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pla vallenso

Le Chemin des Orrys de Ria à Llugols et le Pi del Rei.

Publié le par gibirando

Ce diaporama est agrémenté de 4 grands succès du groupe anglo-autralien The Bee Gees. Ils ont pour titre : "Too Much Heaven", "Heartbreaker", "How Deep Is Your Love" et "Alone (version incomplète)"

Le Chemin des Orrys de Ria à Llugols et le Pi del Rei.

Le Chemin des Orrys de Ria à Llugols et le Pi del Rei.

Pour agrandir les photos; cliquez dessus. 2 fois pour un plein écran.


 

Si je devais m’amuser à recenser tous les villages des Pyrénées-Orientales et le nombre de fois que je les ai traversés lors de mes randonnées pédestres, je suis certain que le minuscule hameau de Llugols ferait partie des tout premiers. Je ne compte plus le nombre de fois où j’y suis passé (*), et de ce fait, je garde de lui de très nombreux souvenirs bien agréables. Pourtant, assez paradoxalement, le sentier au départ de Ria que nous avons emprunté pour cette randonnée et qui apparemment s’intitule « Le Chemin des Orrys », je ne le connaissais pas. En tous cas, c’était la toute première fois que je le cheminais dans son intégralité car j’en avais seulement accompli un tout petit bout lors d’une autre balade que j’avais intitulée « Le Sentier du Pi del Rei depuis Ria et autres découvertes ». Avant de faire cette nouvelle balade vers Llugols (***) et parce que je voulais savoir si ce chemin avait un nom, j’ai tenté de savoir un maximum de choses à son sujet. De fil en aiguille, j’ai donc lu pas mal de textes anciens ou contemporains sur le Net. Finalement, si j’ai appris son nom  de « Chemin des Orrys » et qu’il a été reconnu d’intérêt communautaire ; comme bien d’autres sentiers de randonnées du Conflent ; ce n’est pas les informations les plus significatives que j’ai retenues.  Certes, il s’agit d’un ancien chemin muletier ancestral, certes il est reconnu d’intérêt communautaire, c’est à dire qu’il est désormais géré, aménagé et entretenu par la Communauté de Communes Conflent Canigó, mais ces quelques données ne me disent pas grand-chose de son Histoire passée. C’est donc ce que j’ai lu des événements, des usages et des traditions populaires qui m’a permis de bien mieux comprendre l’origine et l’usage qui était fait jadis de ce sentier.  C’est ainsi que j’ai appris qu’il avait été régulièrement emprunté au fil des siècles pour se rendre en pèlerinage à la vieille chapelle romane Saint-Christophe de Llugols. Dans la bouche des pèlerins catalans qui se réunissent pour l’Aplec de Llugols, il a toujours été le plus souvent « le Cami de Sant Cristofol » et ce, depuis très longtemps. La chapelle datant du 11eme siècle selon les historiens, il est important de savoir que pendant une très longue période, le Conflent ; et toute l’Europe plus globalement ; a subi toute une série de pandémies de pestes. Si l’origine et les causes de ces épidémies à répétition sont longtemps restaient des mystères, il faut savoir qu’elles ont commencé en 1348 puis se sont poursuivies en 1381, 1397, 1410 et 1429. Il y aura une autre peste également très meurtrière en 1652Llugols ; comme de très nombreux hameaux, villages et villes de Catalogne ; n’échappe pas à ces nombreuses périodes calamiteuses. A cette époque, les habitants des villages isolés vivent le plus souvent en  totale autarcie et c’est donc dans ces moments-là que les sentiers comme celui-ci justifient pleinement leurs existences car les routes et les pistes pour les joindre n’existent pas encore. Llugols n’échappe pas à ces règles. Llugols, comme les autres hameaux, est déserté car abandonné par ses quelques habitants. Les villageois redescendent dans la vallée de la Têt ; vers Prades, RiaVillefranche-de-Conflent ou d’autres cités ; par ce sentier qui demeure le plus court chemin quand ils veulent quitter Llugols et ses alentours.  Dès lors que les épidémies disparaissent, le sentier retrouve un autre intérêt, celui des ouailles de la chapelle romane Saint-Christophe qui viennent la visiter lors des pèlerinages. Bien évidemment , il a servi aussi à tous les métiers agro-pastoraux, manuels, sédentaires et ambulants ; et Dieu sait si jadis ces petits métiers étaient nombreux. Voilà pour la « grande Histoire » de ce petit sentier qui aurait peut-être mérité le nom de « Chemin de Saint-Christophe » plutôt que celui « des Orrys », sans doute décerné par des contemporains. Car certes il y a quelques orrys (ou orris (**)) disséminés dans ce secteur mais on n’en découvre pas vraiment au bord du sentier comme on le verra plus loin. A moins, que le terme « orry » ne soit pas seulement la cabane par encorbellement de pierres sèches comme on l’entend le plus souvent de nos jours mais plutôt la jasse pyrénéenne dans sa globalité avec terrains, constructions et clôtures, c’est-à-dire le lieu où se passe l’essentiel de l’estive. Là, le nom se justifie un peu plus car la pierre sèche est partout très présente au bord du sentier.   Il est 8h45, quand nous démarrons du parking de Ria proche de l’église Saint-Vincent. Quelques fleurs au bord de la route, un cactus cierge géant et de nombreux moineaux attirés par des boules de graisse font les frais de premiers clichés. Nous remontons la route D.26 dite de Conat jusqu’à un panonceau précisant  « Llugols 2,6 km et 1h25 et El Pi del Rei 1,5 km et 45 mn ». En ce 23 juin et à cette heure plutôt matinale , ce qui me surprend c’est le bruit que font déjà les cigales. On se croirait en plein mois d’août dans une pinède provençale.  Est-ce une des causes du réchauffement climatique, de la chaleur et de la sécheresse inhabituelles régnant depuis des semaines ? On est en droit de le craindre ! Nous traversons le pont dit de Saint-Sébastien où la rivière Callau et les oiseaux qui la fréquentent m’arrêtent pendant quelques minutes. Je n’y décèle qu’une bergeronnette des ruisseaux occupée à chercher pitance et que je réussis à photographier. Il y a également un Merle noir mais il disparaît à l’abri des regards. Paradoxalement, ce sentier « des Orrys » en direction de Saint-Christophe de Llugols démarre avec un oratoire en hommage à un autre saint. Il s’agit de Saint-Sébastien, martyr qui selon la légende aurait évité que la peste noire se propage à Ria alors qu’elle sévissait partout ailleurs au milieu du 14eme siècle. Notons tout de même qu’au sein de cet oratoire, Saint-Christophe est également en bonne place avec une petite statuette le représentant portant l’enfant Jésus. Alors que le sentier s’élève régulièrement, je suis déjà aux aguets « photographiques » de la flore et de la faune. Mais sur ce sentier, la sécheresse étant déjà passée avant moi, j’ai le sentiment de perdre mon temps. En effet, en ce début de parcours, or mis des cigales très bruyantes mais le plus souvent invisibles, la faune paraît absente. Quant à la flore, elle se résume à de rares Psoralées encore fleuries et à quelques buissons de clématites peu fournis en fleurs pour l’instant. Si je reste aux aguets, de crainte de passer à côté d’une Nature qu’il y aurait à découvrir et à photographier, les paysages et les panoramas qui se dévoilent compensent un peu toutes ces carences. Finalement, le sentier, tout en balcon sur le vallon du Callau est loin d’être désagréable et quand Llugols se présente, si très étonnamment je n’ai pas découvert d’orrys mais seulement les « feixes » d’anciennes cultures et quelques murs ruinés d’anciens petits habitats, le résultat de mes photos naturalistes est somme toute plutôt satisfaisant. En effet, un moineau, la bergeronnette du pont, une libellule et un rapace et plusieurs papillons sont venus s’enregistrer dans la mémoire de mon appareil-photo. Si les cigales et leur bruyante cymbalisation continuent d’emplir l’espace et nos oreilles de leurs frénétiques décibels, elles restent invisibles.  La chance d’en voir une et de la photographier viendra peu après. Dans l’immédiat, Llugols est là et nous pouvons nous consacrer à sa visite car si Dany est déjà venue, elle est loin de tout connaître du hameau.   Après un courte visite dont je lui fais remarquer les maisons en pierres de schistes du cru mais que les géologues appellent « schiste d’Urbanya », je l’emmène d’abord vers l’ancien Couvent des Monges, plus connu dans les textes comme étant la chapelle ruinée de Saint-Sernin d’Eroles. Puis nous revenons sur nos pas pour piqueniquer à la chapelle Saint-Christophe. Au passage, nous observons la Font du Castanyer. Elle doit son nom à la présence d’un gros châtaignier qui lui fait face mais que j’ai toujours vu mort. Par bonheur, des amoureux de la Nature ont eu la belle idée d’en planter un autre. Puis la chapelle Saint-Christophe est là et avec elle l’heure du déjeuner a sonné. Nous y mangeons d’un bon appétit avant de grimper vers le roc qui la domine où se trouvent plusieurs jolies croix gravées qui dateraient du néolithique au même titre que toutes celles très nombreuses qui se trouvent dans ce secteur du Pla de Vallenso. Après presque une heure, nous repartons un peu déçus d’avoir trouvé une fois de plus la chapelle Saint-Christophe fermée. Que faut-il faire pour y entrer ? Venir le jour du fameux pèlerinage du nom d’Aplec qui se tient en général au début du mois de juillet ? Sans doute ! Enfin chaque fois que je suis venu ici, je me suis toujours dit la même chose « quel dommage de la trouver fermer et d’être dans l’impossibilité de voir son beau retable ! » Il est désormais mangé par les termites et a nécessité un traitement insecticide spécial ai-je appris très récemment ! Il faudra que je me décide à venir le jour où se tient l’Aplec ! Après tout Urbanya n’est pas très loin. Parce que Dany commence à avoir mal aux hanches, plutôt que de poursuivre le sentier qui monte vers Montsec et le Pla de Vallenso, je fais le choix de revenir vers le village et d’emprunter la bonne piste qui permet de retrouver un peu plus loin le sentier qui descend vers le Pi del Rei. Ce n’est pas plus long mais c’est bien meilleur en terme de qualité de terrain à cheminer. Si je passe par là, c’est parce que Dany ne connaît pas le Pi del Rei, ce fameux Pin du Roi qui aurait été planté sur les recommandations du ministre des eaux et Forêts de Louis XIV (source Bulletin municipal de Ria-Sirach N°18). Toutefois, dès lors que l’on atteint le panonceau indiquant l’arbre remarquable, les 500 m aller et retour que l’on doit encore cheminé pour aller le voir et les 20 minutes que l’on est censé mettre sont pour elle totalement démoralisateurs. C’est dire si elle souffre à cet instant précis. Il me faut donc la convaincre que ces chiffres sont totalement faux et que c’est bien plus court pour l’atteindre pour qu’elle accepte de venir le voir. En plus c’est vrai ! Elle accepte et je l’accompagne. Quelques photos-souvenirs au pied de l’arbre et je n’insiste pas plus car je vois bien qu’elle languit d’en finir. Bien que je sache que 3 beaux orris à encorbellement sont dans ce secteur et peu éloignés, je ne l’oblige pas à venir les voir. Priorité à la souffrance de Dany me dis-je. Comme toujours en pareil cas, elle terminera cette balade bien avant moi, occupé que je suis à prendre constamment des photos. Pendant qu’elle part vers la voiture, ma dernière découverte et mes dernières photos seront consacrées au puits à glace de Ria, sans doute un des plus beaux du département car remarquablement conservé. Dommage que son accès au milieu des ronces et des orties soit plutôt difficile, qu’il soit bien trop envahi par une dense végétation et que l’on manque de recul pour que l’on s’en fasse une complète idée. Tous ces inconvénients empêchent de le photographier correctement. Enfin, il n’y a pas de glaces à aucun parfum et pour le gourmand que je suis c’est sans doute son pire défaut ! Ah ! Ah ! Ah ! Ainsi se termine cette belle balade. Elle a été de longue de 7,5km telle que décrite ici. Le dénivelé est de 358m entre le point le plus bas à 385m au départ de Ria et le plus haut à 743m à la chapelle Saint-Sernin d’Eroles. Les montées cumulées ont été de 625m. Carte IGN 2348 ET Prades – Saint-Paul-de Fenouillet Top 25.         

