c’était la fête. Les organisateurs avaient programmé une « belle » sardinade à laquelle tous les calanquais et amis étaient conviés moyennant une modeste obole. Tout à fait par hasard, à un moment de la soirée qui était déjà bien avancée, Bébert et moi nous nous sommes retrouvés en tête à tête devant une table, à quémander sans doute du rabiot ou un verre d’apéro supplémentaire au jeune garçon qui faisait office de serveur. Ce soir-là, très spontanémment, nous nous sommes serrés la main et c’est lui qui a engagé la conversation en me demandant si j’étais un « calanquais ». Sur le moment,  j’ai été très surpris de sa question et Bébert, c’est rendu compte de mon air étonné mais il fut sans doute encore plus surpris de ma réponse quand je lui dis que je venais tous les ans passer mes vacances à Sormiou depuis ma plus tendre enfance. Il me demanda mon nom qu’il semblait connaître ou du moins avoir déjà entendu puis il me demanda où se trouvait mon cabanon. Je lui décrivis l’endroit en insistant sur le fait que mon cabanon était non loin de celui s’appelant le « Conteur d’Ô » qu’il avait loué quelques années. En se dirigeant vers la plage, un petit cabanon juste après le virage ai-je rajouté. Ainsi, nous engageâmes une vraie conversation dont j’étais ravi car Bébert s’intéressait enfin  à moi. En tous cas, il s’intéressait à ma famille et semblait très surpris de ne pas mieux nous connaître au regard des premières réponses que je lui avais fournies. Bien sûr, j’ai insisté sur le fait que notre cabanon était un peu isolé des autres mais aussi que nous avions toujours été une famille discrète voire timide et parfois même un peu introvertie chez certains de nos membres. Je lui ai dit également que j’habitais la région perpignanaise et que depuis très longtemps je ne venais que quelques jours par an et le plus souvent pour les vacances d’été. Mais ensuite,  quelques-unes de mes réponses le troublèrent et semblèrent même un peu le contrarier quand je lui dit qu’étant plus jeune, j’avais toujours ressenti et même vécu une certaine rivalité entre les enfants de la plage et ceux du port, allant même jusqu’à lui dire que j’avais eu le sentiment qu’il y avait eu deux bandes distinctes, les riches côté plage et les pauvres côté port dont j’avais fait partie. Je ne sais pas si Bébert s’est senti visé car plus jeune il avait toujours vécu à Sormiou côté plage mais il semblait en total désaccord avec ma manière de voir les choses insistant notamment sur le fait que lui, il avait toujours eu beaucoup d’amis des deux côtés. Je lui ai dit que cette période des clans n’avait peut-être pas toujours existé et qu’en tous cas elle n’avait pas perduré dans le temps notamment pour mes propres enfants. La conversation allait bon train quand tout à coup, j’entendis un grand bruit et n’ayant pas le temps de me reculer quelques assiettes de sardines et plusieurs bouteilles d’apéritifs vinrent me tomber sur le bas du ventre et les jambes. Le serveur venait de renverser malencontreusement la planche servant de table qui se trouvait sur deux tréteaux. Ce petit désastre aurait pu s’arrêter là car bien que quelques bouteilles s’étaient cassées en percutant le sol, personne n’était blessé mais malheureusement une bouteille de pastis mal bouchée était tombée sur mes cuisses et désormais, j’empestais l’anis tel un vrai poivrot. Quelques sardines avaient même fini sur mon bermuda. Cet incident mit fin à notre conversation qui s’arrêta là brutalement, Bébert me disant sur le ton de la plaisanterie « vous devriez quand même aller vous changer ! ». J’étais à la fois déconcerté et en colère contre le serveur, même si je ne voulais pas le lui montrer,  mais j’étais surtout furax d’être contraint de mettre un terme à cette conversation avec le « grand Albert Falco ». J’aurais eu envie d’argumenter mon point de vue sur ce « mur virtuel » qu’il y avait eu entre les « riches » de la plage et « les pauvres » du port au temps de mon enfance et de ma jeunesse. J’aurais eu envie de lui dire que ce mur, il ne l’avait sans doute pas ressenti ou connu à la fois car nous n’étions pas de la même génération mais aussi parce que très jeune, il avait eu l’occasion de côtoyer des gens très intéressants qui l’avaient sorti d’une certaine oisiveté en l’initiant très jeune à la chasse et à la plongée sous-marine. J’aurais eu envie de lui dire que cette oisiveté, nous enfants du port de Sormiou, nous l’avions inévitablement connu car nos passe-temps favoris étaient très souvent les mêmes avec essentiellement des bains de mer et des balades sur les crêtes avec les copains, les seuls vrais entractes à ces divertissements étant les 14 juillet et les 15 août, jours de fêtes, les parties de pêche avec mon père le week-end ou bien quand nos parents nous autorisaient à aller « caler » les gireliers ou les jambins. J’aurais eu envie de lui parler de notre première rencontre au bord de l’eau, juste histoire de voir s’il avait gardé un quelconque souvenir de mon « affreux » mensonge. Non, à mon grand regret, je n’ai jamais pu finir cette conversation car ce soir-là, j’ai salué Bébert, j’ai quitté la sardinade avec mon bermuda trempé  et tâché et je suis parti me coucher avec l’odeur du pastis plein les narines. Jamais plus l’occasion de se parler n’est vraiment revenue. Lors d’un concours de pêche où notre bateau avait fini trois ou quatrième, Bébert remettant les prix aux vainqueurs, nous nous serrâmes la main une fois encore mais ce fut la dernière car je ne le revis ensuite que très rarement.

