• Plus le temps passe et plus je vieillis.....Hommage à mon ami Gilou....

    Plus le temps passe et plus je vieillis et plus je vieillis et plus Dieu, s’il existe, me conforte dans l’idée qu’il n’est pas utile que je crois en lui. Je suis donc athée par obligation ou bien Dieu n’est pas le créateur idéal dans lequel j’ai envie de croire. Ce qui pour moi et en finalité revient quasiment au même. Les philosophes, eux, font la différence entre l’athéisme et l’agnosticisme. Dans le premier cas, on ne croit pas en l’existence d’un dieu et dans le deuxième cas, la question d’un quelconque dieu ne se pose même pas car elle n’est pas démontrée. Moi, dans mon cas, je ne sais pas (ou plus) où je me situe mais comme je me pose des questions, j’aurai plutôt tendance à penser que je suis athée. Enfin tout ça n’a pas vraiment d’importance !

    Alors pourquoi toutes ces questions métaphysiques me direz-vous ?

    Plus le temps passe et plus je vieillis et plus je constate autour de moi que nombreux sont ceux qui ne peuvent plus en dire autant. Alors si Dieu existe, pourquoi les a-t-il emportés si jeunes ? Pourquoi les a-t-il fait souffrir ? Qu’avaient-ils fait ces hommes et ces femmes pour mériter un sort si funeste et si injuste ? Pourquoi certains partent-ils si jeunes et d’autres que la maladie tue à petit feu ont-ils du rabiot ? Pourquoi certains deviennent-ils centenaires et d'autres n'ont-ils même pas droit à la moitié ? Pour n’évoquer que des proches ou des amis qui m’étaient chers, mais malheureusement, je pourrais en citer bien d’autres, mon frère Daniel par exemple est mort soudainement d’une crise cardiaque à l’âge de 46 ans et pourtant il ne demandait qu’à vivre ! Puis en quelques années, j’ai vu partir, dans la souffrance de la maladie, deux collègues de travail : Bernard avait 48 ans et venait juste d’avoir son premier enfant puis, l’an dernier ce fut au tour de la gentille Monique qui n’avait que 53 ans et qui, jolie comme une fleur, ne demandait qu’une chose : Vivre !

    Aujourd’hui, c’est Gilbert Magenti, encore un ancien très bon ami qui a quitté ce monde à l’âge de 50 ans et je m’interroge sur ce nouveau départ. Tout le monde l’appelait affectueusement Gilou et même si ça faisait quelques années qu’on ne s’était plus revu, je sais,  pour l’avoir très bien connu, qu’il ne méritait pas de partir si jeune et qui plus est dans le supplice d’une terrible maladie. Non, ce grand gaillard, homme des montagnes comme il aimait à se définir en se moquant de lui-même, ne méritait pas de mourir ainsi dans la souffrance.

    Si j’ai un doute quant à l’existence d’un dieu,  Gilou avait lui  le goût de vivre, de ça au moins j’en suis certain !

