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Sur les hauteurs d'une vallée âpre - Le Tour du Vallespir - Etape 4 : Prats-de-Mollo - Notre-Dame de Coral - 9 kms.
Par gibirando dans TVAL - Sur les hauteurs d'une vallée âpre ou le Tour du Vallespir en 6 jours le 11 Août 2015 à 14:254eme étape : Jeudi 20 août 2009.
Prats-de-Mollo (753 m) - Notre-Dame de Coral (1.091m)
9 kms.
(La plupart des photos de ce Tour du Vallespir peuvent être agrandies en cliquant dessus. 2 fois, la photo occupe parfois le plein écran).
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"Un doux crépuscule d'avril descendait sur le Vallespir encore embrasé des rougeurs ardentes du couchant. C'était l'heure où le rose et l'orangé se disputent, en tons dégradés, les lisières du ciel et se fondent en cette teinte merveilleuse et indéfinissable qui incendie la crête des hautes montagnes". Extrait du roman " Domenica ou la vallée âpre ". Marie Vallespir.
SANS MIR, J'AI FAIT LE MINIMUM :
A l'hôtel-restaurant Ausseil, on soigne les clients. Hier soir, le patron a mis tout en œuvre pour que je puisse manger en terrasse. Il est allé chercher un petit guéridon où il m'installa comme un nabab. Seul le service pouvait être critiquable car il a été un peu long mais il faut dire que les tables étaient nombreuses et les clients aussi. Pourtant, en prenant le menu du jour fait d'une escalivade, d'un pavé de morue à la catalane et d'une crème catalane, je pensais pouvoir expédier ce souper typiquement catalan pour partir me coucher tôt. Il n'en a rien été, mais je n'ai pas eu à le regretter. Cette cuisine du terroir était excellente et en plus, tout seul dans mon coin, je me suis bien marré. Il y avait juste derrière moi un groupe de huit personnes, pour moitié catalanes et, pour l'autre moitié parisiennes et le contraste étonnant de ces deux accents antinomiques avait quelque chose de sympathiquement cocasse. Les gens d'ici parlaient ce sympathique français du terroir avec des mots mâchouillés aux intonations catalanes et chez les parigots, les hommes avaient cet accent argotique du titi parisien et les femmes, cet accent pointu à vous crever un œil. Dans le brouhaha général, je ne comprenais pas tout des conversations mais ces échanges et surtout ces sons, que tout opposait, étaient un régal pour mes oreilles et pour mon moral. Aussi, quand le groupe finit par quitter le restaurant, mon intérêt de rester à table disparut avec lui. Il est 23 heures et temps d'aller dormir. Mais du sommeil, il n'y en eut point cette nuit-là. Les orties que j'avais piétinées cet après-midi se rappelaient à mon bon souvenir et les inflammations avaient redoublées d'intensité et étaient devenues insoutenables. A aucun moment, je ne réussis à dormir, à peine somnoler parfois, car dans cette bataille du sommeil et du réveil que se livrait la lassitude et les brûlures, ces dernières gagnaient sans cesse. J'ai essayé une pommade anti-inflammatoire et une à l'arnica, mais sans succès et, seules les douches d'eaux chaudes, que je prenais régulièrement, arrivaient à calmer temporairement ces douleurs.
En jaune, c'est l'hôtel Ausseil où j'ai été parfaitement reçu. Mais les piqûres d'orties m'ont empêché de dormir. A droite, le porche de la ville fortifiée
Cette nuit sans dormir a été un vrai calvaire, mais elle présenta l'avantage de me laisser un temps infini pour réfléchir. Mais de toutes ces réflexions, deux revenaient sans cesse et se résumaient ainsi :
1- Pourquoi hier m'étais-je obstiné si longtemps dans ce guêpier avant de faire demi-tour ?
2- Que faire aujourd'hui pour ne pas renouveler cette triste et périlleuse expérience, si elle vient à survenir ?