Voilà ce que j’avais envie de dire d’Albert FALCO, deux rencontres complètement ratées comme des bleus sur la peau, des bleus inaltérables et un homme que je n’ai jamais vraiment connu et que j’ai pourtant toujours profondément admiré….car autant le dire, si Bébert a eu la vie qu’il avait toujours rêvé d’avoir, moi depuis que j’ai quitté mon berceau bleu, j’ai souvent rêvé d’avoir la même que la sienne. Une vie face à face avec le bleu de la mer…

Gilbert JULLIEN

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Balcon sur le Grand Malvallon et le vallon de la Mounine depuis Marseilleveyre

Publié le par gibirando

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Ce diaporama est agrémenté de 2 chansons interprétées par Patrick Fiori. Elles ont pour titre : "Feelings" accompagné de Julie Zenatti et "Marseille"

 

Pour agrandir les photos, cliquez dessus. 2 fois pour un plein écran. 


Marseille, c'est toute ma jeunesse et en habitant Impasse Emile sur les hauteurs du quartier de la Vieille-Chapelle, j'ai toujours eu devant les yeux, sa splendide baie mais j’avais aussi, depuis ma terrasse, devant moi et légèrement sur ma gauche, les jolies collines blanchâtres et calcaires du Massif de Marseilleveyre. Mais je l'avoue, il a fallu que je sois adulte pour prendre conscience de toutes les beautés que recelait ce massif. Pourtant, dieu sait si j’ai fréquenté Marseilleveyre et le Roy d’Espagne bien avant qu’on y construise toutes ces barres d’immeubles qui ont défiguré les paysages de mes souvenirs d'enfance. Pour moi, comme pour tous les minots des quartiers sud, ces coins-là étaient nos terrains de jeux préférés. Dans les pinèdes de ce massif, nous construisions des cabanes de branchages et jouions aux cow-boys et aux indiens ou bien à cache-cache, nous dévalions et faisons des roulés-boulés sur les pentes de la Sablière, dans le canal d’irrigation, nous faisions des courses de bateaux à l’aide de petits canots taillés dans les écorces des pins, dans ses collines, nous partions sur les chemins pour d’infernales courses de vélos, prémices du VTT et du vélocross, qu’à notre manière, nous commencions à inventer, nous allions jouer au foot dans les prés de verdure de la campagne Pastré, j’en passe et des meilleurs…. Cet espace déjà si vaste pour nos petites jambes suffisait à notre bonheur et nous n’allions guère plus loin. Pourtant ce plus loin existait déjà à travers tous ces nombreux sentiers qui jalonnent ce beau massif. Ces sentiers qu'un pastoralisme toujours très présent avait su créer depuis la nuit des temps. Aujourd’hui, je vous propose d'aller marcher sur un de ces sentiers, pour une randonnée que j’ai intitulée « Balcon sur le Grand Malvallon et le vallon de la Mounine » mais que j’aurais pu appeler « Balcon sur l’Archipel de Riou » tant notre regard est en permanence attiré par cette mer ô combien si bleue. Car ici à Marseille, comme le chante si bien le Massilia Sound System « mais quelle est bleue ! » notre chère Méditerranée dont je connais personnellement, presque aussi bien ses fonds marins que sa surface !  D’ailleurs sur cette randonnée qui démarre tout au bout de la rue Parangon, trois couleurs prédomineront tout au long du parcours car outre le bleu de la mer et du ciel, on ne voit que le blanc de la ville et du massif calcaire et le vert de la végétation. Le ciel étant très gris ce jour-là, ce n’est pas dans cette trilogie de couleurs que nous avons démarré cette balade sur le chemin bitumé qui s’élève derrière la dernière barre d’immeubles, juste au dessus de la Campagne Pastré. Heureusement, le mistral est bien présent et pousse vers le midi les « désagréables » gros nuages chargés de pluie. Quand le bitume s’arrête, on prend à droite un petit sentier balisé en jaune qui s’élève au milieu des pins, des chênes kermès, des bruyères et des romarins en fleurs en direction d’une ancienne tour de guet que l’on va laisser sur la droite au franchissement d’un vieux muret fracturé. Ce balisage jaune, et malgré un premier carrefour de chemins (chiffre 5, couleurs rouge, noir, vert et jaune), juste après une petite pinède que l’on traverse, on va le suivre jusqu’au Col de la Selle. Depuis très longtemps déjà, de magnifiques panoramas se sont dévoilés à nos regards : sur Marseille, sa Vierge de la Garde, ses massifs de collines qui l’entourent, sa anse, ses îles de l’archipel du Frioul, ses plages, etc.