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Michel S ou une vie sur liste rouge.

Publié le par gibirando


Michel S. ou une vie sur liste rouge. Avec Michel (au centre) et un autre copain (à gauche) en juillet 1967 à la calanque de Sormiou (pour agrandir les photos cliquez dessus)

« J’ai appris au sortir de l’enfance (mais en suis-je vraiment sorti ?) que la vie n’est faite que de rencontres et de séparations.  Rencontrés imposées ou choisies, rencontres planifiées ou imprévisibles, fécondées par l’attirance, le désir ou la nécessité, et séparations nécessaires et indispensables, subies ou décidées , qui vont tricoter les mailles de notre existence aux différents âges de notre vie ».

J’aurais pu écrire ce texte. Certainement un peu moins bien, mais j’aurais pu l’écrire. Non, il n’est pas de moi mais du sociologue Jacques Salomé, extrait de son livre « Je viens de toutes mes enfances ».Michel S. ou une vie sur liste rouge.

 

 Avec Michel (à gauche) et deux autres copains (au centre) en juillet 1967 à la calanque de Sormiou lors d'une partie de pétanque acharnée (pour agrandir la photo cliquez dessus)

Avec Michel S. j’ai tricoté quelles mailles de ma vie. Sinon les plus belles, elles ont été les plus insouciantes en tous cas. Celles de mon enfance et de ma jeunesse.

Il s’appelait Michel S. Nous avions la particularité d’être nés à un jour d’intervalle. Lui le 24 avril et moi le 23 de la même année. C’était mon meilleur ami d’enfance et de jeunesse et je viens d’apprendre qu’il est décédé en mai 2017 à l’âge de 68 ans. Je suis effondré.

 

Michel S. ou une vie sur liste rouge.

A l'été 1967, à la plage du Pin de Galle à Hyères lors d'une sortie avec une bande de potes du quartier. Michel est au 1er rang à droite.

Ce billet que j’écris ici, est à la fois l’histoire d’une séparation définitive mais non choisie et un hommage, car on ne perd pas son meilleur ami d’enfance et de jeunesse sans un immense chagrin. C’est mon cas, et ce même, si je me vois contraint aujourd’hui d’essayer de compter les années qui nous ont si longtemps séparés. Toujours séparés. Avec cet essai de comptage, je ne détricote pas les mailles mais j'essaie de reboucher les trous que le temps, telle une mite sordide,  a réussi à grignoter. Oui, voilà probablement 45 ans au moins mais peut-être 46, que nous nous étions vus pour la toute dernière fois. Quand ? Comment ? Où était-ce exactement ? Je ne m’en souviens plus ! Au lycée ? A un match de foot ? Au bistrot de notre quartier ? En tous cas certainement pas à la calanque de Sormiou où nous avions passé quelques jours de vacances avec un groupe de copains à l’été de 1967 ? Lors de la saison 1967/1968, on se retrouve dans la même équipe de foot au lycée Jean-Perrin. C’est les dernières photos que j’ai de lui. En 1969, je quitte le lycée où nous sommes ensemble. Puis le club de foot où nous jouions également ensemble. Du Sporting Club de Bonneveine, je pars jouer au Racing Club de Marseille. Que fait Michel S ? Continues-t-il à jouer au foot lui aussi ? Je ne m’en souviens plus. Après avoir quitté le lycée, je m’attelle à suivre une formation de programmeur informatique au langage COBOL. Je ne le sais pas encore mais ma vie professionnelle a trouvé sa source. Le 14 juillet 1968, ma vie sentimentale, elle, avait déjà trouvé la sienne sous les jolies traits de Dany, ma future épouse. Que fait Michel S au sortir de la terminale ? Là, encore, je ne m’en souviens plus ? Mais il est fort probable que nous continuons à nous revoir, peut-être moins souvent mais je suis certain que l’on se voit encore. En avril 1970, je pars sous les drapeaux à Solenzara mais mes nombreuses permissions me ramènent presque chaque week-end à mon quartier de la Vieille-Chapelle mais surtout auprès de Dany. Je pense que c’est là que les mailles de nos existences avec Michel commencent à s'interrompre. Pourtant, je ne vais quitter le quartier de la Vieille-Chapelle où nous habitons tous les deux qu’en février 1972 après mon mariage. Ma famille étant nombreuse et les finances de nos parents limitées, je n’ai pas invité d’amis. Quand à mon enterrement de garçon, je me souviens d’une simple tournée générale au bar Mistral que je continuais de fréquenter plus rarement et seulement de temps en temps par passion du billard français. Michel S était-il là ? C’est probable mais pas sûr. Je n’ai pas de photos de cette soirée et la mémoire me fait défaut. Quand il est décédé en 2017, nous serions donc restés 45 ans sans plus nous revoir, peut-être 46 !