Je répondais à la première interrogation, en reconnaissant mon entêtement à vouloir coûte que coûte cheminer le Tour du Vallespir. Mais est-ce si important de passer par ce chemin ou bien par un autre ? Et le but n'est-il pas de découvrir le Vallespir et d'arriver à l'endroit désiré ? A la première question ma réponse fut " NON " et à la deuxième ce fut " OUI ". Mais au fond de moi, je savais qu'il y avait eu autre chose aussi, quelque chose d'inconscient, comme une espèce de fascination à vouloir me mesurer à des forces et à des éléments que la nature, elle-même, avait vaincus. Après coup, j'avais le sentiment que mon entêtement à vouloir avancer dans cette forêt massacrée avait été un peu comme aller à la rencontre d'un mystère que je me devais d'élucider.
Mais désormais, il fallait que je me penche sur l'essentiel. De la solution à la première réflexion découla la résolution de la seconde et je me mis à compulser immédiatement mes cartes. Car la solution se trouvait automatiquement là. Fallait-il que je continue l'itinéraire du Tour du Vallespir, alors que dans ce secteur de Prats-de-Mollo, nombres de chemins ravagés par la tempête Klaus étaient peut-être encore barrés et impraticables ? Pour atteindre Notre-Dame de Coral, objectif de cette quatrième étape, il y avait le GRP Tour du Vallespir avec 21 kilomètres à parcourir, une rude ascension à la Tour de Mir, que je connaissais bien, par le boisé Bassin du Canidell, puis la rectiligne et aplanie crête boisée du Pic des Miquelets (1.632 m) et pour terminer, la descente boisée du Col d'Ares (1.513 m) jusqu'à l'ermitage. Cet itinéraire qui était enregistré dans mon GPS avait un dénominateur commun : " Boisé ". Le mot qui enfante une grosse boule dans mon estomac que je n'arrive plus à expulser. Mais pour se rendre à Notre-Dame de Coral, il y avait aussi un P.R. (Promenades et randonnées) sur la carte, un itinéraire parfaitement dessiné et surligné en rouge. Je l'avais déjà remarqué en étudiant le Tour du Vallespir. Moins long de 10 à 11 kilomètres que le GRP, je l'avais jugé comme une alternative très intéressante en cas de gros pépins physiques. Or, les pépins physiques étaient là ! Alors que faire ? Ce chemin circulait lui aussi en forêt, mais il présentait l'avantage de couper et de longer de manière quasi parallèle la D.115 qui descend du poste frontière du Col d'Ares. Et je me disais que si des arbres étaient tombés, c'est bien dans ce secteur où se trouve la départementale qu'on avait du certainement les dégager en priorité.
Prats-de-Mollo a un riche patrimoine historique et culturel. Ici une jolie cour de chapelle fleurie et ornée de fresques où l'on distingue les deux saintes. Mais pas le temps de m'attarder. Dommage !
A 5 heures du matin, quand j'éteins la lumière pour tenter de trouver une dernière fois un sommeil réparateur, j'ai pris quelques bonnes résolutions et pour ne pas en oublier, je les ai écrites dans mon petit calepin :
a) Me rendre demain matin à l'Office du Tourisme et demander des informations sur le GRP Tour du Vallespir qui passe par la Tour de Mir et sur le P.R., l'autre chemin qui va à Notre-Dame de Coral.
b) Si le GRP Tour du Vallespir est dans son intégralité praticable, je l'emprunterai.
c) Si je n'ai pas d'informations suffisamment précises et fiables, j'éviterai le GRP Tour du Vallespir au profit de l'autre chemin.
d) Si ce chemin est lui aussi impraticable, je prendrais la D.115 jusqu'au col de la Guilla puis la piste qui va à Can Moulins et enfin le sentier qui rejoint Notre-Dame de Coral.
e) Informer les responsables de l'Office du Tourisme quant à la galère que j'ai connu hier entre le Puig des Lloses et le Col du Miracle pour que d'autres randonneurs ne tombent pas dans le même piège.
f) Passer à la pharmacie pour acheter un calmant qui soulagera mes brûlures.
g) Penser à passer dans une épicerie car l'hôtel Ausseil ne prépare pas de panier pique-nique.
Dans ce combat de titans que se livrèrent toute la nuit le sommeil et l'éveil, ce dernier finit par jeter l'éponge vers 6 heures du matin et je m'endormis. Mais vers 7 heures, le bruit de quelques véhicules de livraison dans les ruelles avoisinantes arbitrèrent et mirent fin définitivement à cette bagarre dont je sortis comme le seul vaincu, terrassé et fourbu.
