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pointe rouge

Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

Publié le par gibirando

(Pour agrandir les photos, cliquez dessus. 2 fois pour un plein écran. Les photos sont numérotées. Vous trouverez les légendes de chacune des photos à la fin du texte.)

Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.Dans l’esprit de la plupart des personnes, le mot « impasse » a un côté péjoratif. Cela tient probablement au fait que l’expression « être dans une impasse » peut avoir de très nombreuses significations mais toujours négatives. Quel que soit le cas de chacun, on peut la résumer à « être dans une situation sans issue ». Autant vous le dire de suite, pour moi, le mot « impasse » n’a jamais eu cette résonance-là. J’ai habité 20 ans au fond d’une impasse, de 3 à 23 ans, c’est-à-dire de 1952 à 1972, et ce lieu, bien au contraire, a toujours été pour moi comme une fenêtre ouverte sur le monde. Mon monde devrais-je dire, car le monde de l’enfant ou du jeune que j’ai été n’a jamais été par la force des choses celui de tout un chacun.

Impasse Emile elle s’appelait, et j’habitais au numéro 8. C’était le dernier numéro et donc nous habitions la toute dernière maison se trouvant à son extrémité. Pour être plus précis, cette impasse, qui existe toujours, est située dans le 8eme arrondissement de Marseille dans le quartier de la Vieille-Chapelle. Parler de cette impasse, au point de vouloir écrire cette chronique à son sujet, c’est bien évidemment avoir envie de me remémorer un passé rempli de souvenirs d’enfance et de jeunesse le plus souvent très heureux.Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

Cette impasse, ce n’était pas n’importe qu’elle impasse. D’abord, elle s’élevait assez gaillardement sur une quarantaine de mètres vers le sommet d’une colline où un château de maître avait été construit au début du 20eme siècle. Le château du Collet. C’était son nom.  Je ne l’ai jamais connu car l’Histoire nous apprend qu’il fut détruit par les Allemands en 1943. Dans les années 60, une résidence de grand standing fut construite sur son emplacement. Cette résidence était située au sommet et notre petite maison était juste en dessous. Enfin, tout ça pour vous dire qu’habitant à la cime de cette colline, nous bénéficiions, depuis notre petit balcon, d’une incroyable vue sur la baie de Marseille mais aussi sur notre quartier et ceux limitrophes les plus proches. Autant que je me souvienne, et de droite à gauche, nous apercevions un bout de la Corniche, l’archipel du Frioul avec le célèbre château d’If et les îles Ratonneau et Pomègues.

Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

Vue depuis ma maison. Voilà la fênetre de mon enfance. En bas et devant, le boulevard Paul Hugues où avec les copains nous jouions au foot. On aperçoit la place de la Vieille-Chapelle en bord de mer où la fête foraine venait s'installer. Un bout de le jetée où j'ai appris à nager et à plonger par la force des choses car avec les amis, on se bousculait pour se pousser à l'eau. Juste après la baie de la Pointe-Rouge et sa plage où adolescent j'ai connu mes premiers flirts estivaux.

Derrière ces îles et dans le lointain, on distinguait à peine la continuité de la côte marseillaise du côté de l’Estaque et du Massif de la Nerthe. Au milieu de cet ample panorama maritime, il y avait l'île et le phare de Planier dont le signal nocturne lumineux a très souvent éclairé nos douces soirées estivales que nous passions sur le petit balcon « à prendre le frais ». Je vous parle d’une époque où nous n’avions pas encore la télé car chez nous elle est arrivée très tardivement. A gauche, nous pouvions voir un bout du Massif de Marseilleveyre, avec à nos pieds, une grande partie du quartier de la Vieille-Chapelle, l’anse de la Pointe-Rouge et son quartier, celui de Montredon avec derrière le petit mamelon du Mont Rose. Oui, cette vision constante à plus de 180 degrés a marqué mon enfance et à ma jeunesse. La mer Méditerranée était à la fois toute proche car à moins de 500 mètres de l’impasse et très lointaine aussi, puisque pour l’essentiel elleImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. définissait la quasi-totalité de l’horizon. De ce fait, la mer a toujours bercé ma vie. Cet horizon était bien souvent animé par les gros bateaux en partance pour la Corse, l’Afrique et les autres pays méditerranéens et sans doute cela a-t-il influencé ma curiosité et mon envie de découvertes. Je me souviens que ma mère en regardant le château d’If s’exclamait très souvent « je vais mourir sans jamais l’avoir visité ! ». Finalement, et sur le tard, alors que mon père était déjà décédé, mon oncle Henri et ma tante Juliette l’avaient amenée jusqu’au Vieux-Port où des bateaux organisés des visites. Elle était revenue ravie d’avoir vu le château d’If mais peut être encore plus d’avoir réalisé un vœu. Oui, cette impasse, même sans issue, n’était nullement fermée ni pour elle ni pour moi ni pour aucun membre de notre famille ! D’ailleurs, quand quelques années plus tard mon père a souhaité déménager, car malade il avait du mal à monter l’impasse, elle a constamment regretté tous ces panoramas qui s’offraient à nous dès que nous ouvrions la porte.