Michel au premier plan lors d'une soirée festive mémorable à l'été 1967 au restaurant La Cascade près des Goudes. Au quatrième plan, je parais plutôt sage mais les apparences sont parfois trompeuses car il y avait ce jour-là une super ambiance.

Michel S. ou une vie sur liste rouge.

Si je ne précise pas son nom, ce n’est pas pour une quelconque raison inavouable. Non ! C’est essentiellement par respect à sa mémoire car si je ne l’ai plus jamais revu,  c’est en grande partie au fait que je n’ai jamais su ou pu le retrouver. Oui, cet enfant, ce garçon, cet adolescent puis ce jeune homme que j’avais toujours connu réservé, pour ne pas dire timide ou introverti, n’a jamais été visible sur aucun des « radars » que j’ai pu connaître en 45 ans. Oui, devenu adulte, je ne l’ai jamais trouvé sur aucun bottin, annuaire, archive, fichier, registre, Minitel, réseau social. Et bien sûr jamais sur Internet. Il est vrai que les 300 km qui nous ont constamment séparés n’ont rien arrangé à cette séparation qui en fin de compte est devenue définitive. Finalement, il a fallu qu’il décède et que je le retrouve là où pendant très longtemps je l’avais cherché en vain ces dernières années, c’est-à-dire sur le Net. Mais dans la rubrique nécrologique. Affreux dénouement que jamais je n’avais imaginé possible.

Dans cette quête de le revoir, la seule solution que j’avais trouvée avait été de retourner de temps à autre chez lui quand je partais en vacances à Marseille . Mais là aussi, mes quelques tentatives avaient constamment échoué. Il y avait bien son nom de famille sur la boîte aux lettres où il habitait jadis avec sa mère mais jamais personne ne répondait quand je sonnais à la porte. Sans doute travaillait-il et ne venais-je pas aux bons horaires ?  Voilà ce que je me disais à chaque fois. En septembre 2012 et sans doute parce que je savais déjà que je reviendrais à Marseille bien moins souvent qu’auparavant, j’avais tenté une fois encore de le retrouver et lui avait laissé un petit message de souvenirs et d’amitié dans sa boîte aux lettres. Une nouvelle fois en vain. Ne l’avait-il pas trouvé car il n’habitait plus là ? N’avait-il pas envie de me revoir ?  Constamment, je me suis interrogé à ce propos. Après 2014 et le décès de ma mère, j'ai arrêté d'aller en vacances à Marseille. Les années s’étaient écoulées, continuaient de le faire et j’avais perdu carrément espoir de le revoir un jour. Puis il y a quelques jours, en cherchant de vieux papiers, quelques photos ont refait surface.

Michel S ou une vie sur liste rouge.

Avec l'orchestre de l'école maternelle de la Vieille- Chapelle sans doute lors de l'année 1955/56. Michel est à l'extrême droite et je tape sur le gros tambour.

Michel S. y était en bonne place sur plusieurs d’entre elles. J’ai donc retapé son nom dans « Google recherche » sur mon ordinateur et là ce fut l’anéantissement. Anéantissement d'apprendre son décès et anéantissement de tous mes espoirs de retrouvailles. C’est donc avec 3 ans de retard que je viens d’apprendre cette triste nouvelle. Oui, désormais ma tristesse sera toujours grande quand je penserais à lui. Si pendant toutes ces années, je m’étais très souvent posé d’innombrables questions, elles resurgissaient toutes en même temps. Mais à toutes ces questions, il y en avait une nouvelle, celle de savoir comment il avait bien pu disparaître à 68 ans ? De nos jours, on ne meurt pas de vieillesse à cet âge-là ! Cette nouvelle inconnue rajoutait à mon affliction. Oui, très souvent je m’étais demandé qu’avait-il fait de sa vie ? S’était-il marié ?  Quel genre d’épouse avait-il eu ? Avait-il eu des enfants voire des petits-enfants ? Quel travail avait-il fait, lui qui au lycée avait choisi une orientation à priori bien plus technique que la mienne ? Oui, aujourd’hui, j’ai la pressentiment que je n’aurais jamais plus aucune réponse à toutes ces questions et seuls vont me rester les vieux et beaux souvenirs d’enfance et de jeunesse et quelques photos jaunies où nous étions heureux d’être ensemble :

Michel S. ou une vie sur liste rouge.