    J’ai connu Gilbert Magenti en juin 1988 en intégrant la société Défi à Perpignan, période compliquée de ma vie où je sortais enfin d’une difficile et trop longue épreuve de chômage que j’avais vécu avec amertume m’étant toujours énormément impliqué dans tous mes jobs. En outre, je venais de rompre de ma propre initiative la période d’essai que j’avais commencé dans un entreprise de Narbonne et il était important pour moi de rebondir le plus vite possible.  Je n’avais pas choisi cette société Défi dont l’activité était très particulière puisque elle ne vendait que de l’érotisme et de la pornographie. Mais dans la situation qui était la mienne et avec une femme et deux enfants à la maison, je n’étais pas en mesure de faire le difficile. Cette entreprise m’avait engagé comme chef comptable pour remplacer l’unique comptable partie en congé de maternité et  je ne pouvais que l’en remercier. J’y étais donc entré pour quelques mois mais j’y suis resté en réalité jusqu’en janvier 1990 et encore j’en suis parti sur un coup de tête et pour cause d’incompatibilité d’humeur avec le patron. A vrai dire, à part ce regrettable incident, je m’y suis plutôt épanoui dans un travail très intéressant car diversifié où j’ai appris beaucoup et de surcroît auprès de collègues de travail plutôt attachants. Et je dois le dire, parmi ces camarades de boulot, Gilou a été sans conteste celui que j’ai apprécié le plus et le plus vite. Il faut dire qu’il a été le premier à m’accueillir avec sympathie, sans hésitation et sans arrière-pensée. Il avait toujours le sourire aux lèvres, aimait plaisanter et m’a mis tout de suite à l’aise dans cette entreprise à l’activité que certains décrivaient comme « délicate ». Moi, au début, je me disais : « être comptable ici ou bien ailleurs et compter ça ou des cacahuètes, c’est du pareil au même » mais la suite me prouva le contraire tant nous étions en permanence contrôlés par toutes les administrations possibles (fisc, Urssaf, police, gendarmerie, douanes, inspection du travail, etc.…). Avec la chaleur humaine qui le caractérisait et son sourire qui illuminait toujours son visage, Gilou m’a donné cette confiance dont j’avais bien besoin en réintégrant ce milieu professionnel très nouveau pour moi. Bien que Gilou était très loin de mes tracas de comptable puisqu’il était infographiste où ses talents de peintre dessinateur faisaient merveilles, nous travaillions dans le même local, l’un en face de l’autre et nous déconnions très souvent. Il faut dire qu’avec la désinvolture de notre jeunesse et cette activité insolite, les occasions de se tordre de rires ne manquaient pas et Gilou et moi, nous n’étions jamais les derniers. Gilou avait ce don de détendre l’atmosphère dans des situations qui pour moi auraient pu être stressantes. Mais malgré nos jobs bien différents, nous avons sympathisé et nous sommes liés d’amitié dés les premiers jours. Il faut dire qu’avec la peinture et le dessin que j’aimais également beaucoup mais dans lesquels il était bien plus doué que moi, nous avions en commun de multiples autres atomes crochus : la pêche que lui pratiquait en torrent et moi en mer, la montagne dont il était un enfant et dont je commençais à prendre goût à travers mes toutes premières randonnées pédestres. Mais dans cette amitié naissante, le lien qui nous unissait, c’était cet amour en commun que nous avions pour cette idée de liberté absolue dans nos activités auprès de la nature sauvage en général. Moi, c’était au bord de la mer que je l’exprimais dans mes chasses sous-marines et lui, c’était dans ses chères montagnes du Vallespir qu’il parcourait inlassablement à longueur d’années pour chasser, pêcher la truite, ramasser les champignons ou chercher des truffes.  Nous parlions presque essentiellement de ça, de nos expériences, de la faune et de la flore que nous observions chacun de notre côté. Pendant les années de travail dans la même entreprise, nous avons été très amis même si nous n’étions pas ce qu’on appelle « cul et chemise » ou constamment l’un avec l’autre. Je respectais son goût d'indépendance et dieu sait s’il tenait à ça et lui respectait ma manière de vivre. Il faut dire que notre éloignement géographique et nos vies différentes contribuaient facilement à ça : il était célibataire, même s’il avait une copine, résidait à Perpignan en semaine et rentrait sur Montferrer le week-end et moi, marié avec 2 enfants, j’habitais à Saint-Estève. Mais quand nous étions ensemble à la pêche par exemple, nous étions de vrais complices.  Je l’amenais par exemple pêcher les loups, les congres, les sars ou les mustelles de nuit au Cap Béar et de son côté, il m’entraînait dans d’interminables excursions pour pêcher les truites dans ses torrents du Vallespir dont il semblait être le seul à connaître ses «  bons coins ». Nous prenions un plaisir immense dans ces activités nouvelles pour nous deux et ça nous rapprochait. En dehors de ça, il tentait parfois de m’expliquer comment reconnaître tels ou tels champignons et comment à l’aide d’une mouche, il trouvait des truffes, perles noires de ses montagnes. Mais comme il savait à l’avance que je n’en trouverais jamais, il prenait soin de m’en offrir quelques unes quand je montais chez lui dans son village natal de Montferrer. A sa manière et inconsciemment Gilou participa sans doute aux travers de ces quelques sorties dans son cher Vallespir à me donner le virus de la montagne dont je ne peux plus me débarrasser aujourd’hui. Très souvent, il s’esclaffait de rire à me voir m’énerver quand ma ligne se prenait dans les branches  des arbres et comme cela m’arrivait assez souvent, nous passions des journées  plus à faire peur aux truites et à nous marrer qu’à pêcher vraiment. A l’époque Gilou avait 28 ans et sous ses faux airs de jeune homme un peu rustaud des montagnes, il était d’une grande gentillesse. Avec ses grands yeux bleu ciel et sa tignasse brune, il ressemblait à s’y méprendre à Yves Duteil et il avait dans le cœur, la même sensibilité que celle qui transpire des chansons de ce dernier.  Et comme, j’étais son aîné de 11 ans, au nom de notre amitié, il me faisait confiance, me parlait de ses tourments de cœur, de ses craintes et de ses doutes à vouloir s’engager auprès d’une femme un peu plus âgée que lui. Pourtant, il me disait l’aimer tendrement mais elle avait déjà un enfant que lui ne se sentait pas d’assumer. Il se savait insouciant et surtout il ne voulait pas perdre cette indépendance de montagnard qu’il avait toujours connue. Certains auraient pu penser qu’il s’agissait d’une forme d’égoïsme mais sincèrement je ne le crois pas et je situais ce trait de caractère entre le machiste qu’il était parfois et la crainte de perdre une liberté essentielle à sa vie. Et je l’avoue, c’est bien la première et dernière fois de ma vie où un homme c’est ainsi confié à moi. Gilbert avait bon cœur et parfois il me donnait quelques truffes, des truites, des cèpes séchés et il est même allé jusqu’à m’offrir une très belle aquarelle que j’ai toujours gardée sous verre précieusement, exposée dans mon salon.  Parfois, je tentais de rivaliser en lui offrant quelques bons poissons de mer. Puis en changeant de boulot, notre amitié se rompit une première fois et nous restâmes quelques semaines sans nous revoir mais quand au téléphone je lui appris que je travaillais au Boulou, le vendredi soir en rentrant sur Montferrer, il se mit à passer régulièrement me voir. Tout en prenant le verre de l’amitié, il me parlait de son boulot qu’il ne gardait que par nécessité préférant « sa montagne » et moi je lui parlais du mien et de mes difficultés à être à la hauteur dans un bureau où trois femmes s’étaient liguées contre moi dès le premier jour, sans vraie raison sinon par simple méchanceté gratuite ou jalousie. Lui, me racontait ses déboires féminins et ses peines de cœur dont il semblait se faire une montagne aussi grande que son cher Canigou. Nous eûmes quelques petites altercations au sujet de la manière plus que machiste dont il avait de parler des femmes en général. C’était là le seul défaut que je lui trouvais et le seul chapitre où nous étions souvent en désaccord.  J’essayais d’éviter le sujet mais d’un autre côté, il m’était impossible de ne pas l’écouter quand Gilbert se confiait à moi. Quand il reprochait aux femmes d’avoir tous les défauts de la terre, il se transformait alors en un jeune homme incommodant et comme à ces moments-là, je ne le reconnaissais plus vraiment, j’avais peut-être le tort de lui parler avec un peu trop de franchise.

