Par une belle aube d'été
Ce matin quand je me suis levé, tout paraissait bien différent des autres jours. Il était 6 heures. Dany dormait encore. Le jour se levait à peine et une clarté colorait d’un rose très pâle la crête séparant la vallée d’Urbanya du domaine de Cobazet. La température était douce. Le gazouillis des oiseaux et le murmure lointain de la rivière rompaient le silence. Il n’y avait pas le moindre souffle de vent. Les feuilles des arbres ne frémissaient pas. Pas même celles si légères du grand bouleau blanc que j’avais juste en face de moi. Quand elles frémissent, on dirait des petits cœurs brillants qui palpitent. Pourtant d'autres coeurs battaient déjà pleinement. Les sifflements d’un merle noir se mirent à retentir. A cette heure-ci et par bonheur, les chants du merle n’étaient pas encore couverts par les bruyantes mais trop souvent indispensables débroussailleuses. Même son chant, pourtant si perçant habituellement, semblait plus langoureux. D’ailleurs et alors que j’avais décidé de profiter de ce calme ambiant, en prenant mon petit déjeuner sur la terrasse, il est venu pousser sa chansonnette au sommet d'un poteau à quelques mètres de moi.
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Etait-il toujours en quête d’une âme sœur ? Probablement, car je trouvais que ses stridulations ressemblaient à des exhortations, à des complaintes de solitude. Il est resté là un très long instant à m’observer comme s’il attendait quelque chose de ma part. Mais que pouvais-je lui offrir, si ce n’est un bout de biscotte ou de brioche trempé dans du lait ? Il ne s’intéressa pas à mon offrande. Assez bizarrement, son bec jaune s’entrouvrait régulièrement mais il n’en sortait pas un son de manière systématique. Son chant était saccadé. En l’observant, je regrettais de ne pas comprendre le langage des oiseaux. Finalement, sans doute en eût-il assez de voir ma bouille de mal-réveillé et il est parti à tire d’ailes en direction de l’église où il stoppa sa course dans le clocher. Espérait-il y trouver la providence ? J'ai délaissé le merle chanteur au profit des mésanges qui se succédaient autour des boules de graisse que je mettais à leur disposition. Autour de la mangeoire que j'avais élevée tout spécialement pour les passereaux , ce n'étaient que des va-et vient incessants.
Mésanges bleues, charbonnières et nonnettes se relayaient dans un vivre-ensemble parfait. Quelques moineaux "incivils" arrivaient et c'était un sauve-qui-peut général. Jamais depuis notre venue à Urbanya, venue qui avait trouvé sa juste raison à la sortie du confinement pour cause de coronavirus, je ne m’étais senti aussi bien. Jamais, je n’avais déjeuné avec autant d’appétit et si paisiblement en prenant autant mon temps. Cette aube d’été était si merveilleuse que j’avais envie de la retenir. Ma musardise dans tous les gestes que j’accomplissais me laissait le sentiment que j’y parvenais. La vallée était claire, le ciel pur et aucun nuage ne venait voiler l’horizon. Ici, l’horizon, c’était d’abord le pic du Canigou, si merveilleux quand il est bien enneigé. Là, il ne subsistait que quelques névés sur ses pentes les plus élevées mais sa beauté restait malgré tout intacte. Les rayons du soleil avaient déjà largement éclairé son pinacle alors que le Massif du Coronat restait dans la pénombre. La sombre et épaisse forêt de ce dernier esquissait avec le mythique sommet un yin et yang de montagnes. Finalement, l’envie de bouger un peu s’empara de moi. Péniblement, il me fallut lever mes fesses du fauteuil. Elles étaient si bien calées entre deux gros coussins. Appareil-photo en bandoulière, je pris la direction de la maison des anglais. Ici, derrière chez les anglais, c’est une belle forêt de frênes, de peupliers et de bouleaux. Les anglais, ce sont nos gentils amis Alan et Moira qui ont une très belle maison juste derrière la nôtre. Pour cause de Covid-19, nous ne les avons pas encore vus cette année et dans les renseignements que nous avons, rien ne laisse supposer qu’ils viendront rapidement. C’est triste pour eux, car nous connaissons le fort attachement qu’ils ont pour Urbanya. Avant même le seuil de leur maison, un rouge-queue noir puis un serin d’un jaune flamboyant se laissèrent gentiment photographier. Mais dans la chance qui était la mienne en cette aurore naissante, les deux superbes et peu craintifs volatiles étaient tout juste un petit hors-d’œuvre car un plat de résistance m’attendait.
Ce plat se présenta en contrebas dans le « pré aux pommiers » sous les traits d’un superbe chevreuil. Il était là peinard, à brouter l’herbe verte et tendre, et sans doute encore un peu humide de ce potron-minet idéal. En silence, je pris la décision de monter sur la terrasse de mes amis et de me cacher derrière la haute murette qui en compose le principal soubassement. Même si j'étais un peu loin pour prendre des photos de qualités, de là, je pouvais observer le chevreuil à ma guise et le photographier sans qu'il ne me voit. Ses petites cornes trahissaient sa masculinité. C’était un brocard. De temps à autre, il levait la tête dans ma direction. Devenait-il ma présence ? Le regard fixe, il restait ainsi de longues minutes et seules ses oreilles s’agitaient de temps à autre. Oui qu’il était beau ce chevreuil. Oui qu’il était beau ce lever du jour !
J’aurais pu rester là pendant des heures à m’extasier devant cette Nature si merveilleuse. Comme un filet d’eau luisant qui s’écoule, le soleil illumina peu à peu les flancs du Serrat du Calvaire. Le chevreuil continuait à profiter du pré, de ses herbes folles et de ses boutons d’or. Il avalait tout très facilement et mes photos seraient les témoignages de ce bel appétit. Tout à coup, du bas du pré, un deuxième chevreuil arriva en gambadant. Il lança un aboiement très rauque et se mit à courser le premier qui détala lui aussi. Les deux disparurent dans le bois de frênes.
Je m’attendais à les voir réapparaître, et qui sait à les voir peut-être procéder à un acte d’amour au beau milieu du pré. Mais non, je me berçais d’illusions. Les chances d’un accouplement devant moi étaient minces car les chevreuils ont des cycles sexuels rares et espacés. Le soleil avait empli la vallée et une incroyable lumière éclairait son versant ubac. Plus de chevreuil, quelques oiseaux trop remuants car ayant repéré ma présence, peu de papillons à cette heure-ci, il ne me restait plus qu’à retourner à la maison pour prendre un café bien chaud, histoire de me réveiller complètement.
Oui, je n’étais pas encore bien réveillé mais une chose est sûre, en cette belle aube d’été, je n’avais pas rêvé. Tout en cheminant, je me disais « ça serait vraiment pas mal qu’il y ait d’autres aurores aussi agréables ».
L’été était loin d’être fini.
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