Depuis mon départ d'Amélie, c'est le premier jour où je suis réellement fatigué et courbaturé. Mon genou gauche est meurtri, me fait mal et la plaie pourtant peu profonde n'est pas jolie à voir car elle suppure abondamment. La douche chaude me réveille un peu mais n'a pas sur mon organisme cet effet habituel de stimulation. La fatigue est là et si je ne fais rien, elle ne s'arrangera pas au fil de la journée. Je mets sur mon genou une compresse de mercurochrome que je scotche avec un gros bout de sparadrap. Pour calmer les douleurs et les inflammations, je prends dans ma pharmacie deux Propofan et un Cycladol que j'avalerai avec le petit déjeuner.
La terrasse de l'hôtel Ausseil est quasi déserte et hormis un couple de touristes et la charmante serveuse qui vient me servir, il n'y a personne. Je prends seul ce copieux petit déjeuner sous l'œil prévenant et souriant de l'agréable serveuse. Cette dernière m'indique où se trouvent la pharmacie, l'Office du Tourisme et une superette. Par bonheur, tous ces commerces sont situés sur la place du Foirail, mais par contre, elle ne sait pas me dire quels sont les horaires d'ouverture. Les brûlures aux jambes étant toujours virulentes, il m'importe de me soigner dans un premier temps. Par les ruelles désertes, je pars aussitôt en direction de la Place du Foirail. Mais il n'est pas encore 8 heures et tout est fermé sauf la superette qui est ouverte, mais son unique employée est occupée à recevoir un camion de livraison. Au moment où je m'apprête à entrer, la commerçante d'un air ironique et caustique me dit en ricanant : Nous ouvrons à neuf heures ! Je repars vers les ruelles de la ville fortifiée où sans problème, je peux, grâce à une épicerie et à une boulangerie ouvertes, constituer un panier repas pour midi. Je reprends le chemin de l'hôtel, paye ma note par chèque car l'agréable serveuse m'assure que la carte bleue validée à la réservation ne sera pas encaissée et je remonte dans ma chambre. Mon sac à dos est prêt et il ne me reste plus qu'à ranger le pique-nique du midi et partir. Je sors de l'hôtel en remerciant la patronne de l'excellent accueil que j'ai eu et me dirige une nouvelle fois vers la place du Foirail. L'officine est ouverte et la pharmacienne me conseille un gel apaisant " Urticium " et ajoute un petit tube de granules homéopathiques " Urtica Urens ". Assis sur une murette, je badigeonne mes bras et mes jambes de ce gel froid et avale trois granules. Je suis agréablement surpris car les douleurs semblent s'atténuer presque immédiatement.
Sous un beau soleil, je quitte Prats-de-Mollo par un pont qui enjambe le Tech. C'est décidé, je délaisse Mir, sa tour et je fais ma première entorse volontaire à ce Tour du Vallespir. J'emprunte un PR.12 qui est en partie commun avec le fameux " Cami de la Retirada ". Il va me mener sans problème à Notre-Dame de Coral. Je traverse le torrent Canidell et tombe sur ce petit panneau qui vante les mérites de l'Ortie. Moi qui souffre le martyre et qui n'ait pas dormi de la nuit à cause de cette plante urticante, je suis sidéré d'apprendre qu'elle a des vertus anti-inflammatoires !
La tour de Mir
Indécis et confus, je pars dans la verdure.
Prats se réveille alors sous un ciel éclatant.
Le cœur encore intact d'un esprit d'aventure,
La Tour de Mir domine le vallon flamboyant.
Hésitant à grimper vers la haute muraille,
Le maximum à faire est encore important.
Ma tête grande ouverte tel un bel éventail.
La Tour de Mir me nargue idem à un géant.
Je balance, j'hésite, tel l'oiseau qui émigre,
Vers un court minimum où un chemin cuisant.
Mes jambes sont en feu mais ne sont pas de givre.
La Tour de Mir fascine les plus agonisants.
Ma décision est prise, je rejoins Notre-Dame,
Par le libre sentier de tous les résistants,
Mais l'esprit torturé comme une vieille femme,
La Tour de Mir m'invite de son pic arrogant.
Sombres sont les sous-bois, la paresse de mise.
Saint-Antoine est joli et son parc reposant.
L'horizon est bleuté, ma pensée cristallise.
La Tour de Mir m'attire de son feu si luisant.