 

Au Sporting Club de Bonneveine et dans la même équipe de foot en juniors sans doute lors de la saison 1965/1966.

Nos tout premiers signes d’amitié, nous les avons connus à l’école maternelle de la Vieille-Chapelle puis à celle primaire du Lapin Blanc. Là, nous avons commencé à partager les mêmes pupitres, les mêmes bancs de bois, les mêmes encriers avec cette jolie encre violette dont on remplissait nos cahiers quadrillés. Nous avons partagé les mêmes difficultés à rédiger nos dictées, à retenir nos tables de multiplication ou à trouver les résultats exacts de nos fractions. Finalement, nous étions souvent d’accord, et si fractions ou frictions il y avait entre nous, elles étaient toujours cordiales et finalement notre amitié trouvait les solutions. C’était le cas lors des récrés où l’on se chamaillait vaillamment mais sans méchanceté aucune la grosseur et le contenu nos sacs de billes respectifs, les petites figurines de cow-boys et d’indiens, les « Majorettes » et les bandes dessinées comme Kiwi ou Blek le Roc. Oui entre nous, c’était les échanges qui primaient.  Puis nous avons grandi.  Si nos collèges ou lycées respectifs nous avaient quelque peu éloignés au niveau des études secondaires, le cinéma de la rue des Goumiers, les juke-box et les parties de flippers et de billards au bar Mistral et le foot au Sporting Club de Bonneveine avaient fini par conforter cette très longue amitié indéfectible. C’est donc tout naturellement que nous nous sommes retrouvés avec beaucoup de  plaisir au lycée Jean Perrin, lui en filière T1 et moi en G2. Malgré des classes différentes, c’est encore le foot qui continuait de nous rapprocher. On s’entendait super bien à tous points de vue même s’il faut reconnaître qu’il était bien plus sérieux que moi dans les études. Pourtant, chaque récréation ou la moindre pause étaient l’occasion de matches acharnés en petit groupe de copains sur les terrains de hand. J’aimais bien joué avec lui, car de petit gabarit ,  il était bon technicien et excellent dribbleur.

Avec l'équipe du lycée Jean Perrin lors de l'année 1967/1968, championne des Bouches du Rhône Universitaire et finaliste de l'Académie Aix-Marseille.

Michel S. ou une vie sur liste rouge.

C’est ainsi que l’on s’est retrouvé tout naturellement dans la même équipe championne Universitaire de l’Académie Aix-Marseille en 1968. Je me souviens qu’avec son aspect plutôt frêle, et craignant un peu trop les contacts et les coups,  il acceptait mal le fait d’être sur le banc comme remplaçant. Il ne s’en confiait qu’à moi ne laissant rien paraître auprès des autres partenaires, joueurs ou entraîneur. Oui, je me souviens de lui comme quelqu’un qui était constamment dans la retenue, pas vraiment timide, ni avec personne, ni avec les potes, ni avec les filles, mais discret et mesuré dans tout ce qu’il entreprenait ou disait. Je ne me souviens pas avoir eu la moindre anicroche avec lui car il était toujours d’humeur égale. Enfin, il était comme ça avec moi. Oui, même sans jamais plus l’avoir revu, j’ai toujours imaginé que sa vie était à cette image-là que j’avais eu de lui étant jeune, d’une grande discrétion et d’une gentillesse à toute épreuve. Son incroyable absence dans tous les supports de communications et ma constante difficulté à le retrouver avant son décès ont fini pas prouver que j’avais eu sans doute raison de penser à lui ainsi. Oui, il avait fait de sa vie une liste rouge, et si je ne l’ai jamais revu, c’est peut-être parce qu’il avait voulu tirer un trait sur son enfance et sa jeunesse ? Je ne sais pas. Je me souviens très bien de sa mère et de sa sœur, mais de son père il n’en parlait jamais. Je n’ai jamais rien su à ce sujet, mais c’est vrai que ma discrétion naturelle a peut-être contribué à cette part d’ombre chez lui. Comme l’a écrit Jacques Prévert « il y a des adultes qui jamais n’ont été des enfants ». Michel S, quel enfant et quel homme a-t-il été au juste ? Je n’aurais jamais la réponse à cette question pas plus qu’aux autres sans doute ? Une certitude demeure dans ma tête et dans coeur : « il restera à jamais mon meilleur ami d’enfance et de jeunesse ! ».

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Le Monologue du frangin

Publié le par gibirando

Le Monologue du frangin

Le Monologue du franginLe Monologue du frangin

Quelques photos de notre enfance et notre jeunesse avec mon frère aîné Daniel. Toujours complices dans le vie comme dans nos jeux.  Sur la 1ere photo, sur la plage de Sormiou avec notre petite soeur Nicole.