Si je dis « sans issue », c’est parce que l’impasse Emile était tout de même une vraie impasse.  Derrière notre petite maison à laquelle nous accédions par un escalier plutôt raide, nous avions un jardinet que mon père avaitImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. créé à la sueur de son front. D'autres escaliers y menaient car bien évidemment s'agissant d'une colline aucun accès n'était plat. Pour trouver un peu de terre et d’argile pour cultiver quelques salades, tomates et haricots, il avait été contraint de casser à la pioche et à la barre à mines le calcaire de la colline. Pour arroser le jardin, il avait construit un petit bassin où s’ébattaient de minuscules poissons rouges. Le bassin épousait en partie la roche où il avait été élevé. Au fond du jardin, il y eut un peu plus tard un poulailler, et au-dessus, accrochés au mur, des pigeonniers et des clapiers que mon père avait fabriqués lui-même avec des planches et du grillage. Pour nous enfants, c’était une ferme en miniature. Tout ce petit monde qui habitait le jardinet batifolait au pire dans le poulailler au mieux à l’air libre. C’était le cas des pigeons qui s’envolaient souvent dans d’incroyables voltiges. Je prenais un malin plaisir à les regarder planer au-dessus des maisons, les mains pleines de graines de maïs que j’égrainais peu à peu jusqu’à ce qu’ils reviennent les manger en se posant tout près de moi. Nous avions également une tortue d’Hermann qui n’était pas dépaysée dans cette colline méditerranéenne en 
miniature. Les chiens que nous avons toujours eus, Bambi et Miss, ne se plaignaient pas plus que la tortue de cet espace un peu sauvage. Enfant, j’ai toujours considéré qu’il y avait une amitié entre ces animaux et moi et j’allais jusqu’à leur donner des noms. Tout y passait, du prénom d’une copine de classe que je donnais à une poule au nom d’un célèbre chanteur ou sportif pour un pigeon ou un lapin. Le pire moment était l’instant où je ne retrouvais plus un de ces animaux car mon père l’avait tué pour que nous le mangions. Jusqu’à ce que nous soyons des adolescents « matures », mon père n’a jamais voulu que l’on assiste à ces mises à mort qu’il avait programmé pour remplir nos assiettes. Alors une fois à table, je mangeais le poulet, le lapin ou le pigeon comme les autres sans trop y penser car c’était notre façon de vivre et je savais que mes parents ne roulaient pas sur l’or. Malgré le jardinet, le bassin et la ferme en miniature, le calcaire de la colline était toujours là et pour moi, il était un terrain de jeu idéal pour que mes figurines, cow-boys et indiens, se livrent batailles. Tout autour du jardinet, ce n’était que de hauts murs infranchissables sauf à gauche où il y avait un grillage qui le séparait d’un petit terrain en friche et d’un terre-plein beaucoup plus plat. Le terre-plein était entouré de deux grands murs et suffisamment spacieux pour que l’on puisse taper tranquillement dans une balle ou un ballon sans déranger personne. Nous y jouions aussi à la pétanque. Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

C’est réellement ici et en tapant pendant des heures et des heures entre nous ou contre ces murs que mon frère Daniel et moi avons appris à jouer au foot et à aimer ce sport. Ce terrain était situé derrière la maison de nos voisins et amis, les Delpicchia mais autant que je sache, il ne leur appartenait pas. En tous cas, nous allions y jouer sans aucune contrainte ou interdiction. Outre les friches et le terre-plein, on y trouvait sur le sol et à un endroit bien précis, les vestiges cimentés et carrelés d’une maison qui avait été probablement rasée. Enfant, je ne me suis jamais posé la question « pourquoi ces vestiges étaient-ils là ? » Aujourd’hui, je me demande si ces ruines sans mur n’avaient pas un rapport avec la disparition du château du Collet ? A bien y réfléchir, c’est fort probable.  Ces dédales de ciment et de carrelages étaient eux aussi des lieux idéaux où l’on s’inventait des aires de jeux. Bien plats, nous y jouions aux billes, aux osselets ou au solitaire mais jamais à la marelle, jeu de filles

Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.que nous laissions à certaines de nos petites voisines. Sur le sol et à la craie, nous, on préférait y tracer des circuits représentant le Tour de France et nous y jouions avec les petites figurines de coureurs cyclistes. Nous en avions une bonne quarantaine et à chaque coureur nous attribuions un numéro et le nom d’un champion célèbre. Les circuits étaient des chemins remplis de rayures qui zigzaguaient sur les différentes esplanades. Avec mon frère, on se partageait le peloton et les coureurs avançaient sur les différentes rayures au gré du dé que nous lancions et donc des numéros qui sortaient. Le coureur avançait d'une rayure pour un « 1 » et de six rayures pour un « 6 ». Le coureur qui terminait le circuit le premier était déclaré vainqueur de l’étape. Nous tenions les résultats de chaque étape et de chacun des coureurs sur un cahier en leur attribuant des points et ce, jusqu’au dénouement final où le meilleur coureur, celui qui avait le plus de points était déclaré vainqueur du Tour. Puis on recommençait, avec le Tour d’Italie, le Tour d’Espagne et certaines classiques. Outre les jeux, je me souviens parfaitement que le terrain en friches était composé d’une herbe verte où poussaient principalement du lierre, des mauves et des concombres d’ânes. Cette dernière plante avait la particularité d’avoir des fruits qui explosaient dès lors qu’ils devenaient trop secs. La plupart du temps, ils n’avaient guère le temps de sécher car avec le talon nous les faisions exploser avant l’heure. Les fruits s’entrouvraient dans un bruit deImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. claquement laissant jaillir un jus verdâtre et des graines qui partaient sur plusieurs mètres et dans tous les sens. C’était devenu un jeu mais gare à ne pas se trouver devant ou à proximité !  Dans ce petit terrain vague, et dès les premiers beaux jours, il y avait également de très nombreux lézards qui n’en menaient pas large quand nous étions de sortie. Avec la méchanceté qui caractérise souvent les enfants, nous les poursuivions de nos assiduités et très souvent les pauvres n’avaient guère d’autres solutions que de nous laisser un bout de leur queue en guise de trophée. Tant que le morceau de queue gigotait vigoureusement, il nous intéressait et nous le regardions bouger dans la paume de nos mains, puis la plupart du temps il finissait au fond du bassin comme s’il s’agissait d’un aliment aussi comestible qu’un ver de terre.

Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.
J’oublie probablement beaucoup de choses de nos jeux d’enfants et de nos péripéties mais voilà comment se présentait l’extrémité de l’impasse Emile où il n’était pas rare qu'une multitude de copains ou copines viennent jouer avec mon frère Daniel et/ou moi.  Au fil du temps et sans un ordre précis, ils ont eu pour noms Mollard, Garnier, Ugona, Protesti, Aramini, Merciadri, Papa, Pardo, Testa, Ben Sissou, Delpicchia, Soscia, Tarducci et j’en oublie bien sûr. Tous des voisins ou voisines plus ou moins proches.