    Aujourd’hui ce n’est pas parce qu’il n’est plus là, que je vais dire que Gilou n’avait que des qualités. Non, comme nous tous, Gilou avait ses défauts et c’est sans doute ce qui le rendait encore plus humain.  Malgré ces différents qui n’étaient heureusement que passagers et occasionnels, Gilou savait être charmant et aimait par dessus tout plaisanter et je mettais ses sautes d’humeur envers les femmes, sur sa jeunesse et sur le compte d’une quête à se chercher lui-même ou à  trouver une véritable  âme sœur qui aurait su l’aimer, le comprendre et l’accepter comme il était vraiment. J’avais beau lui dire qu’avec une femme, il était nécessaire de faire certaines concessions, il ne semblait pas vraiment prêt  à ça.

    En 1992, je perdis mon frère Daniel et même s’il savait que c’était peine perdue, il passa plus souvent me voir et essaya tant bien que mal et à sa manière de me réconforter de son mieux. Nous continuâmes à nous revoir régulièrement jusqu’en janvier 1993 sans que notre amitié pâtisse de ces petites querelles au sujet des femmes.  Puis une fois encore, je perdis mon boulot et je dus quitter Le Boulou pour venir travailler à nouveau sur Perpignan pendant les quelques mois de préavis qu’il me restait à faire. Il passa encore une ou deux fois me voir, on se téléphona encore quelquefois,  puis nos appels s’espacèrent jusqu’à s’arrêter définitivement. Il faut dire que de mon côté, en 1993, au mois de mai, je perdis définitivement mon job de comptable à Perpignan et je fus entraîné dans ce qu’on appelle le tourbillon de la vie où mes préoccupations personnelles comme celles d’assurer les fins de mois à mon propre foyer passèrent avant tout le reste. Je suppose qu’il en fut de même pour lui car Gilou ne m’appela plus jamais au téléphone et notre éloignement mit fin, je dirais presque naturellement, à cette très belle amitié de cinq années. Nos caractères solitaires et notre goût d'indépendance contribuérent sans doute aussi à cette coupure.