… Devant nous, le sommet de Marseilleveyre dresse son impressionnante silhouette minérale et pyramidale et à nos pieds, on aperçoit le Mont Rose, le port de plaisance de la Pointe Rouge et le joli domaine Pastré avec son épaisse forêt et son splendide château aux façades de briques roses. Au Pas de la Selle (275 m), la vue bascule vers le sud, sur les îles de l’Archipel de Riou et sur l'infini de la mer. Après cette modeste montée quasi ininterrompue, le sentier redescend dans un sentier de graviers et d’éboulis puis il reste suspendu en balcon dans un décor rocailleux à souhait. Ici, devant ce cirque des Trois Arches que domine le plateau de l’Homme Mort et au dessus de ce ravin crevassé du Grand Malvallon, on prend conscience de ce que la nature a été capable de créer au fil des millénaires. Les cataclysmes successifs,  l’érosion, les eaux des rivières et de la mer ont façonné des paysages karstiques déchiquetés à nul autre pareil. C’est dans ce cadre grandiose et dominé sans cesse par les hautes falaises blanches du massif que l’on déambule en direction de Callelongue, point terminal de cette randonnée. De temps à autre, et notamment aux petites intersections, il faut prêter attention au balisage et mentions peintes à même les roches. Nous, on continue à suivre le balisage jaune bien présent. Toutes les îles de l’archipel apparaissent dont la plus grande Riou, telle un immense bâtiment de guerre escorté de ses petits navires  de protection que sont les îles de Plane, Jarrede Jarron et les minuscules îlots des Congloué et des Empereurs. Au col de la Galinette (149 m), on délaisse le balcon du Grand Malvallon pour celui du vallon de la Mounine. On descend dans un petit vallon d’éboulis, on passe devant une grotte puis le chemin domine la calanque dite de la Mounine. La petite anse a été vulgairement dénommée ainsi car, par sa forme et son étroitesse, elle a sans doute du rappeler le sexe féminin à ceux qui lui on donnait ce nom provençal tiré du mot « moùno » signifiant « chatte ». Mais de notre balcon et même si on se rapproche un peu plus du rivage, cette ressemblance n’est pas très évidente même avec beaucoup d’imagination. A l’approche de Callelongue, le sentier bifurque légèrement vers l’ouest où l’on aperçoit le sémaphore que l’on va avoir en ligne de mire jusqu’à l’arrivée. Le sémaphore aurait été construit en 1863 mais les historiens disent qu’à l’Antiquité et à cet emplacement, les Phocéens avaient déjà érigé un phare (mot provenant du grec pharos, nom de l’île égyptienne où avait construit le phare d’Alexandrie)  pour prévenir les navires qui entraient dans la baie de Massalia des périls que représentaient tous ces récifs. Aujourd’hui, les murs du sémaphore sont couverts d’innombrables tags dont certains, il faut le dire, sont de jolies œuvres artistiques colorées. Depuis le sémaphore, la descente sur la jolie calanque de Callelongue est courte et on arrive très rapidement devant les bistrots et les restos bondés où pour nous, la balade se termine puisque nous sommes revenus à notre point de départ en prenant deux autobus de la ville. D’abord, une petite navette qui va jusqu’au Goudes puis un bus qui nous a ramené jusqu’à la Campagne Pastré où,  de là, nous avons rejoint la cité de Marseilleveyre. Les plus courageux pourront poursuivre en boucle tout autour du massif, d’abord en rejoignant les Goudes puis, en empruntant le GR.51 pour revenir au point de départ. Telle que nous l’avons accomplie, cette randonnée est, avec ses 7 kilomètres, plutôt courte et facile malgré quelques passages où les mains sont aussi utiles que les pieds. Le dénivelé est modeste et nous l’avons réalisé en 4 heures, arrêts pique-nique inclus. Mais croyez moi, le Massif de Marseilleveyre mérite le détour et les panoramas sur Marseille sont superbes mais c’est normal me direz-vous car après tout le nom de Marseilleveyre ne veut-il pas dire tout simplement « voir Marseille » ? « Veyre » ou « veire » signifiant « voir » en occitan. Carte IGN 3145 ET Marseille-Les Calanques Top 25.