L’impasse en elle -même était large de tout juste 2 mètres voire guère plus. Elle était composée de trois parties. A gauche et en montant, il y avait une pente cimentée d’un mètre de large qui servait essentiellement à hisser les deux-roues, vélos et motos jusqu’à nos maisons. Elle était bien utile aussi pour monter les chariots des commissions ou les diables dès lors qu'on avait des charges lourdes. Attention, je précise que nous ne pouvions monter les deux-roues qu’en les poussant car la pente était bien trop
 raide pour espérer les amener tout là-haut autrement. Pas question d’être assis dessus. Au milieu, il y avait des escaliers aussi longs que larges mais dont les marches étaient très basses. Elles étaient nombreuses, ce qui compte tenu de leur conception les rendait à la fois faciles à gravir et peu dangereuses. A l’extrême droite, il y avait un très étroit caniveau où s’écoulaient à la fois les eaux de pluie mais également les eaux usées, car à l’époque le tout-à-l’égout n’existait pas encore. Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.
Evidemment, cette pente très raide a longtemps était un terrain de jeu. Avec les copains, nous y jouions par exemple à faire débouler nos petites « Majorettes » dans des courses effrénées. Je me souviens très bien que je gagnais de très nombreuses courses. Moi, qui n’ai jamais été intéressé par les marques et les modèles de voitures ; et encore de nos jours ; je me souviens parfaitement de celle qui me permettait de gagner le plus souvent. C’était une Ford Vedette qui avait la particularité d’être une ambulance qui roulait très bien et qui de surcroît était très solide. Elle paraissait incassable par rapport à toutes les autres que je possédais, lesquelles la plupart du temps finissaient en piteux états. Il y avait aussi un autre jeu, de balle celui-ci, qui consistait à éviter que cette dernière atteigne le bas de l’impasse et termine sa course dans le boulevard Paul Hugues. Ce jeu présentait l’avantage que l’on pouvait y jouer à deux ou à plusieurs. Le placement des différentsImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. joueurs s’effectuait par tirage au sort. Tout en haut, une joueur lançait une balle, de tennis le plus souvent, et de préférence au sol mais de toutes ses forces et les joueurs, qui étaient échelonnés tout au long de la pente, devaient la rattraper. Celui qui réussissait à la capter marquait des points selon son placement. Plus il était au bas de la pente et plus il marquait de points. Dès lors qu’un joueur avait 30 points, on procédait à d’autres placements toujours par tirage au sort mais la lanceur, lui, changeait automatiquement à tour de rôle.

Au fil de nos âges, et du mien bien sûr, les jeux ont évolué mais l’impasse Emile a continué à voir et à recevoir nos mutations toujours divertissantes mais désormais le plus souvent jubilatoires. Les « Majorettes » ont été d’abordImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. remplacées par de petites « planches à roulettes » très rudimentaires que nous construisons avec des planches et des roulements à billes et sur lesquelles tant bien que mal nous nous couchions pour descendre l’impasse. On les appelait « carriole ». Ensuite, les « carrioles » ont été remplacées par des trottinettes "maison" elles aussi, puis par des vélos toujours plus grands et les balles de tennis par des ballons de foot. Un jour, finalement, il arriva ce qu’il devait arriver.  L’impasse Emile était désormais trop étroite pour nos jeux de grands écervelés que nous étions devenus. Les matches de foot ou de pétanque s’effectuaient directement dans le boulevard Paul Hugues. Les « carrioles » que nous avions perfectionnées avec guidon et freins nous les chevauchions à tout berzingue dans le large et pentu Boulevard des Neiges. Mais parmi tous ces jeux, le foot était devenu pour mon frère et moi une véritable passion. Le dimanche, nous jouions au Sporting Club de Bonneveine. De 3 ans plus âgé, lui était bien meilleur que moi, surtout comme attaquant. C’était un redoutable ailier gauche, très bon buteur avec des dribbles déroutants. Moi, je continuais à me chercher, évoluant néanmoins avec une certaine facilité à tousImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. les postes, de gardien de but à avant-centre en passant par arrière central ou milieu de terrain. « Demi » comme nous disions à l’époque. Après la classe et les devoirs du soir, dans le boulevard Paul Hugues et avec les copains nous nous lancions dans des parties acharnées. Si acharnées parfois que même les passants de la rue nous devenaient indifférents voire carrément invisibles. C’est ainsi que me revient un souvenir cocasse à propos d’une de ces parties. Chaque soir et alors que nous jouions, Monsieur Testa, un de nos voisins, revenait systématiquement de son travail à vélo.  Il ronchonnait toujours car nous occupions toute la largeur de la rue et il acceptait mal le fait que nous n’interrompions pas notre partie pour le laisser passer. Il faut dire qu’il marmonnait le plus souvent et qu’on éprouvait les pires difficultés à le comprendre car il avait pour habitude d’avoir entre ses lèvres un petit mégot de cigarette. Le plus souvent éteint mais quelquefois allumé. De ce fait, il mâchouillait les mots plus qu’il ne lesImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. prononçait.  Nous l’appelions gentiment le père Testa et nous avions fini par ne plus l’écouter quand il passait. Un soir, avec une grande maladresse, et alors que j’occupais le poste de gardien de but, j’ai voulu dégagé le ballon qui est parti tout droit comme une flèche dans le visage du père Testa. Le pauvre homme en est tombé de son vélo, mais comme il y avait plus de peur que de mal, il s’est très vite relevé car à n’en pas douter il était à la fois très énervé mais surtout vexé. Le pire dans cette scène burlesque, c’est que comme un seul homme nous avons tous éclatés de rire, non pas à cause du ballon qui était venu le frapper, pas plus que du fait qu’il était tombé à la renverse, non, nous « rigolions comme des banastes (*) » (expression purement marseillaise !) à voir la tête qu’il avait. Une mèche noire de ses cheveux était descendue sur son front, quant au mégot, il était venu s’écraser sous ses narines, les deux éléments réunis le faisant ressembler comme deux gouttes d’eau à Hitler. Vexé, il se mit à hurler « qui a fait ça ? ». Et là, on éclata tous de plus belle car il nous rappelait encore plus l’image télévisée que nous avions du Führer allemand quand il haranguait les foules.  Par bonheur, il n’avait pas vu que c’était moi et personne neImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. pipa mot. Il insista mais personne ne me dénonça jamais. Ce soir-là, il rentra chez lui hyper vexé et très en colère mais comme il nous avait tous repérés et qu’il nous connaissait, le lendemain soir, il alla taper à toutes les portes pour se plaindre auprès de nos parents de ce qui lui était arrivé. C’est ainsi que mis sur le grill, je finis par avouer à ma mère que c’était moi et elle me conseilla d’aller le voir pour m’excuser. Elle argumenta en m’expliquant que c’était sans doute la meilleure manière si nous voulions continuer à jouer au foot dans la rue sans que cela fasse trop d’histoires. En effet, selon elle, le père Testa n’était pas le seul, loin s’en faut, à se plaindre de nos attitudes footballistiques un peu trop désinvoltes. Elle avait entendu d’autres doléances chez des commerçants. Le soir même de la discussion avecImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. ma mère, je partis m’excuser auprès de lui, lui expliquant que j’avais été maladroit et que je regrettais tout ce qui s’était passé. Il le prit plutôt bien mais insista néanmoins pour que l’on arrête de jouer dès lors qu’il était là, lui ou une autre personne précisa-t-il néanmoins. Il le prit d’autant mieux que son fils, un peu plus âgé que mon frère et moi jouait aussi au foot au Sporting Club de Bonneveine dans une catégorie supérieure et qu’il savait que nous étions de fervents supporters. Nos parties ont ainsi pu continuer mais quand un passant se pointait, nous faisions en sorte d’arrêter nos actions de jeu. Nous avions compris la leçon. Par contre, quand Monsieur Testa arrivait sur son vélo, en douce, nous ne l’appelions plus le père Testa mais Hitler. « Méfi, voilà Hitler ! (*) » lançait le premier qui le voyait arriver. Qu’est-ce qu’on a pu se marrer avec ça ! Mais quand il passait au milieu de nous, c’était d’abord le silence le plus total puis nous y allions du bout des lèvres de quelques « bonsoir Monsieur Testa ! ». Nous étions un brin moqueur et « chambreur » mais néanmoins polis car c’était l’éducation que nous avions reçue. Il n’y avait rien de méchant dans tout ce que nous faisions.Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.