J'escalade, je m'élève vers le col de la Guille,
Car Notre-Dame est belle dans le soleil couchant,
Et mon bras appuyant un bâton si futile,
La Tour de Mir s'enfuit, avec elle mon tourment.
La belle du Coral dévoile ses reliques,
Ses trésors que l'ermite a veillés pieusement.
Mes yeux émerveillés par ce pays de biques,
Le feu, la Tour de Mir s'éteint finalement.
L'Office du Tourisme est toujours fermé et j'ai maintenant un choix à faire : soit j'attends l'heure de l'ouverture en prenant le risque que l'employée ne puisse pas répondre à mes interrogations quant à la praticabilité des chemins soit je me décide tout de suite et opte pour le P.R pour respecter la résolution prise cette nuit.
En raison de mon état de lassitude avancée et de l'importante différence de distance à parcourir, pratiquement deux fois moins par le P.R., j'opte presque sans réfléchir pour cette solution qui me semble, aujourd'hui, la plus raisonnable. Il y a quelques années, une célèbre publicité annonçait " Mini Mir, il en fait un maximum " mais moi, c'est décidé " je ne vais pas prendre Mir (la tour) et je vais en faire un minimum (de kilomètres) ". Le jeu de mots est un peu lourdaud mais il a le mérite d'être un peu distrayant et de me venir à l'esprit à cet instant où je démarre cette nouvelle journée de marche avec une certaine appréhension.
Je traverse la place du Foirail et me dirige vers le pont qui traverse le Tech. Ici, il n'y a pas de colombes comme à Amélie mais un cadre de verdure exceptionnel et je retrouve le fleuve pour la deuxième fois depuis mon départ. Pas encore alimenté par ses nombreux affluents, il n'est ici qu'un petit torrent de montagne tranquille au débit relativement modeste en été. Mais cette discrétion du fleuve est très relative au regard de la documentation que j'ai pu lire sur l'Aiguat de 1940. Au carrefour adjacent, je trouve quelques panneaux de randonnées dont celui qui monte à la Tour de Mir. Je traverse la D.115 et cette fois, je suis devant le bon panneau avec un P.R.1, un P.R.3, un P.R.19 et surtout celui que je recherche, le P.R.12 indiquant " Notre Dame du Coral - La Coulometa ". Le balisage est blanc et rouge comme les G.R. Il y a dessous celui-ci, un autre panonceau dont l'itinéraire est vraiment chargé d'Histoire c'est le " Cami de la Retidara ", insolite chemin de l'exil que plus de 100.000 réfugiés espagnols empruntèrent en janvier 1939 pour fuir le régime tyrannique du général Franco. Cet exode massif eut une portée considérable sur la petite cité de Prats-de-Mollo et la région du Vallespir tout entière car il fut très difficile d'accueillir correctement toutes ces familles dans cet hiver très rigoureux qui était déjà là. Après la guerre, un grand nombre de famille s'installèrent dans le Vallespir. Ils eurent des enfants, qui ont grandi et sont devenus français. 70 ans ont passés et aujourd'hui c'est par bonheur que je vais emprunter une portion de ce " chemin du malheur " qui monte au Col d'Ares. J'enjambe le pont qui traverse le torrent du Canidell. Au bout du pont, un petit panneau éducatif sur l'ortie a été installé. Il décrit la plante, ses utilisations et vante ses bienfaits. Et là, chose surprenante, moi dont le lit était un véritable bûcher et qui ai " flambé " toute la nuit à cause de cette maudite plante, j'apprends qu'elle a des qualités d'anti-inflammatoire et qu'on peut même en faire des soupes. Non, je me suis endormi et je rêve, je ne suis pas devant ce panneau, je suis encore dans mon lit à l'hôtel Ausseil. Pincez-moi car je ne peux pas croire ça ! Je repars, la sente monte rudement dans un bois de feuillus où dominent les frênes et les grands châtaigniers. Je marche le plus souvent sous une sombre canopée mais parfois, j'arrive, au détour du chemin ou au travers des branches, à apercevoir Prats, juste en dessous qui s'éloigne, ou bien la Tour de Mir sur ma gauche, petite tétine brune dépassant d'un dodu mamelon verdâtre.