(*) Autres randonnées passant à Llugols ou s'en approchant :             

 

(**) Orry ou orri ? : Selon les toponymistes, ce mot aurait pour origine le mot latin « Horreum » désignant à l’époque romaine un entrepôt de marchandises au sens large mais le plus souvent un simple grenier à grains. Un bel exemplaire d’Horreum de cette époque dite « antique » est encore visible au centre de Narbonne, ville portuaire et donc ô combien commerciale à cette période. Pourquoi voit-on ce mot « orry » ou « orri » écrit de deux manières différentes ? La question reste entière tout comme l’exacte signification des mots selon les régions pyrénéennes. Lieu aménagé pour un pâturage dans la montagne ou cabane en pierres sèches ? Les deux semblent valables et avoir leurs propres vérités.  Notons toutefois qu’avec le « Y » à la fin, en faisant abstraction du nom de famille et de la commune française d’Orry-la-Ville, on le trouve presque essentiellement dans le département des Pyrénées-Orientales avec 2 pics de l’Orry. Un à 2.561m d’altitude dominant Prats-Balaguer et son refuge de l’Orry dans la vallée de La Ribérole parfois appelée Vallée de l'Orry et l’autre à 2.040 m d’altitude avec sa fontaine, son « planell » (replat) dominant Mantet. Quant aux diverses cabanes en pierres sèches portant ce nom il va sans dire qu’on ne les compte plus. Notons aussi que sur les cartes IGN les plus récentes le nom « Orry » a le plus souvent laissé la place à « orri ». Normal ? Oui, semble-t-il ! C’est ainsi que le géographe Roger Brunet dans son livre « Trésor du terroir. Les noms de lieux de la France » écrit ceci : « L'orri (inutilement enjolivé en orry) a la même fonction, surtout dans le reste des Pyrénées. Un orri comprend terrain, clôtures et constructions ; il peut avoir des formes complexes, avec abris spécialisés pour la traite, les fromages, voire les poules ou le cochon quand chacun montait tous ses biens à l'estive. Le terme orri et son diminutif orriet abondent dans les lieux-dits. » Le nom sans le « Y » mais avec un « I » est finalement confirmé par les plus grands spécialistes de la pierre sèche qui l’écrivent toujours ainsi comme Christian Lassure (Les noms de cabanes en pierres sèches) ou Jean Tosti (Cabanes en pierres sèches dans les Pyrénées-Orientales) pour ne citer que les études les plus accessibles sur Internet. Gardons toutefois le « Y » dans le cas très précis de cette randonnée puisque c’est clairement le nom qui a été donné à ce chemin par la commune de Ria.

(***) Ria et Llugols : J'aurais bien voulu développer quelques connaissances que j'ai à propos de Ria-Sirach et Llugols mais à quoi bon car un vrai spécialiste de la commune l'a fait avant moi, bien mieux que je n'aurais pu le faire et plus complètement aussi. Il s'agit de Roger Figols dont vous trouverez le remarquable site Internet en cliquant sur ce lien. Tout y est et tout ou presque est dit. Concernant Llugols, un autre lien est très intéressant, c'est celui dédié au hameau dans le site consacrée aux Pyrénées-Orientales. Je vous donne le lien. Enfin et comme complément d'informations, voici ce que j'ai lu dans un article de «L'Indépendant» publié le 9 décembre 2011 sous la signature de Valérie Pons qui rappelle certaines revendications des habitants de Llugols : 

 « Le hameau de Llugols -(mentionné en 979, une chapelle romane y fut construite au XIe siècle et comptait 18 feux en 1222)- se situe sur la commune de Ria; l'accès se fait par une piste muletière praticable seulement à pieds depuis la sortie de Ria sur la route de Conat. Le départ de ce chemin est marqué par une petite chapelle qui, dit-on, signale l'endroit où la peste qui détruisit la population du hameau en 1652 s'arrêtât. Une piste de 4 kms praticable en voiture part depuis le carrefour entre le lycée et l'hôpital sur la route de Catllar. Depuis le fléau de 1652 le hameau était abandonné et les maisons tombèrent en ruine. La chapelle fut rachetée en 1677 par la paroisse de Ria, un ermite était signalé dans ce lieu en 1688 et les premiers aplecs commencèrent en 1841 se célébrant jusqu'à nos jours le 1er samedi de juillet. Le hameau de LLugols a pour protecteur St Christophe et la chapelle lui est dédiée;   à l'intérieur se trouve un superbe retable baroque avec la représentation du saint patron de la chapelle.  Trois statues de la chapelle se trouvent sous bonne protection au Trésor de l'église de Prades (1er étage en vitrine)  et font l'admiration des historiens d'art avec : une vierge romane XIII ième siècle, une vierge gothique XIVe et St Christophe baroque XVIIIe (Jeanne Camps). De 1930 à 1968, le berger André Monells y réside au lieu-dit « la caseta » durant la bonne saison avec son troupeau. Fin des années 1970 de nouveaux arrivants commencent à y vivre et à restaurer les maisons. Actuellement 6 familles occupent le hameau de Llugols (élevage, miel, gîte d'étape,...) soit une vingtaine de personnes. C'est la piste praticable en voiture qui aujourd’hui est l'objet des revendications des habitants. D'une longueur de 3km700, cette piste DFCI (Défense contre l'incendie) traverse les communes de Prades, Catllar et Ria sur sa plus grande partie. Difficilement carrossable elle est entretenue par la Communauté de communes à hauteur de 1000€ par an et la mise aux normes sur une largeur de 6 mètres exige un coût prohibitif que ne peut assumer la mairie de Ria.»

Il semblerait que depuis la piste a été effectivement agrandie sans doute au bonheur des habitants de LLugols mais au déplaisir de nombreux protecteurs de l'environnement qui se plaignent d'une destruction des paysages. Décidément, c'est bien difficile de satisfaire tout le monde dans notre beau pays ! Si nous pouvions faire en sorte qu'il reste beau tout en rendant tout le monde satisfait ça serait l'idéal ! 

  

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Le Sentier du Pi del Rei depuis Ria et autres découvertes.

Publié le par gibirando

 

Ce diaporama est agrémenté de la musique "Arrival of The Birds" de Jason Swinscoe, bande originale du film "The Crimson Wing : Mystery Of The Flamingos" en français "Les Ailes Pourpres : Le Mystère des Flamants" interprétée ici par The Cinematic Orchestra et le London Métropolitan Orchestra.

Le Sentier du Pi del Rei depuis Ria et autres découvertes.

Le Sentier du Pi del Rei depuis Ria et autres découvertes. 