Voilà pour cette anecdote qui reflète bien qui nous étions, quels étaient nos jeux, notre jeunesse à laquelle je me remémore en pensant à l’impasse Emile ou j’ai finalement passé 20 ans de ma vie avant de ma marier et de partir sous d’autres cieux.

En septembre 2012, soit 40 ans plus tard, je suis retourné voir ce qu’étaient devenues l’impasse et mon ancienne maison, lieux qui m’avaient été si familiers et où j’avais connu tant de joies et de bonheurs, à la fois familiaux mais aussi d’amitiés simples et sincères. Je n’aurais jamais dû y retourner car inévitablement et tant d’années plus tard, j’aurais dû me douter que beaucoup trop de choses auraient changées. Si le boulevard Paul Hugues n’avait guère connu de bouleversements, or mis le nombreImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. incroyable de voitures garées des deux côtés qui le rendait beaucoup plus étroit que l’idée que j’en avais gardée, si le boulevard des Neiges et quelques rues mitoyennes n’avaient guère subi de transformations, l’impasse, elle, était désormais fermée par une porte où pour entrer il fallait détenir un digicode. Je ne pouvais donc pas remonter l’impasse ni accéder à mon ancienne maison. J’étais complètement désenchanté et démuni devant cette porte qui était close et sans aucune possibilité d’ouverture. Le plus exécrable était que même la plaque signalétique que je voulais photographier en souvenir était taguée. Il n’y avait plus d’Emile visible et ça rajoutait à ma tristesse déjà bien grande. Tristesse de constater que nous vivions une époque où les gens estimaient qu’il valait mieux se barricader, époque où l’on s’en prenait même à de simples plaques de rues. Pourquoi ? Notre époque était-elle mieux qu’aujourd’hui ? Je restais là sans réponse. Pendant un instant, je me suis mis à penser à certains de mes amisImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. d’enfance ou d’école qui en grandissant avaient mal tourné. Adolescents, ils étaient devenus voleurs et pour certains carrément proxénètes se retrouvant parfois entre quatre murs et derrière les barreaux des Baumettes et je me demandais s’ils auraient été capables de s’en prendre à une simple plaque de rue. A bien y réfléchir, la réponse fut formellement « Non ». Mal éduqués puis livrés à eux-mêmes,  ils avaient mal tourné certes, préférant vivre de larcins et du proxénétisme mais ce n’était pas des vandales irréfléchis. Depuis le boulevard Paul Hugues, j’essayais d’apercevoir ma maison mais elle aussi avait bien changé. Une terrasse avait remplacé notre toiture et pour tout le reste je restais dans l’inconnu. En rentrant chez moi et en revoyant les quelques photos que j’avais prises de mon quartier, j’eus envie d’en savoir plus de ce qu’était réellement devenue mon impasse et ma maison et je me mis à visionner des vues aériennes et d’autres vues mobiles sur Google Maps qu’on appelle « Street View ». PourImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. l’impasse, je n’avais pas d’autre vision que celle de la porte fermée et la confirmation de la plaque taguée. La vue aérienne de l’impasse, de ma maison, de mon jardinet et du terre-plein d’à côté ne fit qu’amplifier ma déception car tout ou presque de ce que j’avais connu avait disparu. Comme déjà aperçue, la toiture de ma maison avait été remplacée par une vaste terrasse, le terre-plein où nous jouions au foot avaient apparemment disparu sous d’autres habitations et il y avait même une piscine à l’emplacement même des vestiges carrelés où nous jouions au Tour de France avec mon frère. Seul, à l’endroit où nous avions le jardinet subsistait un coin de verdure mais la photo n’était pas suffisamment claire et précise pour avoir le certitude qu’il s’agissait encore d’un jardin potager. D’ailleurs, tout autour, beaucoup de choses avaient également changé car j’apercevais d’autres piscines et d’autres résidences inexistantes de monImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. temps. Au moment de quitter l'impasse ou plutôt le boulevard Paul Hugues, avec Dany, nous prîmes la décision d’aller visiter le reste du quartier et notamment le bord de mer. Là aussi, beaucoup de choses étaient nouvelles. La digue et le petit port où j’avais appris à nager avaient disparu sous des tonnes de terre et une multitude de brise-lames dans le seul but de gagner un peu d’espace sur la mer. Idem pour la placette où jadis avait été élevée la fameuse et « vieille chapelle » qui avait donné son nom au quartier, chapelle que je n’ai jamais connue et pour cause puisqu’elle avait été démolie en 1863. Une vaste esplanade avec parking et grand terrain de boules était venue la remplacer Il y avait désormais des pelouses et de larges allées où de très nombreux promeneurs circulaient. Je ne sais pas pourquoi mais je me mis à penser à des souvenirs futiles comme certains rochers qui émergeaient de la mer sur lesquels enfant je venais pêcher bavarelles, gobies, patacletsgirelles et roucaous. Ces rochers, je neImpasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance. les voyais plus. Où bien quand un peu plus grands, avec mon frère Daniel, nous venions prélever quelques oursins ou autres grosses huîtres qui pullulaient sur des tables rocheuses guère profondes où quelques années auparavant nous avions initié nos premières plongées avec masque et tuba. Oui, je pensais à tout ça mais aussi à ses milliers d'élastiques qui pendant plusieurs semaines étaient venues s'échouer au milieu des banquettes de posidonies un jour de grosse mer. Entrelacées, serrées les unes aux autres puis finalement coupées à leur extrémité, ces élastiques avaient constitué des balles de caoutchouc extraordinairement performantes. Si performantes et si agréables à jongler, quelles avaient occupé toutes nos récréations pendant plusieurs trimestres scolaires. Avenue des Goumiers, le bar Mistral qui faisait l'angle avec la rue Joseph Vidal, lieu de rendez-vous entre adolescent(e)s où nous venions Impasse Emile, merveilleuse fenêtre de mon enfance.jouer au flipper, au baby-foot et au billard français en écoutant un juke-box avait disparu lui aussi sous les façades modernes d'une banque. Mais le mot "Mistral" subsistait néanmoins sur la devanture d'un bel hôtel très contemporain lui aussi. Je pensais à tout ça mais aussi à la fête foraine qui venait s’installer chaque année, fameuse fête où j’avais gagné « le petit chien de porcelaine » dont j’ai eu l’occasion d’évoquer l’histoire dans Mon Journal Mensuel. Comment ne pas repenser à cette fête foraine puisque c'est là pour la toute première fois que j'ai connu Dany la femme de ma vie en juillet 1968. 

