• Mon grand-père Gabriel, ce héros...


     

    Il y a deux ans quand j’ai été contraint de vendre la maison de ma mère pour assurer son maintien dans un service spécialisé Alzheimer d’une maison de retraite, j’ai, au cours du déménagement, retrouvé d’innombrables photos et un grand nombre de papiers familiaux. Parmi toutes ces photos et ces documents, j’ai notamment découvert de très vieux papiers appartenant à mes grands-parents paternels et même parfois à mes arrières grands-parents. Parmi tous ces papiers, de nombreux concernaient les actes militaires de mon grand-père. Mon grand-père paternel se prénommait Benoît Gabriel mais tout le monde l’appelait Gabriel. Il était né en 1886 à Marseille. Si je ne sais rien de son enfance, grâce à son livret militaire, j’ai appris qu’en 1906, il avait été appelé sous les drapeaux dans le 7eme Régiment de Génie  d’Avignon. En 1907, il part faire son instruction militaire de sapeur-mineur à Bizerte avec le 2eme régiment du Génie de la Division d’occupation de Tunisie. Cette période bien qu’absente de son livret militaire est attestée par quelques photos ainsi que par un certificat de bonne conduite daté du 17 septembre 1909.  Là, il s’écoule une longue période où je peux supposer que mon grand-père s’en était retourné à la vie civile où il avait repris sans doute son dur métier de maçon. En septembre 1913, il se maria avec celle qui allait devenir ma grand-mère. Ensuite, la guerre de 14/18 arrivant, comme des millions de jeunes hommes de sa génération, mon grand-père a été mobilisé pour partir la faire. Quand exactement, je l’ignore mais selon des informations retrouvées sur Internet, sa compagnie 15/6 serait partie aux armées après une période de formation, c'est-à-dire sur le front, le 19 octobre 1914 exactement. Quelques lettres d’amour échangées avec ma grand-mère et diverses cartes postales attestent de cette période sur le front de la guerre du côté de la Somme.  Comme je l’ai dit plus haut, mon grand-père Gabriel fut sapeur-mineur pendant cette période de la guerre. Evidemment, pour nombre d’entre-nous, ce terme ne signifie  pas grand-chose, alors plutôt que de longues explications, je vous renvoie vers un site intitulé « la guerre des mines » où ce rôle,  les risques et les missions qu’elles engendrent sont expliquées avec force détails. A travers ces éclaircissements, on comprend parfaitement le rôle essentiel que ces sapeurs-mineurs ont joué dans l’issue de la guerre et les  dangers permanents que ces hommes ont pris pour arracher la victoire des Forces Alliées face à l’ennemi allemand.  Un autre document sur Internet raconte l’histoire du 7eme Régiment de Génie d’Avignon lors de cette période et dit des sapeurs la chose suivante : « A côté de ceux des combattants grisés par les péripéties de la lutte, il y a une série de héros, moins en vedette, qui pourtant contribuent pour une large part à la réussite des opérations. Leur courage solide est fait de sang-froid, de maîtrise de soi-même, de dévouement, d'abnégation. Sous les obus, les balles, les grenades, dans les nappes de gaz asphyxiants, ils travaillent toujours, ils combattent souvent aussi. Les sapeurs du Génie doivent être placés au premier rang des ces phalanges techniques. Ils ont droit à une bonne part de cette victoire arrachée après cinq ans d'une lutte acharnée et sans merci. Maintes fois, leurs unités furent à l'honneur. Courage et dévouement leur ont valu de glorieuses citations, dignes de celles obtenues par nos plus vaillantes unités d'attaque. Il est utile de rappeler l'héroïsme dont firent preuve ces compagnies, en énumérant les citations qu'elles ont obtenues au cours de la campagne. »

    Parmi ces citations, il y en une à l’ordre de l’Armée concernant la compagnie 15/6 qui a été remise à mon grand-père en 1918 par le capitaine Augé et qui s’intitule « Extrait de l’Ordre Général N°552 » et dont voici le texte : « Unité de premier ordre qui s'est illustrée depuis le début de la campagne dans la guerre de mines et la destruction des réseaux ennemis. Vient à nouveau d'accomplir des exploits superbes sous les ordres du Capitaine AUGE en accompagnant l'infanterie pendant les combats incessants du 10 août au 14 septembre 1918, chargeant avec les vagues d'assaut et créant rapidement malgré un feu meurtrier des passerelles qui ont permis une avance toujours rapide et victorieuse. » Et le document se termine en spécifiant que le sapeur-mineur JULLIEN Gabriel a contribué par son courage et son dévouement à l’obtention de cette citation- Signé Capitaine Auge. Il est à noter qu’en 1920, au terme de cet horrible conflit, l’historique du 7eme Régiment de Génie  d’Avignon établit les statistiques suivantes : 60 compagnies ont participé à la guerre, soit 230 officiers et 12.000 hommes de troupe. Sur ces 12.230 hommes, 6.773 ont été blessés, 1.505 sont morts dont 1.464 sapeurs.