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5 juin 2020, 9h. Me voici à Ria, devant l’église Saint-Vincent pour ma toute première randonnée après cette astreignante période de confinement pour cause de Covid-19. Cette balade doit m’amener sur le « Sentier du Pi del Rei », un grand pin maritime que j’aperçois déjà au sommet de la colline. En raison d’un grand et incroyable ciel bleu, il se détache remarquablement sur une crête qu’ici on appelle « En Salabert ». « Remarquable », c’est le qualificatif qu’on lui attribue le plus souvent et qui engendre chez les randonneurs l’envie d’aller à sa rencontre. Outre ce pin que je dois découvrir, j’ai prévu une jolie boucle plutôt perso qui doit m’amener à Llugols puis à Conat et retour. Pour être franc, je n’ai pas voulu reprendre les deux tracés les plus connus de ce « Pi Del Rei » car celui allant seulement à Llugols et retour est plutôt court et le second consistant à revenir par Belloc après Conat est plutôt long. S’agissant d’une reprise après presque 3 mois d’inactivité, j’ai voulu trouvé un compromis entre ces deux versions, et de d’autant que LlugolsConat et Belloc, j’y suis déjà passé l’an dernier et à diverses reprises jadis. J’ai donc donné la préférence à un retour que je ne connais pas ou si peu. Dany qui devait m’accompagner m’a fait faux bond à la toute dernière minute. Elle a pris comme prétexte qu’elle n’a pas fini certains travaux de peinture qu’elle avait commencés dans notre petite maison à Urbanya. Ce qui est vrai. En réalité, lui ayant dit que je n’avais pas de tracé G.P.S, elle a eu peur que je parte à l’aventure. J’aime autant car ma crainte est que cette randonnée soit déjà trop longue pour elle. C’est donc en solitaire que je démarre cette balade, « pin » dans la tête, et tournant le dos à un majestueux Canigou encore un peu enneigé. C’est justement la route D. 26 filant direction Urbanya qu’il me faut emprunter au départ. Un panonceau jaune, couleur du balisage que je vais devoir suivre, est là indiquant « El Pi del Rei 1,7 km et 50 mn et Llugols 2,8 km et 1h30 ». Le village est quasi désert et seule une vieille dame portant un masque blanc me rappelle au souvenir de ce fléau viral que nous subissons avec crainte depuis déjà trop longtemps. Le village est donc plutôt silencieux et seule une tourterelle qui roucoule et quelques moineaux qui piaillent rompent la douce musique d’un canal qui s’écoule au bord de la route. Ces volatiles, le pin, le village, le Canigou et de bien jolies fleurs colorant les bas-côtés de la route sont déjà venus s’enregistrer dans la mémoire de mon appareil-photo. Comme toujours, ce dernier pend à mon cou en guise de troisième œil et de deuxième cerveau. Son but ? Ne rien oublier de cette balade ! Un second panonceau est déjà là et un balisage jaune peint sur un poteau m’incite à quitter la D.26. L’itinéraire descend puis file vers un pont enjambant la rivière Callau et un très bel oratoire. Les deux édifices sont dédiés à Saint-Sébastien dont mes lectures m’ont appris qu’il protégea efficacement le village durant l'épidémie de peste noire qui avait sévi au milieu du XIVe siècle. Quelques merles noirs et des bergeronnettes des ruisseaux cherchent pitance dans le torrent. Dans les arbres qui l’encadrent, quelques mésanges se poursuivent en quête d’une rencontre. Je passe quinze bonnes minutes sur le pont à observer tout ce joli monde et à essayer de les photographier. Finalement j’y parviens tant bien que mal et je peux repartir. Le sentier commence à s’élever. Sur ma gauche et en contrebas, une dame occupée à son superbe jardin potager me fait un signe de la main. Je lui réponds de la même manière y ajoutant mon pouce en l’air pour lui montrer que j’apprécie grandement les lieux et surtout son remarquable travail de maraîchère. Force est de reconnaître que mon potager d’Urbanya n’est pas aussi bien tiré au cordeau car mes sillons sont toujours tout tordus alors que les siens sont bien droits. Je repars non sans avoir photographier de magnifiques roses blanches fleurissant en grappes. Elles sont pour moi le symbole du printemps, de la liberté retrouvée et de cette lumineuse journée ensoleillée dont je compte bien profiter. Au sein d’une géologie schisteuse et argileuse, le sentier continue de grimper mais désormais dans une végétation typiquement méditerranéenne. Fleurs des garrigues, papillons à foison et quelques lézards que je m’évertue à vouloir photographier me font oublier qu’il y a une déclivité. Pourtant, de merveilleux panoramas sont constamment là pour me rappeler que je m’élève. Ils s’entrouvrent magnifiquement au dessus de la Vallée de la Têt et de son petit affluent le Callau. En observant toutes ces beautés qui m’entourent et tout particulièrement cette végétation exceptionnellement verdoyante et foisonnante, je me remémore que l’hiver a été tout particulièrement pluvieux subissant même plusieurs jours tempétueux. La tempête Gloria est passée par là, plus violemment encore qu’ailleurs, engendrant de multiples glissements de terrains et des routes emportées. Celle d’Urbanya à Ria que j’ai pris ce matin n’a pas été épargnée, loin s’en faut. Quant au sentier que j’emprunte, s’il est encore praticable, quelques petits glissements d’argile et de pierres sont visibles de-ci delà. Pourtant, quand en contrebas, je regarde cette grandiose vallée dominée par le Massif du Coronat tout parait en place et sans dommage apparent. Tout est si calme et si reposant aujourd’hui que j’imagine mal qu’une tempête ait pu sévir voilà quelques mois. De Ria jusqu’aux sommets les plus hauts, tout semble uniforme avec un moutonnement végétal extraordinaire où seuls quelques affleurements rocheux et de rares édifices parviennent à s’extraire. Une intersection se présente. De nouveaux panonceaux indiquent Llugols à gauche à 2,1 km et à 1h10 et El Pi del Rei à droite et à 30 mn pour 1 km. Je poursuis à droite vers le pin. Le sentier continue de s’élever. Au loin, dans un creux formé par de deux collines, je suis plutôt surpris d’apercevoir le Fort Libéria visité voilà 2 ans lors d’une autre randonnée. Je continue de flâner allant parfois de surprises en surprises. Elles se présentent tout d’abord sous les traits d’un Hémidactyle verruqueux avec ses grands yeux verdâtres exorbitants et son dos empli d’excroissances telles celles que l’on voit souvent sur de gros crapauds. Le temps d’une seule photo et il a déjà disparu. Quelques mètres après, c’est un étrange chêne vert qui stoppe ma flânerie. Si je suis censé aller découvrir un « pin remarquable », j’estime que ce vieux chêne vert n’est pas très loin de mériter cette dénomination. Avec sa superbe ramure aux branches multiples et très grosses, dont certaines noueuses et parfois totalement écorcées, il a un petit air de pieuvre géante. Oui, il mérite d’autant plus ce critère de « remarquable » qu’il est sans doute très vieux et que son tronc semble s’être extrait des énormes roches fracturées qui l’entourent. Guère plus loin, ce sont des vestiges en pierres sèches qui aiguisent ma curiosité. La lecture du livre de Jean Viallet « Ria-Sirach-Urbanya » me laisse supposer que je suis au lieu-dit En Salabert, lieu rempli d’étranges légendes locales si j’en crois l’auteur. Si les murets et les vieilles terrasses agricoles n’engendrent que peu des questions, il n’en est pas de même d’un édifice tout en rondeur. Orri à la toiture effondrée, four à chaux ou puits à glace ? Si j’ai une nette préférence pour la dernière alternative car j’ai déjà vu d’autres puits à glace, je ne suis pas un spécialiste. A l’instant où je quitte ce lieu, un beau lézard vert sort de sa tanière de pierres et se laisse gentiment photographier. Quelques minutes plus tard, une nouvelle intersection indique que le Pi del Rei est là, à gauche, à 250 mètres et à 10 mn, aller et retour. Tout droit, le sentier file vers le Pla de Vallensó. Je pars bien sûr en direction du « fameux » pin. Il est là, assez majestueux il faut bien le reconnaître, surclassant de toute sa stature tous les autres végétaux du voisinage. S’il est certes majestueux , il n’est pas spécialement esthétique, et ça il le doit à son tronc unique qui devient très rapidement bicéphale et ses nombreuses branches sèches qui mériteraient d’être coupées. Son houppier est quelque peu dégarni et penché ici vers le sud-est, caractéristiques propres aux pins maritimes qui sont confrontés à de vents multiples et forts venant du nord et de l’ouest. Lui, de « maritime », il n’a que le nom car la seule mer qu’il domine est totalement végétale. Avant de venir le voir, j’ai bien essayé de tout savoir de lui mais je n’ai absolument rien trouvé à son propos et en tous cas rien quant à sa toponymie (*). On ne parle de lui qu’à propos des randonnées qui mènent à lui. De ce fait, et compte tenu de ma curiosité, je me suis posé bien des questions. Pin du roi ou roi des pins ? Dans le premier cas, de quel roi s’agirait-il ? D’un des rois d’Aragon et de Majorque, digne successeur des comtes d’Arria qui sont nés ici ? Pourquoi ne pas lui attribuer directement le nom du roi en question ? Pin roi Jacques 1er ou II par exemple. Du dernier roi qui a régné en France et sur ce secteur du Conflent, c’est-à dire Louis-Philippe 1er de 1830 à 1848. Cela lui conférerait un âge avancé de 190 ans. C’est possible, si j’en crois ce que j’ai lu à propos des plus vieux pins maritimes qui pourraient vivre 500 ans et atteindre les 40 mètres de hauteur, ce qui ne me semble pas être son cas. De rois antérieurs comme Louis XVI ou Louis XVIII dans la fameuse branche des Bourbons ? (** ). C’est possible aussi si je me fie à l’énorme respect et à la fidélité que les Rianencs ont toujours eu à l’égard de cette lignée dont une sous-branche serait originaire d’ici.(**) Toutes les hypothèses peuvent être envisagées puisque rien n’existe à son sujet. Même l’historien Jean Viallet qui a pourtant beaucoup écrit sur Ria ne dit rien de lui, et en tous cas, je n’ai rien trouvé dans son livre Ria-Sirach-Urbanya aux Editions Notes d’Histoire. J’ai orienté mes recherches sur les sites recensant les « Arbres Remarquables de France » mais là aussi, il n’apparaît nulle part. A ce jour, seulement trois pins ont reçu le label de « remarquable » mais aucun n’est maritime. N’a-t-il pas les mensurations nécessaires à un classement en « arbre remarquable » ? C’est probable car des pins maritimes comme celui-ci, je pense qu’il y en a de très nombreux. En tous cas, j’en ai déjà vu ailleurs mais dans des boisements où ils n’étaient pas aussi solitaires. Il bénéficie donc de ce privilège d’être seul et très largement le plus grand de tous au faîte de cette colline. Si à juste titre, il pourrait être qualifié de « remarquable », il le devrait sans doute à son âge mais surtout à sa « remarquable » résistance. Résistance aux diverses maladies du pin, aux insectes xylophages très nombreux, mais aussi au fait qu’il a su résister à toutes les tempêtes qui ont sévi dans notre beau département. Résister à toutes les tempêtes alors qu’il dépasse très nettement la crête de cette colline où rien ou presque ne le protège des vents d’ouest et du nord, j’estime que c’est déjà un «remarquable » exploit. En décembre 1999, la tempête Martin a abattu un pin maritime, le pin Cazau, qui était considéré comme le plus vieux d’Aquitaine. Avec une circonférence de 4,95 m, les spécialistes lui donnaient l’âge avancé de 210 ans. Souhaitons-lui de résister encore très longtemps car force est de reconnaître que les dérèglements climatiques engendrent des catastrophes de plus en plus récurrentes, qu’elles soient météorologiques ou physiologiques. Je le photographie sous toutes les coutures, sous tous les angles et dans tous ses décors, dont le plus beau reste le Canigou enneigé. Comme je le fais toujours pour les arbres remarquables que j’ai pu observer, je photographie un maximum de messages gravés sur son tronc : ici simples initiales, dates ou petits dessins le plus souvent mais d’autres gravures sont moins lisibles voire incompréhensibles car les écorces se sont desquamées puis sont tombées. Je note que ces dernières sont parfois amplement perforées de petits trous et m’en inquiète. Hylésine ? Scolyte ? Bupreste ou autres ? Les possibilités d’être dévorer de l’intérieur par des insectes xylophages et d’en périr sont si nombreuses ! J’espère que les gens de l’ONF et les élus municipaux s’en inquiètent aussi ? Je ramasse une pomme en espérant y trouver des graines pour éventuellement les replanter, mais non la pomme est vide ou presque. Une deuxième idem. Une troisième a une ou deux graines mais loin d’être matures et surtout moisies. Au sol, il n’y aucune graine non plus. Des écureuils seraient-ils passés par là ou ai-je la malchance d’avoir trouvé que des cônes mâles ? Toutes mes questions à propos de cet arbre restent sans réponse. Il est temps de repartir. Un balisage bleu qui part du pied de l’arbre vert le nord-ouest m’incite à le suivre. De fil en aiguilles, ou plutôt d’orris en orris, je m’éloigne de mon itinéraire initial, celui qui était censé m’amener au Pla de Vallensó. A l’instant ou ce sentier « bleu » amorce une raide descente vers le vallon, j’estime qu’il est temps de faire demi-tour car j’ignore jusqu’où il peut me mener, même si je suppose fortement qu’il rejoint le sentier de Llugols ignoré ce matin. Etant parti la fleur au fusil, sans tracé GPS, et surtout sans ma carte IGN que j’ai oubliée, je préfère prendre cette option plutôt que de m’égarer. Je reviens sur mes pas et prend cette fois la direction du Pla de Vallensó. Le sentier s’élève en douceur avec toujours des édifices en pierres sèches, cortal et terrasses, laissant supposer une occupation d’antan. Il coupe un ruisseau, le Correc dels Colls, lui aussi amplement canalisés de pierres sèches par endroits. Il le longe puis s’en éloigne. Ici les lézards verts sont légions mais bien trop rapides pour que je parvienne à en photographier au moins un. Finalement, au lieu-dit la Creu d’En Barina, j’approche la piste terreuse qui fait le lien entre Prades et Llugols. Peu après, je la coupe et le sentier continue de s’élever en direction du Pla de Vallensó. Ici, dans une joli petite ravine, ce sont des fauvettes chantantes qui arrêtent ma progression. Il me faut dix bonnes minutes de patience pour réussir à en immortaliser une, et encore uniquement de très loin. Je passe ce temps à attendre le bon-vouloir des fauvettes à photographier quelques papillons, toujours très nombreux mais très perturbé par une brise qui s’est levée. Sur le sol pierreux du chemin, le passé se révèle avec les traces creusées par les roues de vieilles charrettes. Jadis, de très nombreuses sont passaient par là et il se dit même, que parmi leurs besognes le plus souvent agricoles, certaines rejoignaient l’ancienne carrière de Callau dans le cadre de l’exploitation industrielle du talc. Sachant où se situe cette carrière, je n’ai aucune peine à imaginer la pénibilité de cette besogne tant pour les hommes que pour les animaux tirant ces charrettes. Le Pla de Vallensó est là et se matérialise sous la forme d’un poteau directionnel indiquant 930 m d’altitude et Llugols à 20 mn et à 700 m. Je connais bien ce poteau déjà aperçu au cours d’autres balades dont celle qui m’avait mené sur le « Sentier d’Arletes » et à « la Roche gravée de Fornols ». C’est sous un impressionnant rassemblement de pinsons qui s’envole, que j’aperçois les premières toitures de Llugols. Réussissant à photographier un de ces volatiles, je lui trouve d’étranges couleurs ternes. Une femelle sans doute toujours moins colorée que le mâle. Ce hameau, je le connais par cœur. Je l’ai toujours découvert aussi désert et silencieux qu’aujourd’hui, sauf en 2007 lors de mon Tour du Coronat parce que des enfants jouaient sur des « carrioles » en criant leur bonheur. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer Nina et ses frères. Pas une âme qui vive une nouvelle fois même si des voix d’hommes sont perceptibles dans la forêt en contrebas. Je n’ose pas m’arrêter chez mon ami Mr. Naulin, d’abord par prudence à cause de l’épidémie qui sévit encore, mais aussi parce qu’il n’est pas encore midi et que j’estime que ce n’est pas un horaire décent pour arriver à l’improviste chez les gens. Je le regrette. Je repars mais la Nature m’arrête quelques mètres plus loin sur le seuil d’une autre maison déserte elle aussi. Je reste là assis quelques minutes sur le perron à regarder deux bousiers entrain de pousser une boulette toute sèche d’excrétions animales. Où ont-ils trouvé cette boulette ? En sont-ils les architectes ? Où vont-ils ? Que vont-ils faire de cette dernière ? Je les observe tout en me posant ces questions-là. Un escalier se présente et ils déboulent laissant échapper leur convoitise. Je me dis qu’à notre échelle, tomber d’une telle hauteur nous aurait été fatidique. Un des deux bousiers est tombé sur le dos et éprouve un mal fou à se rétablir. Pendant ce temps, l’autre est déjà parti à la recherche de sa « boulette » et il y parvient avec une facilité déconcertante. Finalement, l’autre le rejoint. Et les voilà repartis dans leur étrange labeur, labeur qui semble « gauche » dans la gestuelle mise en œuvre mais finalement la boulette avance bien plus vite qu’on ne pourrait le penser. Nouvel escalier, nouvelle chute, nouvelle recherche et nouvelle retrouvaille. Il est temps de décamper et de partir vers d’autres découvertes car je me suis promis d’aller visiter la chapelle de Las Monges que je ne connais pas malgré mes nombreuses venues ici. Je laisse les petits coléoptères coprophages à leur boulette me promettant de chercher sur Internet les réponses aux nombreuses questions que leur vision vient de soulever en moi. Je quitte le hameau fleuri de magnifiques capucines grimpantes parfois rouges parfois oranges et file vers la chapelle en question. Je n’ai aucun mal à la trouver car un panneau « Couvent de Las Monges » en indique la direction. Le sentier passe devant la Fontaine du Châtaignier (Font del Castanyer) puis s’élève. Si l’édifice est bien ruiné, les vestiges ne laissent planer aucun doute quant à son caractère religieux, le cœur de la nef et son abside étant encore bien visibles. L’Histoire nous dit que sa première mention écrite date de 1375, qu’elle a été utilisée comme église et comme couvent mais que son vrai nom serait Saint-Sernin d’Eroles. Seulement diverti par une mésange bleue et un gros criquet qui semble décidé à manger autant que moi, j’y pique-nique paisiblement, assis sur un large mur d’enceinte en surplomb de la forêt. Je quitte les lieux vers une suite que je connais par cœur. D’abord en direction de la chapelle Saint-Christophe puis d’un gros rocher qui la domine où quelques croix datant du néolithique sont visibles. Si je fais ces quelques foulées supplémentaires que je connais sur le bout des doigts, c’est essentiellement pour faire connaître au plus grand nombre de randonneurs ces lieux chargés d’histoire. Si quand on passe à Llugols, on a toujours ce sentiment « que la peste sévit encore depuis le 14eme siècle », ces quelques étonnantes découvertes sont des portions de vie plutôt inattendues. La suite vers Conat, je la connais également par cœur. Quelques soient les saisons, le sentier qui y mène peut être découpé en trois sections. La plus courte , ce sont d’abord les prés de Llugols où en cette saison les fleurs sauvages se livrent des duels de pétales multicolores. J’y surprend un beau sanglier mais la surprise semble encore plus grande pour lui. Il ne demande pas son reste. Puis, c’est la partie boisée qui s’appelle Les Teixoneres. Enfin, le sentier tout en balcon se termine sur la partie la plus « caillasseuse » dont la dénomination Les Esquerdes ne laisse planer aucun doute quant à son aspect rocheux, abrupt et ardu, les trois en même temps le plus souvent. Dans cette longue déambulation vers Conat, si mes pieds savent déjà où ils doivent se poser, mes yeux, eux, restent constamment sur le qui-vive d’une flore et d’une faune dont je sais qu’elles peuvent être surprenantes à chaque virage du chemin. Cette fois-ci, c’est un superbe lézard ocellé qui est proclamé « roi des Teixoneires ». Un petit bain dans une cuvette limpide du Correc de Sainte-Marguerite, puis je continue, la tête plus fraîche et les pieds quelque peu dégonflés. C’est bien la toute première fois que je vois autant d ‘eau dans ce modeste ruisseau. Après une heure de marche supplémentaire, Conat finit par arriver sous les traits d’une gentille demoiselle qui est assise au bord du torrent Callau. Elle est si jolie que j’en oublierais presque que nous devrions bavarder avec un masque. Nous blaguons un peu, puis finalement beaucoup trop, non pas à mon goût, mais à bien y réfléchir, car je suis encore très loin de Ria. Nous parlons de tout, de Conat où elle est en vacances, de ma balade, de randonnées en général, des découvertes que l’on peut faire dans les environs. Il me faut rompre cette sympathique conversation, et ce d’autant que je n’ai plus la moindre goutte d’eau dans mes deux gourdes et qu’il me faut impérativement trouver une fontaine. Une fois, la fontaine trouvée et les gourdes de nouveau pleines, j’accélère le pas pour sortir du village. Voulant absolument éviter le bitume de la route, j’ai décidé de suivre un sentier que j’ai emprunté voilà presque 20 ans. Par bonheur, il est encore parfaitement praticable et évite les sinuosités de la route, route qui par ailleurs a été emportée sur une belle portion par la tempête Gloria à la sortie sud de Conat. Des ouvriers y travaillent depuis plusieurs semaines. En évitant de prendre la route, j’évite de les déranger dans leur besogne, leur rendant sans doute service au passage. Ce sentier m’entraîne vers les Termanères où j’ai décidé d’emprunter la piste forestière qui file vers Belloc. Cette montée vers Sainte Croix commence à peser dans mes mollets. Chaque oiseau, chaque fleur nouvelle, chaque beau papillon non encore photographié sont autant de raisons de ralentir. De plus, sans carte et sans tracé GPS et connaissant très mal ce secteur, il me faut être vigilant à chaque panonceau Ria et surtout me souvenir de l’itinéraire que j’avais imaginé. Je sais qu’à Sainte-Croix, je dois redescendre vers Ria juste après la ruine d’une vieille chapelle. Quand une ruine se présente, rien ne me permet d’affirmer et même d’imaginer qu’il s’agit d’une ancestrale chapelle. Il ne s’agit que de vieilles pierres ceintes par une végétation inabordable. Par contre, il y a bien une intersection. Il me faudrait donc quitter la piste montant vers Belloc ici, mais j’éprouve quelques difficultés à trouver la suite ? Finalement et par bonheur, j’aperçois un minuscule panonceau « Ria » vissé à même un petit placard réservé à des compteurs électriques. « Ria » est quelque peu effacé mais le sentier est bien là, invisible au premier coup d’œil car bien embroussaillé. Il descend en forêt en longeant en partie le Correc de Santa Creu. Dans cette descente vers Ria presque constamment en sous-bois, et déjà un peu sombre à cette heure-ci, qu’elle n’est pas ma surprise de poser le pied sur le cadavre d’un gros canidé. Chien, chien-loup, loup ? Je ne sais pas vraiment dire ? La mort n’est pas suffisamment récente pour émettre un avis formel mais elle n’est pas très ancienne car le cadavre est peu envahi par la vermine et n’a pas une odeur putride très pestilentielle. Je prends deux photos du pauvre animal dont la puissante dentition ne m’apporte pas d’élément supplémentaire or mis l’assurance qu’il ne s’agit pas d’une renard et ce, malgré son pelage fourni, roux et blanc (***). Des renards morts, j’en ai déjà vu et celui-ci ne ressemble pas du tout aux précédents. Si ce n’est pas un renard ou un loup, de quelle espèce de chien s’agirait-il ? De surcroît que ferait-il là mort au beau milieu du chemin ? Il serait mort de quoi ? Comment, pour quelle raison ou par qui ? Une fois encore, cette balade aura soulevé en moi bien des questions. Apprendre, je marche aussi pour ça ! A tout prendre, j’aurais préféré rencontré un renard ou un autre canidé bien vivant comme cela m’est arrivé assez souvent. Rencontre avec un loup jamais vu jusqu’à présent ? Je ne sais pas ! Il parait qu’un loup isolé n’est pas très souvent dangereux car plutôt craintif, comme toute la faune en général face à l’homme, le pire des prédateurs. Aujourd’hui par exemple, j’ai été ravi d’apercevoir et donc de savoir que toutes les espèces de lézards ou presque sont bien présentes sur ce secteur même si le plus souvent ce ne sont que des visions furtives : lézard des murailles, lézard catalan, vert, ocellé, psammodrome, hémidactyle. Seule, la Tarente de Mauritanie et le lézard des souches n’ont pas été observés mais je ne doute guère de leur présence. Le sentier se termine sur les flancs de la Rocamenera d’En Gorner où justement je photographie mon premier lézard des murailles juste à côté d’une citerne. Puis je finis cette balade sur le désagréable asphalte de la bien longue avenue d’En Cassa menant vers le quartier de la Llisse. J’avais imaginé terminer par le canal éponyme mais des panneaux « danger, risques d’effondrements » en interdisent l’accès. C’est donc à regret que je termine sur le bitume cette belle et première balade d’après confinement. Au-delà des nombreuses questions qu’elle a soulevées, j’ai retrouvé le plaisir de marcher , de redécouvrir la Nature, de retrouver des lieux où j’avais passé jadis des instants merveilleux et notamment lors de Mon Tour du Coronat. Oui, j’attendais avec impatience cette balade. N’ayant pas enregistré de tracé GPS, j’estime la distance effectuée au cours de cette balade entre 12 et 14 km pour un dénivelé de 386 m entre le point le plus bas au départ de Ria (388 m) et le plus haut au Pla de Vallenso à 774 m.