Le PR.12 grimpe dans la forêt. Malgré tout, j'aperçois de temps à autre la Tour de Mir ou les lieux où j'ai cheminé hier. Puis il coupe la D.115 et arrive à la ferme des Casals. Quand il devient un agréable sentier tout en sous-bois, je vais flâner comme jamais je ne l'ai fait depuis mon départ, récupérant ainsi de mon exténuante étape d'hier.
Ce chemin tout en sous-bois où je vais paresser, m'amène au col de la Guilla puis sur une piste qui descend vers Can Moulins. Je quitte cette piste par une étroite sente balisée avec des lettres en vieil anglais qui m'entraîne dans le ravin de Coral entre prés fleuris et bois où virevoltent de beaux papillons. Au loin, j'aperçois mon objectif du jour : la chapelle Notre-Dame de Coral.
Je m'arrête souvent pour calmer ma respiration qui a tendance à s'emballer. Si les anti-inflammatoires ont eu pour effet de calmer mes contractures musculaires, je reste néanmoins marqué par ma terrible journée d'hier et ma nuit agitée. Et je me réjouis d'avoir pris ce chemin déjà suffisamment difficile compte tenu de ma fatigue. Après maints zigzags, j'atteins Saint-Antoine, petit ermitage avec une fontaine et une aire de pique-nique. Je profite de ce lieu calme pour souffler un peu et manger le pain au chocolat que j'ai acheté ce matin. Je repars. Le balisage est formidablement distinct. Je traverse la D.115 pour entrer dans un autre bois où le chemin s'est élargi. Ici la forêt ne semble pas avoir souffert du déchaînement de Klaus. La forêt se termine et le chemin débouche dans un immense pré lumineux où tout à coup les beaux panoramas se dévoilent vers le nord. Le chemin traverse le pré et pénètre dans la grande ferme des Casals. Il est 10h30. Je passe au milieu de la ferme que je quitte par une piste terreuse qui continue vers la D.115. Très vite, je délaisse cette piste au profit d'une autre qui aboutit à un portail. Le balisage du P.R.12 est bien là. Je pousse le portail que je prends soin de refermer derrière moi. C'est un large chemin herbeux tout en sous-bois de petits noisetiers qui démarre ici et longe parallèlement la D.115. Après les rudes montées que j'ai eues jusqu'ici, j'apprécie à sa juste valeur ce sentier fleuri au doux dénivelé. Il est si agréable à cheminer et il fait si beau aujourd'hui, que je flâne, m'arrête, repars, m'arrête à nouveau pour observer une fleur, un oiseau ou un papillon. Tout devient prétexte à un rythme de marche nonchalant et placide. Je vais même jusqu'à m'arrêter plusieurs fois pour déjeuner. Un coup c'est un morceau de quiche acheté à la boulangerie ce matin, une autre fois une salade que je trimballe depuis le départ, une autre fois, un morceau de pizza, un gâteau de riz ou bien une orange. C'est simple, quand je retrouve la D.115 au col de la Guilla (1.194 m), je me suis arrêté trois fois, j'ai mangé tout mon déjeuner, il n'est pas encore midi et j'ai mis plus d'une heure depuis la ferme des Casals pour parcourir deux kilomètres. C'est dire la lenteur avec laquelle j'ai marché, mais cette lenteur est aujourd'hui en parfait synchronisme avec mon état de paresse. Un petit panonceau en direction de Notre-Dame du Coral est planté là au bord de la D.115. Il m'expédie de l'autre côté de la route où un grand portail s'ouvre sur une large piste qui descend vers Can Moulins. Les décors changent, ce n'est plus tout à fait la même végétation. Ici, les grands châtaigniers, les frênes et les hêtres ont quasiment disparus au profit des pins, des chênes verts et des chênes lièges. Sous un soleil de plomb et sur cette large piste terreuse qui descend allègrement, je retrouve machinalement mon rythme de marche régulier et habituel. Seul un abreuvoir dans lequel s'écoule une source arrête mon élan. J'y trempe mon bob déjà bien mouillé de sueur que j'enfonce tout dégoulinant sur ma tête. Frais comme un gardon, je repars sous ce cagnard brûlant mais juste avant Can Moulins, je suis à nouveau arrêté dans ma course par un petit panonceau aux lettres écrites en vieil anglais " N + D + du Coral ". De cet endroit, on aperçoit d'ailleurs les toits de l'ermitage. Au sein d'une dense forêt, la chapelle n'est plus qu'à quelques centaines de mètres à vol d'oiseau. Une étroite sente raide descend dans une ravine, se stabilise et passe sous les maisons du hameau isolé de Can Moulins. Puis il descend à nouveau dans le bois d'un autre vallon où coule le Coral. Lors de l'analyse du parcours, j'avais prévu de m'y baigner en cas de fortes chaleurs. Mais si les fortes chaleurs sont là, le ruisseau, lui, n'est qu'un petit filet d'eau où il est très difficile de s'y mouiller ne serait-ce que les pieds.