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Le Baou Rond (281 m) depuis la calanque de Sormiou

Publié le par gibirando


Ce diaporama est agrémenté de 2 chansons du chanteur/compositeur américain Tony Joe White. Elles ont pour titre "Steamy Windows" et "Love M.D"

 


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De mon enfance et de ma jeunesse à la calanque de Sormiou, je garde de nombreux et heureux souvenirs mais quand je monte vers le Baou Rond, deux d’entre eux me reviennent à l’esprit systématiquement. Le premier est assez cocasse : Avec mon cousin Paul, quand nous avions 13,14 ou 15 ans, nous aimions bien cette courte balade et à l’époque, il ne nous fallait guère plus d’une heure pour monter au Baou Rond, redescendre par le Vallon des Escourtines pour revenir à la calanque par l’allée des Acacias. Quand nous quittions le cabanon, ma tante nous criait : « n’oubliez pas le pécu ! » mais si ce conseil avait été utile la première fois où nous étions montés au Baou Rond, ensuite il ne l’était plus vraiment et de nombreuses feuilles de papier toilettes étaient déjà au fond de nos poches respectives quand nous démarrions. Bien sûr, ces feuilles avaient leur utilité première au cas où, comme l’on disait, nous avions envie de déposer « une sentinelle » ; mais dans nos têtes, nous ne les prenions pas vraiment pour ça. Non, ces feuilles servaient à un drôle de concours qui consistait, depuis le pinacle du Baou Rond, à les laisser s’envoler au gré du mistral et d’observer celles qui allaient se déposer le plus loin. Alors ces feuilles de pécu que nous sortions une à une et avec précaution de la poche de nos shorts et qui disparaissaient au dessus de la merveilleuse calanque se transformaient en points, puis au final, en parties gagnées ou perdues. Ce qu’il y a de risible dans cette histoire, c’est quand nous repartions les poches vides et qu’ils nous prenaient l’envie de « caguer » ; alors nous redescendions les sentiers et les éboulis en courant et c’est plus d’une fois que nous sommes revenus au cabanon soit avec des « traces de pneus » dans nos slips Kangourou ou bien avec les genoux complètement écorchés à cause des chutes, tellement l’envie était pressante. Le deuxième souvenir concerne ce que nous appelions « la cabane à Bob ». Quand, enfants, nous prenions le sentier qui mène vers la calanque de Morgiou ; c’est le même qui va au Baou Rond ; il y avait, tout en haut d’une  paroi et un peu à l’écart du chemin, une cabane. Les plus grands l’appelaient la « cabane à Bob ». C’était une cahute adossée à la blanche falaise et dissimulée derrière une haie de sumacs des correyeurs et d'un figuier. Elle était faite de quelques planches et de grosses pierres des éboulis calcaires qu’il y a un peu partout par ici.  Il y avait toujours des bouteilles vides, des journaux et surtout des casseroles et des boites de conserves noircies par un feu de camp que nous trouvions soit éteint soit encore fumant en arrivant. A écouter les plus grands, parfois, j’avais le sentiment que ce « fameux » Bob nous avait entendu arriver et qu’il se planquait pour éviter de nous rencontrer. Mais, moi ce qui m’impressionnait le plus, c’était ces quelques poulpes que nous trouvions très souvent  pendus entrain de sécher au soleil. A l’époque, j’avais une peur bleue et une sainte horreur des poulpes que mon père pêchait dans des nasses qu’on appelait « jambins » ; mais de voir, ces animaux secs et raides, eux qui sont habituellement flasques et très vivaces, pendus devant la porte de cette cabane avait un aspect sordide et pour moi, presque démoniaque. Mes copains plus âgés prétendaient avoir rencontré « Bob » mais personnellement je ne l’ai jamais vu et c’est marrant comme j’en garde encore aujourd’hui une étrange vision dans mon imagination. Je le vois comme un homme des cavernes ou des bois, sauvage et sale, vêtu de peaux de bêtes, avec une grande barbe hirsute et un visage dur et patibulaire, une espèce d’homme de Cro-Magnon qui se nourrissait essentiellement de poulpes desséchés.  