(*) Toponymie possible d’El Pi del Rei : Finalement, c'est un peu par hasard que dans le N°18 du journal de la commune de Ria-Sirach, j'ai pu lire "ce pin fut planté après le Traité des Pyrénées par le ministre des Eaux et Forêts de Louis XIV". Après le Traité des Pyrénées de 1659, on peut donc aisément imaginer que cette décision est consécutive à l'ordonnance de 1669 de Louis XIV et Colbert qui faisait la part belle à une vaste reforestation du royaume. Ce pin aurait donc à ce jour (16/09/2022) 353 ans ! Le roi en question serait donc Louis XIV ! Je vous laisse lire la suite que j'avais écrite juste après la randonnée mais ne gardez pas tout bien sûr !  A propos des arbres remarquables, voici ce que le journaliste et écrivain Adolphe-Laurent Joanne écrit en 1856 dans son recueil intitulé « Les Environs de Paris illustrés. Itinéraire descriptif et historique » : « …une foule d’arbres magnifiques que les touristes vont aujourd’hui admirer seraient restés inconnus. Dans le principe, on ne signalait guère que cinq ou six de ces arbres : Le Bouquet du Roi, Le Clovis, Henri IV et le Sully, la Reine Blanche, arbre du Bas-Bréau, incendié cet hiver (1856) par des imprudents qui firent du feu dans sa cavité, le Charlemagne et le Chêne des Fées ». Comme nous le voyons, au 19eme siècle, il n’était pas rare d’attribuer des noms de rois ou d’illustres personnages aux grands arbres, il est donc fort possible que le Pi del Rei date de cette époque et qu’il ne faille pas chercher ailleurs son appellation de « Pin du Roi ». Dans ce même livre, il évoque les fameux essais d’implantation du pin maritime dans les Landes au cours du 18eme siècle et leurs échecs successifs, à cause d’hivers trop rigoureux mais surtout par méconnaissance de cet arbre, peu présent en France avec quelques rares boisements, et donc fort méconnu à l’époque. Dans son livre « Traces du végétal » aux Editions Presses Universitaires de Rennes, Elisabeth Amblard nous rappelle que « Le pin symbolise la force et le pouvoir dont dispose le roi, mais, situé à côté d’un if, ce pouvoir devient une force du mal » car « l’if est un arbre aux feuilles et aux fruits toxiques ». Ici l’auteur fait référence au roi légendaire Marsile, ennemi juré de Charlemagne dans la « Chanson de Roland de Roncevaux ».