Après avoir traîné comme jamais, je finis par arriver très tôt à Notre-Dame de Coral. Comme à Saint-Guillem, la jolie chapelle est un lieu de pèlerinage et d'ermitage depuis des siècles mais ici elle fait aussi hôtellerie et restaurant. Je suis accueilli par deux énormes Saint-Bernard très gentils mais un peu trop baveux à mon goût. Un panonceau m'indique Lamanère, direction que j'aurais à prendre demain.
Après une sieste bienfaitrice dans ma chambre, balades, visite et photos du site sont au programme. Son calme et son cadre de verdure unique se prête bien à ces activités. D'ici, j'aperçois tout au loin les Tours de Cabrens que je dois approcher demain. Je vais garder de Notre-Dame de Coral un souvenir impérissable et l'envie constante d'y amener un jour toute ma famille.
Toujours dans les bois, le chemin remonte en zigzaguant jusqu'à l'intersection de deux chemins. Je connais bien cette jonction pour être venu à diverses reprises à Notre-Dame du Coral : il y a le chemin qui descend vers Lamanère et qu'il me faudra prendre demain et celui qui monte en direction de l'ermitage. Il est 13h15 quand j'aperçois les bâtiments et la chapelle. Je suis accueilli aux sons des grognements de deux énormes " Saint-Bernard " qui sont affalés de tout leur long sur le carrelage, certainement frais, du narthex de la chapelle. Ils doivent avoir si chaud qu'ils ne bronchent pas, mais néanmoins, ils m'observent du coin de l'oeil comme pour me dire " ne bouge plus, on te surveille ". Mais, je les connais pour les avoir rencontrés, il y a quelques mois, lors d'une randonnée. Ils sont plus impressionnants que réellement menaçants. Un jeune homme arrive d'un espace privé qui me semble être la cuisine. Je me présente, et il est parfaitement au courant de ma réservation en demi-pension pour une nuit. Force est de constater qu'ici ça fonctionne mieux qu'au Refuge de Batère. Pendant que le jeune homme me parle, les deux molosses se sont levés et sont venus me renifler les mains. Non, renifler n'est pas vraiment le mot. De leurs bajoues humides, ils m'enduisent les mains d'une bave gluante et quand je veux les repousser pour arrêter ce badigeonnage visqueux, le jeune homme me dit : " ils ont peur de votre bâton de marche " ! Je plie mon bâton télescopique et suit le jeune homme qui se dirige à l'étage pour me montrer ma chambre. Ce n'est pas vraiment une chambre mais plutôt un petit dortoir avec trois lits gigognes mais où, en principe, je devrais être seul car peu de randonneurs sont attendus aujourd'hui. Avant de retourner à ses occupations, le jeune homme me demande si je souhaite une boisson fraîche et quand je lui réponds une bière, il m'annonce avec jubilation, et comme si c'était une prouesse, qu'il a même une excellente bière pression. Je ne sais pas si chez lui, cet accueil courtois est habituel mais avec mon tee-shirt détrempé et mon bob avachi, il en a certainement conclu que j'avais dû avoir très chaud toute la matinée et que je devais avoir très soif. Gagné ! Je dépose mes affaires, retourne chercher ma bière et remonte avec dans le dortoir. Maintenant, je n'aspire qu'à une seule chose : " dormir ! ". Je me délecte de cette bière glacée, sors mes effets de toilettes, me déshabille et me précipite en slip sous la première douche venue qui se trouve au fond du couloir. Quand je reviens dans la chambre, et bien que les brûlures se soient formidablement estompées, je m'enduis les bras et les jambes d'Urticium et mets sous ma langue 5 granules d'Urtica Urens que je laisse fondre. Je finis ma bière et me jette sous une couverture et en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, je me vois m'endormir comme un bébé rassasié. Il est 16h30 quand je me réveille au doux bruit d'un aspirateur qui ronfle. Celui-ci arrive de l'extérieur et entre par la fenêtre que j'ai laissée grande ouverte. Quand je m'y penche c'est pour constater que la gérante et sa fille sont entrain de nettoyer leur voiture. M'apercevant à la fenêtre, elle semble confuse de m'avoir réveillé mais je la rassure car en réalité, il n'en est rien, je me suis éveillé tout seul après tout de même plus de deux heures d'un sommeil profond et réparateur. Je pars faire quelques photos de Notre-Dame du Coral qui est vraiment un site magique dans un cadre de verdure remarquable. D'ici, j'arrive à voir et à photographier les fameuses " Tours de Cabrens ", au pied desquelles, j'ai prévu de passer demain.