Si le titre « Le Monologue du Frangin » peut prêter à sourire, ici s’arrête la dérision.

Le frangin c’est moi et au travers de ce monologue, je m’adresse à mon frère.

Si depuis longtemps déjà, j’éprouvais le besoin d’écrire à propos de mon frère, il est évident que la période que nous vivons avec le Covid-19 n’a fait qu’amplifier les choses. Devant ce petit virus qui peut soudain surgir et nous emporter en seulement quelques jours, on se sent infime, dérisoire même. On voit les « choses » différemment. Enfin, c’est mon cas.

« Pourquoi es-tu parti ? »

Voilà une question que je me poserais jusqu’à mon dernier souffle sans en obtenir de réponse.

Cette question est là comme une plaie qui dans ma tête ne se refermera jamais.

Combien de larmes, cette question a-t-elle engendré en moi ? Jamais trop si une d’entre-elles avait été au moins une réponse. Mais les pleurs aussi récurrents soient-ils ne sont pas des réponses.

Cette question, depuis 1992, je la pose à mon frère parti à l’âge de 46 ans. Si sur cette terre, un être ne méritait pas de partir si jeune c’est bien lui. D’un naturel plutôt réservé, timide même, il était la bonté et la générosité personnifiées. Enfin, c’est ainsi que je veux en garder le souvenir, souvenir d’enfance et de jeunesse principalement. Il s’était marié, avait eu un enfant ; mon neveu Pascal ; ce qui rajoute encore à l’injustice de son décès car je sais que fonder un foyer si possible parfait était le but de sa vie. C’était le mien aussi et sans jamais nous être concertés, nous étions sur ce plan-là dans une totale harmonie. Construire du durable, réussir, être irréprochables, être aimé des siens, nous avions été éduqués et aimés par nos parents dans cette optique. En devenant adulte, de cela, j'en ai acquis la certitude.

Cette question « Pourquoi es-tu parti ? » en engendre bien d’autres et la première est « quelle est la raison médicale de ton départ ? » Certes tu souffrais d’une forme d’asthme que les docteurs intitulent parfois de « sévère » mais aucun symptôme n’était visible et rien ne laissait présager que tu en souffrais quotidiennement. On sait tous que l’asthme se déclare sous la forme de crises mais de là à en mourir si subitement dans la force de l’âge, il y a une marge difficilement franchissable. Trop jeune et insouciant, je ne l’avais jamais franchie sans doute par méconnaissance des « choses » médicales. Depuis, j’ai lu un peu sur le sujet et je sais qu’il s’agit d’une maladie qui peut être très sournoise et bien évidemment fatale. Alors crise d’asthme ? Infarctus foudroyant ? Rupture d’un anévrisme ? Cette dernière solution ne cesse de m’interroger depuis que j’en souffre moi-même au point de m’être fait opérer et sachant que les anévrismes artériels peuvent être héréditaires et bien sûr mortels dans le cas d’une rupture. Alors quelle souffrance t’a emportée ? Cette question, personne n’y répondra jamais non plus et ne rien savoir à ce propos ajoute à ma désespérance surtout quand on connaît un peu les « rares » circonstances de ton départ (*).

D’ailleurs, étant devenu adulte, s’il y avait une souffrance qui transpirait sans cesse de toi, ce n’était pas tant la physique mais plutôt la morale. Oui, tu avais tant changé. De timide, tu étais devenu introverti, taciturne même. Parvenir à faire sortir 10 mots d’affilée de ta bouche devenait un exploit. Je me souviens de 2 ou 3 parties de pêche où j’avais essayé mais en vain de te demander pourquoi ton visage exprimait sans cesse la tristesse ? Le désarroi ? Le chagrin ? L’accablement ? L’inquiétude ? Le malheur peut-être ? Que sais-je ? Systématiquement tu coupais court à toutes mes questions m’envoyant dans les cordes comme un boxeur un peu groggy qui a pris un gros uppercut mais qui ne veut pas s’en laisser compter et qui a bien compris que la meilleure défense était d’attaquer. Oui, d’une manière un peu sèche tu m’envoyais systématiquement « bouler ». Un silence qui n’avait pas lieu d’être et que  je trouvais malsain en cette circonstance s’installait entre nous. Une partie de pêche entre frères qui aurait dû être un moment de convivialité, de fraternité et de bonheur se transformait en mutisme. Jamais dans nos rapports d’enfance ou de jeunesse, je ne t’avais connu ainsi. Depuis que tu étais devenu adulte et que tu avais été contraint d’assumer les responsabilités qui vont avec ce statut tu semblais malheureux. Maman, papa, tous, on se posait la question. Oui, tu étais constamment sur la défensive quand cette question était sur le tapis et que ta vie privée paraissait en jeu. Ce n’était pas de la curiosité que nous avions mais simplement de l’attention.