(**) Ria, les rois et le pin : Dans son livre « Ria-Sirach-Urbanya », Jean Viallet évoque en de multiples occasions l’attachement que les Rianencs avaient depuis toujours pour leurs rois , et notamment aux 18 et 19eme siècle. Ainsi peut-on lire « Napoléon est vaincu, Louis XVIII montre sur le trône et voyez comme notre municipalité célèbre l’événement ». Cette phrase fait référence à une assemblée municipale du 30 octobre 1814 où les habitants de Ria par l’entremise de leurs représentants municipaux prêtent serment et jurent à Dieu de garder obéissance et fidélité au roi. Est-ce en cette occasion que les Rianencs ont planté cet arbre pour rendre hommage à Louis XVIII ? Là aussi c’est possible et l’arbre aurait 206 ans ! Cette fidélité au roi est très ancienne puisqu’elle a pour origine le fait que les comtes d’Arria, nés ici selon certaines versions, auraient de ce fait un lien direct avec la branche des Bourbons, famille aux multiples ramifications mais régnante en France et en Espagne. Ce lien, ils le tiendraient de Marguerite de Provence, reine de France car épouse de Saint-Louis ; mais fille de Raimond-Bérenger V de Provence, lui-même fils de Alphonse II de Provence, et lui-même fils Alphonse II roi d'Aragon, lui-même fils de Raimond-Bérenger IV de Barcelone. Ici, la branche dite de « Barcelone » est directement issue de Guilfred le Velu, né ici à Ria (légende ou réalité ?) et de son père Sunifred Ier de Barcelone. Assez paradoxalement, c’est Vauban sur ordre de Louis XIV qui a détruit le château ancestral de Ria où tout aurait commencé ! Allez comprendre ?

(***) Le canidé mort de Sainte-Croix : Le 22 juillet 2020 et sur les conseils d'un ami, ancien de l'ONF, j'ai signalé l'animal au "Rézoloup" de l'ONCFS avec envoi des 2 photos que j'avais en ma possession. Un technicien s'est rendu sur le lieu pour lequel j'avais fourni les coordonnées. Finalement, il s'agissait d'un malinois de plus de 19 ans dont les propriétaires avaient signalé la disparition. L'animal est probablement mort de vieillesse voire d'épuisement à ne pas parvenir à retrouver son chemin. Les propriétaires ont pu faire leur deuil et ont apprécié que leur chien ait pu être retrouvé tant de semaines après sa disparition. Il faut noter que le malinois étant un lupoïde, c'est à dire un canidé dont les caractéristiques anatomiques évoquent celles du loup, la confusion avec ce dernier était donc logique. L'enquête a permis d'enlever la thèse d'un loup sur la commune de Ria-Sirach. Rianencs vous pouvez dormir tranquille, aucun loup ne se déguisera en grand-mère ! Par contre, je ne peux pas vous garantir du contraire !