    J’avais 13 ans quand mon grand-père est décédé en 1962. Il avait 76 ans et même s’il a eu le privilège de mourir dans son lit après une vie beaucoup plus longue qu’un grand nombre de ses congénères, je m’aperçois aujourd’hui qu’il a été un vrai héros. Oui, c’est vrai, contrairement aux 9, 7 millions de militaires morts dans ce conflit dont 1,4 millions de français environ, mon grand-père a eu le bonheur et la chance de survivre à cette guerre. Mais cette vie sauve, il l’a doit essentiellement à une grave blessure occasionnée par l’ennemi qui l’a handicapé partiellement pour le reste de sa vie. Oui, par les risques importants qu’il encourait dans ses missions quotidiennes, mon grand-père a fatalement fini par être blessé.  Le 1er septembre 1916 à 10h30, il a été blessé à la joue droite dans la région temporo-maxillaire et à la cuisse par deux éclats d’obus alors qu’il se trouvait dans son cantonnement de Framerville près d’Amiens. Il fut maintenu dans l’Armée au titre de son invalidité. En 1917, il eut droit à l’insigne des blessés de guerre et en 1918 à la Croix de guerre avec citation. Il fut incorporé en 1920 dans l’armée territoriale. En 1925, il a eu droit à la carte du combattant au titre de ses mutilations mais en 1926, il fut encore incorporé dans la réserve de cette même armée territoriale comme mentionné dans son livret militaire. Entre ces deux périodes d’incorporation, et malgré son handicap, il repris son difficile labeur de maçon comme l’attestent quelques photos de 1922. En 1930, il fut classé « réformé définitif » puis il fut enfin libéré définitivement le 1er octobre 1932.  Voilà la vie d’homme que mon grand-père Gabriel avait eu. Il était rentré dans l’armée à l’âge de 20 ans pour faire son service militaire et il en était ressorti meurtri et handicapé 26 ans plus tard à l’âge de 46 ans. Sa principale joie pendant cette longue période avait été la naissance de mon père Louis en 1916. Outre, cette très longue et difficile période en partie dévoué à la France, je pense qu’il a été fait prisonnier pendant quelques temps lors du conflit 39/45 mais c’est une information que je dois encore vérifier auprès des plus anciens de ma famille.

    Pourtant malgré ce difficile vécu, mon grand-père était du genre plutôt silencieux, presque taciturne et pendant la période où je l’ai connu, je ne l’ai jamais entendu ni se plaindre, ni parler de l’Armée et encore moins de la guerre. Ses médailles, ses insignes et ses rubans trônaient dans un sous-verre sur sa commode mais c’était tout. Pourtant, quand j’ai été en âge de le côtoyer, je l’ai toujours connu vieux, très amaigri et sans doute bien malade depuis plusieurs années. Ah oui,  autant que je me remémore ces vieux souvenirs, il semblait aimer les armes et la chasse à la plume c'est-à-dire aux petits oiseaux (perdreaux, grives, étourneaux, etc…) et c’est en tous cas dans cette activité que je me souviens le mieux de lui. Avec mon frère Daniel, nous partions tous les trois, le matin de bonne heure dans « sa » campagne avec des petites cages et des « appelants » à l’intérieur. Puis, il disposait les cages au pied d’un arbre aux branches dénudées où parfois même, il rajoutait quelques bâtons enduits de glue. Tout ça, il le faisait en silence et sans jamais prononcer aucune parole.  Puis, toujours dans le silence le plus absolu, nous attendions et lui, il était le seul de nous trois à avoir une patience d’ange. Il paraissait toujours ailleurs même si c’est vrai qu’à l’époque, je n’y prêtais guère attention et je mettais ça sur le compte d’une grande indulgence vis-à-vis de mon frère et moi. Moi, il m’était impossible de rester ainsi sans rien dire, sans rien faire, alors je préférais partir jouer dans la campagne mais je gardais toujours un œil sur lui et quand je le voyais s’accroupir derrière son poste de chasse fait de planches et de branchages, je m’immobilisais et j’attendais qu’il tire.  Au tir à la volée, mon grand-père ne ratait jamais sa cible et je l’avoue, j’étais bougrement admiratif ! En écrivant cet article, j’ai encore dans la bouche le goût des petits oiseaux que ma grand-mère Adèle (*) nous préparait au four et que nous mangions sur des tranches de pain grillées. J’en salive encore et même si désormais tirer sur un oiseau m’est devenu absolument insupportable, je ne peux en aucune manière blâmer mes grands-parents car pour eux, c’était souvent quelques repas de plus d’économiser. Il était comme ça mon grand-père, il adorait les petits oiseaux rôtis sur canapé mais je l’ai vu verser une larme parce qu’un chardonneret, qu’il avait longuement apprivoisé et choyé, était mort.

    Voilà comment il était mon grand-père Gabriel ! Silencieux à l’extrême, très endurci intérieurement mais sans doute très sentimental au fond de son coeur… comme tous les vrais héros. 

    Mais savez-vous pourquoi tous les héros sont ainsi ?

    Parce que les héros son fatigués, c’est bien connu !

    Et mon grand-père, lui, la guerre l’avait définitivement fatigué !

    Voilà, je voulais lui rendre hommage car même si j’étais bien trop jeune pour l’avoir vraiment connu, aujourd’hui à travers ces quelques documents et photos, j’ai essayé de comprendre un peu qui il était….

    Je pense y être un peu parvenu…

    C’était un ange Gabriel……un ange qui avait vu des horreurs, qui avait souffert et qui était devenu héros malgré lui….

    (*) Lors d’un prochain article, j’évoquerais ma grand-mère Adèle dont je garde d’excellents souvenirs de ma jeunesse et notamment des souvenirs culinaires.

    « L'Île de Sainte-Lucie à Port-la-NouvelleMadère, une perle dans l'Atlantique ! »

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