Oui, où était-il passé le grand frère fusionnel qu’enfant j’avais toujours connu ? Le frère que je n’avais de cesse de faire rire avec mes sempiternelles pitreries ? A la maison, j’étais le bouffon et tu étais le roi. Un roi timide certes mais un roi tout de même. Un roi que j’appréciais car jamais tu ne profitais de ton pouvoir, de ton statut. Avec tes 3 ans de plus, tu étais l’aîné, et de ce fait, j’ai toujours accepté très volontiers ce rôle de cadet-bouffon, sauf peut-être quand une gifle ou une fessée qui aurait dû être commune n’arrivait que sur moi. Mais même là, je ne me suis jamais plaint de ce rôle de « souffre-douleur », ni auprès de toi ni de personne d’ailleurs. J’acceptais ce rôle que je considérais dans l’ordre des choses. Et puis, tu étais beaucoup plus sage, plus obéissant et beaucoup plus studieux que moi dans tout ce que tu entreprenais et cette différence de sanctions je la trouvais quelque part assez normale le plus souvent. Oui, où était-il passé le frère qui avait dormi près de moi pendant tant et tant d’années ? Le frère qui chaque soir ouvrait son lit–bahut au milieu de la salle à manger puis le refermait chaque matin, comme je le faisais moi- même avec mon propre lit pliant parce que la maison était trop petite et que nous ne pouvions pas avoir notre propre chambre. Cette promiscuité entre nous était devenue si naturelle. J’avais toujours imaginé que cette exiguïté contrainte avait tissé des liens entre nous à jamais dénouables. Oui devenu adulte, ta tristesse, ta morosité quasi permanente étaient entrain de réussir à les dénouer et ça me peinait énormément.

Oui, où était-il l’enfant espiègle qui m’amenait jusqu’aux arènes de Bonneveine voir les corridas en me tenant la main et qui se débrouillait toujours pour y entrer en resquillant car nous n’avions pas les moyens de payer ? Oui, qu’était-il devenu l’enfant plutôt fortiche avec un ballon dans les pieds, que j’admirais, et qui avait réussi à me faire aimer le football autant que tu l’aimais toi-même ? Où était-il passé le grand frère qui m’avait toujours aidé, aimé sans jamais s’arroger son droit d’aînesse en droit formel, sans jamais me faire sentir une quelconque différence d’âge ou de supériorité ?  Qu’était-il devenu le jeune homme qui me racontait son service militaire à Montluçon comme un héros raconte ses exploits glanés sur un champ de bataille ?

Oui, les années passant, tu n’étais plus du tout le même frère et si j’en avais conscience, ce n’était pas pour autant que je m’en satisfaisais. Les questions restaient là toujours en suspens. L’instant de nos retrouvailles, ta tristesse devenait la mienne mais je me refusais à vivre dans ce qui me semblait être un carcan. Oui, je voulais vivre mon propre bonheur. Chacun doit mener sa vie à sa manière et si la tienne n’était pas pour me plaire, les questions auxquelles tu ne voulais pas répondre empêchaient toute possibilité de trouver des solutions. En tous cas, je ne pouvais rien te proposer. Je ne pouvais rien pour toi et je m’en désolais. Je n’arrivais pas à me faire à l’idée que toutes ces questions resteraient à jamais sans réponse. Le grand frère que j’avais vénéré comme un roi semblait déchu.

Si ta disparition si jeune ne mit pas fin à mes questionnements à ce propos, elle entérina pour toujours l’absence de réponses. Oui, pourquoi es-tu parti ? Ne rien savoir c'est très dur tu sais !

(*) Mon frère Daniel est décédé en juillet 1992 sur le petit port de la calanque de Sormiou. Il avait eu 46 ans le 1er mai. Alors qu’il revenait d’une partie de pêche nocturne en bateau, il s’est écroulé sur le quai selon les dires du seul témoin présent ce jour-là. Ce témoin a bien tenté d’appeler les secours mais par malchance, la seule cabine téléphonique était assez éloignée car au dessus de la plage et hors service car elle avait été vandalisée et pas encore réparée. Voilà ce que je sais de ses derniers instants. Il repose au cimetière de Mazargues dans un caveau familial.

Le Monologue du frangin

Mon frère en 1986, sur le petit quai même où il a perdu la vie.

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