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Le Sentier d'Arletes et autres hameaux perdus depuis Conat

Publié le par gibirando

Ce diaporama est agrémenté de la musique de John Barry tirée du film "Proposition Indécente" réalisé par Adrian Lyne,

 musique jouée ici par The City Of Prague Philharmonic Orchestra

Le Sentier d'Arletes et autres hameaux perdus depuis Conat

Le Sentier d'Arletes et autres hameaux perdus depuis Conat 

Pour agrandir les photos, cliquez dessus. Deux fois pour un plein écran


 

Quand j’ai envisagé ce « Sentier d’Arletes » au départ de Conat, j’avais imaginé un tracé bien plus court que celui que vous trouverez ici. Initialement, j’avais prévu de monter vers l’ancien hameau d’Arletes (*) en passant par Le Ribéral, la Carrerada, La Falguerosa, Arletes, puis mon idée était de poursuivre par Catllorenç, le Roc de les Creus puis redescente vers Conat par le Roc de l’Home Mort, la chapelle ruinée de Sainte Marguerite de Nabilles et Millares, l’objectif d’une telle balade étant que je ne connaissais pas la première partie, c'est-à-dire cette montée qui s’effectue jusqu’à Roc de les Creus par ce chemin que le cadastre intitule du Ribéral. Puis, après maintes réflexions et connaissant très bien l’autre partie, c'est-à-dire la descente, d’autres envies sont venues à moi comme des évidences. Parmi ces évidences, il y avait cet énorme désir de retourner à Llugols, d’essayer de voir Mr et Mme Naulin, hôteliers hors pairs qui m’avaient accueilli dans leur gîte si merveilleusement lors de Mon Tour du Coronat de 2007. Il y avait cette envie de rencontrer celle que j’ai toujours appelée Nina de Llugols (*) pour lui laisser cette « fameuse » photo qui avait scellée notre amitié, amitié certes essentiellement virtuelle jusqu’à présent mais donc je gardais espoir qu’elle se concrétise enfin par un contact cordial bien réel. Voilà déjà des années que cette photo que j’avais dédicacée à son attention sommeillait sur une étagère de mon bureau à Urbanya et elle n’attendait qu’une chose : que je retourne à Llugols ! Il était peut être temps qu’elle rejoigne sa destinataire ? Voilà quels sont mes objectifs quand en ce 9 juillet, je me lance dans cette longue balade pleine d’espoirs et d’incertitudes. Incertitudes car voilà presque 3 mois que je ne randonne plus à cause de trois pincements aux vertèbres, probables séquelles lointaines mais bien ressuscitées d’une terrible chute sur « les Chemins d’Adrienne » en octobre 2016. Nombreuses séances de kiné et anti-inflammatoires ont finalement tordu le cou à ces misères qui m’empêchaient de marcher et me voilà plutôt en forme. A tous ces desseins, un autre objectif est venu se greffer, celui involontaire mais contraint d’examiner si l’immense raréfaction des oiseaux que je constate à Urbanya se vérifie ici à Conat et dans ses amples alentours où je pars marcher. J’estime à 90% cette diminution des passereaux les plus communs par rapport aux années précédentes, années précédentes au cours desquelles j’avais déjà constaté une réduction évidente des effectifs et des espèces coutumières. Cette année, à titre expérimental, une boule de graisse qui était mangée en moins de 2 jours est encore presque entière au bout de 15. Le matin, nous étions réveillés aux chants des oiseaux mais cette année c’est un silence angoissant qui prédomine quand je prends mon café sur la terrasse. Voilà mon constat. A l’instant même où je démarre, ce bilan semble faux pour Conat, car d’emblée j’aperçois dans le village des rouges-queues noirs, une sittelle torchepot, quelques moineaux et deux hirondelles posées sur une fenêtre. Plus haut dans les ruelles, un merle chante à tue-tête en jouant les équilibristes au sommet d’un poteau mais il s’envole avant que je ne puisse le photographier. Si les chants de ces oiseaux m’enchantent, une fois sur le sentier, je déchante bien vite car les oiseaux disparaissent carrément. Seul un accenteur mouchet, voltigeur à souhait mais peu craintif, me fait courir en direction des ponts à dos d’âne.  A partir d'ici, la seule vraie musique que j’entends est celle d’un étonnant duo formé par la rivière d’Orbanya (Urbanya) et d’innombrables cigales. Ce duo inattendu va m’accompagner un bon bout de temps car la rivière reste longtemps parallèle au sentier qui désormais s’élève peu à peu en balcon. Le sentier du Ribéral, c'est-à-dire de la rivière, porte bien son nom. Après cet égarement volontaire vers les ponts romans, je reviens sur mes pas pour prendre le bon chemin. Il s’élève au dessus de jardins potagers en direction d’un casot ruiné. Les cigales, elles, sont moins nombreuses au fil de l’élévation, mais elles restent néanmoins présentes une grande partie de la journée et ce, jusqu’à ce que le ciel se couvre de gros nuages gris. Par les paysages et les panoramas qu’elle propose, toujours plus aériens, cette montée en balcon est une vraie merveille et de surcroît, elle m’offre une bien inattendue rencontre du 3eme type dans les falaises du bien nommé lieu-dit « Malbaus ». En occitan « Malbaus » signifie les « mauvais rochers escarpés » et là, j’avoue que je crois comprendre pourquoi ! Une photo en rapproché d’une roche plus blanche que les autres me fait tomber sur le cul. Oui, sur une roche escarpée, j’ai bien vu un « gremlins » tel que j’en ai vu dans le film du même nom ou quelque chose de très ressemblant en tous cas ! Vérification faite, c’est bien un « gremlins » que j’ai au bout de mon objectif ! « Gremlins » très laid mais par bonheur exclusivement minéral et donc inoffensif ! Après cette petite frayeur que je finis très vite par relativiser, la montée s’effectue sans problème jusqu’à atteindre la crête sommitale car le sentier est remarquablement débroussaillé. Cette crête continue de m’offrir des panoramas magnifiques sur les deux profondes ravines ; Orbanya d’un côté et El Riberot de l’autre ; sur Conat, sur le Pla de Balençou (ou Vallenso), sur les Massifs du Canigou et du Coronat et droit devant moi sur le Roc de Jornac. Les oiseaux, complètement absents lors de la montée, montrent enfin le bout de leurs becs dès lors que j’aborde le plateau de La Falguerosa. Ils se résument à quelques rares fauvettes et tariers pâtres essentiellement. Par bonheur, cette rareté des oiseaux est largement compensée par une multitude de papillons mais surtout par la présence d’un chevreuil et de deux sangliers que j’aperçois plus tard dans le pré d’Arletes.   Dès lors que les ruines de La Falguerosa sont en vue, l’itinéraire devient vraiment galère, et par moment le sentier disparaît carrément sous la dense végétation, végétation de surcroît très cuisante. Je suis tout heureux d’avoir enregistré un tracé dans mon G.P.S. Mon seul regret avoir un bâton de marche à la place d’un coupe-coupe ou d’une faucille car les ronciers touffus succèdent aux prunelliers qui eux-mêmes font la pige à d’autres buissons aussi agressifs les uns que les autres. Il va en être ainsi jusqu’à Catllorenç (Catllaurens) où là tout redeviendra praticable à l’instant même où je rejoindrais une bonne piste. Dans l’immédiat et dans ce guêpier végétal, mon seul bonheur est d’y trouver une incroyable variété de papillons que je peux photographier à loisirs. Les pluies très soutenues de ces derniers temps ont sans doute contribué à amplifier cette végétation de maquis où les fleurs sont légions. Envahie par les ronciers, la ruine du cortal de la Falguerosa est difficilement accessible. Je n’insiste pas pour la découvrir. D’ailleurs, et malgré un balisage jaune, le sentier est parfois très difficile à trouver dans cette confusion végétale où les graminées et les broussailles se livrent une lutte sans merci pour gagner leur place au soleil. Par chance, quelques cairns élevés par des visiteurs précédents restent encore visibles et quand ce n’est pas le cas mon G.P.S suppléait cette absence. Finalement, j’arrive à deviner puis à trouver ce « Sentier d’Arletes », dont la ruine apparaît bien loin de l’autre côté du ravin d’El Riberot. C’est de cet endroit bien trop éloigné que je distingue le chevreuil et les deux sangliers. Je tente bien de les photographier mais l’éloignement est bien trop important pour obtenir des photos correctes. Je poursuis le sentier qui file en balcon puis le hameau perdu d’Arletes est finalement atteint. Enfin dans l’immédiat, je stoppe au bord d'un ruisseau. Je dépose mon sac à dos sur l’herbe puis face au Canigou je déjeune là sous le regard intrigué de quelques mésanges qui occupent les feuillus. Les mésanges disparaissent et me voilà captivé par une Nature qui n’est pas moins intéressante. Tout en mangeant, mon attention est attirée par un manège dès plus curieux, celui d’innombrables papillons et diptères, c'est-à-dire des mouches, des syrphes et autres espèces d’insectes volants ressemblant plus à des abeilles ou à des guêpes, venant butiner les fleurs d’une menthe sauvage qui pousse les pieds dans l’eau. De cette observation, je note une quantité incroyable d’espèces différentes qui cohabitent sans jamais montrer la moindre agressivité les unes envers les autres. A tour de rôle, elles viennent butiner les mêmes fleurs, laissant la place au nouvel arrivant. Je me dis « quel bel exemple de partages et du vivre ensemble ! ». Ravi de cette Nature si merveilleuse et captivante, je ne peux m’empêcher d’en immortaliser quelques belles photos macros. Je quitte le bord du ruisseau et pars manger mon dessert sous le grand cèdre qui domine les ruines. Là, assis sous cet arbre, je ne peux m’empêcher d’imaginer ce qu’a été la vie de cet hameau oublié où les vérités, les légendes et les histoires au coin du feu viennent se mélanger pour expliquer son déclin puis sa disparition définitive. La trop grande sécheresse pour certains, la peste pour d’autres (*), l’exode rural, voilà toutes les raisons que l’on invoque pour éclairer cet amas de pierres que je visite aujourd’hui. Pourtant, dans ce lieu si isolé et si sauvage de nos jours, il est assez facile de concevoir un habitat bien occupé,  avec tout autour des bois mais également de grands espaces bien défrichés. Deux ou trois bâtisses hautes et bien imposantes, avec autour quelques cabanes en pierres sèches, avec des terrasses où poussent des vergers, des céréales et des vignes. Des enclos rudimentaires où l’on aperçoit des chèvres, quelques moutons et des vaches bien utiles à une existence si autarcique. Un grand potager situait au plus près du ruisseau. Une petite basse-cour où s’égayent quelques poules, des canards et l’indispensable nourrain que l’on sacrifiait pour le « jour du cochon », moment si convivial et si festif qui en engendrait bien d’autres dès lors que les préparations confectionnées étaient mises sur les tables. On peut aisément imaginer des clapiers et une étable au rez-de-chaussée et ce lieu à vivre qui se situait toujours à l’étage car par ce biais, on bénéficiait gratuitement d’un chauffage au sol avant même l’invention de l’électricité. Une grande cheminée et un four à pain venaient compléter ce système de chauffage si archaïque. Oui, je peux très facilement imaginer tout cela ! Un cairn dominant le hameau m’incite à y monter mais or mis les panoramas encore plus beaux vers le Canigou et sur le hameau, je n’y décèle rien de concret. A l’instant même où je m’apprête à redescendre, un autre randonneur, venant de Catllorenç, traverse le hameau sans s’arrêter. Marchant d’un très bon pas, je le vois disparaître dans cette végétation si compacte que je viens moi-même de franchir. C’est un peu idiot, mais dans un coin aussi reculé, je me satisfais toujours de voir que je ne suis pas seul, même si la marche solitaire ne me pèse pas. Après quelques photos souvenirs, l’instant est venu de me remettre en route. Toujours aussi galère, le summum des difficultés arrive juste avant Catllorenç, avec à la place du sentier, un étroit corridor encadré de très hauts genêts. Malgré mes difficultés à avancer, je me dis que l’homme que je viens d’apercevoir est nécessairement passé par là. Je mets mon sac à dos et mon bâton devant ma poitrine et fonce tête baissée dans ce « tas » végétal, essayant de passer ma tête et mes épaules avant tout le reste dans la petite ouverture qui s’offre à moi. J’en ressors 50 mètres plus loin sous une haie de cerisiers mais avec la vision libératrice d’une barrière qui s’ouvre sur une large et bonne piste. Sur ma droite, et toujours enfouie dans la cerisaie, j’y découvre un mas en partie bien restauré mais fermé, avec sur sa porte et ses fenêtres, des mentions « pièges à feu » qui n’incitent pas à la curiosité. La mienne se résumant à tenter de photographier quelques oiseaux attirés par les cerises, je n’y campe pas. La piste, désormais boisée de quelques pins à crochets, m’amène assez facilement jusqu’au Roc de les Creus où je retrouve avec plaisir cette roche si exceptionnellement gravée en forme d’éventail ou de cadran solaire. Ici se termine la déclivité et voilà désormais la partie que je connais si bien, et pour cause, car cette piste était le fil conducteur d’une étape lors de la 5eme étape de Mon Tour du Coronat. Depuis le refuge de Caillau, elle m’avait amené à Llugols et au gîte de Mr et Mme Naulin. C’était en 2007. Si je suis revenu ici à de multiples reprises, c'est-à-dire sur ces chemins, ce retour à Llugols est plutôt inédit car voilà déjà 8 ans que je n’y suis plus retourné. C’était lors d’une balade que j’avais intitulé « les Chapelles du Pla de Balençou ». C’est dire si je connais bien cette piste qui descend vers Llugols et les raccourcis qui permettent d’en éviter les quelques sinuosités. Or mis quelques papillons nouveaux, rien ne m’arrête dans cette descente peu fréquentée par les oiseaux. Pourtant dieu sait si j’y ai toujours découvert une avifaune très exubérante, avec parfois même de grands rassemblements, mais aujourd’hui c’est un vide presque sidéral qui semble prédominer. Ignorant les pistes DFCI, j’emprunte des raccourcis longeant le plus souvent des clôtures. Ces clôtures m’entraînent non loin du Roc de l’Home Mort puis de la Font de l’Aram. Ici, dans ce secteur, je retrouve le début d’une nouvelle piste près de cette étonnante cabane que j’avais déjà découverte lors de ma balade aux « Pierres gravées et dressées de Conat ». Elle ressemble à un blockhaus rudimentaire, espèce de tertre aménagé de planches, de tôles et d’argile amalgamée. Cabane de berger ?  Poste de chasse ? Abri anti-atomique édifié par un fou ? Je ne sais pas ! Aujourd’hui il n’y a personne et seulement un beau lézard vert qui profite des derniers rayons du soleil. Le temps se gâte, de gros nuages gris arrivent de toutes parts. Canigou, Coronat et Madres sont déjà bien ennuagés. Si la météo était magnifique ce matin, désormais le plafond est déjà bien bas et bien gris, et une humidité ambiante se fait sentir. La piste encadrée de hauts résineux et descendant vers le Pla de Vallenso arrive à point nommé. Alors que j’accélère le pas, ayant dans ma tête déjà fait une croix sur d’éventuels oiseaux, quelle n’est pas ma surprise d’y observer un petit rassemblement de pipits. Ils s’envolent dans les résineux mais parmi eux, il y en a un qui se laisse gentiment photographier. Les pipits, quelques merles, un rouge-queue noir, une buse dans un ciel devenu bien gris et de nombreux papillons, la descente vers Llugols me réconcilie quelque peu avec cette Nature pour laquelle j’aime marcher. Llugols est là et si deux itinéraires se présentent, je n’ai aucune hésitation à prendre très machinalement celui qui descend direct au gîte Naulin. Une table et des chaises de bistrot de couleur rouge face au Pic du Canigou, pas de doute me voilà arrivé. Comme en 2007, je m’assieds pour une photo souvenir identique à celle de 2007 puis je tape à la porte. Aussitôt Mr. Naulin m’ouvre. « Vous me reconnaissez ? » lui dis-je. « Bien sûr ! » me répond-il  puis il rajoute aussitôt « je ne me souviens pas de votre nom mais sauf erreur de ma part, il s’agissait d’un prénom ? » puis d’un air interrogateur, il rajoute encore « vous avez deux prénoms, c’est bien ça ? ». « Gilbert Jullien ! » lui dis-je et sous forme d’exclamation, je rajoute « Quelle belle mémoire, vous avez Mr. Naulin ! ». Il me propose une bière en m’indiquant gentiment que c’est offert par la maison car il rajoute ne plus faire gîte depuis quelques années, me précisant qu’il ne reçoit plus que des amis de passage ; cavaliers en transhumance la plupart du temps ou bien des randonneurs égarés. « Je ne suis pas égaré ! ». « Je suis venu exprès pour vous voir ! ».  « En souvenir des instants merveilleux que j’ai passé ici ! » lui dis-je. Sans aucun chichi, on s’installe dans le salon comme deux amis qui se retrouvent bien des années plus tard. L’intérieur n’a pas changé et c’est toujours cet adorable capharnaüm que j’avais tant aimé voilà 11 ans. J’y avais décelé le goût des voyages, des périples, des aspirations d’ailleurs très lointains mais parfois très proches aussi, des choses simples avec un penchant certain pour les couleurs chatoyantes et plus globalement pour tout ce qui peut être considéré comme de l’Art. Oui, j’avais beaucoup aimé et j’aime encore ! Nous restons plus d’une heure à discuter d’innombrables sujets : du passé et de Mon Tour du Coronat si mémorable, de son épouse que je ne vois pas et qui bosse pour mon infortune, de son chien Bonnie si facétieux qui m’avait accompagné jusqu’à la montagne de Belloc mais dont j’apprends avec une grande tristesse qu’il est mort depuis,  de ma rando d’aujourd’hui et de ma motivation à revenir ici où j’avais passé de si belles heures en leur compagnie, de ma petite maison secondaire à Urbanya depuis 2010, de nos potagers respectifs, des pluies actuelles si soutenues et du beau temps, beaucoup moins beau cette année,  de la raréfaction des oiseaux qu’il trouve effroyable lui aussi, rajoutant qu’il ne voit plus de petits passereaux et seulement des oiseaux de taille supérieure comme des merles, geais et autres pigeons ramiers. Lui non plus ne comprend pas cette disparition très inquiétante car si soudaine. Notre conservation se termine par la photo de Nina que j’ai amenée et que je lui montre en lui racontant son histoire. Nina ? Il me dit la voir quelquefois mais il a la certitude qu’elle n’est pas là en ce moment. Il accepte que je lui donne la photo et m’assure qu’il la lui remettra à la première occasion. J’en suis ravi car j’ai toute confiance en lui. A l’instant même où je m’apprête à partir, Dany m’appelle en m’indiquant qu’il tombe des trombes d’eau à Urbanya. Je la rassure en lui disant que je suis à Llugols et qu’ici il ne pleut pas. Enfin pour l’instant ! Je salue Mr. Naulin, le remercie pour son accueil si bienveillant et si gentil, sa bière et cet échange amical si spontané. Je quitte le hameau, direction Conat. La direction de Conat étant la même que celle de la chapelle Saint-Christophe, comment ne pas m’y rendre alors que j’y ai tant de bons souvenirs ? Chapelle, rocher qui la domine avec sa croix néolithique,  la pluie se met à tomber à l’instant même où j’effectue un retour vers ce passé si merveilleux. N’est-ce pas ainsi que j’avais intitulé Mon Tour du Coronat en 6 jours, « Des merveilles au Pays d’Alysse » ? Par bonheur, un petit casot est là à point nommé pour m’accueillir et m’abriter. Je m’y réfugie quelques minutes car la pluie cesse presque aussitôt. Un petit tour par la Font del Castanyer et je pars finir mon casse-croûte sur le parvis de la chapelle. La pluie tombe de nouveau et je m'abrite sous le porche. Elle s'arrête. Sous un ciel de plus en plus menaçant, je file au pas de course sur ce sentier de Conat tout en descente. Nouvelle pluie et nouvelle planque dans un orri très opportun. Alors que je suis entrain de me dire que je n’arriverais jamais à Conat, la pluie cesse au bout de 10 minutes. Je repars toujours au pas de course, pas de course pas vraiment effréné car les difficultés du terrain ne le permettent pas, mais je ne flâne plus. Seule la végétation bien embroussaillée au fond du Correc de Sainte Marguerite me freine quelque peu. La pluie ne revient plus et Conat est là bien plus vite que jamais auparavant. Je retrouve la rivière et l’enjambe sur un petit pont. Ici ce n’est plus la rivière d’Orbanya mais celle de Callau car la confluence des deux rivières est toute proche à l’intérieur du village. Mais qu’importe le nom car quel bonheur d’y trouver un couple de bergeronnettes qui en occupent son lit. A Urbanya, je n'en ai pas vu au bord de la rivière depuis l'an dernier ! Ma balade se termine avec cette jolie vision. J’ai réalisé la plupart de mes objectifs : les hameaux d’Arletes, de la Falguerosa et de Catllorenç (Catllaurens) que je ne connaissais pas, mes souvenirs du Tour du Coronat, Llugols, Monsieur Naulin, la photo de Nina dont je sais qu’elle arrivera un jour à sa destinataire (**). Si je suis très satisfait de mes quelques photos d’oiseaux, les quantités et les variétés habituellement observées manquent à l’appel. Je me suis rattrapé avec une variété incroyable de papillons et encore, j’en ai loupé pas mal. Une fois encore, je n’ai pas eu la chance de revoir Nina, j’ai perdu avec tristesse ce chien si attachant qui s’appelait Bonnie mais alors chose très surprenante, j’ai revu ce jeune chat gris qui en 2007 venait systématiquement se frotter dans ma jambes dès lors que je me reposais sur la terrasse du gîte Naulin. Il a onze de plus et a pris un petit coup de vieux, tout comme moi d’ailleurs, mais cette fois il n’a pas accepté mes caresses. Oui, j’ai beaucoup aimé ce « Sentier d’Arletes » même si un bon débroussaillage mériterait d’être accompli sur la partie la plus élevée du parcours. Cette randonnée telle qu’expliquée ici a été longue de 13,3 km. Selon mon G.P.S, les montées cumulées ont été de 1.278 m. Le dénivelé entre le point le plus bas (513 m rivière Orbanya à Conat) et le plus haut (1.096 m  au Roc de les Creus) est de 583 m. Carte I.G.N 2348 ET Prades - Saint-Paul de FenouilletTop 25.