Oui, en quittant tout ça, je me suis dit que bien des choses avaient changé à la Vieille-Chapelle, et c'était sans doute une évolution normale. Un progrès ? Je ne sais pas mais j'en doutais fortement. Mais dans mon esprit, c’était l’inaccessibilité à l’impasse Emile qui me chagrinait le plus. Considérant qu’elle avait toujours été très ouverte, je l’avais trouvée close et le pire même, fermée aux deux extrémités. Au bout de cette impasse des personnes avec sans doute des enfants occupaient ces lieux désormais et je les plaignais me disant ; irrationnellement je l’avoue ; que depuis cet endroit, ils ne verraient jamais le monde aussi merveilleusement que j’avais pu le voir moi-même au cours de mon enfance.

(*) Banaste : Dans le Midi, il s'agit d'un grand panier en osier mais également d'un personnage un peu lourdaud. "Rire comme une banaste" signifie "rire un peu lourdement et bêtement". Méfi : attention, gare à toi !

Photo 1 : L'impasse Emile fermée avec une porte à digicode telle que je l'ai retrouvée en septembre 2012, 40 ans après l'avoir quittée.

Photo 2 : La plaque signalétique taguée telle que photographiée en septembre 2012.

Photo 3 : Cette carte postale montre sensiblement la vue de la Vieille-Chapelle et de la Pointe-Rouge que nous avions à l'époque où nous habitions au 8 impasse Emile. De notre balcon, la vue était bien sûr bien plus ample. On aperçoit très bien la placette où venait s'installer la fête foraine mais aussi le petit port et sa digue où j'ai appris à nager et à plonger.

Photo 4 : A l'école maternelle de la Vieille-Chapelle sans doute en 1953. J'ai 4 et suis au balcon devant la maîtresse.

Photo 5 : Avec mon regretté frère Daniel dans le petit jardinet que mon père est entrain de créer à la sueur de son front. On aperçoit les nombreuses caillasses de calcaire extraites de la roche de la colline.

Photo 6 : Avec mes grands-parents paternels Adèle et Gabriel et mon frère Daniel à l'endroit même du terre-plein où nous jouions au ballon, seul endroit plat suffisamment spacieux du terrain vague qui jouxtait notre jardinet.Je me cache derrière une tortue d'Hermann que nous possédions.

Photo 7 : Photo d'une Majorette Ford Vedette telle que je l'ai connue au temps où nous jouions aux petites voitures dans la partie cimentée de l'impasse Emile.

Photo 8 : Avec ma mère Adrienne et ma grand-mère Adèle sur le balcon de notre petite maison. Je suis au premier plan. La photo a été un peu loupée car il y a aussi mon grand-père Gabriel et mon frère Daniel. 

Photo 9 : Vue de mon ancienne maison depuis le boulevard Paul Hugues. Une terrasse est venue remplacée la toiture et une véranda a été aménagée sur le balcon. Photo prise en septembre 2012.

Photo 10 : Avec mon frère Daniel, ma soeur Nicole et mes cousines et cousine sur le parapet au bord de la mer à la Vieille-Chapelle. Je suis au premier plan puis il y a mes cousins Paul et Pierre, Daniel, Nicole puis ma cousine Mireille.

Photo 11 : Autre vue plus lointaine de mon ancienne maison prise depuis le bord de mer. On aperçoit mieux la colline où avait construit le château du Collet, détruit par les Allemands en 1943 puis remplaçait à diverses reprises par des résidences de grand standing.