Quelques images de ma soirée à Notre-Dame de Coral : la jolie chapelle avec ma chambre dont la première fenêtre est ouverte. Devant la fenêtre de ma chambre où, le soir, je vais assister impuissant à la mise à mort d'un pauvre mulot ballotté par trois horribles matous. La marmotte empaillée de l'excellent restaurant " La Bergerie " qui de ses yeux fixes me regarde manger et enfin le beau coucher de soleil vers le Mont Falgas. Ce soir-là, plusieurs randonneurs m'indiquent l'impossibilité qu'ils ont eu de se rendre à la Tour de Mir à cause des arbres couchés par la tempête Klaus et cela me conforte dans la décision d'avoir préféré le PR.12 plutôt que l'itinéraire du Tour du Vallespir. Cela effacera en partie cette entorse non prévue.
Assis devant l'entrée de la chapelle, je fais la connaissance d'une randonneuse. Elle marche avec deux amis et font des randonnées en étoiles depuis l'ermitage. Elle vient d'arriver du secteur de la Tour de Mir où ils sont allés randonner aujourd'hui. Au fil de la discussion, elle finit par m'apprendre que, par là-bas, beaucoup d'arbres gisent encore à terre au milieu des pistes et des chemins. Ils ont pas mal galéré et n'ont pas pu respecter la boucle qu'ils avaient initialement envisagée de faire. Puis au moment de faire demi-tour, ils ont éprouvé beaucoup de difficultés pour revenir à l'ermitage depuis la Tour de Mir par un autre chemin. Cette information que je n'ai pas spécialement recherchée arrive à mes oreilles comme un pur soulagement. En effet, après cette difficile journée d'hier et malgré mon désir de faire preuve de prudence, j'avoue que faire le Tour du Vallespir et ne pas respecter son parcours originel me chagrine pas mal. Mais avec cette information, plus aucun regret, j'ai la certitude maintenant d'avoir pris ce matin la bonne décision en choisissant le P.R.12 ! La jeune femme part rejoindre ses amis dans le dortoir. Une petite chatte noire vient se faire câliner, elle ressemble à s'y méprendre à ma petite Milie, mais quand un des deux Saint-Bernard aperçoit ce manège, il est jaloux et veut lui aussi sa part de caresses. Je veux bien le cajoler mais lui ne conçoit pas de recevoir de la tendresse sans en rendre à son tour à grands coups de langue. Et voilà qu'en moins de trois heures, il se met à me passer une deuxième couche de salive collante sur les mains. J'adore les animaux et particulièrement les chiens mais cette écume blanche qui dégouline de ses bajoues a un côté ragoûtant et désagréable et, là c'en est trop. Je remonte vers les toilettes pour me laver les mains puis je me remets au lit pour un peu de lecture. Vers 19h30, je redescends pour m'installer dans la Bergerie. C'est ainsi que s'appelle la jolie salle de restaurant au décor campagnard typiquement catalan. Je suis seul dans la salle, et ce repas, que je mange sous l'œil inerte d'une grosse marmotte empaillée, est vraiment savoureux avec une salade de tomates à la mozzarella, un coquelet rôti avec un excellent petit assortiment de légumes, de riz et d'un délicieux gratin. Et pour clore le tout, on m'apporte une grosse tranche d'un succulent gâteau à la crème pâtissière. Je n'ai vraiment que des louanges à faire de cet accueil de qualité. La chambre est parfaite pour le randonneur que je suis, la cuisine est excellente et raffinée, le tout dans un décor unique et calme et pour couronner le tout avec un rapport qualité/prix des plus raisonnables. Que demander de plus ! Quand je remonte dans la chambre, le soir est entrain de tomber mais le soleil est loin d'être couché. Par la fenêtre, je le