(*) Le hameau d’Arletes (en français Arlettes) : Que sait-on exactement du hameau d’Arletes ? Concernant sa toponymie, on peut supposer qu’elle est identique à celle d’Arles, c'est-à-dire qu’elle aurait pour origine le mot gaulois « Arelate » dont le radical  « are » signifie « près de » et du terme « late » ; du mot celtique « latis » ; désignant un lieu humide (marais, marécage, fleuve, ruisseau). En tous cas, le lieu avec son petit ruisseau correspond bien à cette description et la terminaison « ete » ou « ette » à cet aspect « petit » si évident. Concernant son Histoire, assez peu de choses sont arrivées jusqu’à nous. Toutefois, la version catalane de Wikipédia nous informe que la première mention documentée d’Arletes date de 1312. Ce document nous apprend qu’à cette époque, le hameau dépendait de la commune de Bettlans (Vallans), elle-même sous la dépendance du royaume de Majorque gouverné par Sanche 1er dit le Pacifique, comte du Roussillon et de Cerdagne. Pour le compte du roi, un certain chevalier Guillaume d’En est chargé de récupérer les dîmes, les cens d’Arletes et des autres fermes d’Urbanya. La dîme étant un impôt sur les récoltes et le cens un droit seigneurial foncier, on peut imaginer à juste titre qu’Arletes était déjà habité par des paysans qui vivaient là du fruit de leurs travaux agricoles et de l’élevage de leurs troupeaux. Au 14eme siècle, le hameau appartient à la juridiction royale apprend-on également. Sachant que la guerre fait rage entre le royaume de Majorque et celui d’Aragon, on est en droit de se demander laquelle ? Il faut donc s’intéresser plus largement à l’Histoire de Conat (La Baronnie De La Vall De Conat (Les Seigneurs) d'Eugene Schmidt -Revue Le Conflent), à celle du Conflent et des deux royaumes pour trouver quelques réponses à cette question. On note qu’en 1424, il y a 4 feux à Arletes, c'est-à-dire quatre familles et peut-être entre une quinzaine et une trentaine d’habitants. Un feu représentait une moyenne de 4 à 5 personnes. A cette époque, le hameau est subordonné à la baronnie de Conat. Ensuite, dans l’Histoire du prieuré de Marcevol, on apprend par des chartes de 1265 et 1267 qu’Arletes, au même titre que 21 paroisses du Conflent, est la propriété des chanoines du prieuré de Marcevol. Dans un cartulaire des fiefs des rois Jacques 1er et Jacques II de Majorque (1263-1294), on peut lire qu’un certain Bertran Gil commissaire des fiefs confirme la possession féodale de 4 feux (comprendre foyers au sens de logements, ici des fermes) par un certain Pere Lauret. On peut donc supposer que ce Pere Lauret est un chanoine appartenant à la congrégation de Marcevol. Le hameau disparaît des « radars » historiques pour réapparaître dans le cadastre napoléonien en 1811. Ensuite, c’est le flou le plus complet car les légendes et les histoires semblent vouloir prendre le pas sur la réalité historique absente. On peut toutefois imaginer assez aisément que les pandémies de peste qui se sont succédé en Europe, mais plus particulièrement dans la Catalogne et le Roussillon (1347, 1381, 1397, 1410, 1429, 1631, 1649, 1720 et notamment celle qui a décimé tous les habitants de Llugols en 1652 ont eu une influence sur la vie du hameau d’Arletes. Ajoutons à cela les guerres, les terribles périodes de sécheresse qui n’ont pas manqué, les difficultés dans les moyens de communication et de transports, tous les autres fléaux et calamités qui ont sévi au fil des siècles et enfin l’inévitable exode rural du 19eme siècle pour comprendre pourquoi Arletes a finalement disparu et est devenu un hameau oublié de tous. Il suffit d’aller là-bas, dans ce décor sauvage de profondes ravines, pour comprendre que la vie n’a jamais été facile, même au temps où la vie autarcique et le travail des champs étaient « choses courantes ». Dans ce secteur du Pla de Vallenso, on trouve néanmoins une grande quantité de chapelles très isolées, ce qui prouve bien qu’une vie communautaire fédérée par la religion catholique a longtemps existé. Notons enfin, qu’en 1911, l’écrivain Juli Cornovol a évoqué le hameau d’Arletes dans un conte légendaire intitulé « El refilayre de Carençà  », récit dans lequel il attribue la disparition du hameau à l’épidémie de peste noire du 14eme siècle.  Légende ou réalité historique ? Ce chapitre de Wikipédia se termine en expliquant que ce lieu devenu maléfique est peuplé uniquement de bêtes sauvages et ce, jusqu’au jour où une ferme y a été construite. Alors, je le confirme, oui, j’ai bien vu des animaux et une ferme en ruines à Arletes. Les animaux, je ne sais pas s’ils étaient sauvages car ils broutaient paisiblement mais c’est un fait, Arletes est désormais la propriété d’une faune que des hommes s’évertuent à vouloir chasser car j’y ai vu aussi et malheureusement un poste de chasse. Et si un jour et après des siècles d'occupations humaines, la Nature reprenait pleinement ses droits à Arletes ?