Aujourd’hui, tout a disparu, la végétation a tout envahi et au pied de la paroi, il ne reste plus rien de la « cabane à Bob ». Mais trêve de souvenirs car il est temps que je vous explique comment on grimpe au Baou Rond. Le sentier démarre de la calanque de Sormiou et plus particulièrement de son petit port au dessus duquel on chemine en direction de « Blanc ». Pour les calanquais, « Blanc » c’est un petit cap où se trouve le cabanon plus connu désormais comme étant celui de Fabio Montale, rôle d’un inspecteur de police marseillais tenu par Alain Delon pour une série télévisée. Vingt mètres avant d’arriver à ce cabanon, on prête attention à une sente balisée en rouge qui monte à gauche du chemin. Ce petit sentier balisé en rouge et qui grimpe sans cesse en direction des crêtes, on ne va plus le quitter jusqu’à rencontrer un énorme cairn à la jonction de multiples itinéraires qui s’appelle tout simplement le Carrefour sur les cartes. Sur la droite, le chemin file vers le Cap de Morgiou et nous, on part à gauche à l’opposé en suivant un balisage bleu. Le sentier qui emprunte les crêtes et laisse entrevoir de magnifiques vues de tous côtés devient plus rocailleux et donc plus difficile à arpenter. Au moment où il se hisse sur un dénivelé un peu plus pentu vers un petit défilé, on quitte le balisage pour une étroite sente faite d’un étroit pierrier qui part vers la gauche en direction du bord de la crête. Ici, commence l’ascension du Baou Rond. En provençal, "Baou" signifie "rocher" ou "escarpement rocheux" et Rond est vraiment la meilleure formule pour désigner ce dôme arrondi que l’on rejoint en quelques minutes après avoir quitté le chemin principal. Du haut de cet énorme mamelon, les vues sur la calanque de Sormiou et sur Marseille sont tout simplement époustouflantes. On aperçoit aussi le phare de Planier, les îles de Riou, PlaneJarre et le Bec de l’Aigle tout au bout d’une enfilade de falaises marines qui sont, on le dit à Marseille, les plus hautes d’Europe. Derrière nous, on aperçoit les collines marseillaises avec de grandes pinèdes mais malheureusement aussi, vers Carpiagne, de grands espaces rases, ravagés il y a peu de temps par un grand incendie. Après avoir jeté quelques feuilles de « pécu » au gré du vent et en souvenir du temps passé, on redescend vers le sentier balisé que l’on poursuit dans la direction délaissée juste avant d’être monté au Baou Rond. Soudain, le sentier s’élargit en une spacieuse piste caillouteuse balisée désormais en jaune et bleu qui file en descente et droit en direction de Marseille. On atteint quelques petits pins et une nouvelle intersection. On délaisse la large piste et on emprunte à gauche un sentier plus étroit qui est peint de marques jaunes et bleues mais aussi en rouge et blanc. On est sur le G.R.51 long de 290 kilomètres qui file jusqu’à Menton. A l’instant même où le sentier coupe un étroit vallon, sur la gauche, on domine à nouveau Sormiou et son petit port au fond d’un large défilé. Comme on doit descendre dans ce vallon, on délaisse le sentier des crêtes au profit d’un autre qui descend à main gauche, même s’il est marqué d’une croix d’interdiction. Cet itinéraire, c’est le rocailleux et tortueux sentier des Escourtines, qui en provençal vient du verbe « escourter » qui veut dire « écourter, raccourcir ». Ce raccourci  va nous ramener directement  et très rapidement jusqu’à la calanque. On débouche dans l’allée des Acacias et on retrouve le petit port et la sublime calanque. Sur la gauche et depuis le port, on jette un dernier regard  sur l’impressionnant Baou Rond que l’on vient d’escalader. Enfant, j’étais toujours étonné de l’avoir gravi et pour moi, d’en revenir c’était un véritable exploit, un peu comme si j’avais vaincu l’Everest. Comptez deux heures pour ce circuit où il faudra être équipé de bonnes chaussures de marche. Avant de partir, informez-vous sur les périodes où les randonnées sont autorisées dans ce secteur du  massif des calanques. Carte IGN 3145 ET Marseille-Les calanques Top 25.

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