Photo 12 : En 1956 et en famille dans la partie "colline" calcaire de notre jardinet. Endroit même où j'avais l'habitude de jouer avec mes figurines "cow-boys" et "indiens". De gauche à droite et en haut : mon cousin Raymond, ma grand-mère Adèle, mon cousin Jean-Pierre et Louis mon père. En dessous : Adrienne ma mère, Gaby ma tante, dans ses bras ma soeur Nicole qui est né en décembre 55 et ma cousine Mireille.Au premier rang, Danielle Esposito une amie, mon frère Daniel tête baissée et moi faisant le singe.

Photo 13 : Un exemple de carriole que nous fabriquions avec des planches et des roulements à billes.

Photo 14 : En 1960, avec l'équipe des benjamins du Sporting Club de Bonneveine. Je tiens le ballon au premier rang.

Photo 15 : Déjà adolescent dans le jardinet qu'il y avait derrière notre maison. Je suis assis au bord du bassin qui servait à arroser le jardin et dans lequel nous avons toujours eu des poissons rouges.

Photo 16 : Exemples de figurines de coureurs cyclistes avec lesquelles nous jouions au Tour de France étant enfant, mon frère et moi.

Photo 17 : En 1970, dans le jardinet avec Dany ma future femme. De gauche à droite Louis mon père, Dany, ma soeur Nicole, Adrienne ma mère, Adèle ma grand-mère et François et Rosine mes futurs beaux-parents. Ce sont mes dernières années à la Vieille-Chapelle car ensuite je vais partir au service militaire puis je me marierais en février 1972.

Photo 18 : Les fameux concombres d'ânes qui poussaient à profusion dans le terrain vague derrière notre maison. Je prenais un malin plaisir à écraser leurs fruits dont les graines et un jus verdâtre jaillissaient dans un claquement.

Photo 19 : La plage de la Pointe-Rouge telle que je l'ai connue dans les années 50, 60 et 70. J'y ai connu quelques flirts d'été et y est passé mai 68 et une grande partie du printemps, alors que de très nombreux autres étudiants manifestaient dans les rues. "Sous les pavés, la plage" disait un slogan célèbre. Moi, je n'ai jamais trouvé de pavés dans le sable de la Pointe-Rouge ! Au fond, la vieille chapelle et la colline où j'habitais. Chose étonnante, on aperçoit au sommet de la colline un grand immeuble qui n'existe plus de nos jours. On aperçoit aussi une grue travaillant à la construction d'une autre résidence.

Photo 20, 21, 22, 23 et 24 : La photo 20 et les suivantes sont des photos ou cartes postales que j'ai trouvées sur Internet. Sans garantie d'une chronologie exacte, elles démontrent l'évolution qu'il y a eu en un peu plus d'un siècle dans le quartier de la Vieille-Chapelle où j'ai vécu 20 ans de ma vie; enfance et jeunesse ; de 1952 à 1972. 

 

 

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Mai 1968....des pavés sous la plage.....

Publié le par gibirando

Si j’ai intitulé cette chronique « Mai 1968….des pavés sous la plage » c’est bien sûr pour être dans la dérision d’un des plus emblématiques slogans de cette période qui était « Sous les pavés, la plage ! ». L’Histoire raconte que lors de l’élévation des premières barricades à l’aide des pavés qu’ils avaient sous leurs pieds, les étudiants de mai 68 avaient constaté que ces derniers étaient posés sur un lit de sable. Ce célèbre slogan dont plusieurs personnes s’attribuent la paternité est rapidement devenu le symbole de cette liberté à laquelle de nombreux jeunes étudiants et lycéens aspiraient. Je n’ai jamais abondé à ces événements, sans doute par un manque certain de maturité sociétale, sauf que pour moi, la plage était bien réelle…..

Mai 1968....des pavés sous la plage.....

Mon bulletin de notes de l'année scolaire 1967/1968. Notez l'absence de toutes annotations pour le 3eme trimestre suite aux événements de mai. Cliquez dessus pour agrandir la photo.

Mai 1968. Je viens d’avoir 19 ans. Je suis en Première G2 au lycée Jean Perrin de Marseille. Lycée technique d’Etat comme indiqué solennellement sur mes relevés de notes peu folichons. En G2, nouveau bac créé l’année même,  on est censé apprendre les « pompeuses » techniques quantitatives de gestion, c'est-à-dire de la comptabilité, de l’économie, du droit et de la mécanographie mais on en est encore à « se taper » du Napoléon Bonaparte à longueur d’Histoire avec un prof corse et de la compo française et de la philo avec une prof si jeune et si superbe que l’on ne peut pas croire une seule seconde qu’elle ait pu s’intéresser à des doctrines aussi soporifiques que la métaphysique ou l’existentialisme. Force est de reconnaître que je ne suis pas en avance dans ma scolarité. En avance sur rien d’ailleurs. J’ai déjà redoublé deux fois et ça n’a pas changé grand-chose à mon indolence quasi totale pour les études. Je suis un doux rêveur qui ne se réveille que dans l’eau lors des parties de chasse sous-marine.  Je suis un insouciant nonchalant qui ne se soucie que des matches de foot auxquels il participe activement. Voilà les seules disciplines qui me conviennent et me plaisent et je pourrais y consacrer des journées entières. C’est d’ailleurs ce que je fais. Chasse sous-marine aléatoirement mais foot aux récréations, foot entre midi et deux, foot le dimanche avec mon nouveau club, le Racing Club de Marseille, où mon équipe n’arrête plus de gravir les échelons et les divisions d’année en années, foot le jeudi au lycée où l’équipe 2 à laquelle j’appartiens brille plus que l’équipe 1. Foot le soir aux entraînements. Au foot, et contrairement aux études, les résultats sont au rendez-vous et ils me remplissent de joies. Champion de Marseille puis vice - champion d’académie universitaire avec le lycée, champion de Provence avec mon club du Racing.  Oui, comme le dit assez souvent mon père « je suis un imbécile heureux » !

Mai 1968....des pavés sous la plage..... 

En 1968, avec l'équipe de foot du lycée Jean Perrin championne universitaire de Marseille. Je suis debout et le second à droite.