(**) Nina de Llugols ou l’histoire d’une photo : Lors de l’été 2007, j’effectue en 6 jours le Tour du Coronat. Le Coronat est un massif montagneux des Pyrénées-Orientales situé dans le Conflent, dont le point culminant s’élève à 2.172 mètres d’altitude. Le 17 août, et alors que je viens de terminer la 5eme étape entre le refuge de Callau et Llugols, je photographie 3 enfants dans ce dernier hameau. Juchés sur de petites motos, ils descendent à tout berzingue, et dans de grands éclats de rires, la piste terreuse menant au village. Ces 3 enfants, une fille et deux garçons, je ne les connais pas mais ils me rappellent étrangement mon enfance et un temps désormais si lointain où avec mon « pauvre » frère ; « pauvre » car trop tôt disparu ; et des amis nous descendions sur des planches montées sur des roulements à billes les rues de notre quartier à Marseille. A cet instant, je suis très nostalgique. Nostalgique d’un temps révolu et qui est passé bien trop vite, nostalgique de mon frère et nostalgique car dès le lendemain mon Tour du Coronat se termine. A Llugols, je loge dans le gîte de Monsieur et Madame Naulin. Mon tour du Coronat terminé, quelques semaines plus tard, cette photo, je l’insère dans le récit de ce périple sur mon site Internet. Le temps passe. En 2013, soit 6 ans plus tard, je reçois le message suivant :

« Bonjour Jullien, j’ai trouvée votre adresse sur votre site de vos histoires de randonnée. J'habite en ce moment en Russie. Et par un moment de nostalgie je vais sur Google, et tape "Llugols", regarde des photos et au bout d'un moment tombe sur votre site. Je lis l'histoire de votre randonnée du 17 août 2007, regarde les photos.... et BAM je tombe sur une photo de moi et de mes frères, ou nous sommes sur des petites motos. Je n’ai pas pu agrandir la photo, si jamais vous avez des photos de ce jour-là, peut-être pourriez vous me les envoyer ? En espérant une réponse, Nina Neveroff. »

Ma première réflexion est de me dire que ce message très surprenant car si inattendu est incroyable aussi car bourré de grands écarts. Ecart dans les années et écart dans la distance séparant LLugols de la Russie ! Je suis bien sûr agréablement étonné de ce message provenant de Russie et bien évidemment je réponds à Nina immédiatement. Je n’ai pas d’autres photos mais je lui fais parvenir en pièce jointe la photo en question la plus grande possible. Nous échangeons par courriels, nous devenons amis sur Facebook et nous nous faisons la promesse d’essayer de nous rencontrer pour concrétiser cette amitié naissante et échanger à propos de cette photo, dont je sens bien qu’elle est autant chargée de nostalgie et d’émotions pour elle que pour moi. Une fois encore, le temps passe mais je ne désespère pas d’une éventuelle rencontre. Depuis pas mal de temps déjà, de cette photo numérique, j’en ai tiré une photo papier. Je l’ai dédicacée, j’ai rajouté un message sympa à l’attention de Nina et l’ai mise dans un cadre. Le cadre dort sur une étagère de ma maison d’Urbanya. Cette photo, je la regarde souvent, trop souvent à mon goût car elle me rappelle ce périple si merveilleux et je me dis qu’il serait bien qu’elle rejoigne un jour sa vraie destinataire. Ce jour-là arrive avec ce « Sentier d’Arletes » à partir de Conat. « Pourquoi ne pas pousser jusqu’à Llugols » me dis-je à l’instant où je planifie cette randonnée. Je me dis aussi que Llugols c’est tout petit et qu’une fois là-bas, j’improviserais une éventuelle rencontre, soit avec Nina, si elle est là, soit avec les Naulin, mes sympathiques hôteliers de 2007. 11 ans se sont écoulés, vais-je les retrouver les uns ou les autres ? Le 9 juillet, la randonnée s’effectue comme prévue. J’arrive à Llugols et au gîte Naulin vers 16h. Monsieur Naulin m’ouvre son gîte, me reconnaît et m’invite à boire une bière. Nous discutons de tout et bien sûr de Mon tour du Coronat de 2007. Bien évidemment, je lui parle de Nina et lui raconte l’histoire incroyable de cette photo. Il me dit que Nina est venue à Llugols très récemment mais qu’elle n’est pas là en ce moment. Je lui remets le cadre contenant la photo et il me promet de le lui remettre à la première occasion. Le 30 juillet 2018, Nina m’envoie un message sur Facebook me remerciant pour la photo et cette attention à son égard. Je sens un peu de retenue dans son message. Normal, Nina a grandi et s’est mariée. Ce n’est plus l’enfant que j’avais pris en photo avec ses frères en 2007…….Je crois que c’est surtout moi qui suis resté enfant !

 

 

 

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