    Ainsi étaient allées nos vies ! Nous avions pris des « trains de la vie » différents et le train de l'amitié qui aurait pu nous réunir de nouveau était passé bien trop vite pour nous deux !

    Mais une fois encore, cette cruelle fatalité qu’on appelle la mort m’a rappelé soudain à son terrible souvenir.

    Gilou s’en est parti en ce mois de janvier 2011 et quand je me retourne, je m’aperçois avec effarement que nous sommes restés ainsi sans plus nous revoir pendant 18 longues années. Et ce qui est triste, c’est que nous nous étions séparés très bons amis. Et je dois le dire, au regard de cette accablante réalité, j’ai comme un vague sentiment de culpabilité. Le sentiment de n’avoir pas su préserver cette belle complicité, de n’avoir pas su lui tendre une main secourable. Je ne sais comment dire et sans forfanterie aucune mais j’ai le sentiment que ma main de bon camarade aurait pu peut-être lui faire traverser le miroir avec un peu plus de sérénité. J’ai l’impression d’avoir oublié de lui dire certaines choses : combien par exemple, aussi courte soit-elle,  j’avais apprécié sa camaraderie pleine de spontanéité à m’accueillir chez Défi ou bien chez lui à Montferrer sans chichis ou à venir me voir au Boulou. Combien j’avais apprécié la confiance qu’il mettait en moi à se confier et vice-versa d’ailleurs. Combien j’avais apprécié sa gentillesse. En résumé combien j’avais apprécié nos cinq années d’amitié. Cinq années, sans doute trop courtes mais qui, en tous cas, auront pour moi marqué mon existence tant cette camaraderie avait été forte et marquée par une complicité exceptionnelle. Nous avions tous les deux cet amour pour la nature et la vie tout simplement.

    Quand j’ai appris son décès à la lecture de la Semaine du Roussillon, j’ai reçu comme un énorme coup de massue sur la tête. Il m’était impossible d’imaginer ce garçon que j’avais bien connu, boute-en-train et sportif, autrement que plein de vie et d’énergie. Ses obsèques étaient passées mais j’ai aussitôt ressenti le besoin d’aller me recueillir au cimetière de Montferrer comme si je voulais définitivement sortir d’un mauvais cauchemar. Et quand je me suis rendu à Montferrer et malheureusement à l’évidence, en ce 11 février 2011,  j’ai été bouleversé par les deux photos qui étaient affichées sur sa tombe. Sur une de ces photos, je retrouvais Gilou comme aux plus beaux jours de notre amitié, insouciant, avec son éternel sourire espiègle. Il était au dessus de mes forces d’imaginer ce grand gaillard de Gilou allongé dans ce casier de marbre, gris et froid. Alors, c’est les larmes aux yeux que je suis parti marcher dans sa « chère montagne ». Je ne sais pas pourquoi mais j'ai ressenti ce besoin d'aller m'évader loin de ce monde que je trouvais "abominable". Il m’avait si  souvent parlé de son village et de ces sentiers qu’il arpentait depuis qu’il était enfant que j'ai eu le sentiment de lui rendre hommage en les arpentant à mon tour. Dans ma tête et tout en marchant, Gilou, mon copain, fut là, à côté de moi, à gambader dans la forêt, à grimper ces chemins qui mènent au château de Montferrer, terrains de jeux de son enfance. Il chemina avec moi toute la journée mais quand le soir la balade se termina, ça était plus fort que moi, je voulais garder un souvenir visuel de Gilou et j’ai pris en photos ces deux images. Quand je suis rentré à la maison, étant seul ce soir-là, il fut encore dans mes pensées. En regardant cette aquarelle qu’il m’avait gentiment offerte, je le voyais adossé contre ce bel arbre comme au temps où nous pique-niquions pendant nos parties de pêche. 

    De lui, il me restera, de nombreux souvenirs agréables, ces deux photos que j’ai chipées comme un voleur de cimetière, cette aquarelle qu'il m'avait offerte et une autre toile que je lui avais achetée lors d’une exposition car en plus de ses qualités de cœur, Gilou avait un vrai talent d’artiste peintre. Sur ce dernier tableau, il avait tenté d’imaginer, de manière très abstraite, les fonds marins que je lui décrivais en évoquant mes chasses sous-marines. En regardant ses œuvres, je vais inévitablement me souvenir de lui avec tristesse et nostalgie et je sais qu’il n’aurait pas apprécié  que je pense à lui ainsi. Gilou aimait tant la rigolade….Mais ne m’en veut pas Gilou, aujourd’hui, il m’est impossible de rire de ton départ si inattendu !

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