Alors en mai 68 quand le « carnaval révolutionnaire (*) » arrive, je n’y comprends rien. Avec les copains et pour faire comme eux, je pars participer à une manifestation dans le centre ville de Marseille mais je comprends très vite que je ne comprends rien à toutes ces revendications gaucho-marxistes. Si je voulais blaguer et encore pas trop, je dirais que le seul « marxisme » que je connaisse est celui des Marx Brothers. Celui-ci me fait tordre de rire et le vrai m’indiffère. Il faut dire que je connais nettement mieux Groucho que Karl.  Je finis par comprendre que la plupart des étudiants sont comme moi mais suivent le mouvement beaucoup moins par conviction que pour suivre une mode. La mode est à la contestation et contester c’est d’abord ériger des barricades avec tout et n’importe quoi puis balancer des pavés sur les flics. La lutte soi-disant des classes c’est d’abord la lutte loin des classes scolaires pour un maximum de lycéens branleurs dont je fais partie.  Mais moi, je déteste toutes formes de violences. Je suis peut-être bête mais pas méchant pour un sou.  Pas question pour moi de lancer le moindre pavé en direction de quelqu’un.  Je n’ai pas reçu cette éducation. Je suis aussi engoncé dans l’armure du manifestant que dans le blazer en flanelle de l’étudiant premier de la classe. Je préfère nettement le short de foot voire le maillot de bain. La politique ne m’a jamais vraiment intéressée quand à une liberté qui m’aurait éventuellement échappée, je cherche encore laquelle. Voilà déjà 3 ans que je loge chez ma grand-mère et j’ai acquis une autonomie qui suffit amplement à mon bonheur. Avec les filles, je suis conscient d’être en retard aussi, même si je flirte assez régulièrement. Les expressions « libération sexuelle » et « amour libre » ne sont pas encore arrivées à mes oreilles. Deux ans auparavant, à Juan-les-Pins, j’ai eu une relation sexuelle avec une anglaise au doux prénom de Rosemary mais l’occasion de renouveler cette expérience « majeure » ne sait jamais réellement présentée mêmes si certains flirts un peu trop chauds se terminent en un « ruissellement » involontaire mais toujours spasmodiquement agréable.  Avec l’éducation plutôt puritaine et rigoriste que j’avais reçue, et même si la religion en était exempte, il ne pouvait pas en être autrement. Loin de moi l’idée d’avoir une relation sexuelle qui aurait débouché sur la naissance d’un mioche. Je ne compte plus le nombre de fois où à ce propos notre mère nous avait mis en garde mon frère Daniel et moi. Elle nous avait mis en garde mais au niveau pédagogie zéro. Nous étions des garçons et il était normal que l’on se débrouille tous seuls sur ce plan-là. Se débrouiller, c’était d’abord faire un blocage. Alors je me débrouillais mais avec les filles ça n’allait jamais plus loin qu’un flirt bouillant.

 

En mai, quand les cours commencent à être supprimés, je suis le plus souvent à la plage de la Pointe-Rouge. Bains de soleil et bains de mer rythment mes journées. Il faut y rajouter les parties acharnées de billards et de flippers au Bar Mistral de la Vieille-Chapelle. Au bar Mistral, je fais la connaissance d’une gentille Evelyne. Elle bosse dans une usine de jouets, la société Van Ruymbeke (**), où j’ai moi-même mes entrées pour y avoir fait un court remplacement à la demande d’un copain. Evelyne est un peu boulotte mais elle me plaît bien. En plus comme tous les copains y courent derrière, je me décide à la draguer aussi et ce d’autant que je la sens plutôt difficile à atteindre. Ce n’est pas pour me déplaire. Il faut dire que je ne l’ai toujours vu qu’habillée dans sa tenue austère de « manutentionnaire (**) » et force est de reconnaître que son charme est tout autre quand elle revêt son bikini. Dans cette minuscule tenue dévoilant tous ses attraits, elle présente un tout autre intérêt pour le jeune homme que je suis. Force est de reconnaître que mes copains sont plus clairvoyants que moi quand il s’agit d'observer une fille habillée. Je comprends assez vite que je ne lui déplais pas, alors un soir, je me décide à aller l’attendre à la sortie de l’usine.  Elle apprécie cette présence et comme il n’est que 17 heures, nous filons aussi sec à la plage. Nous y flirtons puis pour faire le galant je la raccompagne chez elle. Ce scénario se répète plusieurs jours mais quand je la raccompagne, je n’insiste jamais pour entrer chez elle. Il faut dire qu’elle loge chez sa sœur beaucoup plus âgée qu’elle et qui n’a pas l’air très commode. Finalement, j’apprends que sa sœur est censée veiller sur elle. Evelyne a des principes fixés par sa sœur qu’elle suit à la lettre. Boulot obligatoire la journée mais pas de sortie nocturne et seulement des flirts en cachette de sa soeur. Sa liberté s’arrête là et par la force des choses la mienne aussi. Nous flirtons une dizaine de jours sur la plage mais son contrat de travail à l’usine se finit fin mai. Evelyne rentre chez elle dans la région bordelaise et ainsi se termine notre courte mais « ardente » passion.

Mai 1968....des pavés sous la plage..... 

Le Tim-Bird, l'oiseau volant de chez Van Ruymbeke.

Le mois de juin est déjà là. Je loge toujours chez ma grand-mère et je ne passe chez mes parents que pour regarder les Shadoks à la télé. J’adore ces petits oiseaux si déjantés même si j’ai une nette préférence pour les Gibis dont je vais garder longtemps ce patronyme comme surnom de Gilbert. C’est dire si mes passages sont courts car une émission des Shadoks ne dure que quelques minutes. Ma mère n’apprécie guère cette rapidité. D’un autre côté, elle est déjà bien occupée avec ma sœur, qui a 3 ans de moins que moi mais qui n’a pas attendu mai 68 pour être déjà bien éveillée. Dans les rues, les manifestations s’essoufflent un peu, mais les cours du lycée continuent d’être perturbés. Tout le monde considère que l’année scolaire est terminée. Je ne vais qu’au lycée le matin et encore pas tous les jours, plus pour me montrer et jouer au foot avec les copains que pour participer aux rares leçons. D’ailleurs quand le bulletin de notes tombe, le 3eme trimestre est vide de toutes annotations. De ce bulletin, et malgré un « pourrait réussir » de l’avis du conseil de classes dans mes notes générales de compositions, mon père ne retiendra que les aspects négatifs : une nette dégradation dans le travail, la conduite et le classement général. Le tout étant couronné d’un sévère avertissement du dirlo qui aura pour effet de le faire sortir de ses gongs.  Fini le logement chez ma grand-mère, fini le foot à l’école, fini les permissions de minuit et l’obligation d’aller bosser avec lui une partie de l’été. Il me fixe un objectif : obtenir mon bac l’année suivante.