regarde décliner peu à peu, grosse boule rouge qui disparaît derrière le Mont Falgas. A cet instant, et en regardant vers ces belles montagnes, je repense à ce " Cami de la Retirada ". Ces chemins de la liberté, ils ont dû en voir passer des contingents de malheureux et de chancelants avec tous ces réfugiés politiques qui étaient obligés de fuir leur pays. Mais dans l'autre sens, cette frontière, elle a dû en voir défiler des bienheureux et des chanceux avec ces résistants et ces combattants de tous bords qui fuyaient le nazisme pour des vies et des destinées nouvelles. Trois chats noirs qui jouent sous ma fenêtre sur la pelouse du parc m'extirpent de cette rêverie et de ces réflexions. Ils jouent à un jeu très cruel, c'est celui du chat et de la souris, comme une parodie d'un " Tom et Jerry " grandeur nature où il y aurait trois " Tom " et dans lequel, le rôle de " Jerry " est tenu par un minuscule mulot dont le sort est scellé d'avance. Les trois " ignobles " matous se renvoient, d'un à l'autre, le petit mulot comme une balle de caoutchouc et quand parfois celui-ci retombe dans l'herbe, j'ai toujours espoir qu'il finisse par arriver à s'échapper. Mais malheureusement, il finit tôt ou tard par se faire rattraper pour un des trois " greffiers ". Décidément la nature est trop cruelle et devant cet impitoyable spectacle, je préfère partir me coucher. Voilà un aspect de l'âpreté du Vallespir que je n'avais pas imaginé au départ de cette randonnée. Comme quoi, on est loin de tout envisager quand on veut se hisser sur " les hauteurs d'une vallée âpre ".
L'après-midi, ce gentil chat était venu se faire câliner. A la nuit tombante, sur la pelouse de l'ermitage, accompagnés de ses deux compères, il est soudain devenu un " ignoble assassin " suppliciant un pauvre petit mulot qu'ils se renvoyaient de l'un à l'autre comme un simple balle de caoutchouc. Une nouvelle fable était déjà dans ma tête.
Trois petits " Tom " et un pauvre Jerry
Trois petits " Tom " jouaient dans le parc ombragé.
Noirs étaient leurs pelages, leurs esprits, leurs pensées.
Et ce pauvre " Jerry ", que le diable tirait
Par une fine queue, était désespéré.
Un homme à la fenêtre regardant ce spectacle,
Espérait du hasard, une étoile, un miracle.
Mais la dure nature le fit pleurer soudain,
Les petits " Toms " noirs étaient des assassins.
Il partit se coucher, sensible à sa faiblesse.
Les petits " Toms " noirs avaient tant de rudesse.
Croquer une souris tels étaient leurs destins,
Un " Jerry ", un mulot ce n'est pas un festin
Puis l'homme s'endormit, mais les rêves l'éveillèrent
Sur son lit, un p'tit " Tom " dormait tel un pépère
Sans cauchemar aucun, sur ce qu'il avait fait
Le " Jerry " dans son ventre avait ressuscité.
Dans leurs songes, ils sautèrent dans le parc ténébreux
Le P'tit " Tom " et " Jerry " avaient l'air si heureux.
Toute la nuit, ils jouèrent jusqu'au petit matin,
Comme de bons copains, de gentils diablotins.
Puis le jour se leva et son lot de tracas,
Les petits " Toms " noirs cherchaient comme un en-cas.
Point de pauvre mulot pour leur combler la faim,
Mais un " Jerry " ailé tel un beau séraphin.
Les Petits " Toms " noirs scrutaient en vain le ciel,
En quête d'un oiseau, de leurs airs criminels.
Mais le frêle " Jerry " s'était changé en aigle,
Sur les chats il tomba emportant le plus faible.
Il faut vivre la vie comme un chat, un mulot,
Caresser les p'tits " Toms ", ignorer les salauds,
Et si la vie est dure, croque-là doublement
Comme une petit " Jerry " si tendre et si fondant.
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