Mai 1968....des pavés sous la plage.....

Bulletin de notes des compositions de 1967/68/69. Il faut noter un encourageant "pourrait réussir" de l'avis du conseil de classe.

Ce printemps 1968, qui aura été celui de la libération pour bon nombre de mes camarades, se termine pour moi bourré d’entraves. Hors de question de contredire mon père et puis rappelons-nous que la majorité est encore à 21 ans.

 

Oui, il y avait bien des pavés sous la plage…..ceux de mon père mais pas pour longtemps…..

 

Le 14 juillet 1968, mes entraves se brisent à jamais…..Elle se prénomme Danièle mais tout le monde l’appelle Dany……et voilà bientôt 50 ans que nous nous aimons !

 

Mai 68 ne m’aura servi à rien, sauf à comprendre, mais bien plus tard, que j’ai reçu une sévère mais bonne éducation parentale. Quand à l’éducation scolaire, elle n’a toujours dépendu que de moi et ce, malgré les efforts incommensurables de ma mère pour qu’ils ne soient pas pires qu’ils n’aient été. L’année scolaire 68/69 ne sera pas celle escomptée par mon père. Il a mis son veto sur le foot au lycée et je loupe la finale du championnat de France universitaire. Dans ma tête, voilà le seul résultat qui me trouble et m’obsède. Je lui en ai longtemps voulu. Passable est le mot qui revient le plus souvent sur mon dernier bulletin de notes. Fiasco complet au bac malgré une moyenne dans toutes les matières mais avec un 4 ½ en compta coefficient  6 qui m’ôte toute chance de bénéficier de l’oral de rattrapage. J’ai pour moi les excuses que l’étude de cas proposée n’avait jamais été mise au programme de l’année et qu’en 1968, les bacs G avaient été distribués comme des petits pains. Je reste convaincu que 1969 était la plus mauvaise année pour passer et réussir son bac. En tous cas, pour le bac G2 c’est l’année de rattrapage des erreurs éducatives de 1968. J’ai 20 ans et trop c’est trop. J’arrête là ma scolarité obligatoire « publique » pour une voie que j’estime plus concrète et plus captivante. D’août à novembre, je m’accroche comme un malade à des cours de programmation Cobol sur ordinateur IBM et j’en obtiens assez facilement le diplôme. Ma voie professionnelle commence ici. Elle est toute tracée et j’ai choisi l’informatique, discipline moderne s’il en est. Ma vie tout court aussi d’ailleurs est toute tracée. Grâce à Dany et à l’amour que l’on se porte, j’ai eu un déclic. Celui de vouloir faire quelque chose d’intéressant de ma vie même sans le bac. Mon bac c’est elle et il m’a aidé à traverser bien des flots impétueux…Oui, la vie n’est pas un long fleuve tranquille et Mai 68 n’a jamais rien changé à cette maxime. Quand je regarde derrière moi, autant l'avouer, je ne regrette pas cette non-participation à ce "Carnaval gaucho révolutionnaire". Qu'en est-il sorti ? Une idéologie faite de laxisme et de pertes de repères, d'absence totale de toute autorité, de culture de l'excuse, de dénigrement de notre passé quel qu'il soit, d'effondrement de nos valeurs les plus fondamentales comme le mariage, le civisme, la culture française et l'éducation, j'en passe et des meilleures. Oui, je crois bien que Mai 68 a été un poison si toxique qu'on en subit encore les conséquences les plus terribles de nos jours avec une société insécuritaire où l'ensauvagement de la société est devenu le quotidien.

Oui de mai 68, je ne veux garder que le bon !

L’année 1968 est à jamais gravée dans ma mémoire pour toutes les raisons que je viens d’invoquer mais le jour le plus important reste ce 14 juillet où j’ai rencontré Dany. Voilà la principale raison qui a fait que j’ai eu envie de m’en souvenir 50 ans après.

Mai 1968....des pavés sous la plage..... 

Dany, peu de temps après notre rencontre.

Si les pavés des barricades de mai 68 ont été ensevelis dans l’indifférence générale, ceux de ma plage ont été emportés par un raz de marée…..Il avait pour nom « Amour » ! Amour pour Dany. Amour de bien faire. Amour de réussir. Amour de la vie. Amour tout simplement……

 

(*) Carnaval révolutionnaire : Cette expression est du sociologue et philosophe Raymond Aron. Elle figure dans son livre de réfléxions "La révolution introuvable" paru en 1968 à propos des événements de mai. J'aime bien cette expression car elle réflète magnifiquement l'impression que j'ai eu lors de la seule manifestation à laquelle j'ai participée, celle d'un carnaval.

(**) La société Van Ruymbeke est une société marseillaise qui fabrique des jouets depuis la fin des années 60. Elle est connue pour avoir inventé et fabriqué le "Tim Bird", un oiseau assez extraordinaire qui vole à l'aide d'un élastique. Il se vend encore de nos jours en des milliers d'exemplaires même si depuis d'autres modèles hautement plus performants ont été inventés par cette même famille.  Moi, j'y ai surtout bossé la nuit au cours de l'année 1970 en qualité de manutentionnaire-presseur. J'étais chargé d'une presse composée d'un moule où les pièces des jouets étaient fabriquées par injection de granulés de plastiques qui fondaient sous une très forte chaleur. Evelyne, elle, était chargée du montage des pièces pour obtenir le produit fini. Outre le "Tim Bird", on y fabriquait un pistolet qui tirait des petites billes rouges. Après recherche, il s'avère que plusieurs modèles de ce pistolet sont encore présents sur le marché du jouet, toujours fabriqués par la société marseillaise.

 

 

 

 

 

 

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